La Poésie du Portugal des origines au XX ème siècle

(Merci beaucoup, Raymond Farina)

Les Éditions Chandeigne viennent de publier La Poésie du Portugal des origines au XX ème siècle. Cette anthologie a été éditée et les poèmes traduits par Max de Carvalho. C’est une édition bilingue. 1892 pages (!!!). 49 euros. Environ trois cents poètes et plus de mille poèmes. C’est un objet magnifique et l’anthologie semble très bien faite. Mathias Énard a publié une critique élogieuse dans Le Monde des Livres du 3 novembre 2021. C’est bientôt Noël et il y a tant de bons poètes portugais. Les poèmes du XIX et du XX siècles occupent les quatre cinquièmes du livre.

https://www.lemonde.fr/livres/article/2021/11/03/la-poesie-du-portugal-une-epopee-de-heros-et-de-monstres_6100820_3260.html

Mathias Énard à la fin de son article donne comme exemple un poème de Sophia de Mello Breyner, un de mes écrivains portugais préférés: Maria Helena Vieira Da Silva ou o itirenàrio ineluctável ( Maria Helena Vieira Da Silva ou l’itinéraire inéluctable ). Dans l’anthologie, on trouve A pequena praça (La petite place). J’ajoute ici la traduction Raymond Farina.

Sophia de Mello Breyner. 1919-2004.

Maria Helena Vieira Da Silva ou o itirenàrio inelutàvel (Sophia de Mello Breyner)

Minúcia é o labirinto muro por muro
Pedra contra pedra livro sobre livro
Rua após rua escada após escada
Se faz e se desfaz o labirinto
Palácio é o labirinto e nele
Se multiplicam as salas e cintilam
Os quartos de Babel roucos e vermelhos
Passado é o labirinto : seus jardins afloram
E do fundo da memória sobem as escadas
Encruzilhada é o labirinto e antro e gruta
Biblioteca rede inventário colmeia –
Itinerário é o labirinto
Como o subir dum astro inelutável –
Mas aquele que o percorre não encontra
Toiro nenhum solar nem sol nem lua
Mas só o vidro sucessivo do vazio
E um brilho de azulejos iman frio
Onde os espelhos devoram as imagens

Exauridos pelo labirinto caminhamos
Na minúcia da busca na atenção da busca
Na luz mutável : de quadrado em quadrado
Encontramos desvios redes e castelos
Torres de vidro corredores de espanto
Mas um dia emergiremos e as cidades
Da equidade mostrarão seu branco
Sua cal sua aurora seu prodígio

Dual. 1972.

Maria Helena Vieira Da Silva ou l’itinéraire inéluctable

Le labyrinthe est minutie mur par mur
Pierre contre pierre livre sur livre
Une rue après l’autre, un escalier après l’autre
Se forme et se défait le labyrinthe
Le labyrinthe est un palais et en lui
Se multiplient les salles et scintillent
Les chambres de Babel rauques et rouges
Le labyrinthe est passé : ses jardins affleurent
Et du fond de la mémoire montent les escaliers
Le labyrinthe est carrefour antre et grotte
Bibliothèque mailles inventaires ruche –
Le labyrinthe est itinéraire
Comme l’ascension d’un astre inéluctable –
Mais celui qui le parcourt ne rencontre aucun
Taureau aucune demeure soleil ni lune
Seulement le vide successif du verre
Et un éclat d’azulejos magnétisme froid
Où les miroirs dévorent les images

Épuisés par le labyrinthe nous allons
Dans la minutie de la quête
Dans la lumière changeante : de carré en carré
Nous rencontrons détours, bifurcations et châteaux
Des tours de verre des couloirs d’épouvante
Mais un jour nous émergerons et les villes
D’équité montreront leur blancheur
Leur chaux leur aube leur prodige

La Poésie du Portugal, pages 1150-1152. Traduction Max de Carvalho.

.Composition 55 (Maria Helena Vieira Da Silva). 1955. Paris, Galerie Jeanne Bucher

A pequena praça (Sophia de Mello Breyner)

A minha vida tinha tomado a forma da pequena praça
Naquele outono em que a tua morte se organizava meticulosamente
Eu agarrava-me à praça porque tu amavas
A humanidade humilde e nostálgica dos pequenas lojas
Onde os caixeiros dobram e desdobram fitos e fazendas
Eu procurava tornar-me tu porque tu ias morrer
E a vida toda deixava ali de ser a minha
Eu procurava sorrir como tu sorrias
Ao vendedor de jornais ao vendedor de tabaco
E à mulher sem pernas que vendia violetas
Eu pedia à mulher sem pernas que rezasse por ti
Eu acendia velas em todos os altares
Das igrejas que ficam no canto desta praça
Pois mal abri os olhos e vi foi para ler
A vocação do eterno escrita no teu rosto
Eu convocava as ruas os lugares as gentes
Que foram as testemunhas do teu rosto
Para que eles te chamassem para que eles desfizessem
O tecido que a morte entrelaçava em ti

Dual, 1972.

