Lors de la Révolution de 1868 (appelée la Gloriosa, la Revolución de Septiembre ou la Septembrina), le buste de la reine Isabel II fut traîné dans les rues d’Oviedo avec une corde au cou. On le retrouve aujourd’hui dans un patio fleuri de l’Université d’Oviedo, près d’une plaque où figure un poème d’Ángel González (1925-2008) qui m’a fait sourire.
Empleo de la nostalgia
Amo el campus universitario, sin cabras, con muchachas que pax pacem en latín, que meriendan pas pasa pan con chocolate en griego, que saben lenguas vivas y se dejan besar en el crepúsculo (también en las rodillas) y usan la cocacola como anticonceptivo.
Ah las flores marchitas de los libros de texto finalizando el curso deshojadas cuando la primavera se instala en el culto jardín del rectorado por manos todavía adolescentes y roza con sus rosas manchadas de bolígrafo y de tiza el rostro ciego del poeta transustanciándose en un olor agrio a naranjas
Homero
o semen
Todo eso será un día materia de recuerdo y de nostalgia. Volverá, terca, la memoria una vez y otra vez a estos parajes, lo mismo que una abeja da vueltas al perfume de una flor ya arrancada:
inútilmente.
Pero esa luz no se extinguirá nunca: llamas que aún no consumen …ningún presentimiento puede quebrar ]as risas que iluminan las rosas y ]os cuerpos y cuando el llanto llegue como un halo los escombros la descomposición que los preserva entre las sombras puros no prevalecerán serán más ruina absortos en sí mismos y sólo erguidos quedarán intactos todavía más brillantes ignorantes de sí esos gestos de amor… sin ver más nada.
Procedimientos narrativos, La isla de los ratones, Santander, 1972.
Ángel González Muñiz est né le 6 septembre 1925 à Oviedo.
Son enfance est marquée par la mort de son père, professeur de sciences et de pédagogie à l’école normale d’Oviedo en 1927 alors qu’il n’a que dix-huit mois. Sa situation familiale s’aggrave encore lorsque, pendant la Guerre civile espagnole, son frère Manuel est fusillé par les franquistes en novembre 1936. Son autre frère, Pedro, républicain aussi, doit s’exiler. Sa soeur Maruja ne peut plus exercer son métier d’institutrice.
La tuberculose l’empêche de terminer ses études de droit. Il devient ensuite fonctionnaire, puis professeur de littérature espagnole contemporaine aux États-Unis.
il fait partie du groupe de poètes appelé « Génération de 50 » ou « Génération du milieu du siècle » qui compte aussi José Ángel Valente, Jaime Gil de Biedma, Carlos Barral, José Agustín Goytisolo, José Manuel Caballero Bonald, Claudio Rodríguez, Francisco Brines…
En 1985, il reçoit le prix Prince des Asturies de littérature. En janvier 1996, il est élu membre de l’Académie royale espagnole. La même année, il obtient le Prix Reina Sofía de Poésie ibéroaméricaine.
Il meurt le 12 janvier 2008 d’une insuffisance respiratoire à l’âge de 82 ans.
Son ami, le poète Luis García Montero, aujourd’hui directeur de l’Institut Cervantes, a publié en 2008 Mañana no será lo que Dios Quiera, une biographie romancée d’Ángel González à partir des conversations qu’il a eues avec lui à la fin de sa vie.
On peut lire en français Automnes et autres lumières (Otoños y otras luces), poèmes, bilingue français – espagnol, traduction et présentation de Bénédicte Mathios. L’Harmattan, 2013.
Leopoldo Alas est le grand romancier espagnol du XIX e siècle avec Benito Pérez Galdós (1843-1920). Son pseudonyme de journaliste et de critique était Clarín. On a retrouvé 2 300 articles de lui dans les journaux de l’époque.
Il est né le 25 avril 1852 à Zamora (Castilla y León) où son père avait été nommé gouverneur civil («Me nacieron en Zamora», disait-il). Leopoldo Alas obtient une chaire d’Économie Politique et de Statistique à Saragosse en 1882, puis de Droit Romain à Oviedo en 1883. Ce professeur progressiste et sceptique enseignera dans cette ville pendant dix-huit ans. Il est mort le 13 juin 1901.
Son œuvre principale, La Regenta, est un gros roman, publié en deux tomes en 1884 et 1885. L’action se déroule à Vetusta, une ville de province imaginaire qui ressemble beaucoup à Oviedo. Clarín y fait une critique acerbe de la société de la Restauration de la Monarchie d’Alfonso XII (1874), de la corruption politique, de l’inculture sociale et une féroce dénonciation des mœurs cléricales. Lors de sa publication, l’évêque d’Oviedo, Ramón Martínez Vigil, dans son bulletin diocésain d’ avril 1985, accuse l’écrivain de brigandage moral. Il dénonce « un roman saturé d’érotisme, et outrageant pour les pratiques chrétiennes. (« un libro saturado de erotismo, de escarnio a las prácticas cristianas»). L’auteur lui répond : « Mi novela es moral porque es sátira de malas costumbres. » De plus, des habitants de la ville se reconnaissent dans certains personnages du livre et y voient un roman à clef.
