Paco Ibáñez

Paco Ibáñez.

Paco Ibáñez vient d ‘avoir 90 ans le 20 novembre dernier. Cela ne l’empêche pas de commencer bientôt une mini-tournée : Barcelone le 16 janvier ( Palau de la Música ), Madrid le 27 janvier ( Teatro Coliseum ), Bilbao le 15 février ( Teatro Campos Elíseos) ainsi qu’un recital à Paris dont la date et le lieu restent à préciser.

Voir l’article de Borja Hermoso dans El País du 10/01/2024. “Paco Ibáñez, el juglar rojo: “Ya no hay indignación, ya no hay opinión, todo es yo, el ‘yoismo’!”

La más bella niña (Luis de Góngora). 1580. ” Dejadme llorar/orillas del mar “

” La poesía es como el mar, pregúntale al mar qué piensa de la crisis económica, social, cultural o moral…El mar está ahí y si quieres acercarte te recibirá con los brazos abiertos, y la poesía es igual. Si tú te alejas de la poesía, ella seguirá viviendo y siempre estará esperando.” (Paco Ibáñez. El País, 16 novembre 2024)

Luis de Góngora (Diego Velázquez). 1622. Boston, Musée des Beaux-Arts.

Vicente Aleixandre

Prix Nobel de littérature 1977

Subida a la alcazaba

Subir por esa escala, callando, hacia arriba, hacia la luz.

Alcazaba mía malagueña!

Subir por la sombra, presintiendo arriba todavía el agua antigua de la fuente que fluye.

Subir con el corazón que ahora sufre, solo, creído.

Quién encontrara, niño que fui y que, acodado, veías

el vasto paisaje de Málaga, leve en las luces!

Quién supiera que arriba estabas, solo asomado!

La mejilla en la mano, sobre la piedra, el pecho en la piedra.

Y unos ojos serenos, todavía nacientes, puros, mirando.

Subir por esta escala muda, sin ruido en la sombra.

Subir apresurándose, casi como un sueño dichoso, con el corazón oprimido pero esperando.

Y saber que arriba está el niño que fuera, que fue, que dura y contempla.

Masa de tiempo dulce, sí, suspendido.

sobre una Málaga que volaba, blanda en las luces.

Y asomar y un instante verle, quieto, concreto,

con su rostro en su mano niña, y el aire, y oír el agua.

Y cerrar poco a poco los ojos – Málaga, quién te mira! –

y abrirlos luego despacio, leve – y otra vez el agua…-,

ahora niño claro que aquí acodado, puro, contempla.

(poème publié dans la revue de poésie de Málaga Caracola n•10. Août 1953.)

Málaga. Port. Alcazaba.

Federico García Lorca – Ángel González

Federico García Lorca. La Barraca.

De otro modo (Federico García Lorca)

La hoguera pone al campo de la tarde,

unas astas de ciervo enfurecido.

Todo el valle se tiende. Por sus lomos,

caracolea el vientecillo.

El aire cristaliza bajo el humo.

Ojo de gato triste y amarillo?

Yo en mis ojos, paseo por las ramas.

Las ramas se pasean por el río.

Llegan mis cosas esenciales.

Son estribillos de estribillos.

Entre los juncos y la baja tarde,

qué raro que me llame Federico!

Canciones, 1921-1924.

La traduction d’Andre Belamich ne me convainc pas du tout.

D’une autre façon

À la plaine du soir le feu de joie

met des ramures de cerf en furie.

Tout le vallon repose. Sur son dos

caracole un léger zéphyr.

L’air s’affine en cristal sous la fumée

comme un œil de chat jaune et triste.

Moi dans mes yeux je me promène

par le feuillage qui s’en va le long des rives.

Il atteint mille choses essentielles

– ritournelles de ritournelles-

Parmi l’arrière-soir peuplé de joncs

” Federico “, curieux que j’aie ce nom.

Àngel González se souvient de Federico…

De otro modo (Ángel González)

Cuando escribo mi nombre,

lo siento cada día más extraño.

Quién será ése?

me pregunto.

Y no sé qué pensar.

Ángel.

Qué raro.

Deixis en fantasma, 1992.

Angel Gonzalez.