La petite place

Ma vie a pris la forme de la petite place
L’automne durant lequel ta mort s’organisait méticuleusement
Je m’attachais à cette petite place parce que tu aimais
L’humble et nostalgique humanité des petites boutiques
Où les commis plient et déplient rubans et étoffes
Je cherchais à devenir toi parce que tu allais mourir
Et là toute ma vie cessa d’être la mienne
J’essayais de sourire comme tu souriais
Au marchand de journaux au marchand de tabac
Et à la femme sans jambes qui vendait des violettes
Je demandais à la femme sans jambes de prier pour toi
J’allumais des cierges à tous les autels
Des églises qui se trouvaient au coin de cette place
Puisque dès que j’ai ouvert les yeux je ne vis que pour lire
La vocation de l’éternel écrite sur ton visage
Je convoquais les rues les lieux les gens
Qui furent les témoins de ton visage
Pour qu’ils t’appellent pour qu’ils défassent
La trame que la mort entrelaçait en toi.

Traduction : Raymond Farina.

Emilio Prados 1899 – 1962

Málaga, Monument à Emilio Prados.

El País a publié hier un article sur un poète de la Génération de 1927 que j’aime beaucoup : Emilio Prados. (Málaga se reencuentra con Emilio Prados, el poeta menos conocido de la Generación del 27)

https://elpais.com/cultura/2021-11-04/malaga-se-reencuentra-con-emilio-prados-el-poeta-menos-conocido-de-la-generacion-del-27.html

Le Centro Cultural de la Fundación Unicaja organise une exposition Emilio Prados, el mar de la nostalgia. Sa ville natale met aussi en valeur son image en organisant des journées, des parcours littéraires et en facilitant diverses publications. Jorge Peña tourne actuellement un documentaire : Emilio Prados, cazador de nubes. En effet, Federico García Lorca, son ami, l’appelait ainsi quand il voyait que Prados plaçait un miroir face à la fenêtre de sa chambre de la Residencia de Estudiantes de Madrid. Pedro Salinas l’a décrit comme un « místico de la soledad » et María Zambrano comme « el poeta de la muerte ». Pour Juan Ramón Jiménez, c’était un “poeta de huidas y siempre en fuga, de sí mismo y de los demás”

José Sanchis-Banús (1921-1987), mon professeur à l’Institut d’Études Hispaniques, militant socialiste et franc-maçon, était un grand spécialiste de son œuvre. Pre-Textos a publié la correspondance entre les deux hommes (José Sanchis-Banús. Emilio Prados. Correspondencia 1957-1962. Valencia, 1995)

Emilio Prados est né le 4 mars 1899 à Málaga.

Le père d’Emilio Prados possède une fabrique de meubles (Fábrica de Muebles Prados Hermanos S.A.), installé dans le palais de Buenavista où se trouve aujourd’hui le magnifique Musée Picasso.

Le poète est un amoureux de la nature. Il parcourt Los Montes de Málaga avec son ami, le berger Antonio Ríos. Il nage, il plonge dans la Méditerranée. Il fréquente régulièrement le quartier pauvre de El Palo, à l’est de Málaga, et la crique El Peñón del Cuervo. Il apprend à lire et à écrire aux enfants des pêcheurs qui sont analphabètes, fait de l’animation culturelle, organise un syndicat.

Il séjourne à la Residencia de Estudiantes de Madrid en 1918 avec son frère aîné Miguel qui étudie la psychiatrie. Il devient l’ami de Federico García Lorca. De 1921 à 1922, il séjourne au Waldsanatorium de Davos pour soigner la maladie pulmonaire dont il souffre depuis l’enfance. Il étudie ensuite la philosophie à Fribourg-en-Brisgau (Allemagne) où enseignent les philosophes Edmund Husserl et Martin Heidegger. Il fait aussi deux courts séjours à Paris où il fait la connaissance de Jean Cocteau et Pablo Picasso dont il visite l’atelier.

En 1924, il abandonne ses études universitaires et revient à Málaga. Il crée en 1926 l’imprimerie et maison d’édition Sur et la revue Litoral (Calle de San Lorenzo) avec un autre poète, Manuel Altolaguirre. Ce lieu devient essentiel pour tous les poètes de sa génération.

A partir de 1930, il publie de la poésie révolutionnaire. Il est membre de l’Alliance des intellectuels antifascistes et se rend à Madrid, en août 1936, au début de la guerre civile. Il lit à la radio ses romances de guerre. Replié à Valence, il collabore à la revue Hora de España et sélectionne les poèmes qui feront l’objet du Romancero de la guerra de España, publié en 1937.

A la fin de la guerre, il s’exile, d’abord en France en février 1939, puis au Mexique en mai 1939. Il y trouve du travail dans l’édition et dans l’enseignement. En 1942, il adopte un orphelin espagnol, Francisco Sala. Il vit très pauvrement à Mexico dans une petite chambre (Calle Lerma) entouré d’ étoiles de mer, du portrait de Federico García Lorca, de livres et d’une petite boîte contenant du sable provenant des plages de Málaga. Son frère Miguel, psychiatre au Canada, l’aide financièrement. Il meurt le 24 avril 1962 dans cette ville après 23 années d’exil.

