Gustave Flaubert – Ivan Tourgueniev

Gustave Flaubert et Ivan Tourgueniev se rencontrent le 23 février 1863 à Paris, au dîner Magny, où se réunissent auteurs et critiques. Flaubert a 42 ans, Tourgueniev 45. Une amitié se noue entre ces deux géants (1m 85 et 1m 91). Ils s’écriront pendant dix-sept ans. Tourgueniev traduit Trois contes en russe. Il envoie aussi à Flaubert Guerre et Paix de Tolstoï, qui vient d’être traduit en français. Tourgueniev essaie de l’aider à la fin de sa vie. Il intervient auprès de Gambetta pour lui faire obtenir un poste à la Bibliothèque Mazarine, mais en vain.

En juillet 1877, Tourgueniev rapporte à son ami de Russie une très belle robe de chambre.

Flaubert, de Croisset, le remercie le 27 juillet 1877:
« Splendide !
J’en reste béant. Merci ! mon bon cher vieux ! Ça, c’est un cadeau !
Je vous aurais répondu plus vite si le chemin de fer apportait les paquets jusques ici ! Il n’en est rien, ce qui a fait 24 heures de retard, ou peut-être 36. Le chef de gare m’a écrit hier soir seulement.
Ce royal vêtement me plonge dans des rêves d’absolutisme – et de luxure! Je voudrais être tout nu, dedans, – et y abriter des Circassiennes !
– Bien qu’il fasse actuellement un temps d’orage et que j’aie trop chaud, je porte la susdite couverture – en songeant à l’utilité dont elle me sera cet hiver. Franchement vous ne pouviez me faire un plus beau don !
Je prépare la géologie de B. & P. [Bouvard et Pécuchet]. Et lundi je me remets à écrire. Quand j’aurai fini ce chapitre-là je pousserai un beau ouf (…)

PS. Décidément, je succombe sous le poids de votre magnificence. Je vais retirer la robe de chambre.
Quel est son nom indigène ? et sa patrie ? Boukhara, n’est-ce pas ? »

Tourgueniev envoie plus tard à Croisset du saumon et du caviar.

Flaubert lui écrit le 28 décembre 1879:

« Hier soir, j’ai reçu la boîte. Le saumon est magnifique, mais le caviar me fait pousser des cris de volupté.
Quand en mangerons-nous ensemble ? Je voudrais que vous fussiez parti et revenu. Là-bas, au moins, écrivez-moi.
Ce soir, il a l’air de dégeler. Serait-ce vrai ?
Quant au roman de Tolstoï, faites-le remettre chez ma nièce. Commanville me l’apportera.
Tout à vous, mon cher vieux.
Votre VIEUX
vous embrasse

Dimanche soir.

Croisset, Mardi soir 6 janvier 1880

Merci ! Trois fois merci !
Ô S[ain]t Vincent de Paul des Comestibles ! Ma parole d’honneur ! Vous me traitez en bardache ! C’est trop de friandises.
Eh bien, sachez que, le caviar, je le mange à peu près sans pain, comme des confitures.
————————–
Quant au roman, ses trois volumes m’effraient – trois volumes, maintenant, en dehors de mon travail, c’est rude. N’importe, je vais m’y mettre. Comme à la fin de la semaine prochaine je compte avoir terminé mon chapitre (!!!) avant de commencer l’autre, ce sera une distraction.
Quand partez-vous, ou plutôt quand revenez-vous ? C’est bête de s’aimer comme nous faisons et de se voir si peu.
Je vous embrasse.
Votre vieux

Croisset, mercredi 21 janvier 1880.

Deux mots seulement, mon bon cher vieux.
1° Quand partez-vous ? ou plutôt non : quand revenez-vous ? – Êtes-vous moins inquiet sur les conséquences de votre voyage ?
2° Merci de m’avoir fait lire le roman de Tolstoï. C’est de premier ordre ! Quel peintre et quel psychologue ! Les deux premiers volumes sont sublimes. Mais le 3e dégringole affreusement. Il se repète ! et il philosophise ! – Enfin on voit le monsieur, l’auteur, et le Russe, tandis que jusque-là on n’avait vu que la Nature et l’Humanité. – Il me semble qu’il a parfois des choses à la Shakespeare ? – Je poussais des cris d’admiration pendant cette lecture – et elle est longue !
Parlez-moi de l’auteur. Est-ce son premier livre ? En tout cas il a des boules ! Oui ! C’est bien fort ! bien fort!
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J’ai fini ma Religion et je travaille au plan de mon dernier chapitre : l’éducation.
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Ma nièce est venue passer ici trois jours pleins. – Elle est repartie ce matin, – Et elle gémit sur l’abandon où la laisse notre grand ami, le grand Tourgueneff
que j’embrasse tendrement.
Son vieux

Flaubert meurt le 8 mai 1880 à 58 ans. Tourgueniev se trouve en Russie. A son retour, C’est lui que Maupassant charge de la publication posthume de Bouvard et Pécuchet. Il collecte aussi de l’argent pour faire ériger un monument à la mémoire de son ami. Il meurt le 3 septembre 1883 à Bougival, à 64 ans

Alphonse Daudet peint ainsi l’union des deux écrivains.
« Il y avait un lien, une affinité de naïve bonté entre ces deux natures géniales. Flaubert, hâbleur, frondeur, Don Quichotte, avec sa voix de trompette aux gardes, la puissante ironie de son observation, ses allures de Normand de la conquête, est bien la moitié virile de ce mariage d’âmes. Mais qui donc, dans cet autre colosse aux sourcils d’étoupe, aux méplats immenses, aurait deviné la femme, cette femme à délicatesses aiguës que Tourgueniev a peinte dans ses livres, cette Russe nerveuse, alanguie, passionnée, endormie comme une Orientale, tragique comme une force en révolte ? »

Datcha d’Ivan Tourgueniev à Bougival, aujourd’hui Musée Ivan-Tourgueniev.