César Vallejo

Balzac (Auguste Rodin). Variante de l’étude finale. 1897. Plâtre. Paris, Musée Rodin. (CFA. Photo prise au Musée Bourdelle à Paris. Exposition Rodin / Bourdelle. Corps à corps)

Nathalie de Courson a publié le 27 décembre 2024 sur son blog (Patte de mouette) un texte qu’elle a intitulé Robes de chambre. J’ai relu peu de temps après le poème de Vallejo Dos niños anhelantes.

https://patte-de-mouette.fr/2024/12/27/robes-de-chambre/

” Es la vida no más, de bata y yugo. ” Les traductions de François Maspero et de Gérard de Cortanze sont assez décevantes. La bata a disparu. Elle devient chemise et corsage. Je ne leur jette pas la pierre. César Vallejo est très difficile, sinon impossible à traduire. La meilleure version est, selon moi, celle de Nicole Réda-Euvremer. (Poésie complète 1919-1937. Flammarion, 2009). Je ne l’ai pas sous la main en ce moment et je ne sais pas ce qu’elle propose.

Dos niños anhelantes (César Vallejo)

No. No tienen tamaño sus tobillos; no es su espuela
suavísima, que da en las dos mejillas.
Es la vida no más, de bata y yugo.

No. No tiene plural su carcajada,
ni por haber salido de un molusco perpetuo, aglutinante,
ni por haber entrado al mar descalza,
es la que piensa y marcha, es la finita.
Es la vida no más; sólo la vida.

Lo sé, lo intuyo cartesiano, autómata,
moribundo, cordial, en fin, espléndido.
Nada hay
sobre la ceja cruel del esqueleto;
nada, entre lo que dio y tomó con guante
la paloma, y con guante,
la eminente lombriz aristotélica;
nada delante ni detrás del yugo;
nada de mar en el océano
y nada
en el orgullo grave de la célula.
Sólo la vida; así: cosa bravísima.

Plenitud inextensa,
alcance abstracto, venturoso, de hecho,
glacial y arrebatado, de la llama;
freno del fondo, rabo de la forma.
Pero aquello
para lo cual nací ventilándome
y crecí con afecto y drama propios,
mi trabajo rehúsalo,
mi sensación y mi arma lo involucran.
Es la vida y no más, fundada, escénica.

Y por este rumbo,
su serie de órganos extingue mi alma
y por este indecible, endemoniado cielo,
mi maquinaria da silbidos técnicos,
paso la tarde en la mañana triste
y me esfuerzo, palpito, tengo frío.

2 de noviembre de 1937.

Poemas humanos, 1939.

Ardents désirs de deux enfants

Non. Leurs chevilles n’ont pas d’épaisseur ; ce n’est pas leur éperon
très doux, qui frappe les deux joues.
C’est la vie, rien de plus, avec joug et chemise.

Non. Leur rire n’a pas de pluriel,
même sorti d’un perpétuel, agglutinant mollusque,
même entré dans la mer pieds nus,
C’est un rire qui pense et qui marche, un rire fini.
C’est la vie, rien de plus ; seulement la vie.

Cela je le sais, je le sens ; cartésien, automatique,
moribond, cordial, splendide enfin.
Il n’y a rien
sur le cil cruel du squelette,
rien entre ce qu’a donné et pris,
avec un gant, la colombe,
et un gant, encore,
l’éminent lombric aristotélicien ;
rien devant ni derrière le joug ;
rien, ni mer ni océan,
rien dans la fierté sévère de la cellule.
Seulement la vie, telle qu’elle est ; âpre et belle.

Plénitude bornée,
portée abstraite, bénéfique, en fait,
glaciale et impétueuse, de la flamme ;
mots du fond, queue de la forme.
Mais ce pour quoi
je suis né, emplissant mes poumons,
et j’ai grandi entouré de tendresse et de drame,
mon travail le refuse,
mes sens et mon arme le figent.
C’est la vie, rien de plus, solide, scénique.

Et sur ce chemin
mon âme éteint sa série d’organes
et sous ce ciel indicible possédé du démon,
ma machinerie lance des sifflements techniques,
je passe la soirée dans la matinée triste
et je me débats, je palpite, j’ai froid.

2 novembre 1937.

Poèmes humains. Éditions du Seuil, 2011. Traduction François Maspero.

Deux enfants haletants

Non. Ses chevilles n’ont pas d’épaisseur ; ce n’est pas son éperon
si doux, qui touche ses deux joues.
C’est la vie, c’est tout, avec joug et corsage.

