Antonio Skármeta – Arthur Rimbaud

Antonio Skármeta (Ulf Andersen). Paris, 2013.

L’écrivain chilien Antonio Skármeta est mort mardi 15 octobre à l’âge de 83 ans. il est né le 7 novembre 1940 à Antofagasta, dans le nord du Chili. Il a étudié la philosophie à l’université du Chili, où il a travaillé des années plus tard comme professeur à la faculté de philosophie et comme metteur en scène de théâtre. Après le coup d’Etat militaire d’Augusto Pinochet en 1973, il s’est exilé en Argentine puis en Allemagne, où il a été ambassadeur du Chili dans les années 2000. Il a aussi animé un programme culturel à la télévision chilienne, El show de los libros, de 1992 à 2002. Il est surtout connu comme auteur de Ardiente paciencia (1985) (Une ardente patience, Le Seuil 1985. Traduction de François Maspero) Ce roman a été adapté au cinéma en 1994 sous le titre Le Facteur (Il postino) par Michael Radford avec Massimmo Troisi et Philippe Noiret, dans le rôle de Pablo Neruda. Skármeta avait réalisé lui-même en 1983 une première version de cette histoire. Sa pièce de théâtre, El plebiscito, a été le point de départ du film de Pablo Larraín No (2012) qui évoque la participation d’un jeune publicitaire à la campagne en faveur du « non » lors du référendum chilien de 1988. Celui-ci a marqué la fin de la dictature militaire d’Augusto Pinochet et a ouvert la voie à la transition démocratique chilienne.

Le titre Ardiente paciencia rappelle le poème de Rimbaud que Neruda avait évoqué lorsqu’il avait reçu le Prix Nobel de Littérature en 1971 :

” Hace hoy cien años exactos, un pobre y espléndido poeta, el más atroz de los desesperados, escribió esta profecía: A l’aurore, armés d’une ardente patience, nous entrerons aux splendides Villes. (Al amanecer, armados de una ardiente paciencia entraremos en las espléndidas ciudades.)

Yo creo en esa profecía de Rimbaud, el vidente. Yo vengo de una oscura provincia, de un país separado de todos los otros por la tajante geografía. Fui el más abandonado de los poetas y mi poesía fue regional, dolorosa y lluviosa. Pero tuve siempre confianza en el hombre. No perdí jamás la esperanza. Por eso tal vez he llegado hasta aquí con mi poesía, y también con mi bandera.

En conclusión, debo decir a los hombres de buena voluntad, a los trabajadores, a los poetas, que el entero porvenir fue expresado en esa frase de Rimbaud: solo con una ardiente paciencia conquistaremos la espléndida ciudad que dará luz, justicia y dignidad a todos los hombres.

Así la poesía no habrá cantado en vano. “

Adieu
¯¯¯¯¯¯¯¯

L’automne, déjà ! – Mais pourquoi regretter un éternel soleil, si nous sommes engagés à la découverte de la clarté divine, – loin des gens qui meurent sur les saisons.

L’automne. Notre barque élevée dans les brumes immobiles tourne vers le port de la misère, la cité énorme au ciel taché de feu et de boue. Ah ! les haillons pourris, le pain trempé de pluie, l’ivresse, les mille amours qui m’ont crucifié ! Elle ne finira donc point cette goule reine de millions d’âmes et de corps morts et qui seront jugés ! Je me revois la peau rongée par la boue et la peste, des vers plein les cheveux et les aisselles et encore de plus gros vers dans le coeur, étendu parmi les inconnus sans âge, sans sentiment… J’aurais pu y mourir… L’affreuse évocation ! J’exècre la misère.

Et je redoute l’hiver parce que c’est la saison du comfort !

  • Quelquefois je vois au ciel des plages sans fin couvertes de blanches nations en joie. Un grand vaisseau d’or, au-dessus de moi, agite ses pavillons multicolores sous les brises du matin. J’ai créé toutes les fêtes, tous les triomphes, tous les drames. J’ai essayé d’inventer de nouvelles fleurs, de nouveaux astres, de nouvelles chairs, de nouvelles langues. J’ai cru acquérir des pouvoirs surnaturels. Eh bien ! je dois enterrer mon imagination et mes souvenirs ! Une belle gloire d’artiste et de conteur emportée !

Moi ! moi qui me suis dit mage ou ange, dispensé de toute morale, je suis rendu au sol, avec un devoir à chercher, et la réalité rugueuse à étreindre ! Paysan !

Suis-je trompé ? la charité serait-elle soeur de la mort, pour moi ?

Enfin, je demanderai pardon pour m’être nourri de mensonge. Et allons.

Mais pas une main amie ! et où puiser le secours ?

¯¯¯¯¯¯¯¯

Oui l’heure nouvelle est au moins très-sévère.

Car je puis dire que la victoire m’est acquise : les grincements de dents, les sifflements de feu, les soupirs empestés se modèrent. Tous les souvenirs immondes s’effacent. Mes derniers regrets détalent, – des jalousies pour les mendiants, les brigands, les amis de la mort, les arriérés de toutes sortes. – Damnés, si je me vengeais !

Il faut être absolument moderne.