Manuel Bandeira 1886 – 1968

Manuel Bandeira. 1931. (Cândido Portinari 1903-1962)

Desencanto

Eu faço versos como quem chora
De desalento… de desencanto…
Fecha o meu livro, se por agora
Não tens motivo nenhum de pranto.

Meu verso é sangue. Volúpia ardente…
Tristeza esparsa… remorso vão…
Dói-me nas veias. Amargo e quente,
Cai, gota a gota, do coração.

E nestes versos de angústica rouca,
Assim dos lábios a vida corre,
Deixando um acre sabor na boca.

Eu faço versos como quem morre.

Teresópolis, 1912.

As Cinzas das Horas. 1917.

Désenchantement

J’écris des vers comme on pleure
De découragement… de désenchantement…
Ferme mon livre, si ce jour
Tu n’as aucune raison de pleurer.

Mon vers est sang. Volupté ardente…
Tristesse éparse… Remords vain…
Il me brûle les veines. Amer et chaud,
Il coule, goutte à goutte, de mon coeur.

Et dans ces vers de rauque angoisse
Comme des lèvres la vie s’en va,
Laissant une âcre saveur dans la bouche.

– J’écris des vers comme on meurt.

Teresópolis, 1912.

Les cendres des heures.

Manuel Carneiro de Sousa Bandeira Filho est né à Recife (Brésil) le 19 Avril 1886. Il fait des études d’architecture qu’il doit interrompre. Atteint de tuberculose, il part se soigner en juin 1913 dans le sanatorium de Clavadel, en Suisse. Il y fait la connaissance d’Eugène Grindel (Paul Éluard) également en traitement. Une lettre d’Éluard indique que c’est Bandeira qui l’a révélé à lui-même comme poète et non pas le contraire. Étant tuberculeux à une époque où cette maladie était incurable, la poésie devient pour lui une « fatalité ». Ce qu’il ne peut vivre, il le rêve en poésie. On l’a surnommé le saint Jean-Baptiste du modernisme au Brésil. Son premier recueil poétique, Les Cendres des heures (1917), est imprégné par la mélancolie due à la maladie et aux deuils familiaux. En 1921, il fait la connaissance de Mário de Andrade (1893-1945) avec qui il entretient une relation durable. Il devient professeur de littérature au Collège Pedro II en 1938, puis à l’Université de São Paulo en 1943. Il est élu à l’Académie Brésilienne des Lettres en 1940. Il a été aussi critique d’art et traducteur (William Shakespeare, Friedrich Schiller, Bertolt Brecht, E.E. Cummings)
Il meurt le 13 octobre 1968 à Rio de Janeiro.

Manuel Bandeira, Poèmes. Seghers, 1960. Traduction: Luis Annibal Falcao, F.H. Blank-Simon et l’auteur.

Enrique Badosa 1927 – 2021

Enrique Badosa à Salamine.

Le poète, traducteur, éditeur et journaliste Enrique Badosa, né à Barcelone le 21 mars 1927, est décédé dans sa ville natale le 31 mai 2021. il avait 94 ans. Ce poète fait partie des auteurs de la Génération de 1950. Néanmoins, son catholicisme et un certain conservatisme le différenciaient des écrivains de ce groupe. Il est mort très peu de temps après les poètes de la même génération, José Manuel Caballero Bonald et Francisco Brines. Il a traduit Horace, Ramon Llull, Ausiàs March, J.V. Foix (Josep Viçenc), Salvador Espriu, Joan Margarit, mais aussi les Cinq grandes odes de Paul Claudel en 1955.

Salamina

Por esto ha sido escrito el Partenón
con la más bella tinta de la tierra.
Por esto se ha labrado el pensamiento
en la piedra más sabia y perdurable.
Por esto estás hablando en lengua libre.

Salamine

C’est pour cela que le Parthénon a été écrit
avec la plus belle encre de la terre.
C’est pour cela que la pensée a été taillée
dans la pierre la plus sage et la plus durable.
C’est pour cela que tu parles dans une langue libre.

Ce poème, traduit en grec, figure sur un monolithe dans la zone qui commémore la bataille entre les Grecs et les Perses (480 avant J.C.)

“Mi poesía no está más comprometida con el fondo que con la forma porque todo poema exige, siempre, el doble logro entre lo estético y lo conceptual”

Oeuvres
1956 Más allá del tiempo.
1959 Tiempo de esperar, tiempo de esperanza.
1963 Baladas para la paz.
1968 Arte poética.
1970 En román paladino.
1971 Historias en Venecia.
1973 Cuadernos de Ínsulas Extrañas. Poèmes en prose.
1976 Dad este escrito a las llamas.
1979 Mapa de Grecia.
1986 Cuadernos de barlovento.
1989 Epigramas convencionales.
1994 Relación verdadera de un viaje americano.
1998 Marco Aurelio, 14.
2000 Epigramas de la Gaya Ciencia.
2002 Parnaso funerario.
2004 Otra silva de varia lección.
2006 Ya cada día es más noche.
2010 Trivium. Poesía 1956-2010.

