Ucero (Soria). Ermita de San Bartolomé, en el cañón del río Lobos. Primer cuarto del siglo XIII.
Gracias a la Fundación Española Antonio Machado. Soria – Madrid. ¡Feliz Navidad!
XCVI. Sol de invierno (Antonio Machado)
Es mediodía. Un parque. Invierno. Blancas sendas; simétricos montículos y ramas esqueléticas.
Bajo el invernadero, naranjos en maceta, y en su tonel, pintado de verde, la palmera.
Un viejecillo dice, para su capa vieja: «¡El sol, esta hermosura de sol!…» Los niños juegan.
El agua de la fuente resbala, corre y sueña lamiendo, casi muda, la verdinosa piedra.
Soledades. Galerías. Otros poemas. VI Varia. 1907.
XCVI. Soleil d’hiver
Il est midi. Un parc. L’hiver. De blancs sentiers ; des monticules symétriques, des branches squelettiques.
Dans la serre chaude, des orangers en pot, et dans son tonneau, peint en vert, le palmier.
Un petit vieillard dit à son vieux manteau : «Le soleil, quel splendeur ce soleil !… » Les enfants jouent.
L’eau de la fontaine coule, glisse et rêve, léchant, quasi muette, la pierre vert-de-gris.
Champs de Castille, Solitudes, Galeries et autres poèmes et Poésies de la guerre. Traduction : Sylvie Léger et Bernard Sesé. Paris, Gallimard, 1973; Paris, collection Poésie/ Gallimard, 1981 (n°144).
Ady Fidelin, Marie Cuttoli, Man Ray, Paul Cuttoli, Pablo Picasso, Dora Maar. Antibes, 1937.
Mardi 14 décembre, dans l’exposition Picasso l’étranger au Musée de l’Histoire de l’immigration (4 novembre 2021 – 13 février 2022) (Commissariat: Annie Cohen-Solal, assistée d’Elsa Rigaux.), j’ai remarqué une lettre manuscrite d’Henri Laugier du 1 janvier 1961 envoyée à Pablo Picasso et accompagnée d’une copie manuscrite d’un texte de Paul Valéry (Paris, Musée national Picasso), Fortune selon l’esprit. Henri Laugier (1888-1973) est un physiologiste et haut fonctionnaire, très lié à Marie Cuttoli (1879-1973), collectionneuse, gérante de l’atelier de tapis d’art Myrbor et amie de Picasso qu’elle reçoit avant-guerre dans sa villa Shady Rock d’Antibes.
Minotaure 1935. Tapisserie des ateliers d’Aubusson (Marie Cuttoli), d’après un papier collé de Picasso du 1 janvier 1928. Antibes, Musée Picasso.
Fortune selon l’esprit (Paul Valéry)
Je ne demanderai à la fortune que les conditions physiques et chimiques de la liberté de l’esprit – le tiède, le frais, le calme, l’espace, le temps, le mouvement – selon le besoin. Un robinet que l’on ouvre ou que l’on ferme, et d’où coulent la solitude ou le monde, les montagnes ou les forêts, la mer ou bien la femme. Et des instruments de travail. Le luxe m’est indifférent. Je ne regarde pas les « belles choses ». C’est en faire qui m’intéresse, en imaginer, en réaliser. Une fois faites, ce sont des déchets. Nourrissez-vous de nos déchets. Transformer le désordre en ordre. Mais une fois l’ordre créé, mon rôle est terminé. Vixi. L’œuvre d’art me donne des idées, des enseignements, pas de plaisir. Car mon plaisir est de faire, non de subir. Mais l’ouvrage qui m’impose du plaisir, son bon plaisir, m’inspire vénération, terreur, sentiment d’une force supérieure.
Mélange, Gallimard, 1941.
Mathilde Pomés, 1931.
La recherche de ce texte m’a mis sur la piste de Mathilde Pomés (1886-1977), hispaniste et traductrice, dont je connaissais les contacts avec les écrivains espagnols de la Génération de 1898, mais aussi avec ceux de la Génération de 1927. Amie d’Henry de Montherlant et de Paul Valéry, c’est la première femme à obtenir l’agrégation masculine d’espagnol (major en 1916). Elle publie Poètes espagnols d’aujourd’hui aux éditions Labor de Bruxelles en 1934 et chez Stock en 1957 une Anthologie de la Poésie Espagnole. Un hommage lui est rendu par de nombreux écrivains espagnols au restaurant Buenavista de Madrid le 10 avril 1931. Vicente Aleixandre, Prix Nobel de Littérature en 1977, considérait Mathilde Pomés comme “el verdadero cónsul de la poesía española en Europa”
Elle a légué un millier de lettres de 160 correspondants à ses amis Manuel Sito Alba, directeur de la Biblioteca española de París, et Elisa Ruiz García, son épouse, catedrática emérita de la Facultad de Geografía e Historia de la Universidad Complutense de Madrid. Ceux-ci les ont données à la Bibliothèque Nationale de Madrid qui a organisé une exposition du 30 septembre 2016 au 8 janvier 2017 : Cartas a una mujer: Mathilde Pomès (1886-1977).