Non. Son éclat de rire n’a plus de pluriel,
ni pour être sorti d’un mollusque perpétuel, agglutinant,
ni pour être entré dans la mer déchaussée,
elle est qui pense et qui marche, elle est finie.
Elle est la vie, c’est tout ; rien que la vie.

Je le devine, par intuition, cartésien, automate,
moribond, cordial, splendide enfin.
Il n’y a rien
sur le sourcil cruel du squelette ;
rien, entre ce que donna et prit avec un gant
la colombe, et avec un gant,
l’éminent lombric aristotélicien ;
rien devant ni derrière le joug ;
rien de la mer dans l’océan
et rien
dans l’orgueil grave de la cellule.
Rien que la vie ; ainsi : très dure.

Plénitude inétendue
portée abstraite, heureuse, en fait,
glaciale et emportée, de la flamme ;
frein du fond, queue de la forme.
Mais même cela
Pourquoi je suis né en me ventilant
et pourquoi je grandis avec mon affection et mon drame propres,
mon travail le refuse,
ma sensibilité et mon arme l’involucrent.
C’est la vie, c’est tout, fondée et théâtrale.

Et en suivant cette direction
mon âme éteint sa série d’organes
et en suivant cet indicible, ciel démoniaque,
ma machinerie lance des sifflements techniques,
j’ai vu l’après-midi dans le matin triste
et je m’évertue, je palpite, je grelotte.

2 novembre 1937.

Poésie complète. Traduction Gérard de Constanze. Flammarion, 1983.

Buste de César Vallejo Busto (Miguel Baca Rossi). Madrid. Parque del Oeste. Paseo del Pintor Rosales. (CFA)

Paul Éluard – Louis Aragon

D’août 1922 à juillet 1924, Paul Éluard, Gala et Max Ernst vivent ensemble à Saint-Brice, puis à Eaubonne (Val d’Oise). Aragon est un témoin privilégié de l’hiver 1923-1924 pendant lequel Éluard est désespéré et fuit souvent le domicile conjugal.

Nudité de la vérité (Paul Eluard)

” Je le sais bien. “

Le désespoir n’a pas d’ailes,
L’amour non plus,
Pas de visage,
Ne parlent pas,
Je ne bouge pas,
Je ne les regarde pas,
Je ne leur parle pas
Mais je suis bien aussi vivant que mon amour et que mon désespoir.

Avril 1924.

Capitale de la douleur. Mourir de ne pas mourir. Gallimard, 1926.

« Paul Éluard quitta Paris brutalement le 24 mars 1924, avec l’idée de tout quitter et de faire le tour du monde. Il rentrera des mers du Sud en octobre de la même année. L’auteur de Roman inachevé avait évoqué cet épisode deux ans plus tôt, non sans erreurs de dates, dans le numéro des Lettres françaises du 20 novembre 1952, paru en hommage à Eluard après sa mort : « En 1926, est-ce que c’était bien en 1926 ? Il était déjà parti une fois. Ce petit univers de clameurs lui était devenu insupportable. Il m’avait pris pour confident, moi, de tous ses amis. Le dernier soir, la dernière nuit, nous les avions passées ensemble. Ce qu’il m’a dit alors, au juste, je ne l’ai jamais répété, je ne le répéterai jamais. C’était au temps où régnait le romantisme des départs. Il allait partir, il savait qu’on dirait, qu’on interpréterait… cela lui faisait horreur. Il m’avait laissé cette mission : casser les pattes à l’idéalisation de ce départ, ne pas permettre qu’on en fît un plat… Il disait ces mots avec rage. Tous simplement, il allait voyager, voyager. Ici, il ne voyait plus devant lui. » (repris dans L’Homme communiste II. Gallimard, 1953) » (Aragon, Oeuvres poétiques complètes II. Bibliothèque de la Pléiade, 2007).

« …Éluard a fini par choisir les mers du Sud. Il part pour Nice, ne s’embarque à Marseille, à bord de l’Antinoüs (!) que le 15 avril à destination de Tahiti où il débarquera le 30 mai. » (Olivier Barbarant, Victor Laby. Paul Eluard comme un enfant devant le feu. Editions Seghers, 2024.