Est-ce que la ville, qu’on surnomme parfois “la bien novelada”, lui a pardonné aujourd’hui ces critiques ? Je ne pense pas. On trouve bien depuis 1997 une statue en bronze de La Regenta (Ana Ozores) sur la Place de la Cathédrale. Mais la ville d’Oviedo ne célèbre pas comme il le mérite la mémoire de cet auteur.
Clarín est aussi le père de Leopoldo García-Alas Argüelles (1883-1937), professeur de droit civil et recteur de l’ Université d’ Oviedo. Le 20 février 1937, les putschistes franquistes fusillent cet intellectuel républicain après une parodie de conseil de guerre. « Matan en mí la memoria de mi padre. », aurait-il dit en prison à un ami.
Le 4 mai 1931, le ministre de la Seconde République, Álvaro de Albornoz, inaugure un monument en l’honneur de Clarín dans le grand parc de la ville, El Campo de San Francisco, mais à la fin février 1937 les phalangistes de la ville le détruisent.
En 1953, Le maire franquiste d’Oviedo commande au sculpteur Victor Hevia Granda (1885-1957) un nouveau buste de l’écrivain. Il ne sera installé qu’en 1968. Mais la partie arrière du monument n’a jamais été restaurée. C’était une allégorie du sculpteur Manuel Álvarez Laviada (1892-1958) représentant « La Vérité dépourvue de toute hypocrisie (“La Verdad desprovista de toda Hipocresía”). Elle était représentée par une femme à moitié nue.
Ricardo Labra a publié récemment El caso Alas «Clarín». La memoria y el canon literario.(Colección Luna de abajo Alterna n°7.) qui fait le point sur Clarín et Oviedo.
Lo querían matar los iguales, porque era distinto.
Si veis un pájaro distinto, tiradlo; si veis un monte distinto, caedlo; si veis un camino distinto, cortadlo; si veis una rosa distinta, deshojadla; si veis un río distinto, cegadlo… si veis un hombre distinto, matadlo.
¿Y el sol y la luna dando en lo distinto?
Altura, olor, largor, frescura, cantar, vivir distinto de lo distinto; lo que seas que eres, distinto (monte, camino, rosa, río, pájaro, hombre): si te descubren los iguales, huye a mí, ven a mi ser, mi frente, mi corazón distinto.
Una colina meridiana, 1942-1950. Huerga y Fierro editores, 2003.
Juan Ramón Jiménez, Prix Nobel de littérature 1956.
Nous avons passé une semaine en Cantabrie et aux Asturies du 10 au 17 juin 2024. Magnifiques paysages de l’Espagne atlantique.
Dernier jour à Santander le 17 juin. Aujourd’hui, je classe mes photos et je pense au poète José Hierro (Quinta del 42). Le monument au poète se trouve sur la promenade de la Baie de Santander, entre le Club Maritime et le monument aux Raqueros.
Les 4 statues en bronze représentent 4 enfants. L’un est debout et regarde l’eau. Deux sont assis. Un plonge dans le port. Elles rendent hommage aux enfants pauvres qui, à la fin du XIXe et au début du XXe siècle, plongeaient dans l’eau froide de l’Atlantique pour récupérer des pièces de monnaie.
Ces vers sont inscrits dans la pierre du monument à José Hierro :
“Si muero, que me pongan desnudo, desnudo junto al mar. Serán las aguas grises mi escudo y no habrá que luchar.”
Junto al mar in Quinta del 42, 1952.
” Si je meurs, mettez-moi à nu, nu à côté de la mer. Les eaux grises seront mon bouclier et je n’aurai pas à lutter “.
Paseo
Sin ternuras, que entre nosotros sin ternuras nos entendemos. Sin hablarnos, que las palabras nos desaroman el secreto. ¡Tantas cosas nos hemos dicho cuando no era posible vernos! ¡Tantas cosas vulgares, tantas cosas prosaicas, tantos ecos desvanecidos en los años, en la oscura entraña del tiempo! Son esas fábulas lejanas en las que ahora no creemos. Es octubre. Anochece. Un banco solitario. Desde él te veo eternamente joven, mientras nosotros nos vamos muriendo. Mil novecientos treinta y ocho. La Magdalena. Soles. Sueños. Mil novecientos treinta y nueve, ¡comenzar a vivir de nuevo! Y luego ya toda la vida. Y los años que no veremos. Y esta gente que va a sus casas, a sus trabajos, a sus sueños. Y amigos nuestros muy queridos, que no entrarán en el invierno. Y todo ahogándonos, borrándonos. Y todo hiriéndonos, rompiéndonos. Así te he visto: sin ternuras, que sin ellas nos entendemos. Pensando en ti como no eres, como tan solo yo te veo. Intermedio prosaico para soñar una tarde de invierno.
Quinta del 42, 1952.