Madrid, Residencia de Estudiantes 1913-1915 (Antonio Flórez Urdapilleta 1877-1941).
Elle décrit ainsi la visite de Paul Valéry à Madrid au printemps 1924.
Paul Valéry et l’Espagne (Mathilde Pomés)
Le voyage, au temps de la jeunesse de Paul Valéry, n’était point article forfaitaire. C’était une entreprise individuelle, avec ses risque et ses profits singuliers. Uni à l’Italie pas des liens de famille, Valéry se déplace volontiers de sa Sète natale à Gênes, dont il a tracé de prestes, chatesques, odorants croquis. Marié, il se rend en voyage de noces en Belgique et à Cologne. Puis commence cette longue période de silence, de travail, de constitution de trésor qui durera jusqu’à l’après-guerre ; période simplement coupée de quelques déplacements intérieurs, que l’on peut dire sédentaire. Tout à coup la gloire se lève, envahit sa vie, l’écartèle. Valéry ne se possède plus ; on se dispute sa présence, on se l’arrache. C’est avant le plus fort de cette ruée qu’il reçoit son baptême espagnol. Venant d’Italie par Toulon et Montpellier, il passe pour la première fois les Pyrénées le 16 Mai 1924. La société de Cours et Conférences, que préside le duc d’Albe, lui a demandé deux conférences. Á Madrid le conférencier loge à la Residencia de Estudiantes, rue del Pinar, sur cette douce colline que le grand poète Juan Ramón Jiménez quand, en 1915, avant son mariage, il y résidait lui-même, avait baptisée « la colline des peupliers ». Valéry y parle les 17 et 20 mai, sur « Baudelaire et sa postérité » (dans l’intervalle, à l’Institut français, sur « Ronsard et l’esprit de la Pléiade ») La jeunesse intellectuelle se presse autour de lui. La courtoisie, l’empressement de ses hôtes ne le laissent pas seul. Il ne court pas la ville, ne flâne pas ; il ne visite même pas à son gré le Prado. On ne lui fait grâce ni de l’Escorial, ni de Tolède, ni d’Aranjuez. Après quoi, il faut prolonger chaque soirée jusqu’à quatre ou cinq heures du matin, c’est à dire jusqu’au moment où, d’habitude, Valéry se lève. Il revient étourdi de veilles, de questions, de remarques, de vivacité, d’esprit. Il n’a retenu que des hommes. Quels êtres que ces Espagnols ! Toujours tendus, à la pointe d’eux-mêmes, vibrants, nerveux, prêts à voler ! Les fameux frondeurs d’Annibal, c’est eux-mêmes qu’ils lançaient.
– Qu’avez-vous vu à Madrid ?
– Ortega, Marichalar, Morente, Jiménez Fraud…
– Et la poésie ? Et Juan Ramón Jiménez !
– Sous les espèces de roses…
– Vous dites ?
– Que je n’ai vu ce grand poète que sous la plus belle apparence qu’il pût prendre, celle des merveilleuses roses qu’il m’a envoyées…
Á cette rencontre manquée, Valéry supplée par un compliment en vers :
À Juan Ramón Jiménez (Paul Valéry)
que me envió tan preciosas rosas…
…Voici la porte refermée Prison des roses de quelqu’un ?… La surprise avec le parfum Me font une chambre charmée…
Seul et non seul, entre ces murs, Dans l’air les présents les plus purs Font douceur et gloire muette – J’y respire un autre poète.
Gustave Flaubert (Paul Gabriel Capellaro 1862-1938). Versailles, châteaux de Versailles et de Trianon.
Le 12 décembre 1821, à quatre heures du matin, est né à Rouen, Gustave Flaubert, fils de Achille-Cléophas Flaubert , chirurgien en chef à l’Hôtel-Dieu de cette ville, et d’Anne-Justine-Caroline Fleuriot.
Gallica propose de retrouver toutes ses ressources consacrées au romancier : sélections, dossier d’écrivain, billets de blog, manuscrits et éditions prestigieuses.
Je conseille aussi la lecture de Flaubert, les luxures de la plume de Marie Paule Farina. L’Harmattan, 2020.
