Cristina Piña et Patricia Venti ont publié cette année chez Lumen une biographie : Alejandra Pizarnik, biografía de un mito que je suis en train de lire. Cette poétesse argentine est née le 29 avril 1936 à Avellaneda (Argentine) au sein d’une famille d’immigrants juifs ukrainiens. Elle a séjourné à Paris de 1960 à 1964, puis brièvement en 1968. Elle s’est suicidée à l’aube du 25 septembre 1972 à l’âge de 36 ans. Elle est très célèbre dans son pays, moins en France. La maison d’édition Ypsilon a traduit ces derniers temps plusieurs de ses livres, la plupart traduits par le grand Jacques Ancet. La biographie est très décevante et manque de rigueur, à mon avis. Néanmoins, elle note l’influence de Gérard de Nerval, qu’Alejandra Pizarnik a lu et étudié avec attention, dans son oeuvre. La poétesse argentine admirait particulièrement Aurelia. Elle avait choisi comme épigraphe d’un roman qu’elle ne put jamais terminer ces vers de Nerval:
” Quoi, toujours ? Entre moi sans cesse et le bonheur !”
Gérard de Nerval (Félix Vallotton) 1900.
Le point noir
Quiconque a regardé le soleil fixement Croit voir devant ses yeux voler obstinément Autour de lui, dans l’air, une tache livide.
Ainsi, tout jeune encore et plus audacieux, Sur la gloire un instant j’osai fixer les yeux : Un point noir est resté dans mon regard avide.
Depuis, mêlée à tout comme un signe de deuil, Partout, sur quelque endroit que s’arrête mon oeil, Je la vois se poser aussi, la tache noire !
Quoi, toujours ? Entre moi sans cesse et le bonheur ! Oh ! c’est que l’aigle seul – malheur à nous, malheur ! Contemple impunément le Soleil et la Gloire.
Odelettes, 1853.
Alejandra Pizarnik
31 Es un cerrar los ojos y jurar no abrirlos. En tanto afuera se alimenten de relojes y de flores nacidas de la astucia. Pero con los ojos cerrados y un sufrimiento en verdad demasiado grande pulsamos los espejos hasta que las palabras olvidadas suenan mágicamente.
32 Zona de plagas donde la dormida come lentamente su corazón de medianoche.
33 alguna vez alguna vez tal vez me iré sin quedarme me iré como quien se va
A Ester Singer
34 la pequeña viajera moría explicando su muerte
sabios animales nostálgicos visitaban su cuerpo caliente
35 Vida, mi vida, déjate caer, déjate doler, mi vida, déjate enlazar de fuego, de silencio ingenuo, de piedras verdes en la casa de la noche, déjate caer y doler, mi vida.
36 en la jaula del tiempo la dormida mira sus ojos solos
el viento le trae la tenue respuesta de las hojas
37 más allá de cualquier zona prohibida hay un espejo para nuestra triste transparencia
Árbol de Diana (1962)
31 C’est fermer les yeux et jurer de ne pas les ouvrir. Tandis qu’au-dehors ils se nourriront d’horloges et de fleurs nées de la ruse. Mais, les yeux fermés et une souffrance trop grande en vérité nous jouons des miroirs jusqu’à ce que les paroles oubliées résonnent magiquement.
32 Zone de fléaux où la dormeuse mange lentement son cœur de minuit.
33 Un jour un jour peut-être je m’en irai sans reste je m’en irai comme qui s’en va
À Ester Singer
34 La petite voyageuse mourait en expliquant sa mort
de sages animaux nostalgiques visitaient la chaleur de son corps
35 vie, oh ma vie, laisse-toi tomber, laisse-toi souffrir, ma vie, laisse-toi envelopper de feu, de silence ingénu, de pierres vertes dans la maison de la nuit, laisse-toi tomber et souffrir, oh ma vie.
36 dans la cage du temps la dormeuse regarde ses yeux seuls
le vent lui apporte ténue la réponse des feuilles
37 par-delà toute zone interdite il y a un miroir pour notre triste transparence
Arbre de Diane. Traduction Jacques Ancet. Ypsilon éditeur, 2014. Pages 43-49.
Portrait de Tristan Corbière (Félix Vallotton) paru dans Le Livre des masques de Remy de Gourmont (1896)
En Bretagne, je pense à Tristan Corbière, né le 18 juillet 1845 à Ploujean (aujourd’hui Morlaix, Finistère) . Il mène une vie marginale et malheureuse. Il souffre toute sa vie de sa « laideur » et d’une maladie osseuse. Il aime sans retour une seule femme, Armida-Josefina Cuchiani, qu’il nomme “Marcelle” dans son œuvre. Passionné par la mer, il rêve de devenir marin comme son père, Édouard Corbière, mais sa santé ne le lui permet pas. Il fait paraître à compte d’auteur en 1873 son unique recueil de poèmes, Les Amours jaunes, qui passe inaperçu. Le recueil est achevé d’imprimer le 8 août 1873 chez Glady frères, éditeurs à Paris. L’impression (490 exemplaires) est payée par son père, à qui il dédicace l’ouvrage. Il meurt à Morlaix le 1er mars 1875, peut-être tuberculeux. Il n’avait pas trente ans.
Paul Verlaine lui consacre un chapitre de son essai Les Poètes maudits (1884). André Breton inclut son poème Litanie du sommeil dans l’Anthologie de l’humour noir (1940).
Paul Verlaine, Les Poètes maudits. Première page intérieure de la première édition, 1884.
Le Crapaud
Un chant dans une nuit sans air… – La lune plaque en métal clair Les découpures du vert sombre.
… Un chant ; comme un écho, tout vif Enterré, là, sous le massif… – Ça se tait : Viens, c’est là, dans l’ombre…
– Un crapaud ! – Pourquoi cette peur, Près de moi, ton soldat fidèle ! Vois-le, poète tondu, sans aile, Rossignol de la boue… – Horreur ! –
… Il chante. – Horreur !! – Horreur pourquoi ? Vois-tu pas son œil de lumière… Non : il s’en va, froid, sous sa pierre. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Bonsoir – ce crapaud-là c’est moi.