Point de cantiques : tenir le pas gagné. Dure nuit ! le sang séché fume sur ma face, et je n’ai rien derrière moi, que cet horrible arbrisseau !… Le combat spirituel est aussi brutal que la bataille d’hommes ; mais la vision de la justice est le plaisir de Dieu seul.

Cependant c’est la veille. Recevons tous les influx de vigueur et de tendresse réelle. Et à l’aurore, armés d’une ardente patience, nous entrerons aux splendides villes.

Que parlais-je de main amie ! Un bel avantage, c’est que je puis rire des vieilles amours mensongères, et frapper de honte ces couples menteurs, – j’ai vu l’enfer des femmes là-bas ; – et il me sera loisible de posséder la vérité dans une âme et un corps.

avril-août, 1873.

Une saison en enfer, 1873-1874.

https://www.lesvraisvoyageurs.com/2019/05/10/arthur-rimbaud/

Isla Negra. Playa. Océano Pacífico.

Charles Baudelaire

Charles Baudelaire (Étienne Carjat). 1866.

J’écoute en podcast Le Book Club de Marie Richeux sur France Culture. Elle nous fait découvrir la bibliothèque de personnalités diverses. (Grande invention les podcasts !). Il s’agit ici de la bibliothèque de l’historien de l’art et philosophe Georges Didi-Huberman. Il nous fait suivre la présence des anges dans les pages de Walter Benjamin, Franz Kafka, Charles Baudelaire et D.H. Lawrence. Vers la fin de l’émission, il lit le poème Réversibilité.

Réversibilité (Charles Baudelaire)

Ange plein de gaieté, connaissez-vous l’angoisse,
La honte, les remords, les sanglots, les ennuis,
Et les vagues terreurs de ces affreuses nuits
Qui compriment le coeur comme un papier qu’on froisse ?
Ange plein de gaieté, connaissez-vous l’angoisse ?

Ange plein de bonté, connaissez-vous la haine,
Les poings crispés dans l’ombre et les larmes de fiel,
Quand la Vengeance bat son infernal rappel,
Et de nos facultés se fait le capitaine ?
Ange plein de bonté connaissez-vous la haine ?

Ange plein de santé, connaissez-vous les Fièvres,
Qui, le long des grands murs de l’hospice blafard,
Comme des exilés, s’en vont d’un pied traînard,
Cherchant le soleil rare et remuant les lèvres ?
Ange plein de santé, connaissez-vous les Fièvres ?

Ange plein de beauté, connaissez-vous les rides,
Et la peur de vieillir, et ce hideux tourment
De lire la secrète horreur du dévouement
Dans des yeux où longtemps burent nos yeux avide ?
Ange plein de beauté, connaissez-vous les rides ?

Ange plein de bonheur, de joie et de lumières,
David mourant aurait demandé la santé
Aux émanations de ton corps enchanté !
Mais de toi je n’implore, ange, que tes prières,
Ange plein de bonheur, de joie et de lumières !

Les Fleurs du mal, 1857.

” Baudelaire avait adressé ce poème, anonymement, le 3 mai 1853, à Mme Sabatier. il lui fait cet envoi de Versailles, où il se trouve alors, avec Philoxène Boyer… Baudelaire a donné comme titre à ce poème un terme emprunté au lexique théologique de Joseph de Maistre. ” (Oeuvres complètes, Bibliothèque de la Pléiade I. Notes.)

Georges Didi-Huberman (Patrice Normand).

https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/le-book-club/dans-la-bibliotheque-de-georges-didi-huberman-8432288

Georges Didi-Huberman : “Le titre de ce poème Réversibilité, c’est un mot philosophique, c’est un mot qui nous dit que dans tout désir et dans tout espoir, il y a une inquiétude et une angoisse. Réversibilité, c’est ce mélange. Freud avait ce terme extrêmement fort en disant ce sentiment d’inquiétante étrangeté qu’on a quand on se sent très mal à l’aise. Par exemple, quand on est dans un endroit dont on se dit, qu’on a déjà été là quelque part, c’est-à-dire qu’il y a une familiarité, mais c’est extrêmement angoissant. Freud dit très bien que tout ça, c’est lié à l’angoisse infantile, l’angoisse des enfants.”

Angelus Novus (Paul Klee). 1920. Jérusalem, Musée d’israël. Exposition L’ironie à l’oeuvre 6 avril – 1 août 2016 au centre Pompidou. La photo n’est pas bonne, mais je l’ai prise avec émotion en avril 2016.

Jacques Réda 1929 – 2024

Le poète Jacques Réda est décédé le 30 septembre à l’âge de 95 ans.

« Le désespoir n’existe pas pour un homme qui marche. ».

Lire ou relire :

Amen, récitatif, la tourne. Poésie Gallimard N° 221. 1988.

Les ruines de Paris. Poésie Gallimard N° 268. 1993.

Hors les murs. Poésie Gallimard N° 358. 2001.

Leçons de l’arbre et du vent. Gallimard Blanche. 2023.