Quelques citations retrouvées un peu au hasard :
Lettre à Louis Bouilhet, 18 février 1851.
« Mais j’éprouve par là le premier symptôme d’une décadence qui m’humilie et que je sens bien. Je grossis, je deviens bedaine et commence à faire vomir. Peut-être que bientôt je vais regretter ma jeunesse et, comme la grand’mère de Béranger, le temps perdu. Où es tu, chevelure plantureuse de mes dix-huit ans, qui me tombais sur les épaules avec tant d’espérances et d’orgueil ! Oui, je vieillis ; il me semble que je ne peux plus rien faire de bon. J’ai peur de tout en fait de style. Que vais-je écrire à mon retour ? Voilà ce que je me demande sans cesse. »
Lettre à Louise Colet, 26 mars 1854
« Chaque voix trouve son écho ! Je pense souvent avec attendrissement aux êtres inconnus, à naître, étrangers, etc., qui s’émeuvent ou s’émouvront des mêmes choses que moi. Un livre, cela vous crée une famille éternelle dans l’humanité. Tous ceux qui vivront de votre pensée, ce sont comme des enfants attablés à votre foyer. Aussi quelle reconnaissance, j’ai, moi, pour ces pauvres vieux braves dont on se bourre à si large gueule, qu’il semble que l’on a connus, et auxquels on rêve comme à des amis morts.”
Lettre à Mlle Leroyer de Chantepie, 4 septembre 1858.
“Pourquoi ne travaillez-vous pas ? Le seul moyen de supporter l’existence, c’est de s’étourdir dans la littérature comme dans une orgie perpétuelle. Le vin de l’Art cause une longue ivresse et il est inépuisable. C’est de penser à soi qui rend malheureux”
Lettre à Léon de Saint-Valéry, 15 janvier 1870.
« Vous me demandez de vous répondre franchement à cette question : « Dois-je continuer à faire des romans ? » Or, voici mon opinion : il faut toujours écrire, quand on en a envie. Nos contemporains (pas plus que nous-mêmes) ne savent ce qui restera de nos œuvres. Voltaire ne se doutait pas que le plus immortel de ses ouvrages était Candide. Il n’y a jamais eu de grands hommes, vivants. C’est la postérité qui les fait. – Donc travaillons si le cœur nous en dit, si nous sentons que la vocation nous entraîne »
Lettre à George Sand, 4 décembre 1872.
“Car j’écris (je parle d’un auteur qui se respecte), non pour le lecteur d’aujourd’hui mais pour tous les lecteurs qui pourront se présenter tant que la langue vivra. Ma marchandise ne peut donc être consommée maintenant, car elle n’est pas faite exclusivement pour mes contemporains. Mon service reste donc indéfini et, par conséquent, impayable.»
Lettre à Guy de Maupassant, 9 août 1878. «Prenez garde à la tristesse. C’est un vice. On prend plaisir à être chagrin et, quand le chagrin est passé, comme on y a usé des forces précieuses, on en reste abruti. Alors on a des regrets, mais il n’est plus temps. Croyez-en l’expérience d’un scheik à qui aucune extravagance n’est étrangère.»
Je relis Roberto Juarroz et je compare les traductions de Fernand Verhesen (1913-2009) et celles de Roger Munier (1923-2010) . La collection Poésie/Gallimard, créée en mars 1966, vient de republier les traductions du premier. C’est précieux car elle privilégie enfin les éditions bilingues.
(Roberto Juarroz)
La vida nos va haciendo marcas como si tallara ciertos datos sobre una vara. Y esas marcas duran más que nosotros.
Parecemos el ayuda-memoria de un sombrío quehacer o el soporte accidental de un mensaje que se apoya un momento y continúa.
Las ancestrales disonancias danzan sobre los paredones deshilvanados y su funambulesca coreografía encuentra allí las figuras necesarias para desatar los impávidos jeroglíficos.
Las marcas que llevamos nos sobrevivirán como trincheras abandonadas. Y como todas las trincheras, por mucho que las rellenen, seguirán aguardando el retorno del áspero combate que circuló por las carnales incisuras de sus cavados y olvidados laberintos.
Cuarta poesía vertical. Buenos Aires, Aditor. 1969.
(Roberto Juarroz)
La vie nous fait des marques comme si elle taillait certaines données sur un bâton. Et ces marques durent plus que nous.
Nous ressemblons à l’aide-mémoire d’une obscure occupation ou au support accidentel d’un message qui s’appuie un moment et continue.
Les dissonances ancestrales dans sur les gros murs défaufilés et leur funambulesque chorégraphie trouve là les figures nécessaires pour dénouer les hiéroglyphes impavides.