2016 Sine tradire. Essai.

“-Una parte fundamental de su producción está relacionada con la idea del viaje. ¿Es el viaje una forma de conocimiento?
-Todo viaje es iniciático por cuanto siempre te lleva no sólo a un lugar lejano, sino a un posible lugar lejano dentro de ti mismo. Por lo tanto, lodo viaje es también un medio o forma de conocimiento. En mi caso, ese autoconocimiento se ha producido siempre, aunque no siempre haya escrito sobre los lugares que he visitado. (Santiago Martínez entrevista a Enrique Badosa .» (La Vanguardia, 14 de marzo de 1998)

Puesto que cada día es más de noche…

Puesto que cada día es más de noche,
vuelve al placer de tus primeros libros,
acaricia las cosas familiares
que sientes extraviadas por cercanas,
recuerda el conversar de tus mayores,
sus gestos que te amparan todavía,
aquel mirar que te enseñaba a ver,
repósate en los nombres con que amaste,
vuelve a tus oraciones cuando niño
y con la sencillez de la confianza
saluda a Dios y espera en su amistad.

Ya cada día es más noche. 2006.

Antonio Porchia 1885-1968

Il y a quelques semaines, Antonio Porchia n’était pour moi qu’un nom. La lecture de Poésie et création de Roberto Juarroz (Librairie José Corti, Collection Ibériques 2010) m’a poussé à rechercher ses textes. En effet, Juarroz disait que c’était le poète dont il se sentait le plus proche:
« Je crois que Porchia est sur la ligne fondamentale où se rejoignent la pensée et l’image, la poésie et la philosophie, dont la séparation artificielle constitue peut-être un de nos plus grands lests ».

«Pour lui la réalité consistait aussi bien à aller acheter des légumes au marché, à travailler dans son jardin, ou à prendre avec des amis un verre de vin, un morceau de fromage ou du salami, qu’à déterminer les ultimes instances du possible et de l’impossible, du réel et de l’irréel. La vie humaine, pour moi, devrait être telle, et non cette chose infime, minuscule, de celui qui se limite à ce qui se trouve à portée de main.»

Antonio Porchia partageait avec ses amis ses aphorismes qu’ils nommaient lui-même, ses Voix.

«Jamás digan que escribo aforismos. Me sentiría humillado»
« Qu’on ne dise jamais que j’écris des aphorismes. Je me sentirais humilié. » (Antonio Porchia)
« L’antipathique de l’aphorisme : celui qui l’énonce sait, ou croit qu’il sait, et donne à entendre qu’il sait (la plupart du temps, avec un excès d’emphase). La poésie ne sait pas. Les meilleurs « aphorismes » ne sont pas tels, ils sont poésie ». (Jorge Reichmann)

Biographie.
Antonio Porchia est né le 13 novembre 1885 à Conflenti, en Calabre. Il est l’aîné d’une famille modeste et nombreuse (quatre garçons, trois filles). Son père, Francisco Porchia, meurt en 1900. Antonio abandonne alors ses études pour subvenir aux besoins de sa famille. En 1906, celle-ci émigre en Argentine et s’installe dans le quartier de Barracas, puis à San Telmo. Antonio exerce de nombreux métiers manuels, puis s’établit comme typographe. Avec son frère Nicolás, il ouvre un petit atelier. Il y travaille de 1918 à 1936. Il fréquente les milieux anarchisants. Il publie la première édition de Voces en 1943 (près de trois cents aphorismes, très brefs). Une seconde édition, augmentée, paraît en 1948. Il ne s’est jamais marié, n’a jamais voyagé. Le succès rencontré par son livre le met en relation avec certains écrivains étrangers. Roger Caillois, hébergé par Victoria Ocampo pendant le seconde guerre mondiale et membre du comité de rédaction de la revue Sur, lit la première édition de Voces. Il est son premier traducteur en français. Porchia vit toujours dans un certain dénuement dans la banlieue de Buenos Aires. Il meurt le 9 novembre 1968 à Vicente López (Buenos Aires) à 83 ans. Quelque temps auparavant, il a enregistré certains de ses aphorismes pour une station de radio locale, qui les diffuse en fin de soirée, à raison d’un poème chaque soir.
Des auteurs comme André Breton, Jorge Luis Borges, Alejandra Pizarnik et Henry Miller ont reconnu son importance.
Principales éditions espagnoles :
Voces. Editorial Impulso, 1943.
Voces. Editorial Impulso, 1948.
Voces. Editorial Sudamericana, 1956.
Voces, augmentées de Nuevas voces. Sélection. Hachette (Argentine)1966.
Voces reunidas. Pre-Textos. Valence, Espagne, 2006. Alción, 2006. Argentine.

Editions françaises :
Voix, Paris, collection G.L.M 1949. Traduction : Roger Caillois. Voix et autres voix. Fata Morgana, 1992.
Voix, suivi de Autres voix. Traduction : Roger Munier. Fayard, collection Documents spirituels. 1978.
Voix inédites. 1986. Éditions Unes. Bilingue. Traduction : Roger Munier.
Voix abandonnées. 1991. Bilingue. Traduction : Fernand Verhesen, Éditions Unes.
Voix réunies. Éditions Erès, collection Po&Psy in Extenso 2013, 1190 pages. Bilingue. Traduction: Danièle Fougeras. 1182 voix.