Jorge Luis Borges (Mariano Cabrera). Premio Cervantes 1979. Madrid, Biblioteca Nacional.
Son los ríos (Jorge Luis Borges)
Somos el tiempo. Somos la famosa parábola de Heráclito el Oscuro. Somos el agua, no el diamante duro, la que se pierde, no la que reposa.
Somos el río y somos aquel griego que se mira en el río. Su reflejo cambia en el agua del cambiante espejo, en el cristal que cambia como el fuego.
Somos el vano río prefijado, rumbo a su mar. La sombra lo ha cercado. Todo nos dijo adiós, todo se aleja.
La memoria no acuña su moneda. Y sin embargo hay algo que se queda y sin embargo hay algo que se queja.
Los conjurados, 1985.
Les fleuves
Nous sommes temps. Nous sommes la fameuse parabole d’Héraclite l’Obscur, nous sommes l’eau, non pas le diamant dur, l’eau qui se perd et non pas l’eau dormeuse.
Nous sommes fleuve et nous sommes les yeux du grec qui vient dans le fleuve se voir. Son reflet change en ce changeant miroir, dans le cristal changeant comme le feu.
Nous sommes le vain fleuve tout tracé, droit vers sa mer. L’ombre l’a enlacé. Tout nous a dit adieu et tout s’enfuit.
La mémoire ne trace aucun sillon. Et cependant quelque chose tient bon. Et cependant quelque chose gémit.
Le lundi 26 avril 1937, jour de marché, a lieu une attaque aérienne contre la petite ville de Guernica, capitale sprituelle du Pays basque . Sous le nom de code opération Rügen, 44 avions de la Légion Condor allemande nazie et 13 avions de l’Aviation Légionnaire italienne fasciste procèdent au bombardement de la ville . L’attaque commence à 16 h 30, aux bombes explosives puis à la mitrailleuse pendant plus de trois heures. Après avoir lâché quelque cinquante tonnes de bombes incendiaires, les derniers avions quittent le ciel de Guernica vers 19 h 45. Après le bombardement, un cinquième de la ville est en flammes. Le feu se propage au deux tiers des habitations. Le gouvernement basque fait état de 1 654 morts et 889 blessés. Il s’agit du premier raid de l’histoire de l’aviation militaire moderne sur une population civile sans défense. La contre-propagande fasciste a accusé les habitants d’avoir eux-mêmes fomenté cette opération. Aujourd’hui encore, des militants du parti fasciste espagnol Vox nie les faits.
Pablo Picasso a réalisé, dans son atelier de la rue des Grands-Augustins à Paris, son plus célèbre tableau (349,31 × 776,61 cm) du 1 mai au 4 juin 1937. Il l’ a exposé à l’Exposition internationale de Paris du 12 juillet 1937 à la fin de l’année 1937. Il s’agissait d’un commande du gouvernement de la République espagnole.
Le tableau a été conservé au MoMa de New York pendant la dictature franquiste. Il a été transféré en Espagne le 11 septembre 1981 et installé dans le Casón del Buen Retiro à Madrid. Il est alors protégé par des vitres anti-balles et par la Garde civile. Depuis 1992, le tableau est exposé au Musée national centre d’art Reina Sofía. Depuis 1995, il n’y a plus de vitres anti-balles.
L’amitié entre Paul Éluard et Pablo Picasso a été très forte entre 1935 et 1952, date de la mort du poète.
La victoire de Guernica (Paul Éluard)
I Beau monde des masures De la nuit et des champs
II Visages bons au feu visages bons au fond Aux refus à la nuit aux injures aux coups
III Visages bons à tout Voici le vide qui vous fixe Votre mort va servir d’exemple
IV La mort cœur renversé
V Ils vous ont fait payer le pain Le ciel la terre l’eau le sommeil Et la misère De votre vie
VI Ils disaient désirer la bonne intelligence Ils rationnaient les forts jugeaient les fous Faisaient l’aumône partageaient un sou en deux Ils saluaient les cadavres Ils s’accablaient de politesses
VII Ils persévèrent ils exagèrent ils ne sont pas de notre monde
VIII Les femmes les enfants ont le même trésor De feuilles vertes de printemps et de lait pur Et de durée Dans leurs yeux purs
IX Les femmes les enfants ont le même trésor Dans les yeux Les hommes le défendent comme ils peuvent
X
Les femmes les enfants ont les mêmes roses rouges Dans les yeux Chacun montre son sang
XI La peur et le courage de vivre et de mourir La mort si difficile et si facile
XII Hommes pour qui ce trésor fut chanté Hommes pour qui ce trésor fut gâché
XIII Hommes réels pour qui le désespoir Alimente le feu dévorant de l’espoir Ouvrons ensemble le dernier bourgeon de l’avenir
XIV Parias la mort la terre et la hideur De nos ennemis ont la couleur Monotone de notre nuit Nous en aurons raison.
Cours naturel, 1938.
Paul Éluard – Pablo Picasso, Juan-les-Pins. Septembre 1937. (Eileen Agar)
Le 25 avril, ce sera toujours pour moi le 25 avril 1974. La révolution des Œillets (revolução dos cravos) au Portugal mettait fin à quarante-huit ans de dictature et permettait la fin des guerres et la décolonisation: Angola, Mozambique, Cap-Vert, Sao-Tomé-et-Principe et Guinée-Bissau.
Relisons Sophia de Mello Breyner, une des plus importantes poétesses portugaises.
25 de abril (Sophia de Mello Breyner)
Esta é a madrugada que eu esperava O dia inicial inteiro e limpo Onde emergimos da noite e do silêncio E livres habitamos a substância do tempo
25 avril
Voici le matin que j’attendais Le jour premier net et plein Où nous émergeons de la nuit et du silence et habitons libre la substance du temps
Malgré les ruines et la mort. Éditions de la Différence, 2000. Traduction Joaquim Vidal.