Luis Eaton-Daniel, Juan Centeno, Federico García Lorca, Emilio Prados, Pepín Bello. Residencia de Estudiantes de Madrid, 1924.

XVI. Dormido en la yerba ( Emilio Prados )

Todos vienen a darme consejo.
Yo estoy dormido junto a un pozo.

Todos se acercan y me dicen:
– La vida se te va,
y tú te tiendes en la yerba,
bajo la luz más tenue del crepúsculo,
atento solamente
a mirar cómo nace
el temblor del lucero
o el pequeño rumor
del agua, entre los árboles.

Y tú te tiendes sobre la yerba:
cuando ya tus cabellos
comienzan a sentir
más cerca y fríos que nunca,
la caricia y el beso
de la mano constante
y sueño de la luna.

Y tú te tiendes sobre la yerba:
cuando apenas si puedes
sentir en tu costado
el húmedo calor
del grano que germina
y el amargo crujir
de la rosa ya muerta.

Y tú te tiendes sobre la yerba:
cuando apenas si el viento
contiene su rigor,
al mirar en ruina
los muros de tu espalda,
y, el sol, ni se detiene
a levantar tu sangre del silencio.

Todos se acercan y me dicen:
– La vida se te va.
Tú vienes de la orilla
donde crece el romero y la alhucema
entre la nieve y el jazmín, eternos,
y es un mar todo espumas
lo que aquí te ha traído
porque nos hables…
Y tú te duermes sobre la yerba.

Todos se acercan para decirme.
– Tú duermes en la tierra
y tu corazón sangra
y sangra, gota a gota
ya sin dolor, encima de tu sueño,
como en lo más oscuro
del jardín, en la noche,
ya sin olor, se muere la violeta.

Todos vienen a darme consejo.
Yo estoy dormido junto a un pozo.

Sólo, si algún amigo mio
se acerca, y, sin pregunta
me da un abrazo entre las sombras:
lo llevo hasta asomarnos
al borde, juntos, del abismo,
y, en sus profundas aguas,
ver llorar a la luna y su reflejo,
que más tarde ha de hundirse
como piedra de oro,
bajo el otoño frío de la muerte.

Jardín cerrado. México, Cuadernos americanos, 1946.

Le dormeur de l’herbe

Ils viennent tous me donner des leçons.
Moi, je dors auprès d’un puits.

Tous s’approchent et me disent :
– Ta vie s’en va,
Et toi tu gis sur l’herbe,
Á la lumière fragile du crépuscule,
Attentif seulement
Á observer le premier
Frémissement de l’astre,
Le léger bruissement
de l’eau, parmi les arbres.

Et toi tu gis sur l’herbe :
Alors que tes cheveux déjà
commencent à percevoir
Plus proches, plus froids que jamais,
La caresse et le baiser
De la main persistante
Et du rêve de la lune.

Toi tu gis sur l’herbe :
Alors que c’est à peine si tu peux
Percevoir dans ton flanc
La chaleur humide
De la graine qui germe
Et l’amer craquement
De la rose, morte.

Et toi tu gis sur l’herbe :
Alors que c’est à peine si le vent
Réfrène sa violence,
En voyant en ruine
Les murs de ton dos,
Et que le soleil ne s’arrête pas
Pour arracher ton sang au silence.

Tous s’approchent et me disent :
– Ta vie s’en va,
Toi, tu viens des rivages
Où le romarin pousse et la lavande
Entre la neige et le jasmin, éternels ;
C’est une mer d’écumes
Qui t’a amené ici,
Pour que tu nous parles…
Mais toi, tu dors sur l’herbe.

Tous s’approchent pour me dire :
– Tu dors sur la terre,
Ton coeur saigne,
Il saigne, goutte à goutte,
Insensible, sur ton sommeil,
Comme au plus profond
Du jardin, au sein de la nuit,
Inodore, se meurt la violette.

Ils viennent tous me donner des leçons.
Moi, auprès d’un puits, je dors.

Mais si d’aventure un ami
S’approche et, sans poser de questions,
M’embrasse au milieu des ombres :
Je l’amène nous pencher
Au bord, tous les deux, de l’abîme,
Voir, dans ses eaux profondes,
Pleurer la lune et son reflet,
Qui, plus tard, s’abîmera
Comme une pierre d’or,
Sous l’automne froid de la mort.

Traduction : Nadine Ly. Anthologie bilingue de la poésie espagnole (Bibliothèque de la Pléiade, NRF. Gallimard. 1995)

Voir un autre poème sur ce blog: Rincón de la sangre.

http://lesvraisvoyageurs.com/2018/03/20/rincon-de-la-sangre-emilio-prados/

Luis Cernuda – John Keats

John Keats (Joseph Severn) 1819

John Keats est né le 31 octobre 1795 à Londres. Il est mort le 23 février 1821 à Rome.