Voces

Antes de recorrer mi camino yo era mi camino.

Avant de parcourir mon chemin, j’étais mon chemin.

Creo que nos habitamos unos a otros, pero no habitados. Porque no podríamos habitarnos unos a otros, habitados.
Je pense que nous nous habitons les uns les autres, mais pas habités. Parce que nous ne pourrions pas nous habiter les uns les autres, habités.

Cuando creo entender un poco qué es la vida, la vida no es ni un misterio.
Quand je crois comprendre un peu ce qu’est la vie, la vie cesse d’être un mystère.

Cuando tú y la verdad me hablan, no escucho a la verdad. Te escucho a ti.

Quand toi et la vérité me parlent, je n’écoute pas la vérité. Je t’écoute toi.

Cuando yo muera, no me veré morir, por primera vez.
Quand je mourrai, je ne me verrai pas mourir, pour la première fois.

El dolor no nos sigue: camina adelante.
La douleur ne nous suit pas: elle marche en avant.

Éramos yo y el mar. Y el mar estaba solo y solo yo. Uno de los dos faltaba.

Nous y étions, la mer et moi.. Et la mer était seule, et moi, j’étais seul. Un de nous manquait.

Estar en compañía no es estar con alguien, sino estar en alguien.
Être en compagnie, ce n’est pas être avec quelqu’un mais être en quelqu’un.

La estrella y el insecto. Nada más. Para la estrella el insecto y para el insecto la estrella. Y nadie quiere ser el insecto. ¡Qué extraordinario!
L’étoile et l’insecte. Rien d’autre. Pour l’étoile, l’insecte et pour l’insecte l’étoile. Et personne ne veut être l’insecte. Comme c’est extraordinaire !

Las heridas son nidos de flores.
Les blessures sont des nids de fleurs.

Más llanto que llorar es ver llorar.
Plus pleurs que pleurer c’est voir pleurer.

Muchas palabras, montañas de palabras. Y amar es una sola palabra. ¡Qué poco es amar!
Beaucoup de mots, des montagnes de mots. Et aimer est un seul mot. Que c’est peu de chose, aimer !

No me hables. Quiero estar contigo.
Ne me parle pas. Je veux être avec toi.

Quisieras poder detenerte, para detenerte en algo. Pero ¿hay algo que puede detenerse, para detenerte en algo?
Tu voudrais pouvoir t’arrêter, pour t’arrêter dans quelque chose. Mais y a-t-il quelque chose qui puisse s’arrêter, pour que tu t’arrêtes dans quelque chose ?

Saber morir cuesta la vida.

Savoir mourir nous coûte la vie.

Ser es obligarse a ser. Y obligarse a ser es obligarse a ser. No es ser.
Être, c’est s’obliger à être. Et s’obliger à être, c’est s’obliger à être. Ce n’est pas être.

Se vive con la esperanza de llegar a ser un recuerdo.

On vit avec l’espérance d’arriver à être un souvenir.

Si crees que no tienes nada para ofrecer, a nadie, creo que no deseas ver a nadie.
Si tu crois que tu n’as rien à offrir, à personne, je crois que tu ne désires voir personne.

Si no levantas los ojos, creerás que eres el punto más alto.

Si tu ne lèves pas tes yeux, tu croiras être le point le plus haut.

Sólo quien vive muriendo puede resolver sus problemas.
Seul celui qui vit en mourant peut résoudre ses problèmes.

Tenemos un mundo para cada uno, pero no tenemos un mundo para todos.

Nous avons un monde pour chacun, mais nous n’avons pas un monde pour tous.

Uno siempre puede sentir lo que es a veces, no lo que siempre es.

On peut sentir ce qui est parfois, pas ce qui est toujours.

Vemos hombres y hombres y hombres casi siempre, y sólo alguna vez vemos un hombre.
Nous voyons des hommes et des hommes et des hommes presque tout le temps, et quelquefois seulement nous voyons un homme.

Bob Dylan – José Emilio Pacheco

Bob Dylan.

Poeta con guitarra (José Emilio Pacheco)