Revolução (Sophia de Mello Breyner)
Como casa limpa Como chão varrido Como porta aberta
Como puro início Como tempo novo Sem mancha nem vício
Como a voz do mar Interior de um povo
Como página em branco Onde o poema emerge
Como arquitectura Do homem que ergue Sua habitação
27 de Abril de 1974.
Révolution
Comme une maison propre Comme un plancher balayé Comme une porte ouverte
Comme le pur commencement Comme le temps nouveau Sans tache ni vice
Comme la voix de la mer Intérieure d’un peuple
Comme la page blanche D’où le poème émerge
Comme l’architecture De l’homme qui construit Son habitation
Malgré les ruines et la mort. Éditions de la Différence, 2000. Traduction Joaquim Vidal.
Revolução-Descobrimento (Sophia de Mello Breyner)
Revolução isto é: descobrimento Mundo recomeçado a partir da praia pura Como poema a partir da página em branco — Katharsis emergir verdade exposta Tempo terrestre a perguntar seu rosto
Révolution-Découverte
Révolution c’est à dire découverte Monde qui recommence à partir de la plage pure Comme le poème à partir de la page blanche – Catharsis émergence vérité nue Temps terrestre qui cherche son visage
Malgré les ruines et la mort. Éditions de la Différence, 2000. Traduction Joaquim Vidal.
Le Seuil (Collection La Librairie du XXI ème siècle) a publié en novembre 2021 Á chacun sonciel, une anthologie bilingue de l’oeuvre du poète mexicain Fabio Morábito. La traduction de Fabienne Bradu a été supervisée par l’auteur lui-même. Olivier Barbarant a publié dans la revue Europe de mars 2022 une intéressante critique de ce recueil (Les quatre vents de la poésie. Tremplins pour la pensée. Fabio Morábito. Pages 299-304)
Fabio Morábito est né le 21 février 1955 à Alexandrie (Égypte) de parents italiens. Il a vécu à Milan jusqu’à l’âge de quatorze ans. Sa famille a émigré en 1969 à México. Adulte, il a commencé à écrire dans une langue différente de sa langue maternelle. Dans son introduction, Jacques Rueff affirme : « Si c’est en traduisant la poésie italienne que Fabio Morábito est devenu écrivain, c’est en traduisant Montale qu’il est devenu poète. » Il vit à México où il est chercheur à l’Université autonome.
Il a publié cinq recueils de poésie : 1985 Lotes Baldios. México, Fondo de Cultura Económica. (Terrains vagues. Québec, Écrits des Forges, 2001. Traduction Fabienne Bradu.) 1991 De lunes todo el año. México, Joaquín Mortiz. 2002 Alguien de lava. México, Era. 2011 Delante de un prado una vaca. México, Era. Madrid, Visor Libros, 2014. 2019 A cada cual su cielo.
Trois livres en prose ont aussi été traduits en français : Les mots croisés ( 15 nouvelles). Éditions José Corti. 2009. Traduction Marianne Million. Emilio, los chistes y la muerte, Editorial Anagrama 2009. (Emilio, les blagues et la mort. Éditions José Corti. 2010). Traduction Marianne Million. El lector a domicilio. Editorial Sexto Piso. 2018. Le lecteur à domicile. Éditions José Corti. Ibériques. 2019. Traduction Marianne Million.
J’ai choisi trois poèmes de cet auteur :
¿Y si ya no diera de sí la fruta?
¿Y si ya no diera de sí la fruta? ¿Si dejara de colgar de los árboles y de madurar en el suelo? ¿Si ya no hubiera cítricos, ni siquiera nueces? ¿Qué sería de nuestros brazos, de nuestros célebres pulgares, nacidos para arrancarla? Todas las distancias nacieron de la fruta, que debimos recoger en la rama de al lado, en el árbol de junto, en el bosque contiguo, en la tribu al otro lado del río. Nos impulsó la fruta, nos dispersó desde el principio. Detrás de cada lujo, de cada anhelo, de cada viaje, su dulzura. La carne misma la comemos como fruta y no como carne, la arrancamos de un rebaño de carne como se arranca la fruta más madura, todo lo suculento cae a nuestra boca como descolgado de una rama, como tú, que arranco cada día de tu árbol, de tu tribu y te traigo a este lado del río y te como y te muerdo y te guardo y tengo miedo que te pudras.
A cada cual su cielo, 2019.
Et s’il n’ y avait plus de fruits ?
Et s’il n’ y avait plus de fruits ? S’ils cessaient de pendre aux arbres et de mûrir au sol ? S’il n’y avait plus de citrons, ni même de noix ? Qu’adviendrait-il de nos bras, de nos fameux pouces, nés pour les arracher ? Toutes les distances sont nés des fruits, que l’on dut cueillir sur la branche d’à côté, sur l’arbre voisin, dans la tribu sur l’autre rive du fleuve. Les fruits nous ont impulsés nous ont dispersés, depuis le commencement. Sous chaque luxe, chaque désir, chaque voyage,leur douceur. La chair même nous la mangeons comme un fruit et non pas comme une chair, nous l’arrachons d’un troupeau de chair comme on arrache le fruit la plus mûr, tout ce qui nous enchante finit dans la bouche comme si nous le détachions d’une branche, comme toi, que j’arrache chaque jour à ton arbre, à ta tribu et que j’amène sur cette rive du fleuve et je te mange et je te mords et je te garde et j’ai peur que tu pourrisses.
Á chacun son ciel. Éditions du Seuil, 2021. Traduction : Fabienne Bradu.