Puis ce sera les îles Cook, la Nouvelle Zélande, Java, Sumatra, Ceylan. Max Ernst et Gala le rejoignent à Singapour. Paul Eluard et Gala débarquent seuls à Marseille le 27 septembre 1924. Un voyage peu glorieux , mais qui aura mis fin à une pente suicidaire pour le poète.

Monumento a Gala. La Punta de Torremolinos. Costa del Sol.

Le Mot « vie » (Aragon)

Nous avions parlé notre nuit Je l’ai mené jusqu’à la gare
Paul Éluard quittait Paris et sa vie un matin hagard
On ne connaîtra jamais du film que la scène des adieux

Adieu tu ne retourneras jamais à Sarcelles-Saint-Brice 
Paul une maison peinte dans Ithaque attendait-elle Ulysse
Tandis qu’autour de son esquif la mer se faisait mélopée

À toi de t’en aller par les atolls hantés de la Sirène
Tu ne monteras plus ici dans les balançoires foraines
Tu ne reverras plus les Gertrud Hoffman Girls croisant l’épée

L’aurore tous les jours se lèvera sans toi rue des Martyrs
Ne te retourne pas sur cette ville en feu Tu peux partir
Comme un faucheur derrière lui qui laisse les foins et la faux

Tu m’as dit en dernier je ne veux pour rien au monde qu’on brode
Sur les raisons de mon départ Va-t’en tranquille aux antipodes
C’est juré Je rirai de tout Je t’injurierai s’il le faut

Le Roman inachevé. Gallimard, 1956.

René Char

Nous avons vu samedi 30 novembre 2024 au Musée d’Art Moderne de Paris la très riche exposition L’Âge atomique. Les artistes à l’épreuve de l’histoire. (du 11 octobre 2024 au 09 février 2025).

https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/les-midis-de-culture/les-midis-de-culture-la-critique-emission-du-jeudi-17-octobre-2024-4106516

Malgré son refus de toute forme de littérature engagée, en 1965-1966, René Char participe activement au mouvement contre l’installation de missiles à tête nucléaire sur le plateau d’Albion, non loin d’Apt et de Céreste, où depuis les années de résistance le poète garde de fortes attaches.

La Provence Point Oméga. 1965. Livre. Imprimerie Union. Paris, Centre Pompidou. Bibliothèque Kandinsky.

En novembre 1965, il manifeste son refus de cette implantation en Haute-Provence. Il n’hésite pas à organiser rapidement des manifestations contre le projet et fait éditer à 2 000 exemplaires une petite brochure (avec 60 exemplaires tirés à part et signés) dans laquelle il dénonce violemment le danger atomique. L’affiche homonyme est imprimée en février 1966 avec un texte remanié et une illustration de Pablo Picasso.

La Provence point Oméga (Pablo Picasso). 19 février 1966.


Un tirage réimposé à 45 exemplaires, sur papier Auvergne, est réalisé, imprimé par l’imprimerie Union. Elle est publiée le 7 mai 1966 dans Le Provençal et le 1er juin 1966 dans La Marseillaise, journal communiste. Avec le rassemblement organisé à Fontaine-de-Vaucluse le 5 juin 1966 autour du poète, cette affiche est restée un symbole. Les partisans de la militarisation sont des adeptes déclarés d’une certaine forme de modernisation économique, technique et militaire, leurs adversaires ont d’autres discours. C’est notamment le cas de René Char, qui, en s’élevant contre la « ruine d’Albion », s’érige aussi en critique de ces croyances. « La science ne peut fournir à l’homme dévasté qu’un phare aveugle, une arme de détresse, des outils sans légende. Au plus dément : le sifflet de manœuvres » La Provence point oméga sera distribué sous forme de tracts et paraîtra en quatrième de couverture, en avril 1966, dans la revue Partisans, édité par François Maspéro.

La Provence point oméga (René Char)

Que les perceurs de la noble écorce terrestre d’Albion

mesurent bien ceci : nous ne nous battons pour un site où la

neige n’est pas seulement la louve de l’hiver mais aussi

l’aulne du printemps. Le soleil s’y lève sur notre sang

exigeant et l’homme n’est jamais en prison chez son

semblable. À nos yeux ce site vaut mieux que notre pain, car

il ne peut être, lui, remplacé.

La Provence Point Oméga, d’après un dessin original de Pablo Picasso. Texte de René Char. 1966. Affiche. Paris BnF.