José Hierro est né le 3 avril 1922 à Madrid, mais a passé son enfance et son adolescence à Santander. Il a toujours eu la passion de la mer et a gardé un lien très fort avec sa région d’origine, la Cantabrie. Il doit abandonner ses études au début de la Guerre Civile. Son père, Joaquín Hierro, fonctionnaire du télégraphe, républicain, est emprisonné par les franquistes de 1937 à 1941. Lui-même se retrouve en prison en 1939 pour avoir donné son appui à une organisation d’aide aux prisonniers politiques. Il est jugé deux fois et condamné à douze ans et un jour de réclusion. Il connaîtra les prisons de Madrid (Comendadoras, Torrijos, Porlier), Palencia, Santander, Segovia et Alcalá de Henares. Son expérience poétique part de l’expérience extrême de l’après-guerre civile et de l’enfermement. Ses maîtres sont Lope de Vega, San Juan de la Cruz, Rubén Darío et Juan Ramón Jiménez. Il donnera le prénom de ce dernier à un de ses fils. Il a aussi beaucoup lu les poètes de la Génération de 1927 ainsi que Baudelaire, Mallarmé et Paul Valéry. Á sa sortie de prison le premier janvier 1944, José Hierro occupe de nombreux emplois alimentaires. Il épouse en 1949 María de los Ángeles Torres (décédée le 17 juin 2020). Ils ont eu quatre enfants. Il a obtenu en 1998 Prix Cervantès, le plus prestigieux de la littérature hispanique. Il devient membre de la Real Academia Española en 1999. Son recueil Cuaderno de Nueva York (Le Cahier de New York), publié en 1998 et qui regroupe trente trois poèmes, devient en Espagne un véritable best-seller. Il meurt le 21 décembre 2002 dans un hôpital madrilène à l’âge de 80 ans d’une insuffisance respiratoire. L’oeuvre de José Hierro est peu traduite en français. 1951 Poèmes. Pierre Seghers. Traduction Roger Noël-Mayer. 2014 Tout ce que je sais de moi. Circé. Traduction Emmanuel Le Vagueresse.
Charles Baudelaire. Œuvres complètes I, II. Coffret de deux volumes vendus ensemble. Édition publiée sous la direction d’André Guyaux et Andrea Schellino. Avec la collaboration d’Aurélia Cervoni, Antoine Compagnon, Romain Jalabert, Bertrand Marchal, Henri Scepi, Jean-Luc Steinmetz, Matthieu Vernet et Julien Zanetta. Préface d’Antoine Compagnon.
La nouvelle édition des Œuvres complètes de Charles Baudelaire est très utile. Elle innove puisque tous les textes sont publiés dans l’ordre chronologique. Le 10 septembre 1931, Charles Baudelaire fut le premier auteur à être publié dans la Bibliothèque de la Pléiade collection créée par Jacques Schiffrin, éditeur et traducteur (1892-1950).
Plaisir de passer d’un texte en prose à un texte en vers. La composition d’ ” Un hémisphère dans une chevelure ” (publié en août 1857) précède probablement celle de ” La Chevelure ” (publié en mai 1859). On remarquera la symétrie entre le poème en prose (sept paragraphes) et le poème en vers (sept strophes). Entrons dans ce monde onirique.
XVII
Un hémisphère dans une chevelure
Poème exotique
Laisse-moi respirer longtemps, longtemps, l’odeur de tes cheveux, y plonger tout mon visage, comme un homme altéré dans l’eau d’une source, et les agiter avec ma main comme un mouchoir odorant, pour secouer des souvenirs dans l’air.
Si tu pouvais savoir tout ce que je vois ! tout ce que je sens ! tout ce que j’entends dans tes cheveux ! Mon âme voyage sur le parfum comme l’âme des autres hommes sur la musique.
Tes cheveux contiennent tout un rêve, plein de voilures et de mâtures ; ils contiennent de grandes mers dont les moussons me portent vers de charmants climats, où l’espace est plus bleu et plus profond, où l’atmosphère est parfumée par les fruits, par les feuilles et par la peau humaine.
Dans l’océan de ta chevelure, j’entrevois un port fourmillant de chants mélancoliques, d’hommes vigoureux de toutes nations et de navires de toutes formes découpant leurs architectures fines et compliquées sur un ciel immense où se prélasse l’éternelle chaleur.
Dans les caresses de ta chevelure, je retrouve les langueurs des longues heures passées sur un divan, dans la chambre d’un beau navire, bercées par le roulis imperceptible du port, entre les pots de fleurs et les gargoulettes rafraîchissantes.
Dans l’ardent foyer de ta chevelure, je respire l’odeur du tabac mêlé à l’opium et au sucre ; dans la nuit de ta chevelure, je vois resplendir l’infini de l’azur tropical ; sur les rivages duvetés de ta chevelure je m’enivre des odeurs combinées du goudron, du musc et de l’huile de coco.
Laisse-moi mordre longtemps tes tresses lourdes et noires. Quand je mordille tes cheveux élastiques et rebelles, il me semble que je mange des souvenirs.
Publié dans Le Présent 24 août 1857
Le Spleen de Paris. 1869.
XXIII. La chevelure
Ô Toison, moutonnant jusque sur l’encolure ! Ô boucles ! Ô parfum chargé de nonchaloir ! Extase ! Pour peupler ce soir l’alcôve obscure, Des souvenirs dormant dans cette chevelure, Je la veux agiter dans l’air comme un mouchoir !