El maestro pasa lista
El maestro pasa lista sin mirarnos. Después de cada nombre se escucha “presente”. Cada tanto un silencio: alguien no vino. El maestro levanta la vista para cerciorarse. Hubo una vez uno que guardó silencio al oír su nombre, el maestro levantó la vista, no lo vio y puso la cruz de la falta. El otro permaneció impasible y lo miramos con envidia. Tenía una cruz y estaba entre nosotros. No se quitó la cruz en toda la mañana. Sin percatarse del engaño, el maestro le pidió que leyera en voz alta y en el salón estalló la risa. ¿Por qué se ríen?, y todos bajamos la vista, incluido el ausente, que leyó con voz de ausente, o así me pareció. Al otro día no vino, tampoco al otro día y pocos días después, pasando lista, el maestro se saltó su nombre, después lo tachó con la pluma y yo olvidé su nombre, su rostro y su cruz.
Delante del prado una vaca, 2011.
Le maître fait l’appel
Le maître fait l’appel sans nous regarder. Après chaque nom on entend « présent ». Parfois un silence : quelqu’un n’est pas venu. Le maître lève les yeux pour vérifier. Une fois il y en eut un qui ne répondit pas en écoutant son nom, le maître leva les yeux, ne le vit pas et marqua la croix de l’absence. L’autre demeura impassible et nous le regardions avec envie. Il n’a pas renié sa croix de toute la matinée. Sans remarquer la ruse le maître lui demanda de lire à voix haute et toute la classe éclata de rire. Pourquoi riez-vous ?, nous baissâmes la tête, y compris l’absent, qui lut d’une voix d’absent, ou ainsi me sembla-t-il. Le lendemain il ne vint pas, pas plus que le surlendemain, et quelques jours plus tard, en faisant l’appel, le maître sauta son nom, puis le raya d’un trait de plume et j’ai oublié son nom, son visage et sa croix.
Á chacun son ciel. Éditions du Seuil, 2021. Traduction : Fabienne Bradu.
Los columpios
Los columpios no son noticia, son simples como un hueso o como un horizonte, funcionan con un cuerpo y su manutención estriba en una mano de pintura cada tanto, cada generación los pinta de un color distinto (para realzar su infancia) pero los deja como son, no se investigan nuevas formas de columpios, no hay competencias de columpios, no se dan clases de columpio, nadie se roba los columpios, la radio no transmite rechinidos de columpios, cada generación los pinta de un color distinto para acordarse de ellos, ellos que inician a los niños en los paréntesis, en la melancolía, en la inutilidad de los esfuerzos para ser distintos, donde los niños queman sus reservas de imposible, sus últimas metamorfosis, hasta que un día, sin una gota de humedad, se bajan del columpio hacia sí mismos, hacia su nombre propio y verdadero, hacia su muerte todavía lejana.
De lunes todo el año, 1991.
Les balançoires
Les balançoires ne sont pas une nouveauté, elles sont simples comme un os ou un horizon. Un corps les fait marcher et leur entretien consiste en une couche de peinture de temps en temps, chaque génération les peinture d’une couleur différente (pour donner du lustre à son enfance) mais les laisse tels qu’elles sont, on ne cherche pas de nouvelles formes de balançoires, il n’y a pas de compétition de balançoires, pas de leçons de balançoires, personne ne vole les balançoires, la radio ne transmet pas des grincements de balançoires, chaque génération les peint d’une couleur différente pour se souvenir d’elles, qui initient les enfants aux parenthèses, à la mélancolie, à l’inutilité des efforts pour être différents, où les enfants brûlent leurs réserves d’impossible, leurs dernières métamorphoses, jusqu’au jour où, sans un reste d’humidité, ils descendent de la balançoire vers eux-mêmes, vers leur nom propre et véritable, vers leur mort encore lointaine.
Á chacun son ciel. Éditions du Seuil, 2021. Traduction : Fabienne Bradu.
“La poesía no es sinónimo de lentitud, como muchos creen. Es el atajo lingüístico por excelencia. Por eso los poemas suelen ser breves, un acelerador de partículas que permite saltar sobre muchas cosas e ir directos al grano. El poeta es un velocista. »
« La poésie n’est pas synonyme de lenteur. C’est un raccourci linguistique par excellence. Les poèmes sont généralement courts ; ils constituent un accélérateur de particules qui permet de sauter beaucoup de choses et d’aller droit à l’essentiel. Le poète est un champion de la vitesse. »
« La poesía tiene el prestigio que tiene toda actividad secreta, inútil e incomprensible. Si no fuera tan incomprensible para la mayoría, no tendría prestigio y los poetas no viajaríamos como viajamos. »
« La poésie a le prestige de toute activité secrète, inutile et incompréhensible. Si elle n’était pas aussi incompréhensible, elle n’aurait pas ce prestige. Et nous, poètes, ne voyagerions pas comme nous le faisons. »
« Il y a une veine spéculative dans ma poésie, qui en accompagne une autre, plus vécue, souvent autobiographique. J’aspire à une poésie qui, sans perdre ses racines dans le quotidien, ne se limite pas à l’anecdote. À partir d’une expérience particulière, la poésie parvient à illuminer une zone profonde de l’esprit. »
« No me interesa ser poeta en absoluto. Lo que me interesa es escribir un libro de poemas. Se es poeta sólo cuando se escribe poesía, después deja de serlo. Ser poeta no se convierte jamás en profesión. »
« Être poète ne m’intéresse pas le moins du monde. Ce qui m’importe, c’est écrire un livre de poèmes. On n’est poète que lorsqu’on écrit de la poésie. Ensuite on cesse de l’être. Être poète n’est jamais une profession. »
Discurso de Federico García Lorca en la inauguración de la biblioteca de su pueblo, Fuentevaqueros (septiembre de 1931).
” Cuando alguien va al teatro, a un concierto o a una fiesta de cualquier índole que sea, si la fiesta es de su agrado, recuerda inmediatamente y lamenta que las personas que él quiere no se encuentren allí. «Lo que le gustaría esto a mi hermana, a mi padre», piensa, y no goza ya del espectáculo sino a través de una leve melancolía. Ésta es la melancolía que yo siento, no por la gente de mi casa, que sería pequeño y ruin, sino por todas las criaturas que por falta de medios y por desgracia suya no gozan del supremo bien de la belleza que es vida y es bondad y es serenidad y es pasión.