“Hay un verso de Keats que es quizá una de las claves más transparentes de su poesía […]. Es el verso con que comienza su poema «Endymion»: A thing of beauty is a joy for ever (Una cosa bella es un goce eterno) […]. Cuando busco en la poesía española una pasión semejante, siempre pienso en Luis Cernuda. Cernuda también cree, como Keats, que la belleza es un goce eterno.”
José Luis Cano, Keats y Cernuda (1950), in La poesía de la Generación del 27, Madrid, Guadarrama, 1970.

A propósito de flores (Luis Cernuda)

Era un joven poeta, apenas conocido.
En su salida primera al mundo
Buscaba alivio a su dolencia
Cuando muere en Roma, entre sus manos una carta,
La última carta, que ni abrir siquiera quiso,
De su amor jamás gozado.

El amigo que en la muerte le asistiera
Sus palabras finales nos transmite:
«Ver cómo crcce alguna flor menuda,
El crecer silencioso de las flores,
Acaso fue la única dicha
Que he tenido en este mundo.»

¿Pureza? Vivo a las flores amadas contemplaba
Y mucho habló de ellas en sus versos;
En el trance final su mente se volvía
A la dicha más pura que conoció en la vida:
Ver a la flor que abre, su color y su gracia.

¿Amargura? Vivo, sinsabores tuvo
Amargos que apurar, sus breves años
Apenas conocieron momentos sin la sombra.
En la muerte quiso volverse con tácito sarcasmo
A la felicidad de la flor que entreabre.

¿Amargura? ¿Pureza? ¿O, por qué no, ambas a un tiempo?
El lirio se corrompe como la hierba mala,
Y el poeta no es puro o amargo únicamente:
Devuelve sólo al mundo lo que el mundo le ha dado
Aunque su genio amargo y puro algo más le regale.

Desolación de la Quimera, 1956-61.

Écrit en janvier ou février 1961. Publié pour la première fois en avril 1961 dans la revue Eco (II, 6) de Bogotá (Colombie).

Joseph Severn (1793-1879) est un peintre anglais. C’est un ami dévoué de John Keats. Il l’accompagne le 17 septembre 1820 sur le Maria Crowther à destination de l’Italie. Le but du voyage est de soigner la maladie du poète, la tuberculose. Ils arrivent dans la baie de Naples le 21 octobre et sont placés en quarantaine pendant 10 jours. Ils séjournent à Naples une semaine, puis se rendent à Rome dans une petite voiture. À Rome, ils vivent dans un appartement, 26 Piazza di Spagna, au pied de l’escalier de la Trinité-des-Monts. Joseph Severn a quitté l’Angleterre contre l’avis de son père. Il a peu d’argent. Pendant son séjour à Rome lors de l’hiver 1820-1821, il écrit de nombreuses lettres à des amis communs en Angleterre. L’entourage du cercle de Keats et la fiancée du poète, Fanny Brawne, sont tenus au courant de l’évolution de la maladie du poète. Cette correspondance est le seul témoignage des derniers jours de Keats que Joseph Severn soigne jusqu’à sa mort, le 23 février 1821, trois mois après leur arrivée à Rome.

Autoportrait (Joseph Severn) vers 1820.

Claudio Rodríguez

Claudio Rodríguez avec son épouse Clara Miranda. Cuenca, 1965.

Noviembre

Llega otra vez noviembre, que es el mes que más quiero
porque sé su secreto, porque me da más vida.
La calidad de su aire, que es canción,
casi revelación,
y sus mañanas tan remediadoras,
su ternura codiciosa,
su entrañable soledad.
Y encontrar una calle en una boca,
una casa en un cuerpo mientras, tan caducas,
con esa melodía de la ambición perdida,
caen las castañas y las telarañas.

Estas castañas, de ocre amarillento,
seguras, entreabiertas, dándome libertad
junto al temblor en sombra de su cáscara.
Las telarañas, con su geometría
tan cautelosa y pegajosa, y
también con su silencio,
con su palpitación oscura
como la del coral o la más tierna
de la esponja, o de la piña
abierta,
o la del corazón cuando late sin tiranía, cuando
resucita y se limpia.
Tras tanto tiempo sin amor, esta mañana
qué salvadora. Qué
luz tan íntima. Me entra y me da música
sin pausas
en el momento mismo en que te amo,
en que me entrego a ti con alegría,
trémulamente e impacientemente,
sin mirar a esa puerta donde llama el adiós.

Llegó otra vez noviembre. Lejos quedan los días
de los pequeños sueños, de los besos marchitos.
Tú eres el mes que quiero. Que no me deje a oscuras
tu codiciosa luz olvidadiza y cárdena
mientras llega el invierno.

El vuelo de la celebración, Visor, 1976.

Claudio Rodríguez est un des meilleurs poètes espagnols de sa génération. Merci à Asunción García Iglesias, Secrétaire générale de l’Association des Amis de Vicente Aleixandre. Il faut protéger l’ancienne maison de Vicente Aleixandre. Velintonia, 3. Madrid.

Federico García Lorca

Soledad Montoya (Federico García Lorca)

Ce poème a été écrit en 1928 par Federico García Lorca et publié par la Revista de Occidente, fondée et dirigée en 1923 par le philosophe José Ortega y Gasset. La traduction française a beaucoup vieilli.