La langoureuse Asie et la brûlante Afrique, Tout un monde lointain, absent, presque défunt, Vit dans tes profondeurs, forêt aromatique ! Comme d’autres esprits voguent sur la musique, Le mien, ô mon amour ! nage sur ton parfum.
J’irai là-bas où l’arbre et l’homme, pleins de sève, Se pâment longuement sous l’ardeur des climats ; Fortes tresses, soyez la houle qui m’enlève ! Tu contiens, mer d’ébène, un éblouissant rêve De voiles, de rameurs, de flammes et de mâts :
Un port retentissant où mon âme peut boire Á grands flots le parfum, le son et la couleur ; Où les vaisseaux, glissant dans l’or et dans la moire, Ouvrent leurs vastes bras pour embrasser la gloire D’un ciel pur où frémit l’éternelle chaleur.
Je plongerai ma tête amoureuse d’ivresse Dans ce noir océan où l’autre est enfermé ; Et mon esprit subtil que le roulis caresse Saura vous retrouver, ô féconde paresse, Infinis bercements du loisir embaumé !
Cheveux bleus, pavillon de ténèbres tendues, Vous me rendez l’azur du ciel immense et rond ; Sur les bords duvetés de vos mèches tordues Je m’enivre ardemment des senteurs confondues De l’huile de coco, du musc et du goudron.
Longtemps ! toujours ! ma main dans ta crinière lourde Sèmera le rubis, la perle et le saphir, Afin qu’à mon désir tu ne sois jamais sourde ! N’es-tu pas l’oasis où je rêve, et la gourde Où je hume à longs traits le vin du souvenir ?
Revue française, 20 mai 1859.
Les Fleurs du mal, 1861.
Je conseille la lecture de la critique de Laurent Fassin des deux tomes de La Pléiade dans la revue en ligne, La Cause Littéraire.
On dit que le ministre de la Justice a décidé de faire reprendre l’examen de toutes les demandes de naturalisation qui n’ont pas reçu de solution à l’heure actuelle. La plupart de ces demandes, lit-on encore, avaient été suspendue, sur l’ordre de Vichy en juillet 1940.
En juillet 1940, bien des choses ont été suspendues. La liberté aussi.
À partir de ce moment, le Journal Officiel de l’État français s’est mis à publier d’interminables listes de personnes naturalisées à qui la qualité de Français était reprise. Cette révision a duré quatre ans.
Aujourd’hui, il semble que le gouvernement de la République veuille se préoccuper de la question des étrangers en France. On l’approuve ; on voudrait même l’encourager.
Les requêtes souscrites par des étrangers qui se sont acquis des titres particuliers depuis le début des hostilités seront inscrites par priorité. On y applaudit encore.
Là aussi, il y a une grande besogne à accomplir. Mais on a quelque raison de penser qu’elle sera écourtée considérablement par la disparition de bon nombre d’impétrants. Il faudrait aller les chercher dans les fosses communes de l’Europe de l’Est.
Il y a ceux qui, à force de courir, étaient arrivés chez nous. Les « politiques » ou juifs, tchécoslovaques ou polonais, sarrois, espagnols et les autres. À bout de forces, au bout du continent. Ils ne pouvaient aller plus loin : après, c’était la mer. Et ici, on les a parqués.
Il y a ceux que nous racolions pour les travaux durs et malsains.
J’oubliais ceux qui n’ont plus du tout de pays. On leur a escamoté le leur, ou bien il a changé de nom, ou de place. On découpait le monde en tranches pour le mieux avaler. Pour ceux-là, on a même trouvé une étiquette : les apatrides.
Tous, ils ont eu le tort de se confier à nous avec femmes et enfants. On les a internés, on les a maltraités. Puis, on a vu ces gens traqués par des fonctionnaires français, des bébés arrachés à leurs mères par des gendarmes ou des policiers français, on a vu des camps gardés par des militaires français. Et un vieillard qui portait les attributs d’un maréchal de France les a livrés aux tortionnaires. Cela se passait en zone libre. De quelle honte n’avons-nous pas été abreuvés ? On en a gardé le goût pour en avoir tant bu.
À Auschwitz, via Gurs. Combien se souviennent encore du voyage ?
Maintenant, on ne parlera pas de morale, mais seulement d’intérêt. On n’invoquera ni la solidarité humaine, ni la justice, ni la réparation à laquelle ceux qui restent ont droit. Mais seulement l’intérêt d’un pays qui se dépeuple, qui perd tous les jours un peu plus de sa substance vivante. Nous connaissons des statistiques de catastrophe. Ici l’on ne fait plus d’enfants. Il serait trop long — trop simple — de dire pourquoi.
Aussi, nous avons besoin d’une main-d’œuvre du dehors. Cela est démontré. Il convient donc que la France ait au plus tôt un statut législatif des étrangers. On désirerait que ce statut s’inspirât simplement et généreusement des lois de l’hospitalité.
Combat, 17 février 1945.
Henri Calet (1904-1956) s’appelait de son vrai nom Raymond-Théodore Barthelmess.