Il est une forêt sans borne où je voudrais
M’enfoncer, en mourant, loin de la médecine
Qui m’impose pour vivre une foule d’extraits
Chimiques. J’y prendrais tout doucement racine,
Jusqu’au jour où, non moins en douceur, j’entrerais
D’abord aussi fragile et fin qu’une houssine,
Quitte de mes devoirs et de mes intérêts,
Dans l’absence de temps où l’Arbre se dessine
Sans crayon ni pastel, sanguine ni pinceau.
Vite, j’y deviendrais vigoureux arbrisseau.
Puis l’artiste inconnu qui conçut la rosée.
Et la houle des monts et les yeux des vivants
Me laisserait songer tout au fond du musée
Végétal où, distraits, viennent errer les vents.

Une pensée pour Nicole Réda-Euvremer.

Juan Ramón Jiménez – Charles Baudelaire

J’ai reçu hier le magnifique livre de Juan Ramón Jiménez (1881-1958), Guerra en España: Prosa y verso (1936-1954). Athenaica Ediciones. 2024. 1065 pages.

Une première édition de cet ouvrage fut élaborée et éditée par le poète Ángel Crespo (1926-1995) en 1985. Il faut rappeler qu’il s’agit du traducteur en espagnol du Livro do Desassossego de Fernando Pessoa pour Seix Barral (1984). Cette édition fut reprise par Soledad González Ródenas en 2009. Celle d’avril 2024 est encore plus complète. Elle a travaillé comme Ángel Crespo sur les archives du poète conservées à Puerto Rico.

De son vivant, Juan Ramón Jiménez avait commencé à réunir des aphorismes, des poèmes, des traductions, des articles, des conférences, des manifestes, des critiques, des lettres, des entretiens, des brouillons, des notes, des photos, des articles de journaux. Dans son idée, cet énorme collage sur la guerre et l’exil permettrait de transmettre son expérience du conflit et sa lutte incessante contre ses ennemis.

On oublie trop souvent que le Prix Nobel de Littérature 1956 fut un poète engagé aux côtés de La République, contre la Guerre et contre le Franquisme.

“Todo cambia… Las cosas y las personas, pero hay algo que es permanente: la vocación de libertad. Jamás he sido político en el mezquino sentido de simple afiliación a partidos. Me he educado con Cossío, con Giner, con aquellos grandes hombres de la Institución Libre de Enseñanza y al espíritu de los maestros le sigo siendo fiel…Lo demás, no importa…Lo esencial es vivir con decencia entre personas honradas y en un régimen de libertad.”

Pour le moment, je n’ai pu que le feuilleter. J’y ai trouvé une belle traduction du poème de Baudelaire La musique.

La Musique

La musique souvent me prend comme une mer !
Vers ma pâle étoile,
Sous un plafond de brume ou dans un vaste éther,
Je mets à la voile ;

La poitrine en avant et les poumons gonflés
Comme de la toile,
J’escalade le dos des flots amoncelés
Que la nuit me voile ;

Je sens vibrer en moi toutes les passions
D’un vaisseau qui souffre ;
Le bon vent, la tempête et ses convulsions

Sur l’immense gouffre
Me bercent. D’autres fois, calme plat, grand miroir
De mon désespoir !

Les Fleurs du mal. 1861.

La música

La música me coje a veces como la mar!
A mi pálida estrella,
bajo un techo de bruma o en una vasta atmósfera
yo me hago a la vela.

El pecho adelantado y llenos los pulmones
lo mismo que la lona,
escalo el lomo de la ola amontonada
que la noche me borra.

Siento vibrar en mí la pasión multiforme
de un navío que sufre;
la bonanza, la tempestad y sus convulsiones

sobre la inmensa cava
me mecen. ¡ Y otra vez calma plena, ancho espejo,
de mi desesperanza!

Traduction : Juan Ramón Jiménez.

Juan Ramón Jiménez a traduit tout au long de sa vie des poètes comme Ibsen, Verlaine, Moréas, Pierre Louÿs, Leopardi, Shelley, Shakespeare, Trelawny. Robert Frost, Yeats, Synge, Mallarmé, Blake, Eliot, Goethe, Baudelaire, Santayana, Ezra Pound et Edgar A. Poe, entre autres.

Giuseppe Ungaretti 1888 – 1970

Philippe Jaccottet.

Je choisis un autre poème tiré de l’anthologie des poètes européens du XX ème siècle, un poème de Giuseppe Ungaretti.

Philippe Jaccottet. D’autres astres, plus loin, épars. Poètes européens du XX ème siècle. Domaine étranger. La Dogana, Genève, octobre 2005.

Philippe Jaccottet et Giuseppe Ungaretti se rencontrent pour la première fois en septembre 1946 à Rome. ils ont 37 ans de différence d’âge. Leur correspondance sera pourtant abondante. (Philippe Jaccottet, Giuseppe Ungaretti, Correspondance 1946-1970. Gallimard, « Les Cahiers de la NRF », 2008). Philippe Jaccottet sera un des traducteurs du poète italien.  Avant la Première Guerre mondiale, Giuseppe Ungaretti a étudié deux ans à la Sorbonne, et, y étant retourné, a connu Jeanne Dupoix, qui est devenue sa femme en 1920. Il parle le français presque sans accent et l’écrit couramment. Les deux poètes qui sont de générations différentes sont deux ” passeurs “. Ungaretti est traducteur de Shakespeare, Góngora, Racine, Blake, Mallarmé, Saint-John Perse, notamment.