Romance de la pena negra

A José Navarro Pardo

Las piquetas de los gallos
cavan buscando la aurora,
cuando por el monte oscuro
baja Soledad Montoya.
Cobre amarillo, su carne,
huele a caballo y a sombra.
Yunques ahumados sus pechos,
gimen canciones redondas.
Soledad: ¿por quién preguntas
sin compañía y a estas horas?
Pregunte por quién pregunte
dime: ¿a ti qué se te importa?
Vengo a buscar lo que busco,
mi alegría y mi persona.
Soledad de mis pesares,
caballo que se desboca,
al fin encuentra la mar
y se lo tragan las olas.
No me recuerdes el mar
que la pena negra, brota
en las tierras de aceituna
bajo el rumor de las hojas.
¡Soledad, qué pena tienes!
¡Qué pena tan lastimosa!
Lloras zumo de limón
agrio de espera y de boca
¡Qué pena tan grande! Corro
mi casa como una loca,
mis dos trenzas por el suelo,
de la cocina a la alcoba.
¡Qué pena! Me estoy poniendo
de azabache, carne y ropa.
¡Ay mis camisas de hilo!
¡Ay mis muslos de amapola!
Soledad: lava tu cuerpo
con agua de las alondras,
y deja tu corazón
en paz, Soledad Montoya.

                 *

Por abajo canta el río:
volante de cielo y hojas.
Con flores de calabaza,
la nueva luz se corona.
¡Oh pena de los gitanos!
Pena limpia y siempre sola.
¡Oh pena de cauce oculto
y madrugada remota!

Romancero gitano (1924-1927)


Romance de la peine noire

A José Navarro Pardo

Les pics sonores des coqs
font une brèche à l’aurore,
quand de la colline sombre
descend Soledad Montoya.
Cuivre jaune, tout son corps
fleure la cavale et l’ombre.
Ses seins, enclumes noircies,
gémissent des chansons rondes.
Soledad, qui cherches-tu
solitaire, au point du jour ?
Que je cherche qui je cherche,
dis-moi si cela t’importe !
Je cours après un seul but,
mon bonheur et ma raison.
Soledad de mes chagrins,
la cavale qui s’emporte,
finit par trouver la mer
et les vagues la dévorent.
Ne parle pas de la mer
car la peine noire pousse
dans la terre aux oliviers
sous la rumeur de leurs branches.
Soledad, quelle pitié !
Quelle peine désolante !
Tu as des pleurs de citron,
aigres de lèvre et d’attente.
Quelle peine ! Je traverse
ma maison comme une folle
mes cheveux traînant par terre,
de la cuisine à l’alcôve.
Une peine qui rend comme
du jais ma chair et ma robe.
Ah, mes cuisses de fil !
Ah, mes cuisses de pavot !
Dans la source aux alouettes,
Soledad, lave ton corps,
et puis laisse reposer
ton coeur, Soledad Montoya.

          *   

Tout en bas chante un ruisseau,
volant de ciel et de feuilles.
Des fleurs de la calebasse
se couronne le jour neuf.
O la peine des gitans !
Peine pure et solitaire.
Peine de rive secrète
et de matinée lointaine.

Poésies II. Chansons. Poèmes du Cante Jondo. Romancero gitan. NRF. Poésie /Gallimard n°2. Traduction: André Belamich.

Portrait de Federico García Lorca (Gregorio Prieto 1897-1992) Valdepeñas, Museo de la Fundación Gregorio Prieto.

César Vallejo

César Vallejo à Paris. 1925 (Armando Maribona (1894 – 1964)

César Vallejo encore et toujours…

Quisiera hoy ser feliz de buena gana,
ser feliz y portarme frondoso de preguntas,
abrir por temperamento de par en par mi cuarto, como loco,
y reclamar, en fin,
en mi confianza física acostado,
sólo por ver si quieren,
sólo por ver si quieren probar de mi espontánea posición,
reclamar, voy diciendo,
por qué me dan así tanto en el alma.

Pues quisiera en sustancia ser dichoso,
obrar sin bastón, laica humildad, ni burro negro.
Así las sensaciones de este mundo,
los cantos subjuntivos,
el lápiz que perdí en mi cavidad
y mis amados órganos de llanto.

Hermano persuasible, camarada,
padre por la grandeza, hijo mortal,
amigo y contendor, inmenso documento de Darwin:
¿a qué hora, pues, vendrán con mi retrato?
¿A los goces? ¿Acaso sobre goce amortajado?
¿Más temprano? ¿Quién sabe, a las porfías?

A las misericordias, camarada,
hombre mío en rechazo y observación, vecino
en cuyo cuello enorme sube y baja,
al natural, sin hilo, mi esperanza…

Poemas humanos, 1939.

Je voudrais aujourd’hui être tout bonnement heureux,
être heureux et porter une foison de questions,
ouvrir en grand ma chambre par envie, tel un fou,
et réclamer, enfin,
couché sur ma confiance physique,
seulement pour voir si on veut,
seulement pour voir si on veut goûter de ma position spontanée,
réclamer, dis-je,
de savoir pourquoi on frappe tant mon âme ainsi.