Cet écrivain, journaliste, homme de radio, humaniste et libertaire, ami de Pascal Pia, collabora de novembre 1944 à 1949 au journal Combat, dirigé par Albert Camus. Ses chroniques, pleines d’humour et de tendresse, ont été rassemblées dans Contre l’oubli (Grasset, 1956. Réédition Les Cahiers rouges, 2010). Henri Calet se rendit, le 24 avril 1945, dans la prison de Fresnes afin de procéder au relevé des graffitis laissés par les prisonniers, résistants et militaires alliés, victimes de la répression nazie (Les Murs de Fresnes, 1945, Éditions des Quatre-Vents ; réédition Viviane Hamy, 1993 ; réédition Héros-Limite, 2021.)
On retrouve une citation du texte Les lois de l’hospitalité dans Pas le temps de prendre la poussière. Portrait insolite de Jean-Claude Pirotte (Editions de la Grange Batelière, 2024).
La revue Diérèse (poésie et littérature) a publié dans son numéro 90 (été 2024) quatre poèmes du grand poète vénézuélien, Eugenio Montejo (1938-2008) : Adiós al siglo XX, Islandia, Ulises, La Poesía. Ils sont traduits par Raymond Farina. Je recommande aussi la lecture de ceux d’Estela Puyuelo (née en 1976 à Labasca – Huesca), traduits par Nathalie de Courson.
Coordonnées de la revue (3 numéros par an. 45 euros) : Daniel Martinez 8 avenue Hoche 77330 Ozoir-la-Ferrière.
Eugenio Montejo, fils d’un boulanger, est né le 19 octobre 1938 à Caracas. Il est mort le 5 juin 2008 à Valencia (Vénézuela). Professeur d’université, chercheur, éditeur (Monte Ávila Editores), animateur de plusieurs revues (Azar Rey, Revista Poesía de la Universidad de Carabobo), il a reçu en 1998 le Prix national de littérature du Venezuela et en 2004 le Prix international Octavio Paz de Poésie. Il a été aussi conseiller culturel à l’ambassade du Venezuela au Portugal. Il est de la même génération que le Prix Cervantes 2023, Rafael Cadenas (1930). Comme ce dernier, il était très critique à l’égard du chavisme au pouvoir dans son pays depuis 1999. Son œuvre complète a été publiée par la maison d’édition espagnole Pre-Textos.
Tomo I. Poesía, 2021. Tomo II. Ensayo y géneros afines, 2022. Tomo III. Blas Coll y los colígrafos, 2023.
J’ai choisi 4 autres poèmes de cet écrivain méconnu en France.
Dura menos un hombre que una vela
Dura menos un hombre que una vela pero la tierra prefiere su lumbre para seguir el paso de los astros. Dura menos que un árbol, que una piedra, se anochece ante el viento más leve, con un soplo se apaga. Dura menos un pájaro, que un pez fuera del agua, casi no tiene tiempo de nacer, da unas vueltas al sol y se borra entre las sombras de las horas hasta que sus huesos en el polvo se mezclan con el viento, y sin embargo, cuando parte siempre deja la tierra más clara.
Muerte y memoria, 1972.
Terredad
Estar aquí por años en la tierra, con las nubes que lleguen, con los pájaros, suspensos de horas frágiles. A bordo, casi a la deriva, más cerca de Saturno, más lejanos, mientras el sol da vuelta y nos arrastra y la sangre recorre su profundo universo más sagrado que todos los astros.
Estar aquí en la tierra: no más lejos que un árbol, no más inexplicables; livianos en otoño, henchidos en verano, con lo que somos o no somos, con la sombra, la memoria, el deseo, hasta el fin (si hay un fin) voz a voz, casa por casa, sea quien lleve la tierra, si la llevan, o quien la espere, si la aguardan, partiendo juntos cada vez el pan en dos, en tres, en cuatro, sin olvidar la parte de la hormiga que siempre viaja de remotas estrellas para estar a la hora en nuestra cena, aunque las migas sean amargas.
Terredad, 1978.
Creo en la vida
Creo en la vida bajo forma terrestre, tangible, vagamente redonda, menos esférica en sus polos, por todas partes llena de horizontes.
Creo en las nubes, en sus páginas nítidamente escritas, y en los árboles, sobre todo en otoño. (A veces creo que soy un árbol.)
Creo en la vida como terredad, como gracia o desgracia. -Mi mayor deseo fue nacer, a cada vez aumenta.
Creo en la duda agónica de Dios, es decir, creo que no creo, aunque de noche, solo, interrogo a las piedras, pero no soy ateo de nada salvo de la muerte.
Terredad, 1978.
La Vida a Vicente Gerbasi
La Vida toma aviones y se aleja; sale de día, de noche, a cada instante hacia remotos aeropuertos.
La Vida se va, se fue, llega más tarde; es difícil seguirla: tiene horarios imprevistos, secretos; cambia de ruta, sueña a bordo, vuela.
La Vida puede llegar ahora, no sabemos, puede estar en Nebraska, en Estambul, o ser esa mujer que duerme en la sala de espera.
La Vida es el misterio en los tableros, los viajantes que parten o regresan, el miedo, la aventura, los sollozos, las nieblas que nos quedan del adiós y los aviones puros que se elevan hacia los aires altos del deseo.