Por eso no tengo nunca un libro, porque regalo cuantos compro, que son infinitos, y por eso estoy aquí honrado y contento de inaugurar esta biblioteca del pueblo, la primera seguramente en toda la provincia de Granada.
No sólo de pan vive el hombre. Yo, si tuviera hambre y estuviera desvalido en la calle no pediría un pan; sino que pediría medio pan y un libro. Y yo ataco desde aquí violentamente a los que solamente hablan de reivindicaciones económicas sin nombrar jamás las reivindicaciones culturales que es lo que los pueblos piden a gritos. Bien está que todos los hombres coman, pero que todos los hombres sepan. Que gocen todos los frutos del espíritu humano porque lo contrario es convertirlos en máquinas al servicio de Estado, es convertirlos en esclavos de una terrible organización social.
Yo tengo mucha más lástima de un hombre que quiere saber y no puede, que de un hambriento. Porque un hambriento puede calmar su hambre fácilmente con un pedazo de pan o con unas frutas, pero un hombre que tiene ansia de saber y no tiene medios, sufre una terrible agonía porque son libros, libros, muchos libros los que necesita y ¿dónde están esos libros?
¡Libros! ¡Libros! Hace aquí una palabra mágica que equivale a decir: «amor, amor», y que debían los pueblos pedir como piden pan o como anhelan la lluvia para sus sementeras. Cuando el insigne escritor ruso Fedor Dostoyevsky, padre de la revolución rusa mucho más que Lenin, estaba prisionero en la Siberia, alejado del mundo, entre cuatro paredes y cercado por desoladas llanuras de nieve infinita; y pedía socorro en carta a su lejana familia, sólo decía: «¡Enviadme libros, libros, muchos libros para que mi alma no muera!». Tenía frío y no pedía fuego, tenía terrible sed y no pedía agua: pedía libros, es decir, horizontes, es decir, escaleras para subir la cumbre del espíritu y del corazón. Porque la agonía física, biológica, natural, de un cuerpo por hambre, sed o frío, dura poco, muy poco, pero la agonía del alma insatisfecha dura toda la vida.
Ya ha dicho el gran Menéndez Pidal, uno de los sabios más verdaderos de Europa, que el lema de la República debe ser: «Cultura». Cultura porque sólo a través de ella se pueden resolver los problemas en que hoy se debate el pueblo lleno de fe, pero falto de luz.”
Merci à Rosa Mari Gabriel. Tarragona.
Discours de Federico Garcia Lorca lors de l’inauguration de la bibliothèque de Fuente Vaqueros, sa ville natale. (Septembre 1931)
« Quand quelqu’un va au théâtre, à un concert ou à une fête quelle qu’elle soit, si le spectacle lui plaît il évoque tout de suite ses proches absents et s’en désole : « Comme cela plairait à ma soeur, à mon père ! » pensera-t-il et il ne profitera dès lors du spectacle qu’avec une légère mélancolie. C’est cette mélancolie que je ressens, non pour les membres de ma famille, ce qui serait mesquin, mais pour tous les êtres qui, par manque de moyens et à cause de leur propre malheur ne profitent pas du suprême bien qu’est la beauté, la beauté qui est vie, bonté, sérénité et passion.
C’est pour cela que je n’ai jamais de livres. A peine en ai-je acheté un, que je l’offre. j’en ai donné une infinité. Et c’est pour cela que c’est un honneur pour moi d’être ici, heureux d’inaugurer cette bibliothèque du peuple, la première sûrement de toute la province de Grenade.
L’homme ne vit pas que de pain. Moi si j’avais faim et me trouvais démuni dans la rue, je ne demanderais pas un pain mais un demi-pain et un livre. Et depuis ce lieu où nous sommes, j’attaque violemment ceux qui ne parlent que revendications économiques sans jamais parler de revendications culturelles : ce sont celles-ci que les peuples réclament à grands cris. Que tous les hommes mangent est une bonne chose, mais il faut que tous les hommes accèdent au savoir, qu’ils profitent de tous les fruits de l’esprit humain car le contraire reviendrait à les transformer en machines au service de l’état, à les transformer en esclaves d’une terrible organisation de la société.
J’ai beaucoup plus de peine pour un homme qui veut accéder au savoir et ne le peut pas que pour un homme qui a faim. Parce qu’un homme qui a faim peut calmer facilement sa faim avec un morceau de pain ou des fruits. Mais un homme qui a soif d’apprendre et n’en a pas les moyens souffre d’une terrible agonie parce que c’est de livres, de livres, de beaucoup de livres dont il a besoin, et où sont ces livres ?
Des livres ! Des livres ! Voilà un mot magique qui équivaut à clamer: « Amour, amour », et que devraient demander les peuples tout comme ils demandent du pain ou désirent la pluie pour leur semis. Quand le célèbre écrivain russe Fédor Dostoïevski, père de la révolution russe bien davantage que Lénine, était prisonnier en Sibérie, retranché du monde, entre quatre murs, cerné par les plaines désolées, enneigées, il demandait secours par courrier à sa famille éloignée, ne disant que : « Envoyez-moi des livres, des livres, beaucoup de livres pour que mon âme ne meure pas ! ». Il avait froid ; ne demandait pas le feu, il avait une terrible soif, ne demandait pas d’eau, il demandait des livres, c’est-à-dire des horizons, c’est-à-dire des marches pour gravir la cime de l’esprit et du coeur. Parce que l’agonie physique, biologique, naturelle d’un corps, à cause de la faim, de la soif ou du froid, dure peu, très peu, mais l’agonie de l’âme insatisfaite dure toute la vie.