Car je voudrais en résumé être heureux,
agir sans bâton, laïque humilité, et sans âne noir.
De même les sensations de ce monde,
les chants subjonctifs,
le crayon que j’ai perdu dans ma cavité
et mes chers organes à pleurer.

Frère possible, camarade,
père par la grandeur, fils mortel,
ami et combattant, immense document de Darwin :
à quelle heure, donc, viendra-t-on avec mon portrait ?
à l’heure des jouissances ? Peut-être vers celle du plaisir enseveli ?
Plus tôt ? Qui sait, à l’heure des acharnements ?

À celle des miséricordes, camarade,
homme mon ami à distance et en observation, voisin
au cou énorme où monte et descend,
au naturel, sans fil, mon espérance…

Poésie complète de César Vallejo. Flammarion, 2009. Traduction : Nicole Réda-Euvremer.

Luis Cernuda

J’aimerais tant que Luis Cernuda soit mieux connu en France. Jacques Ancet est un excellent traducteur et un très bon poète. cf. Luis Cernuda, Poètes d’aujourd’hui n°207. Éditions Seghers. Une étude de Jacques Ancet, avec un choix de textes, des illustrations, une chronologie bibliographique: Luis Cernuda et son temps …Paris, 1972.

Adolescente fui en días idénticos a nubes,
cosa grácil, visible por penumbra y reflejo,
y extraño es, si ese recuerdo busco,
que tanto, tanto duela sobre el cuerpo de hoy.

Perder placer es triste
como la dulce lámpara sobre el lento nocturno;
aquél fui, aquél fui, aquél he sido;
era la ignorancia mi sombra.

Ni gozo ni pena; fui niño
prisionero entre muros cambiantes;
historias como cuerpos, cristales como cielos,
sueño luego, un sueño más alto que la vida.

Cuando la muerte quiera
una verdad quitar de entre mis manos,
las hallará vacías, como en la adolescencia
ardientes de deseo, tendidas hacia el aire.

Donde habite el olvido, 1932-33.

Je fus adolescent en des jours pareils aux nuages,
Chose gracile visible à travers pénombre et reflet,
Et c’est étrange, si je cherche ce souvenir,
Qu’il fasse tant, tant souffrir le corps d’aujourd’hui.

Il est triste de perdre le plaisir
Comme la douce lampe sur le lent nocturne ;
Cela je le fus, je le fus, je l’ai été ;
Et l’ignorance était mon ombre.

Ni plaisir ni peine ; je fus enfant
Prisonnier entre des murs changeants ;
Histoires comme des corps, vitres comme des cieux,
Et puis un songe, un songe plus haut que la vie.

Quand la mort voudra
Ôter une vérité de mes mains,
Elle les trouvera vides, comme en l’adolescence
Ardentes de désir et tendues vers le ciel.

Où habitera l’oubli. Traduction : Jacques Ancet.

La revue El Cultural a publié le 27 septembre 2021 un bon article de Rafael Narbona sur les personnalités de Luis Cernuda et de Juan Ramón Jiménez: Luis Cernuda y Juan Ramón Jiménez: humanos, demasiado humanos.

https://elcultural.com/luis-cernuda-y-juan-ramon-jimenez-humanos-demasiado-humanos

Juan Ramón Jiménez et Luis Cernuda.

Miquel Martí i Pol

L’hoste insòlit

No em malvendré el silenci. D’aquest cos
en conec els topants i les dreceres
i n’estimo els esclats, les defallences;
no hi visc a plaer, però hi visc i això em basta.

Deixa’m no dir‐te el que hem perdut. Ho saps
tan bé com jo, i prou que ho repeteixen
tot de corcs, insistents i temeraris
només que paris un xic les orelles.

Sí que vull dir‐te, en canvi, el que hem guanyat:
un pam de món, concret i destriable,
i un vidre de colors per contemplar‐lo.

Tanca els ulls i el veuràs com jo el veig ara.

No et diré pas què hi ha rera cada paraula.

Ara ha plogut i el que resta de tarda
serà més íntim i més clar.

Fugim de qualsevol verbositat.
Diguem només el que és essencial:
els mots de créixer i estimar, i el nom
més útil i senzill de cada cosa.

Delimita’m l’espai, però no esperis
que renunciï a res d’allò que estimo.

Mira el vent com pren forma de begònies,
com neteja els miralls i les cortines
i esmola els caires vius d’aquest capvespre.

Tinc una pedra a les mans.
Cada nit
la deixo caure al pou profund del son
i la’n trec l’endemà, xopa de vida.

No vull conservar res que cridi la memòria
del vent arravatat i dels noms del silenci.
Vinc d’un llarg temps de pluges damunt la mar quieta
dels anys, i res no em tempta per girar els ulls enrera.

Tu que em coneixes, saps que sóc aquell que estima
la vida per damunt de qualsevol riquesa,
l’èxtasi i el turment, el foc i la pregunta.
Cridat a viure, visc, i poso la mà plana
damunt aquest ponent que el ponent magnifica.