José Corti – René Char

Je lis les Souvenirs désordonnés de José Corti (… – 1965). Éditions José – Corti, 1983. 10-18, 2003.

Une anecdote a retenu mon attention. Le grand éditeur raconte sa brouille avec Paul Éluard dont il était l’ami depuis au moins vingt ans. La cause : “… J’avais persiflé Aragon. ” Paul Éluard lui avait répondu ainsi : ” Attaquer Aragon, c’est m’attaquer moi-même. ” Plus tard, le poète refusa d’écrire un hommage à Dominique Corti, mort en camp de concentration que lui avait demandé Yvonne Desvignes (1901-1981), responsable des Éditions de Minuit. José Corti s’adressa alors à René Char. Dominique Corticchiato figure au Panthéon dans la liste des 158 Écrivains morts pour la France pendant la guerre de 1939-1945.

[ Le portrait de Dominique Corti 13 janvier 1925 – 1944]

[Sous lieutenant Joco dans le réseau Marco-Polo, Dominique Corti est arrêté à 19 ans et déporté à Buchenwald puis Ellrich où il meurt. René Char lui rend hommage dans ce texte publié en 1947 dans le recueil Cinq parmi d’autres publié aux Editions de Minuit en 1947]

Dominique Corticchiato (Dominique Corti)

Ceux qui pensent que l’exagération et l’outrance sont toujours de rigueur dans les comptes rendus de la vie politique des peuples ont, durant onze années, haussé les épaules quand on leur affirmait que dans le plus grand quartier de l’Europe (l’Allemagne) on s’occupait à dresser, on installait dans sa fonction un formidable abattoir humain tel que l’imagination biblique se serait montrée incapable de le concevoir pour y loger ses impérissables démons et leurs lamentables victimes. La réalité est la moins saisissable des vérités. Une sorte de vertu originelle pèse à ce point sur nous que nous accordons à l’instinct que le délire a consacré sous le nom de cruauté le bénéfice de la faute et, partant, du remords. Le bourreau ne sera qu’un passant d’exception. Rares seront ceux qui l’apercevront. À la main du diable préventivement, nous opposerons les deux doigts de Dieu… Mais LÀ-BAS?

Là-bas triomphe une horreur qui atteint d’emblée son âge d’or par la chute calculée en poussières vivantes du corps de l’homme vivant et de sa conscience vivante. L’infaillible nouvelle nature d’une race de monstres a pris sa place parmi les mortels. Plus contagieuse que l’inondation, la chose court le monde, reconnaissant et annexant les siens. Cependant au cœur de notre brouillard, aussi peu discernable que les feux follets de la mousse, une poignée de jeunes êtres part à l’assaut de l’impossible.

Dominique Corti est né à Paris, le 13 janvier 1925. Discrètement ce jeune homme, cet enfant, va atteindre l’âge d’homme avec déjà autour de lui cette fugue de lumière propre à ceux dont la mission – qui prête à sourire – est d’« indiquer le chemin ». II ose ce qu’il veut, il sent ce qu’il doit faire.

À dix-neuf ans, il agit. II habite Paris, où le risque est le même au soleil que dans l’ombre. Dominique Corti, qui a traduit Le Château d’ Orante de Walpole, qui a écrit, en anglais, un texte étonnant : « La Littérature terrifiante en Angleterre, De Horace Walpole à Ann Radcliffe », se détourne de la réussite littéraire et fixe les yeux sur l’occupant auquel il va porter ses coups. Il adhère au réseau «Marco-Polo» et dès lors son destin est tracé. Son intelligence, son audace, son intuition militaire le font distinguer. Le 2 mai 1944, il est arrêté. Son père José Corti, et son admirable mère ne pourront désormais que tendre leurs mains vers la nuit où leur fils est enfermé. Fresnes, du 2 mai au 15 août. Puis Buchenwald, Ellrich… le dernier train de déportés parti de France a emporté dans ses wagons l’un des meilleurs fils du vieux pays disloqué…

Dominique Corti, toi sur qui l’avenir comptait tant, tu n’as pas craint de mettre le feu à ta vie… Nous errerons longtemps autour de ton exemple. II faut revenir. « J’adresse mon salut à tous les hommes libres », t’es-tu écrié. II faut revenir. Tout est à recommencer. »

1946

Cinq parmi d’autres 47. Éditions de Minuit, 1947.