Nostalgia

Quando
la notte è a svanire
poco prima di primavera
e di rado
qualcuno passa

Su Parigi s’addensa
un oscuro colore
di pianto

In un canto
di ponte
contemplo
l’illimitato silenzio
di una ragazza tenue

Le nostre
malattie
si fondono

E come portati via
si rimane.

Locvizza il 28 settembre 1916.

Vita di un uomo, Tutte e poesie.

Nostalgie

Quand la nuit
est au point de finir
au temps que le printemps est proche
et que rarement
quelqu’un passe

Sur Paris se condense
une obscure couleur
de larme

Au coin
d’un pont
je contemple
le silence sans limite
d’une fille
ténue

Nos deux
maladies
se confondent

Et comme emportés
on demeure

Locvizza, 28 septembre 1916.

Vie d’un homme. Poésie, 1914-1970. NRF Poésie / Éditions de Minuit – Gallimard, 1973. Traduction Jean Lescure. Poésie/Gallimard n°147, 1981.

Plaque 5 rue des Carmes (Paris, V) où a vécu Giuseppe Ungaretti.

Antonio Machado

J’ai trouvé hier à la bibliothèque une formidable anthologie de poètes européens du XX ème siècle choisis par Philippe Jaccottet. Je relis quelques poèmes à la nuit tombée dont celui si célèbre d’Antonio Machado. Coup de blues du mois de septembre.

Philippe Jaccottet. D’autres astres, plus loin, épars. Poètes européens du XX ème siècle. Domaine étranger. La Dogana, Genève, octobre 2005.

CXXVI. A José Maria Palacio

Palacio, buen amigo,
¿está la primavera
vistiendo ya las ramas de los chopos
del río y los caminos? En la estepa
del alto Duero, primavera tarda,
¡pero es tan bella y dulce cuando llega!…
¿Tienen los viejos olmos
algunas hojas nuevas?
Aún las acacias estarán desnudas
y nevados los montes de las sierras.
¡Oh mole del Moncayo blanca y rosa,
allá, en el cielo de Aragón, tan bella!
¿Hay zarzas florecidas
entre las grises peñas,
y blancas margaritas
entre la fina hierba?
Por esos campanarios
ya habrán ido llegando las cigüeñas.
Habrá trigales verdes,
y mulas pardas en las sementeras,
y labriegos que siembran los tardíos
con las lluvias de abril. Ya las abejas
libarán del tomillo y el romero.
¿Hay ciruelos en flor? ¿Quedan violetas?
Furtivos cazadores, los reclamos
de la perdiz bajo las capas luengas,
no faltarán. Palacio, buen amigo,
¿tienen ya ruiseñores las riberas?
Con los primeros lirios
y las primeras rosas de las huertas,
en una tarde azul, sube al Espino,
al alto Espino donde está su tierra…

Baeza, 29 de abril de 1913

Campos de Castilla. 1907-1917.

Leonor Izquierdo. 30 juillet 1907, le jour de son mariage avec Antonio Machado.

CXXVI. Á José María Palacio

Palacio, mon ami,
le printemps déjà
revêt-il les branches des peupliers
de la rivière et des chemins ? Sur la steppe
du haut Douro, le printemps est tardif,
mais il est si beau, si doux quand il arrive !…
Les vieux ormes ont-ils
quelques feuilles nouvelles ?
Les acacias encore doivent être nus
et enneigés les monts des sierras;
Oh! masse du Moncayo, blanche et rose,
là-bas, sur le ciel d’Aragon, si belle !
Y-a-t-il des broussailles fleuries
entre les rochers gris,
de blanches pâquerettes
dans l’herbe fine ?
Sur vos clochers
les cigognes déjà sont sans doute arrivées.
Il doit y avoir des champs de blé verdis
et des mules grises parmi les semailles,
et des paysans semant les plantes tardives
avec les pluies d’avril. Les abeilles déjà
butineront le thym et le romarin.
Y a-t-il des pruniers en fleur ? Reste-t-il des violettes ?
Il y a sans doute des chasseurs furtifs
dissimulant sous leurs longues capes
l’appeau des perdrix. Palacio, mon ami,
est-ce que sur les rives chantent les rossignols ?
Dès les premiers iris
et les premières roses des jardins,
par un après-midi d’azur, monte à l’Espino,
Là-haut sur l’Espino où se trouve sa terre…

Baeza, 29 avril 1913.

Champs de Castille précédé de Solitudes, Galeries et autres poèmes et suivi des Poésies de la guerre. 2004. Traduction de Sylvie Léger et Bernard Sesé. NRF Poésie/ Gallimard n°144.

Soria, Cementerio del espino. Tombe de Leonor Izquierdo.