A la muerte de Faulkner —dice Thomas Meehan en el «New York Times»— los críticos se dieron a buscar quién podría reemplazarlo como primer escritor de Norteamérica. Robert Lowell, Saul Bellow y Norman Mailer llegaron a finales. Pero a fines del año pasado un grupo de estudiantes afirmó que el único escritor contemporáneo a quien admiran es Bob Dylan (24 años), cantante y compositor cuyas creaciones de protesta social y personal hablan de las cosas que preocupan a los más jóvenes. “La angustia de «Herzog» [novela de Saul Bellow] nos tiene sin cuidado, así como las fantasías privadas de Norman Mailer. Lo que nos importa es la amenaza de una guerra nuclear, el movimiento en pro de los derechos civiles, la creciente plaga de conformismo, deshonestidad e hipocresía en los Estados Unidos, especialmente en Washington. Y Bob Dylan es el único que trata esos temas en una forma que tiene sentido para nosotros. Como poesía moderna creemos que sus canciones poseen gran calidad literaria. Estética y socialmente, cualesquiera de ellas —”A hard rain’s gonna fall”, por ejemplo— nos interesa más que todo un libro de Lowell.”
Naturalmente, las opiniones no alcanzan unanimidad. Un estudiante de Harvard considera “absurdo” tomar en serio la literatura de Dylan. El hecho es que Bob se ha convertido en gran personaje de la canción norteamericana, ídolo adolescente, símbolo generacional. Su aspecto es el de un beatnik con mayúscula. Parece una combinación de Harpo Marx, Carol Burnett y la juventud de Beethoven. Canta acompañándose con la guitarra o en dúo con Joan Baez y entre estrofa y estrofa, toca la armónica.
Hijo de un farmacéutico, Bob Zimmerman nació en 1941 cerca de la frontera canadiense. Su admiración por el gran poeta pre-beatnik Dylan Thomas lo hizo adoptar su nombre. A los quince años compuso su primera “folk song”, una balada de amor en homenaje a la perdurable Brigitte Bardot. En 1962 accedió a la celebridad con “Blowin’ in the wind”, himno del movimiento pro derechos civiles, entre otras canciones antibélicas y de protesta contra las injusticias sociales. Acaso Bob Dylan ha sido la influencia decisiva en la inesperada radicalización de los jóvenes y su noble rebeldía contra el racismo y la guerra en Vietnam.
Basta lo anterior para hacer admirable a Bob Dylan, para considerar seriamente sus canciones. Si el prestigio de Dylan radica más en sus letras que en sus melodías, como estilista Bob es un tanto anacrónico a juicio de sus críticos: recuerda el pseudolirismo, social de los años 30. En 1937 Clifford Odets o Maxwell Anderson pudieron haber escrito los versos de “Masters of war”, la más célebre composición antibélica de Dylan. Nadie niega que se trata de un joven de extraordinaria inteligencia y sensibilidad que además ha leído muchísimo, sobre todo poesía · clásica y moderna. Quizá su fascinación sobre los jóvenes (y los ya no tan jóvenes) radica en su altivo desafío a toda autoridad e hipocresía cotidiana. La gente “seria” lo desprecia, lo inscribe en la cultura pop y asegura que con las modas de 1966 será borrado. Los poetas, en cambio, lo aceptan y ven un signo positivo en que Bob Dylan haya puesto la poesia a la intemperie y al alcance de todos. El arte popular ha coexistido siempre con el otro. La elevación del gusto de las masas favorece el surgimiento de una gran poesia, etcétera. Mientras tanto, una canción anti-intelectualista de Bob Dylan (por consiguiente muy de acuerdo con nuestra época), “The times they are a-changin”, se ha convertido en una especie de himno subversivo de la joven generación. Nada impide que la poesia termine por donde comenzó: Bob Dylan puede ser el mero Homero de nuestros sesenta. ~

La Cultura en México, n° 205, 19 de enero de 1966, p. XVIII.

José Emilio Pacheco.

Bob Dylan – Benjamín Prado

1963.. La couverture de l’album est une photographie de Bob Dylan marchant dans la rue avec à son bras sa petite amie de l’époque, Suze Rotolo (1943-2011). Elle a été prise dans le quartier de Greenwich Village, à l’angle de Jones Street et de West 4th Street, à quelques pas de l’appartement où le couple vivait à l’époque.

Bob Dylan a fêté ses 80 ans lundi 24 mai. Robert Zimmerman, l’homme aux 600 chansons, est né le 24 mai 1941 à Duluth dans le Minnesota. Il a reçu le Prix Nobel de Littérature en 2016.

La chanson Hurricane de Bob Dylan a incité Benjamín Prado à 17 ans à écrire des poèmes.

Mi vida se llama Bob Dylan (Benjamín Prado)

Hay senderos que son una respuesta al bosque,
hay palomas que mueven los mares de la luna,
hay palabras que corren por la piel como ríos,
porque existe Bob Dylan.

Hay huellas donde pueden leerse los desiertos,
hay mujeres que sueñan con pirámides rojas,
hay canciones que tallan dioses en nuestro oído
porque existe Bob Dylan.

Hay jinetes que huyen con el sol en los ojos,
hay corazones tristes donde muere un océano,
hay caballos que agitan un polvo de otro mundo
porque existe Bob Dylan.

Hay hombres que transforman los sueños en dianas,
hay demonios ocultos en la hoja del cuchillo,
hay versos subterráneos en los papeles rotos
porque existe Bob Dylan.

Hay mañanas y noches
porque existe Bob Dylan.
Hay planetas y oxígeno
porque existe Bob Dylan.
Hay veranos e inviernos
porque existe Bob Dylan.
Porque existe Bob Dylan
hay fruta y hay leones.
Porque existe Bob Dylan
hay silencio y mercurio.
Porque existe Bob Dylan
hay antes y hay después.

Yo nunca he estado solo
porque existe Bob Dylan.

Iceberg, Editorial Visor, 2002.

Federico García Lorca

Federico García Lorca. Huerta de San Vicente, résidence d’été de la famille García Lorca, de 1926 à 1936.

Soneto de la dulce queja

Tengo miedo a perder la maravilla
de tus ojos de estatua y el acento
que me pone de noche en la mejilla
la solitaria rosa de tu aliento.

Tengo pena de ser en esta orilla
tronco sin ramas, y lo que más siento
es no tener la flor, pulpa o arcilla,
para el gusano de mi sufrimiento.

Si tú eres el tesoro oculto mío,
si eres mi cruz y mi dolor mojado,
si soy el perro de tu señorío.

No me dejes perder lo que he ganado
y decora las aguas de tu río
con hojas de mi otoño enajenado.

Sonetos del amor oscuro.