Repris dans Recherche de la base et du somme I. Pauvreté et privilège. Gallimard, 1955.

Antonio Machado

(En réponse au compte Facebook de Marie Paule et Raymond Farina)

On oublie souvent l’humour d’Antonio Machado, sa “socarronería” On l’évoque le plus souvent seulement comme un saint laïc. On oublie ainsi l’homme qu’il était.

Las moscas (Antonio Machado )

Vosotras, las familiares,
inevitables golosas,
vosotras, moscas vulgares,
me evocáis todas las cosas.

¡Oh, viejas moscas voraces,
como abejas en abril,
viejas moscas pertinaces
sobre mi calva infantil!

¡Moscas del primer hastío
en el salón familiar,
las claras tardes de estío
en que yo empecé a soñar!

Y en la aborrecida escuela,
raudas moscas divertidas,
perseguidas
por amor de lo que vuela,

– que todo es volar -, sonoras
rebotando en los cristales
en los días otoñales…
Moscas de todas las horas,

de infancia y adolescencia,
de mi juventud dorada;
de esta segunda inocencia,
que da en no creer en nada,

de siempre… Moscas vulgares,
que de puro familiares
no tendréis digno cantor:
yo sé que os habéis posado

sobre el juguete encantado,
sobre el librote cerrado,
sobre la carta de amor,
sobre los párpados yertos
de los muertos.

Inevitables golosas,
que ni labráis como abejas,
ni brilláis cual mariposas;
pequeñitas, revoltosas,
vosotras, amigas viejas,
me evocáis todas las cosas.

Humorismos, Fantasías, Apuntes… (1899-1907)

Les mouches

Mouches familières,
inévitables et goulues,
mouches vulgaires, vous
évoquez pour moi toutes choses.

Oh ! vieilles mouches voraces
comme abeilles en avril,
vieilles mouches tenaces
sur mon crâne chauve d’enfant !

Mouches du premier vague à l’âme
dans le salon familial,
en ces claires soirées d’été
quand je commençais à rêver !

Et à l’école détestée,
mouches folâtres et rapides,
poursuivies
par amour de ce qui vole,

— car tout n’est que vol — bruyantes,
rebondissant sur les vitres,
les jours d’automne…
Mouches de toutes les heures,

d’enfance et d’adolescence,
de ma jeunesse dorée,
de cette seconde innocence
qui se targue de ne croire en rien,

de toujours… Mouches vulgaires,
si familières que nul ne saura
dignement vous chanter :
je sais, vous vous êtes posées

sur le jouet enchanté,
sur le bouquin fermé,
sur la lettre d’amour,
sur les paupières glacées
des morts.

Inévitables et goulues,
non pas diligentes comme les abeilles,
ni, comme les papillons, brillantes ;
petites, espiègles,
vous, mes vieilles amies,
évoquez pour moi toutes choses.

Champs de Castille précédé de Solitudes, Galeries et autres poèmes et suivi des Poésies de la guerre. 2004. Traduction de Sylvie Léger et Bernard Sesé. NRF Poésie/ Gallimard n°144.

Madrid. Librería Antonio Machado. Plaza de las Salesas, 11. (CF)

Juan Guerrero Ruiz et La Génération de 1927

Algunos de los retratos de la colección Juan Guerrero.
(Inmaculada Guarinos. Museo Ramón Gaya)

Un article de El País du 21 novembre 2024 nous apprend qu’une donation privée a permis de faire réapparaître 1 131 négatifs, parmi eux de nombreuses photographies de Federico García Lorca, Rafael Alberti, Jorge Guillén, Luis Cernuda, Manuel Altolaguirre, Vicente Aleixandre, Pedro Salinas, Gabriel Miró ou Juan Ramón Jiménez. Elles sont inédites.