Solemnement batega la sang en cada cosa.

Tot és camí des d’ara. Faig jurament de viure.

Ara que tots dos junts fem una sola
columna de claror, penso la urgent
necessitat de combatre els miratges,
d’abandonar la platja de les hores
on el sol cau a plom damunt l’arena
i abalteix voluntats, i d’establir
noves rutes, reblertes de presagis.

Aquest risc d’ara és temptador.
No ens calen
espectadors furtius ni gent que aprovi
cada gest i en subratlli la destresa.

Llesquem el pa de cada instant.
Benignes
i agosarats, estimarem la vida
que muda i que es perfà, noblement lenta
i també noblement porfidiosa.

I anirem lluny, encadenats al pur
atzar dels horitzons que mai no tanquen
amb pany i clau l’estímul del paisatge.

L’hoste insòlit. 1978.

L’hôte insolite

Je ne dilapiderai pas le silence. Mon corps
j’en connais les parages et les raccourcis
et j’en aime les éclats et les défaillances ;
je ne l’habite pas par plaisir mais il me suffit.

Je ne dilapiderai ni le silence ni l’espace
lourd de mon corps et des projets
démesurés qui me peuplent et m’exaltent.
De mes doigts gourds de palper les mémoires
j’adhère à toutes sortes de projets
de joie et d’espérance.
Profonde et claire,
la voix qui me répète proclame la vie.

Je ne dis pas ce que nous avons perdu.
Tu sais cela aussi bien que moi, ces vermisseaux
insistants et résolus, te le répètent
si tu prends la peine de tendre l’oreille.

Mais je te dirai ce que nous avons gagné :
un arpent de monde, concret, localisable,
et un prisme de couleurs pour le contempler.

Ferme les yeux et tu le verras comme je le vois.

Je ne dirai pas ce qu’il y a sous chaque mot.
Il a déjà plu et ce qui reste de l’après-midi
sera plus intime et plus clair.

Fuyons toute verbosité.
Disons seulement l’essentiel :
les mots grandir et aimer, et le nom
le plus utile et le plus simple de chaque chose.

Délimite mon espace, mais n’attends pas
que je renonce à ce que j’aime.

Regarde le vent prendre la forme des bégonias,
regarde-le nettoyer vitres et rideaux
aiguiser les angles vifs du crépuscule.

J’ai une pierre dans les mains.
Chaque nuit
elle tombe dans le puits profond du sommeil
au matin, je la retire, trempée de vie.

Je ne garde rien qui appelle la mémoire
du vent exaspéré et des noms du silence.
Je viens d’une longue saison de pluies sur la mer
calme des années, rien ne me pousse à me retourner.

Tu me connais, ne suis-je pas celui qui aime
la vie pleinement et par-dessus toute richesse,
l’extase et le tourment, le feu et la question.

À l’appel de la vie, je vis, et pose ma main
à plat sur ce ponant que le ponant magnifie.

Le sang coule solennellement en chaque chose.

Désormais tout est chemin. Je jure de vivre.

Tous deux ne faisons plus qu’une seule
colonne de clarté, je pense à l’urgente
nécessité de combattre les mirages,
d’abandonner la plage des heures
où le soleil de plomb tombe sur le sable
annihile les volontés, d’établir
de nouveaux chemins, jalonnés de présages.

À présent, ce risque est tentant.
Nul besoin
de spectateurs furtifs, de gens qui approuvent
chaque geste et en souligne l’habileté.
Nous coupons le pain à chaque instant.

Inoffensifs
et téméraires, nous aimerons la vie
qui se transforme et se parfait, noble
et lente, noble et obstinée.

Nous irons très loin, enchaînés au pur hasard
des horizons qui jamais ne ferment
à clé la stimulation du paysage.

Joie de la parole. Orphée/ La Différence, 1993. Traduit du catalan par Patrick Gifreu.

Miquel Martí i Pol est un poète catalan. Il est né le 19 mars 1929 à Roda de Ter. Il est mort le 11 novembre 2003 à Vic .

Il commence à travailler à l’âge de 14 ans dans une usine textile de sa ville. A 19 ans, il est atteint d’une tuberculose pulmonaire, ce qui le maintient alité. Il lit beaucoup. Sa poésie des années 50 est simple. Elle exprime le sentiment amoureux.

Dans les années 1960, il commence à être connu pour ses poèmes engagés et réalistes. Il milite alors au PSUC clandestin (Partit Socialista Unificat de Catalunya). Atteint de sclérose multiple, il est obligé de cesser de travailler en 1973. Sa poésie devient plus intérieure et intimiste. Elle exprime aussi sa lutte contre la maladie. Il devient un des poètes catalans les plus lus et les plus populaires. Ses poèmes sont chantés par des interprètes tels que Lluís Llach, María del Mar Bonet, Teresa Rebull, Arianna Savall.

Ses œuvres complètes sont publiées en quatre volumes de 1989 à 2004.