Sonnet de la douce plainte

J’ai peur de perdre la merveille
de tes yeux de statue et cet accent
que vient poser la nuit près de ma tempe
la rose solitaire de ton haleine.

Je m’attriste de n’être en cette rive
qu’un tronc sans branche et mon plus grand tourment
est de n’avoir la fleur ou la pulpe ou l’argile
qui nourrirait le ver de ma souffrance.

Si tu es le trésor que je recèle,
ma douce croix et ma douleur noyée,
et si je suis le chien de ton altesse,

ah, garde-moi le bien que j’ai gagné
et prends pour embellir ta rivière
ces feuilles d’un automne désolé.

Traduction: André Belamich.

Sonnets de l’amour obscur. Poésies IV. Poésie Gallimard n°185. 1985.

Une autre traduction:

Sonnet de la douce plainte

J’ai peur de perdre la merveille
de tes yeux de statue, et l’accent
que, pendant la nuit, pose sur ma joue
la rose solitaire de ton haleine.

J’ai peine à n’être en cette rive
qu’un tronc sans branches; et ce qui me désole
est de ne pas avoir la fleur, pulpe ou argile,
pour le ver de ma souffrance.

Et si toi tu es mon trésor occulte,
si tu es ma croix, ma douleur mouillée,
si je suis le chien de ton domaine,

ne me laisse perdre ce que j’ai gagné
et décore les eaux de ton fleuve
avec des feuilles de mon automne désolé.

Traduction : Yves Véquaud. La désillusion du monde. Orphée/La Différence. 1989.

Les sonnets Tengo miedo a perder la maravilla (Soneto de la dulce queja) et El poeta pide a su amor que le escriba ont été publiés en appendice de l’édition de Diván del Tamarit de Rolfe Humphries en 1940. La traduction complète des onze sonnets en français (André Belamich) date de 1981. Leur première publication complète en espagnol est de 1983.

Vicente Aleixandre se souvient de la lecture faite chez lui (Velintonia, 3. Madrid) par le poète des Sonnets de l’amour obscur:

« Su corazón no era ciertamente alegre. Era capaz de toda la alegría del universo; pero su sima profunda, como la de todo gran poeta, no era la de la alegría. Quienes le vieron pasar por la vida como un ave llena de colorido, no le conocieron. Su corazón era como pocos, apasionado, y una capacidad de amor y de sufrimiento ennoblecía cada día más aquella noble frente. Amó mucho, cualidad que algunos superficiales le negaron. Y sufrió por amor, lo que probablemente nadie supo. Recordaré siempre la lectura que me hizo, tiempo antes de partir para Granada, de su última obra lírica, que no habíamos de ver terminada. Me leía sus Sonetos del amor oscuro, prodigio de pasión, de entusiasmo, de felicidad, de tormento, puro y ardiente monumento al amor, en que la primera materia es ya la carne, el corazón, el alma del poeta en trance de destrucción. Sorprendido yo mismo, no pude menos que quedarme mirándo1e y exclamar: “Federico, ¡qué corazón! ¡Cuánto ha tenido que amar, cuánto que sufrir!” Me miró y se sonrió como un niño. Al hablar así no era yo probablemente el que hablaba. Si esa obra no se ha perdido; si, para honor de la poesía española y deleite de las generaciones hasta la consumación de la lengua, se conservan en alguna parte los originales, cuántos habrá que sepan, que aprendan y conozcan la capacidad extraordinaria, la hondura y la capacidad sin par del corazón de su poeta.»,

Federico, 1937.

​ Jean Cassou

«Heureuse, géniale, miraculeuse, éminemment gracieuse, [la poésie de Federico Garcia Lorca] est aussi tragique. Et c’est là sans doute la raison profonde de son universel succès. Ses pièces sont fascinantes parce qu’elles sont, non seulement tragiques, mais la tragédie même, l’actus tragicus, l’auto sacramental, la représentation, non point d’une circonstance particulière et de ses contingentes conséquences, mais de la Fatalité elle-même et de l’inexorable accomplissement de sa menace : elles sont une algèbre de la Fatalité. Et la moindre des poésies lyriques de Federico Garcia Lorca ou tel moment de celles-ci qui se réduit à un cri, à un soupir, à l’incantatoire évocation d’une chose, nuit, lune, rivière, cheval, femme, cloche, olive, possèdent la même vertu. Laquelle est si puissante que même à travers la traduction (et il faut dire que les traductions françaises ici réunies sont toutes des réussites extraordinaires, fruit de ferveurs diverses, mais également au-dessus de tout éloge) on perçoit le son et la chanson,le ton, le tour, l’évidence du langage original, sa vérité espagnole, sa vérité populaire. Et du même coup se laissent deviner, inhérente au délice, poignante, obscure, terrible, la présence de la passion et, imminente, l’effusion du sang.»

Huerta de San Vicente.

Robert Desnos

Portrait de Robert Desnos (Ernest Pignon-Ernest), 2008.