Le grand Menéndez Pidal, l’un des véritables plus grands sages d’Europe, , l’a déjà dit : « La devise de la République doit être la culture ». La culture, parce que ce n’est qu’à travers elle que peuvent se résoudre les problèmes auxquels se confronte aujourd’hui le peuple plein de foi mais privé de lumière. N’oubliez pas que l’origine de tout est la lumière. »
Antonio Gamoneda (Rafael Carralero) 2007. Madrid, Biblioteca Nacional de España.
Cette semaine, j’ai acheté chez Gibert Joseph la revue Europe du mois de mars (Georges Séféris-Gilles Ortlieb). J’y ai trouvé avec plaisir un cahier de création de dix pages avec les traductions des premiers poèmes d’Antonio Gamoneda. Prix Cervantes 2006, il aura 91 ans le 30 mai. La tierra y los labios a été écrit entre 1947 et 1953. Le poète avait entre 16 et 23 ans. Ces textes ont été publiés pour la première fois par Miguel Casado en 1987 (Edad Poesia 1947-1986. Cátedra, Letras Hispanicas). Edad réunissait les oeuvres composées jusqu’alors par Gamoneda. Depuis, selon son habitude, il a réécrit un peu certains des poèmes pour la publication de Esta luz , Poesía reunida (1947–2004) ( Galaxia Gutenberg/Círculo de Lectores, 2004. Deuxième édition 2019). Ces traductions ont été réalisées par Laurence Breysse-Chanet, Professeur de littérature espagnole contemporaine, et ses étudiants de l’Université de Paris-Sorbonne.
J’en ai choisi cinq :
Te beberé el cabello y cerraré los ojos.
Tú seguirás manando tu cabello turbio de besos.
1947
Je boirai tes cheveux et fermerai les yeux.
Source tu seras toujours de tes cheveux troubles de baisers.
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La tarde, sobre mis hombros, tiene el color de tus brazos.
Yo te traeré las sombras en el hueco de mis manos,
Una corona de sombra me harás sobre tu regazo.
Yo te apagaré la tarde con la nieve de mis labios.
Se hará de noche en tus ojos ; en la oscuridad del llanto.
1947
Dessus mes épaules, le soir a la couleur de tes bras.
Je t’apporterai les ombres dans le creux de mes deux mains,
une couronne d’ombre tu me feras sur ton coeur.
Pour toi j’éteindrai le soir par la neige de mes lèvres.
La nuit viendra sur tes yeux ; dans l’obscurité des pleurs.
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El gran viento de la noche entra, lento, en los trigales.
Deja tu mano en la mía que son nuestros esponsales.
Te tomo porque mi pena tiene el color de tus ojos;
porque mi pan es moreno como tu carne.
1947
Le grand vent de la nuit entre lent dans les blés.
Mets ta main dans la mienne : ce sont nos fiançailles.
Tu es mienne car ma peine a la couleur de tes yeux ;
parce que mon pain est noir comme ta chair.
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Es un hombre. Va solo por el campo. Oye su corazón, cómo golpea, y, de pronto, el hombre se detiene y se pone a llorar sobre la tierra.
Juventud del dolor. Crece la savia verde y amarga de la primavera.
Hacia el ocaso va. Un pájaro triste canta entre las ramas negras.
Ya el hombre apenas llora. Se pregunta por el sabor a muerto en su lengua.
1951
C’est un homme. Il va seul par les champs. Écoute son coeur, comme il bat, et, soudain, l’homme s’interrompt, se met à pleurer sur la terre.
Jeunesse de la douleur. Monte la sève verte et amère du printemps.
Il va vers le crépuscule. Un oiseau triste chante parmi les branches noires.
L’homme a dès lors tari ses larmes. Il pense à ce goût de mort de sa langue.
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A ti, muchacha, que, de pronto, estrenas la juventud caliente de la risa, a ti te estoy diciendo: eres precisa en cierta soledad, en ciertas venas.
Crece la muerte con la vida. Apenas le llega al corazón alguna brisa, pero tú crecerías más deprisa; la alegría que tú desencadenas.
Préstame, amiga, préstame temprano tus ojos y tus pechos. Duramente por la boca te sale mucha vida.
Esta hora es feroz. Dame la mano; alcánzame una muerte sonriente; pon tus labios desnudos en mi herida.
1953
Jeune fille qui étrennes soudain la jeunesse si chaude de ton rire, à toi je le dis : tu es nécessaire à certaine solitude, à ses veines.
La mort grandit avec la vie. Á peine la brise vient-elle toucher le coeur, mais tu grandirais plus rapidement ; par cette joie que tu sais provoquer.
Viens m’offrir, oh mon amie, viens m’offrir tes yeux et tes seins. Je vois tant de vie sortir durement de ta bouche aimée.
L’heure est féroce. Donne-moi la main ; viens me donner une mort souriante ; pose tes lèvres nues sur ma blessure.
Fuentevaqueros (Granada). Museo-Casa natal de Federico García Lorca. (El Niño de las Pinturas – Raúl Ruiz)
Lluvia
Enero de 1919 (Granada)
La lluvia tiene un vago secreto de ternura, algo de soñolencia resignada y amable, una música humilde se despierta con ella que hace vibrar el alma dormida del paisaje.
Es un besar azul que recibe la Tierra, el mito primitivo que vuelve a realizarse. El contacto ya frío de cielo y tierra viejos con una mansedumbre de atardecer constante.
Es la aurora del fruto. La que nos trae las flores y nos unge de espíritu santo de los mares. La que derrama vida sobre las sementeras y en el alma tristeza de lo que no se sabe.
La nostalgia terrible de una vida perdida, el fatal sentimiento de haber nacido tarde, o la ilusión inquieta de un mañana imposible con la inquietud cercana del color de la carne.
El amor se despierta en el gris de su ritmo, nuestro cielo interior tiene un triunfo de sangre, pero nuestro optimismo se convierte en tristeza al contemplar las gotas muertas en los cristales.