Leur auteur : Juan Guerrero Ruiz. Né à Murcie en 1893, il fait des études de droit à Grenade, puis à Madrid. Il se rend dans la capitale en mai 1913 pour rencontrer Juan Ramón Jiménez, poète qu’il admire profondément. Il est considéré comme le protecteur de la génération de 1927. Il a fait preuve toute sa vie d’une grande activité de promotion de la culture.En 1923, il crée en 1923 dans sa ville natale le supplément littéraire Página Literaria et en 1927, en collaboration avec Jorge Guillén, la revue Verso y Prosa. C’est dans celle-ci que Federico García Lorca publie le premier Romancero gitano en 1928 avec cette dédicace : “A Juan Guerrero, cónsul general de la poesía”. Dans ses archives figurent de nombreuses photos du poète de Grenade, seul ou accompagné des autres membres de la génération de 1927. Juan Guerrero traduit et fait connaître en Espagne James Joyce, D. H. Lawrence, Valery Larbaud. Il joue souvent le rôle de secrétaire particulier de Juan Ramón Jiménez. Il sauve ainsi de la destruction de nombreux manuscrits et papiers personnels que le poète de Moguer, partie en exil, avait laissé dans son appartement de Madrid, pillé et saccagé par des militants phalangistes à la fin de la Guerre civile. Il meurt d’un cancer à Madrid en 1955.

Juan Guerrero a gardé pendant des années dans une grande boîte orange des négatifs et des photographies de sa famille, de ses amis et de ses voyages en Espagne. Certains sont datés, d’autres non. Ils couvrent une longue période qui va de 1927 à 1953. 567 négatifs représentent des paysages ou des villes des différentes régions d’Espagne. 113 images concernent sa famille. Pour le reste, il s’agit de photographies de personnages célèbres : écrivains, peintres, sculpteurs, hommes politiques.

Guadalupe Ríos les a reçus dans les années 60 des mains de la veuve de Juan Guerrero, Ginesa Aroca García. Elle vient de les léguer au Musée Ramón Gaya de Murcie. Elle a reçu les conseils et l’aide du critique d’art et historien Juan Manuel Bonet qui a dirigé dans le passé l’IVAM (Instituto Valenciano de Arte Moderno) et ensuite le Museo Nacional Centro de Arte Reina Sofía de Madrid.

La caja de pudin en la que estaban los negativos. (Museo Ramón Gaya de Murcia).

Una donación privada saca a la luz en Murcia cientos de fotos inéditas de la generación del 27

El Museo Gaya recibe el archivo de Juan Guerrero, con 1.131 negativos de retratos de Lorca, Alberti, Guillén, Cernuda o Juan Ramón Jiménez.

https://elpais.com/cultura/2024-11-21/una-donacion-privada-saca-a-la-luz-en-murcia-cientos-de-fotos-ineditas-de-la-generacion-del-27.html

Bibliographie

Juan Guerrero Ruiz. Vida literaria y epistolario inédito. Murcia, Academia Alfonso X el Sabio, 1986.

Juan Ramón de viva voz. Ínsula, 1961.

Juan Ramón de viva voz. Volumen I. (1913 – 1931) Juan Ramón de viva voz. Volumen II (1932 – 1936). Pre-textos/Museo Ramón Gaya, 1998 y 1999.

DVD. El deseo y la realidad. Imágenes y palabras de los poetas del 27, 2009. Documentaire de l’ Institut Cervantes et de la maison de production Ojomóvil.

https://videos.cervantes.es/el-deseo-y-la-realidad-imagenes-y-palabras-de-los-poetas-del-27/

Miguel de Unamuno (Museo Ramón Gaya de Murcia)

Rafael Alberti

Je remercie Marie Paule et Raymond Farina qui publient jour après jour sur Facebook des textes qui font du bien : aujourd’hui le poème Oda a la bicicleta de Pablo Neruda.

https://www.facebook.com/profile.php?id=100008812303816

Il m’a rappelé Balada de la bicicleta con alas de Rafael Alberti qui figurait dans le temps dans les manuels scolaires d’espagnol.

Balada de la bicicleta con Alas (Rafael Alberti)

1

A los cincuenta años, hoy, tengo una bicicleta.
Muchos tienen un yate
y muchos más un automóvil
y hay muchos que también tienen ya un avión.
Pero yo,
a mis cincuenta años justos, tengo sólo una bicicleta.
He escrito y publicado innumerables versos.
Casi todos hablan del mar
y también de los bosques, los ángeles y las llanuras.
He cantado las guerras justificadas,
la paz y las revoluciones.
Ahora soy nada más que un desterrado.
Y a miles de kilómetros de mi hermoso país,
con una pipa curva entre los labios,
un cuadernillo de hojas blancas y un lápiz
corro en mi bicicleta por los bosques urbanos,
por los caminos ruidosos y calles asfaltadas
y me detengo siempre junto a un río,
a ver cómo se acuesta la tarde y con la noche
se le pierden al agua las primeras estrellas.