Antonio Machado (1875-1939) obtient en 1907 une place de professeur de français à Soria. Il y rencontre Leonor Izquierdo Cuevas, avec laquelle il se marie le 30 juillet 1909. Il a 34 ans, Leonor 15 seulement. Elle meurt de tuberculose le 1 août 1912. Très affecté, le poète quitte Soria pour ne jamais y retourner. Il obtient sa mutation à Baeza, dans la province de Jaén (Andalousie), où il reste jusqu’en 1919. Entre 1919 et 1932, il est professeur de français à Ségovie, près de Madrid. Á partir de 1932, il réside à Madrid. Lorsqu’éclate la Guerre civile en juillet 1936, Antonio Machado est à Madrid. Il met sa plume au service de la République. En novembre 1936, il est évacué avec sa mère, Ana Ruiz, et deux de ses frères, Joaquín et José, à Valence, puis en 1938 à Barcelone. Le 22 janvier 1939, ils sont contraints de fuir vers la France. Arrivé à Collioure, à quelques kilomètres de la frontière, Antonio Machado meurt épuisé le 22 février 1939, trois jours avant sa mère. Il est enterré à Collioure, tandis que la tombe de Leonor se trouve à Soria (Cementerio del Espino).

Cesare Pavese

Portrait de Cesare Pavese (1908-1950) (Alessandro Lonati).

L’étoile du matin

La mer est encore sombre, les étoiles vacillent
quand l’homme seul se lève. Une tiédeur d’haleine
s’élève de la rive, où la mer a son lit,
et apaise le souffle. C’est l’heure maintenant
où rien ne peut arriver. La pipe elle-même pend
entre les dents, éteinte. L’eau murmure tranquille, nocturne.
L’homme seul a déjà allumé un grand feu de branchages
et regarde le sol qui rougeoie. Bientôt la mer sera
elle aussi comme le feu, flamboyante.

Il n’est chose plus amère que l’aube d’un jour
où rien n’arrivera. Il n’est chose plus amère
que l’inutilité. Lasse dans le ciel, pend
une étoile verdâtre que l’aube a surprise.
Elle voit la mer sombre et la tache de feu
et près d’elle, pour faire quelque chose, l’homme qui se réchauffe ;
elle voit, puis tombe de sommeil entre les monts obscurs
où est un lit de neige. L’heure qui passe lente
est sans pitié pour ceux qui n’attendent plus rien.

Est-ce la peine que le soleil surgisse de la mer
et que commence la longue journée ? Demain
reviendront l’aube tiède, la lumière diaphane,
et ce sera comme hier, jamais rien n’arrivera.
L’homme seul ne voudrait que dormir.
Quand la dernière étoile s’est éteinte dans le ciel,
lentement l’homme bourre sa pipe et l’allume.

Poésies (Travailler fatigue. La mort viendra et elle aura tes yeux). 1969. NRF Poésie/Gallimard n°128. Traduction : Gilles de Van. 1979.

Lo stedazzu

L’uomo solo si leva che il mare e ancor buio
e le stelle vacillano. Un tepore di fiato
sale su dalla riva, dov’è il letto del mare,
e addolcisce il respiro. Quest’è l’ora in cui nulla
può accadere. Perfino la pipa tra i denti
pende spenta. Notturno è il sommesso sciacquio.
L’uomo solo ha già acceso un gran fuoco di rami
e lo guarda arrossare il terreno. Anche il mare
tra non molto sarà come il fuoco, avvampante.

Non c’è cosa più amara che l’alba di un giorno
in cui nulla accadrà. Non c’è cosa più amara
che l’inutilità. Pende stanca nel cielo
una stella verdognola, sorpresa dall’alba.
Vede il mare ancor buio e la macchia di fuoco
a cui l’uomo, per fare qualcosa, si scalda;
vede, e cade dal sonno tra le fosche montagne
dov’è un letto di neve. La lentezza dell’ora
è spietata, per chi non aspetta più nulla.

Val la pena che il sole si levi dal mare
e la lunga giornata cominci? Domani
tornerà l’alba tiepida con la diafana luce
e sarà come ieri e mai nulla accadrà.
L’uomo solo vorrebbe soltanto dormire.
Quando l’ultima stella si spegne nel cielo,
l’uomo adagio prepara la pipa e l’accende.

Lavorare stanca. Florence, Solaria, 1936.

Poème écrit au cours de l’hiver 1935. Cesare Pavese est arrêté le 15 mai 1935 pour activités antifascistes. Il est exclu du parti national fasciste et relégué en Calabre à Brancaleone, petit village au bord de la mer Ionenne du 4 août 1935 au 15 mars 1936. Italo Calvino, dans son introduction à l’œuvre ( Introduzione, Poesie edite e inedite. Einaudi, Torino, 1962) dit que pour comprendre le titre du recueil il faut avoir lu I Sansôssí d’Augusto Monti : « I sansôssí (graphie piémontaise pour « sans-soucì ») est le titre d’un roman d’Augusto Monti ( professeur de lycée de Pavese et son premier maître en littérature et ami ). Monti oppose ( sentant le charme de l’une et de l’autre ) la vertu du piémontais sansossì ( faite d’insouciance et d’inconscience juvénile ) à la vertu du piémontais ferme, stoïque, travailleur et taciturne. Le premier Pavese ( ou peut-être tout Pavese ) se situe lui aussi entre ces deux bornes : il ne faut pas oublier que l’un de ses premiers auteurs est Walt Whitman, exaltateur et du travail et de la vie vagabonde. Le titre Travailler fatigue sera précisément la version pavésienne de l’antithèse d’Augusto Monti (et de Whitman), mais sans gaieté, avec les tourments de celui qui ne s’intègre pas : jeune garçon dans le monde des adultes, sans métier dans le monde de ceux qui travaillent, sans femme dans le monde de l’amour et des familles, sans armes dans le monde des luttes politiques et des devoirs civils ».