Le 5 janvier 1937, les fascistes ont fusillé Aurora Picornell (1912-1937) au cimetière de Son Coletes, près de Manacor (Mallorca) avec ses camarades du groupe “ Les Rouges du Molinar ” ( Les Roges de Molinar : Catalina Flaquer, ses deux filles, Antònia Pascual Flaquer et Maria Pascual Flaquer, Belarmina González Rodríguez ). Elles étaient communistes et vivaient dans le quartier de El Molinar à Palma de Mallorca (Îles Baléares), qui était à l’époque un quartier d’ouvriers et de pêcheurs. Aujourd’hui, la zone où elles habitaient n’existe plus.
Le Président actuel du Parlement des Îles Baléares, Gabriel Le Senne, membre de l’Opus Dei et du parti fasciste Vox, allié au parti Populaire (droite conservatrice), s’est permis le 19 juin 2024 de déchirer dans l’hémicycle la photographie de cette figure républicaine. Il a aussi expulsé deux députées du Parti Socialiste Ouvrier espagnol (PSOE), Mercedes Garrido et Pilar Costa. Vox et le Parti Populaire veulent supprimer la Ley de Memoria Democrática dans cette communauté autonome. La menace de l’extrême-droite est toujours là, bien présente …
Aurora Picornell aurait dit à ses boureaux de la Phalange :
“Podéis matar a hombres, a mujeres, a niños como el mío que todavía no ha nacido. ¿Pero, y las ideas? ¿Con qué balas mataréis las ideas?”.
“Podeu matar homes, dones, nins com el meu que encara no ha nat. Però, i les idees? Amb quines bales matareu les idees?”
Les membres de la famille de Gabriel Le Senne faisaient partie des partis conservateurs de l’île et se sont amplement enrichis pendant la longue dictature franquiste (1939-1975)
L’histoire dit que dans la nuit du 5 au 6 janvier 1937 un fasciste est entré dans un bar du quartier El Molinar et a montré à ceux qui étaient présents un soutien-gorge taché de sang. “Mirad, mirad, son los sostenes de Aurora”. (« Regardez, regardez, c’est le soutien-gorge d’Aurora. ») C’est ainsi que les habitants du quartier ont appris l’exécution de cette dirigeante du Parti communiste d’Espagne (PCE) à Mallorque. 85 ans plus tard, en octobre 2022, les restes d’Aurora ont été identifiés. Ils ont été trouvés dans la fosse commune n°3 du cimetière Son Coletes de Manacor. L’ADN de son frère, Ignasi Picornell, lui aussi assassiné et dont le corps a été retrouvé en 2016 dans la fosse commune de Porreres, a permis son identification ainsi que celle de son père Gabriel Ignasi Picornell.
Aurora Picornell est née le 1 octobre 1912 à Palma dans une famille communiste de sept enfants (Aurora est la sixième). Á 16 ans, elle publie La mujer, ¿es superior al hombre? Estudio dividido en tres meditaciones. Á 18 ans, elle milite dans la Lliga Laica de Mallorca. L’année suivante, elle fonde le syndicat des couturières (Sindicato de Sastrería y similares). Elle est la vice-présidente d’une direction paritaire. Elle devient membre du Secours rouge international et responsable régionale du Parti Communiste d’Espagne (PCE). Elle participe à des meetings et écrit dans la presse. Elle organise el Día de la Mujer Trabajadora à Mallorca le 8 mars 1934. Bien que membre d’un petit parti, elle est très connue pour son activisme dans tout l’archipel. On l’appelle déjà la Heroica Aurora Picornell ou bien La Pasionaria de Mallorca. Au début des années 30, la participation des femmes dans la vie politique est encore chose peu fréquente bien qu’en Espagne les femmes aient obtenu le droit de vote le 1 octobre 1931 grâce à la Seconde République.
Aurora est arrêtée avec ses camarades le 19 juillet 1936, peu après le coup d’état franquiste. Elle est incarcérée d’abord à la prison provinciale, puis à la prison pour femmes de Mallorca (edificio Ca’n Salas). Elle est ensuite emmenée par un groupe de phalangistes dans l’ancien couvent de Montuïri et fusillée sans aucun jugement la veille du jour des Rois (le 5 janvier 1937), après avoir été torturée et probablement violée.
Elle est devenue l’exemple de ce que fut la répression franquiste à Mallorca pendant la Guerre Civile. Entre 1936 et 1942, 2300 personnes furent assassineés dans l’île par les putschistes.
La famille Picornell Femenias en a particulièrement souffert. Son père (Gabriel Ignasi) qui était menuisier et deux de ses frères (Gabriel et Ignasi) ont été fusillés. Le plus jeune, Joan, a pu fuir en France après la guerre, mais il fut déporté à Dachau et mourut peu après la libération du camp de concentration. En 1932, Aurora s’était mariée à Valence avec Heriberto Quiñones, membre de l’Internationale Communiste et dirigeant du PCE. Ils ont eu une fille, Octubrina Roja Quiñones Picornell (1934-1969). Heriberto Quiñones a été exécuté à Madrid le 2 octobre 1942. il est mort assis sur une chaise car les tortures qu’on lui avait infligées lui avaient fait perdre l’usage de ses quatre membres.