Y son las gotas: ojos de infinito que miran al infinito blanco que les sirvió de madre.
Cada gota de lluvia tiembla en el cristal turbio y le dejan divinas heridas de diamante. Son poetas del agua que han visto y que meditan lo que la muchedumbre de los ríos no sabe.
¡Oh lluvia silenciosa, sin tormentas ni vientos, lluvia mansa y serena de esquila y luz suave, lluvia buena y pacífica que eres la verdadera, la que amorosa y triste sobre las cosas caes!
¡Oh lluvia franciscana que llevas a tus gotas almas de fuentes claras y humildes manantiales! Cuando sobre los campos desciendes lentamente las rosas de mi pecho con tus sonidos abres.
El canto primitivo que dices al silencio y la historia sonora que cuentas al ramaje los comenta llorando mi corazón desierto en un negro y profundo pentágrama sin clave.
Mi alma tiene tristeza de la lluvia serena, tristeza resignada de cosa irrealizable, tengo en el horizonte un lucero encendido y el corazón me impide que corra a contemplarte.
¡Oh lluvia silenciosa que los árboles aman y eres sobre el piano dulzura emocionante; das al alma las mismas nieblas y resonancias que pones en el alma dormida del paisaje!
Libro de poemas, 1921.
Fuentevaqueros (Granada). Museo – Casa natal de Federico García Lorca. Busto del poeta.
Pluie
Janvier 1919 (Grenade)
La pluie a comme un vague secret de tendresse, Plein de résignation, de somnolence aimable. Discrète, une musique avec elle s’éveille Qui fait vibrer l’âme lente du paysage.
C’est un baiser d’azur que la Terre reçoit, Le mythe primitif accompli de nouveau, Le contact d’une terre et d’un ciel déjà froids Dans la douceur d’un soir qui n’en finit jamais.
C’est l’aurore du fruit, la porteuse de fleurs, La purification du Saint-Esprit des mers. C’est elle qui répand la vie sur les semailles Et dans nos cœurs le sentiment de l’inconnu.
La nostalgie terrible d’une vie perdue, Le sentiment fatal d’être arrivé trop tard, L’espérance inquiète d’un futur impossible, Et l’inquiétude, sœur des douleurs de la chair.
Elle éveille l’amour dans le gris de ses rythmes. Notre ciel intérieur s’empourpre de triomphe; mais bientôt nos espoirs en tristesse se changent A contempler sur les carreaux ses gouttes mortes.
Ses gouttes sont les yeux de l’infini qui voient Le blanc de l’infini qui leur donna naissance.
Chaque goutte de pluie en tremblant sur la vitre Y fait, divine, une blessure de diamant, Poétesses de l’eau qui a vu et médite Ce qu’ignore la foule des ruisseaux et des fleuves
Sans orages ni vents, ô pluie silencieuse, Douceur sereine de sonnaille et de lumière, Pacifique bonté, la seule véritable, Qui, amoureuse et triste, sur toute chose tombes,
Ô pluie franciscaine où chaque goutte porte Une âme claire de fontaine et d’humble source, Quand lentement sur la campagne tu descends, Les roses de mon cœur à ta musique s’ouvrent. Le psaume primitif que tu dis au silence, Le conte mélodieux que tu dis aux ramées, Mon cœur dans son désert le répète en pleurant Sur les cinq lignes noires d’une portée sans clé.
J’ai la tristesse en moi de la pluie sereine, Tristesse résignée de l’irréalisable Je vois à l’horizon une étoile allumée Mais mon cœur m’interdit de courir pour la voir.
Tu mets sur le piano une douceur troublante, Ô pluie silencieuse, ô toi qu’aiment les arbres. Tu donnes à mon cœur les vagues résonances Qui vibrent dans l’âme lente du paysage.
Livre de poèmes. Gallimard, 1954. Traduction André Belamich.
Retrato de José Hierro (Rafael Cidoncha). 1998. Biblioteca Nacional de España.
Le poète espagnol José Hierro aurait eu 100 ans hier. Il est né le 3 avril 1922 à Madrid, mais a passé son enfance et son adolescence à Santander. Il a toujours eu la passion de la mer et a gardé un lien très fort avec sa région d’origine, Cantabria. Il doit abandonner ses études au début de la Guerre Civile. Son père, Joaquín Hierro, fonctionnaire du télégraphe, est emprisonné de 1937 à 1941. Lui-même se retrouve en prison pour avoir donné son appui à une organisation d’aide aux prisonniers politiques. Il est jugé deux fois et condamné à douze ans et un jour de réclusion. Il connaîtra les prisons de Madrid (Comendadoras, Torrijos, Porlier), Palencia, Santander, Segovia et Alcalá de Henares.
Son expérience poétique part de l’expérience extrême de l’après-guerre civile et de la prison. Ses maîtres sont Lope de Vega, San Juan de la Cruz, Rubén Darío et Juan Ramón Jiménez. Il donnera le prénom de ce dernier à un de ses fils. Il a aussi beaucoup lu les poètes de la Génération de 1927 ainsi que Baudelaire, Mallarmé et Paul Valéry.
Á sa sortie de prison le premier janvier 1944, José Hierro occupe de nombreux emplois alimentaires. Il épouse en 1949 María de los Ángeles Torres (décédée le 17 juin 2020). Ils auront quatre enfants.
Il obtient en Espagne les plus importants prix littéraires : 1947 Premio Adonáis (Alegría). 1981 Premio Príncipe de Asturias de las Letras. 1995 Premio Reina Sofía de Poesía Iberoamericana 1998 Premio Cervantes, le plus prestigieux de la littérature hispanique.
Il devient membre de la Real Academia Española en 1999.
Son recueil Cuaderno de Nueva York (Le Cahier de New York), publié en 1998 et qui regroupe trente trois poèmes, devient en Espagne un véritable best-seller.
Il meurt le 21 décembre 2002 dans un hôpital madrilène à l’âge de 80 ans d’une insuffisance respiratoire.