Fernando Pessoa

Nous avons vu hier un film soporifique de Víctor Iriarte : Dos madres (titre original : Sobre todo la noche). 2023. 1h50. Scénario : Isa Campo, Andrea Queralt, Víctor Iriarte. Interprètes : Lola Dueñas, Ana Torrent, Manuel Egozkue.

Résumé : Véra (Lola Dueñas) a été séparée de son bébé le jour de l’accouchement. Elle pense qu’il est vivant et a tout essayé pour le retrouver. Son dossier a disparu. Elle se heurte au silence de l’administration. Elle bascule alors dans l’illégalité pour obtenir les informations qu’elle recherche. Elle retrouve la trace de son fils, Egoz (Manuel Egozkue), désormais jeune adulte, adopté par Cora (Ana Torrent), elle aussi victime du système.

Le premier long métrage de Víctor Iriarte (né en 1976) a une grande ambition, politique et esthétique. Il rate son coup. Il veut mêler le thriller d’espionnage, le roman épistolaire et le carnet de voyage. Ses maniérismes occultent le propos politique annoncé d’emblée.

L’Espagne a retrouvé la démocratie, mais n’a pas soldé l’ héritage de la dictature. Sous le régime franquiste, près de 300 000 nourrissons, déclarés mort-nés, ont été subtilisés aux mères espagnoles pour faire l’objet d’un commerce (chiffres avancés par les associations). Ces pratiques étaient justifiées alors par les théories délirantes du psychiatre Antonio Vallejo-Nájera (1889-1960), un proche du dictateur. Avec la complicité des institutions médicale et religieuse, ce trafic d’enfants a perduré après la mort de Franco, jusque dans les années 1980, pour des raisons lucratives. « Nous avions déjà exposé dans d’autres travaux l’idée des relations intimes entre le marxisme et l’infériorité mentale… La vérification de nos hypothèses à une transcendance politico-sociale énorme, car, si comme nous le pensons, les militants marxistes sont de préférence des psychopathes antisociaux, la ségrégation totale de ces sujets dès l’enfance pourrait libérer la société d’une plaie si terrible. » (Antonio Vallejo-Nájera).

On peut voir le documentaire Els nens perduts del franquisme (Los niños perdidos del franquismo) (2002) de Montserrat Armengou y Ricard Belis.

https://www.youtube.com/watch?v=zA3M-k-ckis

https://www.youtube.com/watch?v=YuJNElQkzIY

L’« association nationale des victimes d’adoptions illégales » — Anadir — , fondée par Juan Luis Moreno et Antonio Barroso, défend les intérêts des victimes.

https://www.lepoint.fr/monde/en-espagne-le-long-combat-des-bebes-voles-du-franquisme-06-10-2022-2492696_24.php

D’autre part, selon la Asociación para la Recuperación de la Memoria Histórica (ARMH), 114 000 personnes, victimes de la répression franquiste, sont encore portées disparues.

Je retiens de ce film un fado et le titre original qui fait référence à un beau poème de Álvaro de Campos, un des 70 hétéronymes créés par Fernado Pessoa.

Portrait de Fernando Pessoa (Julio Pomar). 1983. Centro de Arte Moderna de Brito.

Sim, é claro,
O Universo é negro, sobretudo de noite.
Mas eu sou como toda a gente,
Não tenha eu dores de dentes nem calos e as outras dores passam.
Com as outras dores fazem-se versos.
Com as que doem, grita-se.

A constituição íntima da poesia
Ajuda muito…
(Como analgésico serve para as dores da alma, que são fracas…)
Deixem-me dormir.

3 juillet 1930

Álvaro de Campos – Livro de Versos. Fernando Pessoa. (Edição crítica. Introdução, transcrição, organização e notas de Teresa Rita Lopes.) Lisboa: Estampa, 1993.

(Fernando Pessoa)

Oui, c’est évident,
L’Univers est noir, surtout la nuit.
Mais moi je suis comme tout le monde.
Pourvu que je n’aie ni mal aux dents ni cor aux pieds, les autres douleurs passent.
Avec les autres douleurs on fait des vers.
Avec celles qui font mal, on crie.

L’intime constitution de la poésie
Est une aide énorme…
(Elle sert d’analgésique pour les douleurs de l’âme, qui sont faibles…)
laissez-moi dormir.

Álvaro de Campos, Derniers poèmes. Traduction Patrick Quillier en collaboration avec Maria Antónia Câmara Manuel. Christian Bourgois Éditeur, 2001.