C’est un groupe dirigé par le Marquis Alfonso de Zayas y de Bobadilla (1896-1970), chef provincial de la Phalange, qui est responsable de l’arrestation et de la mort d’Aurora. Le Gouverneur civil des Baléares, Mateu Torres Bestard (1891-1969), proche du général Franco, a favorisé cette répression.
Totes les Aurores (2023). Documentaire d’IB3 Televisió, Quindrop Produccions (Pedro de Echave). 75 minutes.
Il faut relire Les Grands Cimetières sous la lune de Georges Bernanos (Plon, 1938).
« Pour moi, j’appelle Terreur tout régime où les citoyens, soustraits à la protection de la loi, n’attendent plus la vie ou la mort que du bon plaisir de la police d’Etat. J’appelle le régime de la Terreur le régime des Suspects. C’est ce Régime que j’ai vu fonctionner huit mois. Ou, plus exactement, il m’a fallu dix mois pour m’ en découvrir, rouage après rouage, le fonctionnement. Je le dis, je l’affirme. Je n’exige nullement qu’on me croie sur parole. Je sais que tout se saura un jour – demain, après-demain, qu’importe ? Mgr l’ Évêque de Palma par exemple en sait autant que moi. J’ai toujours pensé que Notre Saint-Père le Pape, torturé, dit-on, par le problème de la guerre civile espagnole, aurait grand intérêt à questionner ce dignitaire sous la foi du serment. »
« Exécutions
J’ai vu là-bas, à Majorque, passer sur la Rambla des camions chargés d’hommes. Ils roulaient avec un bruit de tonnerre, au ras des terrasses multicolores, lavées de frais, toutes ruisselantes, avec leur gai murmure de fête foraine. Les camions étaient gris de la poussière des routes, gris aussi les hommes assis quatre par quatre, les casquettes grises posées de travers et leurs mains allongées sur les pantalons de coutil, bien sagement. On les raflait chaque soir dans les hameaux perdus, à l’heure où ils reviennent des champs ; ils partaient pour le dernier voyage, la chemise collée aux épaules par la sueur, les bras encore pleins du travail de la journée, laissant la soupe servie sur la table et une femme qui arrive trop tard au seuil du jardin, tout essoufflée, avec le petit balluchon serré dans la serviette neuve : « Adios ! recuerdos ! » (adieu ! Je pense à toi!) »
Bibliographie
David Ginard i Féron (professeur d’histoire à l’université des Îles Baléares), Aurora Picornell (1912-1937) : de la història al símbol, Palma, Edicions Documenta Balear, 2016.
En Viena hay diez muchachas, un hombro donde solloza la muerte y un bosque de palomas disecadas. Hay un fragmento de la mañana en el museo de la escarcha. Hay un salón con mil ventanas. ¡Ay, ay, ay, ay! Toma este vals con la boca cerrada.
Este vals, este vals, este vals, de sí, de muerte y de coñac que moja su cola en el mar.
Te quiero, te quiero, te quiero, con la butaca y el libro muerto, por el melancólico pasillo, en el oscuro desván del lirio, en nuestra cama de la luna y en la danza que sueña la tortuga. ¡Ay, ay, ay, ay! Toma este vals de quebrada cintura.
En Viena hay cuatro espejos donde juegan tu boca y los ecos. Hay una muerte para piano que pinta de azul a los muchachos. Hay mendigos por los tejados. Hay frescas guirnaldas de llanto. ¡Ay, ay, ay, ay! Toma este vals que se muere en mis brazos.
Porque te quiero, te quiero, amor mío, en el desván donde juegan los niños, soñando viejas luces de Hungría por los rumores de la tarde tibia, viendo ovejas y lirios de nieve por el silencio oscuro de tu frente.
¡Ay, ay, ay, ay! Toma este vals del “Te quiero siempre”.
En Viena bailaré contigo con un disfraz que tenga cabeza de río. ¡Mira qué orilla tengo de jacintos! Dejaré mi boca entre tus piernas, mi alma en fotografías y azucenas, y en las ondas oscuras de tu andar quiero, amor mío, amor mío, dejar, violín y sepulcro, las cintas del vals.
Poeta en Nueva York, 1940.
Petite valse viennoise
Á Vienne il y a dix jeunes filles, une épaule où sanglote la mort et un bois de colombes empaillées. Il y a un fragment du matin dans le musée du givre. Il y a un salon aux mille fenêtres. Ah, la, la, la ! Prends cette valse à la bouche close.
Cette valse, cette valse, cette valse, de oui, de mort et de cognac, qui trempe sa traîne dans la mer.
Je t’aime, je t’aime, je t’aime, avec le fauteuil et le livre mort, dans le mélancolique corridor, dans l’obscur grenier du lys, dans notre lit de la lune et dans la danse dont rêve la tortue. Ah, la, la, la ! Prends cette valse à la taille brisée.