Biographie de Robert Desnos dans le Maitron. Notice DESNOS Robert, Pierre [Pseudonymes dans la clandestinité : VALENTIN ; Valentin GUILLOIS ; CANCALE ; Lucien GALLOIS ; Pierre ANDIER] par Renaud Poulain-Argiolas, version mise en ligne le 3 décembre 2020, dernière modification le 6 décembre 2020.

https://maitron.fr/spip.php?article234637

(…) Tu diras au revoir pour moi à la petite fille du pont
à la petite fille qui chante de si jolies chansons
à mon ami de toujours que j’ai négligé
à ma première maîtresse
à ceux qui connurent celle que tu sais
à mes vrais amis et tu les reconnaîtras aisément
à mon épée de verre
à ma sirène de cire
à mes monstres à mon lit
Quant à toi que j’aime plus que tout au monde
Je ne te dis pas encore au revoir
Je te reverrai.
Mais j’ai peur de n’avoir plus longtemps à te voir. (…)

Siramour. Paru dans la revue Commerce, été 1931. Fortunes, Éditions Gallimard. 1942.

L’Épitaphe

J’ai vécu dans ces temps et depuis mille années
Je suis mort. Je vivais, non déchu mais traqué.
Toute noblesse humaine étant emprisonnée
J’étais libre parmi les esclaves masqués.

J’ai vécu dans ces temps et pourtant j’étais libre.
Je regardais le fleuve et la terre et le ciel.
Tourner autour de moi, garder leur équilibre
Et les saisons fournir leurs oiseaux et leur miel.

Vous qui vivez qu’avez-vous fait de ces fortunes ?
Regrettez-vous les temps où je me débattais ?
Avez-vous cultivé pour des moissons communes ?
Avez-vous enrichi la ville où j’habitais ?

Vivants, ne craignez rien de moi, car je suis mort.
Rien ne survit de mon esprit ni de mon corps.

Contrée. 1944.

1987.

Francisco Brines

Francisco Brines, jeune.

Le poète valencien Francisco Brines, Prix Cervantès 2020, est mort aujourd’hui 20 mai à l’hôpital de Gandía. Il avait 89 ans. C’était le dernier représentant des poètes de la génération des années 50. Il a su continuer la tradition de la grande poésie espagnole, celle d’Antonio Machado, Juan Ramón Jiménez, Luis Cernuda. Ses thèmes de prédilection: le passage du temps, l’amour et la mort. Il évoque aussi son enfance heureuse à Elca , sa maison natale à Oliva . Comme d’autres poètes de sa génération, il a su faire du paysage méditerranéen l’une des sources principales de son inspiration. L’ été et la mer sont pour lui des moments de bonheur physique intense. La Méditerranée, ce sont les saveurs, les odeurs.

RIP, poeta.

Donde muere la muerte

Donde muere la muerte,
porque en la vida tiene tan sólo su existencia.
En ese punto oscuro de la nada
que nace en el cerebro,
cuando se acaba el aire que acariciaba el labio,
ahora que la ceniza, como un cielo llagado,
penetra en las costillas con silencio y dolor,
y un pañuelo mojado por las lágrimas se agita
hacia lo negro.
Beso tu carne aún tibia.
Fuera del hospital, como si fuera yo, recogido
en tus brazos,
un niño de pañales mira caer la luz,
sonríe, grita, y ya le hechiza el mundo,
que habrá de abandonarle.
Madre, devuélveme mi beso.

[Publicado por primera vez en la revista «Cuadernos Aispi», publicación semestral de la Associazione Ispanisti Italiani]

El porqué de las palabras

No tuve amor a las palabras;
si las usé con desnudez, si sufrí en esa busca,
fue por necesidad de no perder la vida,
y envejecer con algo de memoria
y alguna claridad.

Así uní las palabras para quemar la noche,
hacer un falso día hermoso,
y pude conocer que era la soledad el centro de este mundo.
Y sólo atesoré miseria,
suspendido el placer para experimentar una desdicha nueva,
besé en todos los labios posada la ceniza,
y fui capaz de amar la cobardía porque era fiel y era digna
del hombre.

Hay en mi tosca taza un divino licor
que apuro y que renuevo;
desasosiega, y es
remordimiento;
tengo por concubina a la virtud.
No tuve amor a las palabras,
¿cómo tener amor a vagos signos
cuyo desvelamiento era tan sólo
despertar la piedad del hombre para consigo mismo?

En el aprendizaje del oficio se logran resultados:
llegué a saber que era idéntico el peso del acto que resulta de lenta                                                                     reflexión y el gratuito,
y es fácil desprenderse de la vida, o no estimarla,
pues es en la desdicha tan valiosa como en la misma dicha.

Debí amar las palabras;
por ellas comparé, con cualquier dimensión del mundo externo:
el mar, el firmamento,
un goce o un dolor que al instante morían;
y en ellas alcancé la raíz tenebrosa de la vida.
Cree el hombre que nada es superior al hombre mismo:
ni la mayor miseria, ni la mayor grandeza de los mundos,
pues todo lo contiene su deseo.

Las palabras separan de las cosas
la luz que cae en ellas y la cáscara extinta,
y recogen los velos de la sombra
en la noche y los huecos;
mas no supieron separar la lágrima y la risa,
pues eran una sola verdad,
y valieron igual sonrisa, indiferencia.
Todo son gestos, muertes, son residuos.

Mirad al sigiloso ladrón de las palabras,
repta en la noche fosca,
abre su boca seca, y está mudo.

Insistencias en Luzbel, Madrid, Visor, 1977.

Roberto Juarroz II 1925 – 1995

Les textes en prose du poète argentin sont aussi de grande qualité. Il s’agit d’un des écrivains argentins les plus importants du XX ème siècle, période pourtant faste pour la littérature de ce pays.

Poésie et réalité. Paris, Lettres vives, 1987. Traduction: Jean-Claude Masson.