El Profesor

El profesor (Puan. 2023). Réalisation et scénario : María Alché et Benjamín Naishtat. Photographie : Hélène Louvart. Musque : Santiago Dolan. 1h50.

Interprètes : Marcelo Subiotto. Leonardo Sbaraglia. Julieta Zylberberg. Alejandra Flechner. Andrea Frigerio. Mara Bestelli. Valentinz Posleman.

Professeur mélancolique, maladroit et introverti, Marcelo Pena enseigne depuis des années la philosophie à l’Université de Buenos Aires ( qu’on surnomme Puan, du nom de la rue où se trouve la Faculté de Philosophie et de Littérature de Buenos Aires). Comme tous les autres professeurs, il peine à gagner sa vie. Son ami et mentor Caselli meurt au début du film en faisant du footing. Pena est pressenti pour reprendre sa chaire. Mais un autre candidat débarque, Rafael Sujarchuk. Il est séduisant et charismatique. Cette ancienne connaissance de Marcelo, spécialiste de Heidegerr et fiancé à une jeune actrice à la mode, est décidé lui aussi à briguer le poste. Pena défend son université, se remet en question et surmonte peut-être sa crise existentielle en Bolivie.

Les différentes mésaventures de Marcelo sont toujours clôturées par une fermeture à l’iris comme dans les vieux films. Un des mérites du film c’est qu’il n’y a pas un seul point de vue. Le discours n’est pas fermé. Le spectateur reste libre.

Marcelo Subiotto.

Ce film reflète aussi les luttes actuelles en Argentine pour la défense des services publics et de l’éducation. En effet, sa sortie a précédé d’un mois et demi l’élection à la présidence, le 19 novembre 2023, de Javier Milei, ultralibéral d’extrême-droite qui considère les universités publiques comme des centres d’endoctrinement de gauche. El Profesor a anticipé la mobilisation actuelle des étudiants (Voir Le Monde du 19 mars 2024. En Argentine, les universités et les instituts de recherche au bord de l’effondrement ). Javier Milei menace aussi d’annuler tous les fonds destinés au cinéma et à la culture en général.

https://www.lemonde.fr/sciences/article/2024/03/19/en-argentine-les-universites-et-les-instituts-de-recherche-au-bord-de-l-effondrement_6222828_1650684.html

A la fin du film, Marcelo Pena chante un célèbre tango de 1937, Niebla del Riachuelo de Juan Carlos Cobián et d’Enrique Cadícamo. Il avait été d’abord écrit pour le film de Luis Saslavky (1903-1995), La fuga (1937), et interprété par l’actrice Tita Merello (1904-2002)

Il a été repris par la suite par les plus grands chanteurs de tango. La version la plus célèbre reste celle de Roberto Goyeneche, El Polaco (1926-1994).

Roberto Goyeneche.

Niebla del Riachuelo

Turbio fondeadero donde van a recalar,
Barcos que en el muelle para siempre han de quedar,
Sombras que se alargan en la noche del dolor,
Náufragos del mundo que han perdido el corazón,
Puentes y cordajes donde el viento viene a aullar,
Barcos carboneros que jamás han de zarpar,
Torvo cementerio de las naves que al morir,
Sueñan, sin embargo, que hacia el mar han de partir.

Niebla del Riachuelo!
Amarrado al recuerdo
Yo sigo esperando.
Niebla del Riachuelo!
De ese amor, para siempre
Me vas alejando.

Nunca más volvió.
Nunca más la vi.
Nunca más su voz nombró mi nombre junto a mí
Esa misma voz que dijo: Adiós!

Sueña marinero, con tu viejo bergantín.
Bebe tus nostalgias en el sordo cafetín.
Llueve sobre el puerto, mientras tanto mi canción
Llueve lentamente sobre tu desolación.

Anclas que ya nunca, nunca más han de levar,
Bordas de lanchones sin amarras que soltar,
Triste caravana sin destino ni ilusión,
Como un barco preso en la botella del figón.

Niebla del Riachuelo!
Amarrado al recuerdo
Yo sigo esperando
Niebla del Riachuelo!
De ese amor, para siempre
Me vas alejando.
Nunca más volvió.
Nunca más la vi.
Nunca más su voz nombró mi nombre junto a mí.
Esa misma voz que dijo: Adiós!

Brouillard du Riachuelo

Sombre mouillage où s’échouent
Des bateaux qui pour toujours resteront à quai,
Ombres qui grandissent dans la nuit des douleurs,
Naufragés d’un monde qui ont perdu leur âme,
Ponts et cordages où le vent vient hurler
Navires charbonniers qui jamais ne lèveront l’ancre,
Sinistre cimetière de bateaux qui en mourant,
Rêvent encore qu’ils prennent la mer.

Brouillard du Riachuelo !
Ancré dans ma mémoire
Je continue d’attendre.
Brouillard du Riachuelo !
De cet amour, pour toujours
Tu m’éloignes.

Elle n’est jamais revenue,
Jamais je ne l’ai revue :
Plus jamais sa voix n’a murmuré mon nom près de moi,
Cette même voix qui m’a dit : adieu.