Á Vienne il y a quatre miroirs où jouent ta bouche et les échos. Il y a une mort pour piano qui peint en bleu les garçons, il y a des mendiants sur les auvents, il y a de fraîches guirlandes de pleurs. Ah, la, la,la ! Prends cette valse qui se meurt dans mes bras.
Parce que je t’aime, je t’aime, mon amour dans le grenier où jouent les enfants. Tout en rêvant à de vieilles lueurs de Hongrie dans les rumeurs du tiède après-midi. Tout en voyant des brebis et des lys de neige dans le sielnce obscur de ton front. Ah, la, la, la ! Prends cette valse du « je t’aime à jamais ».
Á Vienne je danserai avec toi dans un costume qui possédera une tête de fleuve. Regarde-moi avec mes rives de jacinthes ! Je laisserai ma bouche entre tes jambes, mon âme dans des photographies et des iris, et dans les ondes obscures de ton allure je veux, mon amour, mon amour, laisser, violon et sépulcre, les rubans de la valse.
Poète à New York. Robert Laffont, 2023. Traduction : Carole Fillière et Zoraida Carandell.
Piedad Bonnett, poète, romancière, essayiste et dramaturge colombienne (Amalfi -Antoquia, 1951), a reçu ces jours derniers le XXXIII Prix Reina Sofía de Poésie Iberoaméricaine. Il est attribué chaque année depuis 1992 à un poète ibéroaméricain par Patrimonio Nacional et l’université de Salamanque.
La liste des précédents lauréats est impressionnante : Claudio Rodríguez, José Hierro, Álvaro Mutis, José Ángel Valente, Nicanor Parra, Sophia de Mello Breyner, Juan Gelman, Antonio Gamoneda, Blanca Varela, José Emilio Pacheco, Francisco Brines, María Victoria Atencia, Ida Vitale, Rafael Cadenas, Joan Margarit, Raúl Zurita. Un seul bémol : le faible nombre de poètes portugais ou brésiliens couronnés.
Poésie De círculo y ceniza (Ediciones Uniandes, 1989) Nadie en casa (Fundación Simón y Lola Gubereck, 1994) El hilo de los días (Colcultura, 1995) Premio Nacional de Poesía de Colombia Ese animal triste (Editorial Norma, 1996) Todos los amantes son guerreros (1998) Las tretas del débil (Punto de lectura, 2004) Las herencias (Visor, 2008) Explicaciones no pedidas (Visor, 2011) Premio Casa de América de poesía americana. Premio de Poesía José Lezama Lima 2014. Los habitados (Visor, 2017). Premio de Poesía Generación del 27 2016 Lo terrible es el borde (Visor, 2021)
Romans et récit autobiographique Después de todo (2001) Para otros es el cielo (2004) Siempre fue invierno (2007) El prestigio de la belleza (2010) Lo que no tiene nombre (2013) qui parle du suicide de son fils Daniel à New York alors qu’il n’avait que 28 ans. Donde nadie me espere (2018) Qué hacer con estos pedazos (2022) Tous ses romans sont publiés par Alfaguara.
J’ai choisi 4 de ses poèmes :
Biografía de un hombre con miedo
Mi padre tuvo pronto miedo de haber nacido. Pero pronto también le recordaron los deberes de un hombre y le enseñaron a rezar, a ahorrar, a trabajar. Así que pronto fue mi padre un hombre bueno. (“Un hombre de verdad”, diría mi abuelo). No obstante, -como un perro que gime, embozalado y amarrado a su estaca- el miedo persistía en el lugar más hondo de mi padre. De mi padre, que de niño tuvo los ojos tristes y de viejo unas manos tan graves y tan limpias como el silencio de las madrugadas. Y siempre, siempre, un aire de hombre solo. De tal modo que cuando yo nací me dio mi padre todo lo que su corazón desorientado sabía dar. Y entre ello se contaba el regalo amoroso de su miedo. Como un hombre de bien mi padre trabajó cada mañana, sorteó cada noche y cuando pudo se compró a cuotas la pequeña muerte que siempre deseó. La fue pagando rigurosamente, sin sobresalto alguno, año tras año, como un hombre de bien, el bueno de mi padre.
El hilo de los días, 1995.
Las cicatrices
No hay cicatriz, por brutal que parezca, que no encierre belleza. Una historia puntual se cuenta en ella, algún dolor. Pero también su fin. Las cicatrices, pues, son las costuras de la memoria, un remate imperfecto que nos sana dañándonos. La forma que el tiempo encuentra de que nunca olvidemos las heridas.
Explicaciones no pedidas, 2011
Oración
Para mis días pido, Señor de los naufragios, no agua para la sed, sino la sed, no sueños sino ganas de soñar. Para las noches, toda la oscuridad que sea necesaria para ahogar mi propia oscuridad.
En el borde
Lo terrible es el borde, no el abismo. En el borde hay un ángel de luz del lado izquierdo, un largo río oscuro del derecho y un estruendo de trenes que abandonan los rieles y van hacia el silencio. Todo cuanto tiembla en el borde es nacimiento. Y solo desde el borde se ve la luz primera el blanco-blanco que nos crece en el pecho. Nunca somos más hombres que cuando el borde quema nuestras plantas desnudas. Nunca estamos más solos. Nunca somos más huérfanos.