« Quand le grand rabbin Israël Baal Shem-Tov pensait qu’une menace se profilait contre le peuple juif, il avait coutume d’aller concentrer son esprit en certain lieu du bois ; là, il allumait un feu, récitait certaine prière et le miracle s’accomplissait: le danger était écarté. Plus tard, quand son disciple, le célèbre Maguid de Mezeritsch, devait implorer le ciel pour les mêmes raisons, il accourait au même endroit et disait: « Maître de l’Univers, écoute-moi. Je ne sais comment allumer le feu, mais je suis encore capable de réciter la prière.» Et le miracle s’accomplissait. Plus tard, le rabbin Mosh-Leib de Sassov allait également au bois pour sauver son peuple, et il disait: « Je ne sais comment allumer le feu, je ne connais pas la prière, mais je peux me placer à l’endroit propice et cela devrait suffire. » Et cela suffisait, et le miracle s’accomplissait. Ensuite, c’est au rabbin Israël de Rizzin qu’il revint d’éloigner la menace. Assis dans son fauteuil, la tête entre les mains, il parlait à Dieu en ces termes: « Je suis incapable d’allumer le feu, je ne connais pas la prière, je ne puis pas même trouver le lieu du bois. Tout ce que je sais faire, c’est raconter cette histoire. Cela devrait suffire.» Et cela suffisait. Dieu a créé l’homme parce qu’il aime les histoires.

Qu’il soit ou non question de Dieu, la réalité a produit l’homme parce quelque chose en elle, tout au fond, mystérieusement, réclame des histoires. Autrement dit, il semble y avoir, au tréfonds du réel, une demande de narration, d’illumination, de vision et peut-être d’argument à laquelle les hommes doivent pourvoir, qu’il y ait ou n’y ait pas d’autre sens. Il ne s’agit pas de l’histoire au sens vulgaire du terme, l’histoire de l’historiographie, semée de crimes et d’aberrations, mais de cet enchaînement secret de faits profonds qui constitue la véritable histoire de l’humanité – et peut-être davantage. J’ai toujours pensé la poésie comme la plus éminente manifestation de cette histoire occulte des hommes et de la correspondance ineffable avec la réalité qui s’y révèle, au-delà du gonflement du simple temps linéaire, au-delà des formules et des systèmes qui codifient la connaissance, la prière, le regard, le geste, le lieu, l’amour, le bois et même le feu. Je crois en outre que la réalité et la poésie, telles qu’elles se présentent à l’homme, exigent un détachement graduel, un dépouillement progressif, une croissante mise à nu, comme dans la parabole hassidique, afin de nous approcher du noyau essentiel de ce qu’il y a ou de ce qui existe, de ce qui est ou nous paraît être.»

Poesía y realidad, 1992. Valencia, Pre-textos.

« Cuando el gran rabino Israel Baal Shem-Tov creía que se tramaba una desgracia contra el pueblo judío, tenía por costumbre ir a concentrar su espíritu en cierto lugar del bosque; allí encendía un fuego, recitaba cierta plegaria y el milagro se cumplía: la desgracia quedaba rechazada. Más adelante, cuando su discípulo, el célebre Maguid de Mezeritsch tenía que implorar al cielo por las mismas razones, acudía a aquel mismo lugar del bosque y decía: “Señor del Universo, préstame oído. No sé cómo encender el fuego, pero todavía soy capaz de recitar la plegaria”. Y el milagro se cumplía. Más adelante, el rabino Moshe-Leib de Sassov, para salvar a su pueblo, iba también la bosque y decía: “No sé cómo encender el fuego, no conozco la plegaria, pero puedo situarme en el lugar propicio y esto debería ser suficiente”. Y esto era suficiente: también, entonces, el milagro se cumplía. Después, le tocó el turno al rabino Israel de Rizsin de apartar la amenaza. Sentado en su sillón, se tomaba la cabeza entre las manos y hablaba así a Dios: “Soy incapaz de encender el fuego, no conozco la plegaria, ni siquiera puedo encontrar el lugar en el bosque. Todo lo que sé hacer es contar esta historia. Esto debería bastar”. Y esto bastaba. Dios creo al hombre porque le gustan las historias.

Se hable de Dios o no se hable, la realidad produjo al hombre porque algo en ella, en su fondo, misteriosamente, pide historias. O dicho de otro modo, parece haber en lo profundo de lo real un reclamo de narración, de iluminación, de visión y hasta quizá de argumento que los hombres deben proveer, haya o no haya otro sentido. No se trata de la historia vulgar, la historia de la historiografía, sembrada de crímenes y aberraciones, sino de esa ilación secreta de hechos profundos que constituye la verdadera historia de la humanidad y tal vez de algo más. Siempre he pensado a la poesía como la manifestación más eminente de esa historia oculta de los hombres y el inefable empalme con la realidad que allí se revela, más allá del simple y entumecido tiempo lineal, más allá de las fórmulas y los sistemas que codifican el conocimiento, la plegaria, la mirada, el gesto, el lugar, el amor, el bosque y hasta el fuego. Creo, además, que la realidad y la poesía, tal como se dan al hombre, exigen un desprendimiento gradual, un progresivo despojamiento, una desnudez creciente, como en la parábola jasídica, hasta acercarnos al núcleo esencial de lo que hay o existe o es o nos parece que es. »

Catálogo Saltos verticales: Roberto Juarroz entre nosotros. 2019.