Rêve, marin, de ton vieux brigantin,
Bois tes regrets dans ton bistrot silencieux,
Il pleut sur le port, alors que ma chanson
Pleut lentement sur ton désespoir.

Ancres qui jamais, jamais plus ne seront levées
Plats-bords des bacs sans plus d’amarres à larguer.
Triste caravane sans destin ni illusion,
Comme un bateau enfermé dans une bouteille de troquet.

Brouillard du Riachuelo !
Ancré dans ma mémoire
Je continue d’attendre.
Brouillard du Riachuelo !
De cet amour, pour toujours
Je m’éloigne.
Elle n’est jamais revenue,
Jamais je ne l’ai revue.
Plus jamais sa voix n’a murmuré mon nom près de moi.
Cette même voix qui a dit : Adieu !

https://www.youtube.com/watch?v=33yqvtHVml4 (Roberto Goyeneche)

https://www.youtube.com/watch?v=BlCMhq2dpfw (Tita Morello)

https://www.youtube.com/watch?v=CGAlDwIZ0U4 (Susana Rinaldi)

La fuga (Luis Saslavsky). 1937.

Oviedo (Asturias) III

Universidad de Oviedo. Jardín del Edificio Histórico. Busto de Isabel II (Francisco Pérez del Valle 1804-1884) 1846-1859.

Lors de la Révolution de 1868 (appelée la Gloriosa, la Revolución de Septiembre ou la Septembrina), le buste de la reine Isabel II fut traîné dans les rues d’Oviedo avec une corde au cou. On le retrouve aujourd’hui dans un patio fleuri de l’Université d’Oviedo, près d’une plaque où figure un poème d’Ángel González (1925-2008) qui m’a fait sourire.

Universidad de Oviedo. Jardín del Edificio Histórico. Empleo de la nostalgia (Ángel González in memoriam). 2008.

Empleo de la nostalgia

Amo el campus
universitario,
sin cabras,
con muchachas
que pax
pacem
en latín,
que meriendan
pas pasa pan
con chocolate
en griego,
que saben lenguas vivas
y se dejan besar
en el crepúsculo
(también en las rodillas)
y usan
la cocacola como anticonceptivo.

Ah las flores marchitas de los libros de texto
finalizando el curso
deshojadas
cuando la primavera
se instala
en el culto jardín del rectorado
por manos todavía adolescentes
y roza con sus rosas
manchadas de bolígrafo y de tiza
el rostro ciego del poeta
transustanciándose en un olor agrio
a naranjas

Homero

o semen

Todo eso será un día
materia de recuerdo y de nostalgia.
Volverá, terca, la memoria
una vez y otra vez a estos parajes,
lo mismo que una abeja
da vueltas al perfume
de una flor ya arrancada:

inútilmente.

Pero esa luz no se extinguirá nunca:
llamas que aún no consumen
…ningún presentimiento
puede quebrar ]as risas
que iluminan
las rosas y ]os cuerpos
y cuando el llanto llegue
como un halo
los escombros
la descomposición
que los preserva entre las sombras
puros
no prevalecerán
serán más ruina
absortos en sí mismos
y sólo erguidos quedarán intactos
todavía más brillantes
ignorantes de sí
esos gestos de amor…
sin ver más nada.

Procedimientos narrativos, La isla de los ratones, Santander, 1972.

https://m.poesi.as/reciag72111.htm

Ángel González.

Ángel González Muñiz est né le 6 septembre 1925 à Oviedo.

Son enfance est marquée par la mort de son père, professeur de sciences et de pédagogie à l’école normale d’Oviedo en 1927 alors qu’il n’a que dix-huit mois. Sa situation familiale s’aggrave encore lorsque, pendant la Guerre civile espagnole, son frère Manuel est fusillé par les franquistes en novembre 1936. Son autre frère, Pedro, républicain aussi, doit s’exiler. Sa soeur Maruja ne peut plus exercer son métier d’institutrice.

La tuberculose l’empêche de terminer ses études de droit. Il devient ensuite fonctionnaire, puis professeur de littérature espagnole contemporaine aux États-Unis.

il fait partie du groupe de poètes appelé « Génération de 50 » ou « Génération du milieu du siècle » qui compte aussi José Ángel Valente, Jaime Gil de Biedma, Carlos Barral, José Agustín Goytisolo, José Manuel Caballero Bonald, Claudio Rodríguez, Francisco Brines…

En 1985, il reçoit le prix Prince des Asturies de littérature. En janvier 1996, il est élu membre de l’Académie royale espagnole. La même année, il obtient le Prix Reina Sofía de Poésie ibéroaméricaine.

Il meurt le 12 janvier 2008 d’une insuffisance respiratoire à l’âge de 82 ans.

Son ami, le poète Luis García Montero, aujourd’hui directeur de l’Institut Cervantes, a publié en 2008 Mañana no será lo que Dios Quiera, une biographie romancée d’Ángel González à partir des conversations qu’il a eues avec lui à la fin de sa vie.

On peut lire en français Automnes et autres lumières (Otoños y otras luces), poèmes, bilingue français – espagnol, traduction et présentation de Bénédicte Mathios. L’Harmattan, 2013.