La collection Orphée/ La Différence était indispensable. Elle ne publiait que des publications en édition bilingue. (Merci à Marie-Laure)

Antonio Gamoneda

Abdulrazak Gurnah. 2017.

Le prix Nobel de littérature 2021 a été attribué le jeudi 7 octobre au romancier tanzanien Abdulrazak Gurnah, né le 20 décembre 1948 dans l’île de Zanzibar. Il est un peu connu en France pour son roman Paradise (1994. Denoël, 1997). Il est arrivé au Royaume-Uni en tant que réfugié à la fin des années 1960. Il est l’auteur de dix romans, dont Près de la mer (2001), et de nouvelles. Il vit à Brighton et a enseigné à l’université du Kent jusqu’à sa récente retraite la littérature anglaise et postcoloniale. Comme beaucoup, je n’avais jamais entendu parler de cet auteur qui ne figurait pas dans les listes qui circulent habituellement avant l’attribution du prix.

Dans le Club de La Cause Littéraire, Léon-Marc Lévy et Marien Defalvard ont cité le poète espagnol Antonio Gamoneda (né en 1931 et Prix Cervantès 2006) que j’aime depuis longtemps. J’ai donc relu ses poèmes.

tp://www.lesvraisvoyageurs.com/2020/02/28/antonio-gamoneda/

Antonio Gamoneda. Photo de jeunesse.

Il a publié deux tomes de mémoires: Un armario lleno de sombra (2009) et La pobreza (2020). Galaxia Gutemberg. Círculo de Lectores.

Después de veinte años

Cuando yo tenía catorce años
me hacían trabajar hasta muy tarde.
Cuando llegaba a casa, me cogía
la cabeza mi madre entre sus manos.

Yo era un muchacho que amaba el sol y la tierra
y los gritos de mis camaradas en el soto
y las hogueras en la noche
y todas las cosas que dan salud y amistad
y hacen crecer el corazón.

A las cinco del día, en el invierno,
mi madre iba hasta el borde de mi cama
y me llamaba por mi nombre
y acariciaba mi rostro hasta despertarme.

Yo salía a la calle y aún no amanecía
y mis ojos parecían endurecerse con el frío.

Esto no es justo, aunque era hermoso
ir por las calles y escuchar mis pasos
y sentir la noche de los que dormían
y comprenderlos como a un solo ser,
como si descansaran de la misma existencia,
todos en el mismo sueño.

Entraba en el trabajo.
La oficina
olía mal y daba pena.
Luego,
llegaban las mujeres.
Se ponían
a fregar en silencio.

Veinte años.
He sido
escarnecido y olvidado.
Ya no comprendo la noche
ni el canto de los muchachos sobre las praderas.
Y, sin embargo, sé
que algo más grande y más real que yo
hay en mí, va en mis huesos:

Tierra incansable,
firma
la paz que sabes.
Danos
nuestra existencia a
nosotros
mismos.

Blues castellano (1961-1966), Colección AEDA, Gijón, Noega, 1982.


Francisco de Quevedo

Coup de fatigue et de blues du jeudi. On peut relire Quevedo et se reporter à deux éditions bilingues bien utiles. Clin d’oeil : Quevedo et Góngora se détestaient…

Miré los muros de la patria mía (Francisco de Quevedo)

Miré los muros de la patria mía,
si un tiempo fuertes, ya desmoronados,
de la carrera de la edad cansados,
por quien caduca ya su valentía.

Salíme al campo, vi que el sol bebía
los arroyos del hielo desatados ;
y del monte quejosos los ganados,
que con sombras hurtó su luz al día.

Entré en mi casa : vi que amancillada,
de anciana habitación era despojos;
mi báculo, más corvo y menos fuerte.

Vencida de la edad sentí mi espalda,
y no hallé cosa en que poner los ojos
que no fuese recuerdo de la muerte.

Ce sonnet aurait été écrit en 1613. Certains critiques affirment qu’il date de la fin de la vie du poète, mort en 1645. Il a été publié dans El Heraclito cristiano, Salmo XVII et ensuite dans El parnaso español en 1648. L’épigraphe Enseña cómo todas las cosas avisan de la muerte (On enseigne comment toutes les choses nous avisent de la mort)
a été rajouté par José González de Salas, grand ami de l’auteur.


J’ai regardé les murs de ma patrie,
un temps puissants, déjà démantelés,
par la course de l’âge exténués
qui voue enfin leur vaillance à l’oubli ;

je sortis dans les champs, le soleil vis
qui buvait l’eau des glaces déliées,
et dans les monts les troupeaux désolés,
le clair du jour par leurs ombres ravi.

J’entrai dans ma maison, je ne vis plus
que les débris d’un séjour bien trop vieux ;
et mon bâton plus courbé et moins fort.

J’ai senti l’âge et mon épée vaincue,
et n’ai trouvé pour reposer mes yeux
rien qui ne fût souvenir de la mort.

Les furies et les peines, 102 sonnets de Quevedo, Poésie/Gallimard, n° 463. 2010. Traduction Jacques Ancet.

Quevedo y los esqueletos de Juan de la Encina y el rey Perico (Leonaert Bramer 1596-1674), 1659.