2

Es morada mi bicicleta
y alegre y plateada como cualquiera otra.
Mas cuando gira el sol en sus ruedas veloces,
de cada uno de sus radios llueven chispas
y entonces es como un antílope,
como un macho cabrío, largo de llamas blancas,
o un novillo de fuego que embistiera los azules del día.

3

¿Qué nombre le pondría hoy, en esta mañana,
después que me ha traído,
que me ha dejado sin decírmelo apenas
al pie de estas orillas de bambúes y sauces
y la miro dormida, abrazada de yerbas dulcemente,
sobre un tronco caído?

Cabra feliz de las pendientes.
Eral de las cañadas.
Niña escapada de la aurora.
Luna perdida.
Gabriel arcángel.
La llamaré con este frágil nombre.
Porque son sus dos alas blancas las que me llevan,
Anunciándome el aire de todos los caminos.

4

Yo sé que tiene alas.
Que por las noches sueña
en alta voz la brisa
de plata de sus ruedas.
Yo sé que tiene alas.
Que canta cuando vuela
dormida, abriendo al sueño
una celeste senda.
Yo sé que tiene alas.
Que volando me lleva
por prados que no acaban
y mares que no empiezan.
Yo sé que tiene alas.
Que el día que ella quiera,
los cielos de la ida
ya nunca tendrán vuelta.

Librería Rafael Alberti. Calle Tutor, 57. 28808 – Madrid. Merci à Lola Larumbe.

Ballade de la bicyclette ailée

1
À cinquante ans, aujourd’hui, j’ai ma bicyclette.
Beaucoup ont un yacht
et beaucoup plus encore ont une automobile ;
il en est même beaucoup qui ont déjà un avion.
mais moi,
à cinquante ans tout juste, je n’ai qu’une bicyclette.
J’ai écrit et j’ai publié des vers sans nombre.
Presque tous parlent de la mer
et aussi des bois, des anges, des plaines.
J’ai chanté les guerres justifiées,
la paix et les révolutions.
et maintenant je ne suis plus qu’un exilé.
À des milliers de kilomètres de mon beau pays,
avec ma pipe courbe aux lèvres,
un petit bloc de feuillets blancs et un crayon,
je cours à bicyclette dans les bois urbains,
dans les chemins bruyants et les rues goudronnées,
et je m’arrête toujours près d’une rivière
voir comment se couche le soir, comment avec la nuit
se perdent dans les eaux les premières étoiles.

2
Elle est violette ma bicyclette,
joyeuse aussi et argentée comme toutes les autres.
mais quand le soleil tourne dans ses roues rapides,
chacun de ses rayons laisse pleuvoir des étincelles,
et alors elle ressemble à une antilope
ou à un bouc, un long bouc tout de flammes blanches,
ou un taurillon de feu fonçant droit sur les bleus du jour.

3
Quel nom lui donner ce matin
maintenant qu’elle m’a conduit
et qu’elle m’a laissé presque sans me le dire
au pied de cette rive de saules et de bambous,
tandis que je la regarde endormie, doucement caressée
par l’herbe, sur un tronc tombé ?
Courlis des bois.
Étoile filante des fées.
Toile d’araignée embrasés des sylphes.
Rose double du vent.
Marguerite bicorne des prairies.
Heureuse chèvre des versants.
Jeune taureau des gorges.
Fillette échappée de l’aurore.
Lune perdue.
Archange Gabriel.
Je vais l’appeler de ce nom fragile.
Car ce sont ses deux ailes blanches qui me portent,
en m’annonçant au vent de tous les chemins.

4
Je sais qu’elle a des ailes.
Et que chaque nuit rêve
à haute voix la brise
argentée de ses roues.
Je sais qu’elle a des ailes.
Qu’elle chante en volant,
dormeuse ouvrant au rêve
un céleste sentier.
Je sais qu’elle a des ailes.
Et que son vol m’emporte
parmi des prés sans fin
et des mers sans rivages.
Je sais qu’elle a des ailes.
Et qu’au jour de son choix
les cieux de notre aller
n’auront plus de retour.

Traduction: Claude Couffon.

Madrid (CF).