La critique espagnole lui rend un hommage unanime.
L’oeuvre de José Hierro est peu traduite en français.
1951 Poèmes (Pierre Seghers). Traduction Roger Noël-Mayer 2014 Tout ce que je sais de moi (Circé). Traduction Emmanuel Le Vagueresse.
Je me souviens d’avoir croisé le vieux poète au visage buriné à Madrid, Paseo de Recoletos, dans les années 1990-2000. Il marchait encore avec une grande vitalité.
El encuentro (José Hierro)
A Rafael Alberti
Diré un día: bienvenido a la casa. Esta es tu lumbre. Bebe en tu copa de vino, mira el cielo, parte el pan. Cuánto has tardado. Anduviste bajo las constelaciones del Sur, navegaste ríos de son diferente. Cuánto duró tu viaje. Te noto cansado. No me preguntes. Da de comer a tus perros, oye la canción del álamo. No me preguntes por nada, no me preguntes.
Si hablase, llorarías. Si enfrentases tus espectros al espejo, seguro que no verías imágenes reflejadas. Lo vivo lejano ha muerto: lo mató el tiempo. Tú solo puedes enterrarlo. Dale tierra mañana, después de descansar. Bienvenido a tu casa. No preguntes nada. Mañana hablaremos.
Libro de las alucinaciones, 1964.
La Rencontre
A Rafael Alberti
Un jour je dirai : bienvenue à la maison. Voici ton feu. Bois ton vin dans ton verre, Regarde le ciel, romps le pain. Comme tu as été long. Tu as erré sous les constellations du Sud, navigué sur les fleuves aux sonorités multiples. Que ton voyage a été long. Je te trouve fatigué. Ne me demande rien. Donne à manger à tes chiens, entends la chanson du peuplier. Ne me pose aucune question, ne me demande rien.
Si je parlais, tu pleurerais. Si tu mettais tes spectres face au miroir, tu ne verrais sans doute aucune image reflétée. La vie lointaine est morte : le temps l’a tuée. Toi seul peux l’enterrer. Jettes-y de la terre demain, quand tu te seras reposé. Bienvenue chez toi. Ne demande rien. Demain nous parlerons.
Traduit de l’espagnol par Claude de Frayssinet. Poésie espagnole. Anthologie 1945 – 1990. Actes Sud / Editions Unesco, 1995.
Lamentación
Hemos tenido tantas cosas que decir, y no se dijeron!
Prodigiosas palabras jóvenes para herir los oídos viejos. Maravillosas melodías, cantos inéditos. Hemos cantado todos juntos y hemos llorado en el silencio. Aprendimos muy dura ciencia a costa de los propios sueños.
¡Hemos tenido tantas cosas que decir, y no se dijeron! ¡Hemos salvado tan alegres los sombríos presentimientos! Hemos amado cada tallo, cada frío harapo de invierno, cada gota de madrugada con tan loca avidez, sabiendo que éramos carne de una fábula que alguien vivía en el misterio! Tan hermosas canciones! Ráfagas tan ardientes que nos hirieron.
Música de astros interiores que nacían en nuestro reino. Flautas tañidas, en la tarde, por las manos vagas del sueño. ¡Y tantas limpias hermosuras como cayeron! Y girar sin fin en el alba con la oscura palabra dentro, con el cantar a flor de vida ignorando el remoto término.
¡Hemos tenido tantas cosas que decir, y no se dijeron! Y miramos cómo en el aire vuela la música sin dueño, sin que podamos apresarla con nuestros torpes instrumentos.
Alegría. Adonáis, 1947.
Lamentation
Nous avons eu tant de choses à dire, qui n’ont pas été dites !
Prodigieuses paroles jeunes pour heurter les ouïes vieilles. Merveilleuses mélodies, chants inédits. Nous avons chanté tous ensemble et nous avons pleuré dans le silence. Nous avons appris une dure science au détriment de nos propres rêves.
Nous avons eu tant de choses à dire, qui n’ont pas été dites ! Nous avons évité si gaiement les sombres pressentiments ! Nous avons aimé chaque pousse, chaque froide guenille d’hiver, chaque goutte de petit matin avec une avidité si folle, conscients que nous étions la chair d’une fable vécue par quelqu’un dans le mystère ! Tant de belles chansons ! des rafales si ardentes qu’elles nous ont blessés
Musiques d’astres intérieurs qui naissaient dans notre royaume. Flûtes jouées, le soir venu, par les mains vagues du rêve. Et tant de beautés si limpides qui sont tombées! Et tourner sans fin dans l’aube avec la sombre parole au-dedans, avec le chant à fleur de vie, ignorants de la fin lointaine.
Nous avons eu tant de choses à dire, qui n’ont pas été dites ! Et nous regardons dans l’air voler la musique sans maître, sans que nous puissions la saisir avec nos instruments maladroits.
Traduction Claude de Frayssinet. Poésie espagnole. Anthologie 1945-1990. Actes Sud / Editions Unesco, 1995.
Las nubes
Inútilmente interrogas. Tus ojos miran al cielo. Buscas, detrás de las nubes, huellas que se llevó el viento.
Buscas las manos calientes, los rostros de los que se fueron, el círculo donde yerran tocando sus instrumentos.
Nubes que eran ritmo, canto sin final y sin comienzo, campanas de espumas pálidas volteando su secreto,
palmas de mármol, criaturas girando al compás del tiempo, imitándole a la vida su perpetuo movimiento. Inútilmente interrogas desde tus párpados ciegos. ¿Qué haces mirando a las nubes, José Hierro?
Cuanto sé de mí. Ágora, 1957.
La Bibliothèque Nationale à Madrid, dans le cadre de son centenaire, organisera du 20 octobre 2022 au 22 février 1923, une exposition intitulée: Cuanto sé de mí. José Hierro en su centenario (1922-2022). On y découvrira aussi son talent méconnu de dessinateur.