Les marques que nous portons nous survivront comme des tranchées abandonnées. Et comme toutes les tranchées, pour autant qu’on les remplisse, attendront le retour de l’âpre combat qui circula dans les charnelles incisions de ses labyrinthes creusés et oubliés.
Quatrième poésie verticale. 1972. Éditions Le Cormier. Traduction Fernand Verhesen.
Poésies verticales. I-II-III-IV-XI Traduction Fernand Verhesen. Édition de Réginald Gaillard.
” Al otro, a Borges, es a quien le ocurren las cosas. Yo camino por Buenos Aires y me demoro, acaso ya mecánicamente, para mirar el arco de un zaguán y la puerta cancel; de Borges tengo noticias por el correo y veo su nombre en una terna de profesores o en un diccionario biográfico. Me gustan los relojes de arena, los mapas, la tipografía del siglo XVIII, el sabor del café y la prosa de Stevenson; el otro comparte esas preferencias, pero de un modo vanidoso que las convierte en atributos de un actor. Sería exagerado afirmar que nuestra relación es hostil; yo vivo, yo me dejo vivir, para que Borges pueda tramar su literatura y esa literatura me justifica. Nada me cuesta confesar que ha logrado ciertas páginas válidas, pero esas páginas no me pueden salvar, quizá porque lo bueno ya no es de nadie, ni siquiera del otro, sino del lenguaje o la tradición. Por lo demás, yo estoy destinado a perderme, definitivamente, y sólo algún instante de mí podrá sobrevivir en el otro. Poco a poco voy cediéndole todo, aunque me consta su perversa costumbre de falsear y magnificar. Spinoza entendió que todas las cosas quieren perseverar en su ser; la piedra eternamente quiere ser piedra y el tigre un tigre. Yo he de quedar en Borges, no en mí (si es que alguien soy), pero me reconozco menos en sus libros que en muchos otros o que en el laborioso rasgueo de una guitarra. Hace años yo traté de librarme de él y pasé de las mitologias del arrabal a los juegos con el tiempo y con lo infinito, pero esos juegos son de Borges ahora y tendré que idear otras cosas. Así mi vida es una fuga y todo lo pierdo y todo es del olvido, o del otro. No sé cuál de los dos escribe esta página. “
El hacedor, 1960. Buenos Aires, Emecé Editores.
Borges et moi
« C’est à l’autre, à Borges, que les choses arrivent. Moi, je marche dans Buenos Aires, je m’attarde peut-être machinalement, pour regarder la voûte d’un vestibule et la grille d’un patio. J’ai des nouvelles de Borges par la poste et je vois son nom proposé pour une chaire ou dans un dictionnaire biographique. J’aime les sabliers, les planisphères, la typographie du XVIIIe siècle, le goût du café et la prose de Stevenson ; l’autre partage ces préférences, mais non sans complaisance et d’une manière qui en fait des attributs d’acteur. Il serait exagéré de prétendre que nos relations sont mauvaises. Je vis et me laisse vivre, pour que Borges puisse ourdir sa littérature et cette littérature me justifie. Je confesse volontiers qu’il a réussi quelques pages de valeur, mais ces pages ne peuvent rien pour moi, sans doute parce que ce qui est bon n’appartient à personne, pas même à lui, l’autre, mais au langage et à la tradition. Au demeurant, je suis condamné à disparaître, définitivement, et seul quelque instant de moi aura chance de survivre dans l’autre. Peu à peu, je lui cède tout, bien que je me rende compte de sa manie perverse de tout falsifier et exagérer. Spinoza comprit que toute chose veut persévérer dans son être ; la pierre éternellement veut être pierre et le tigre un tigre. Mais moi je dois persévérer en Borges, non en moi (pour autant que je sois quelqu’un). Pourtant je me reconnais moins dans ses livres que dans beaucoup d’autres ou que dans le raclement laborieux d’une guitare. Il y a des années, j’ai essayé de me libérer de lui et j’ai passé des mythologies de banlieue aux jeux avec le temps et l’infini, mais maintenant ces jeux appartiennent à Borges et il faudra que j’imagine autre chose. De cette façon, ma vie est une fuite où je perds tout et où tout va à l’oubli, ou à l’autre. Je ne sais pas lequel des deux écrit cette page. »
L’auteuret autres textes. Gallimard, 1965. Traduction de Roger Caillois.
(Merci à Gio Bonzon pour ses photos de Torremolinos et de Málaga qui me redonnent la nostalgie du Sud.)
Torremolinos. Amanecer.
Depuis 2009, on peut voir dans le cimetière de cette ville de la Costa del Sol une plaque qui reproduit le poème de Luis Cernuda, Elegía anticipada, tiré du recueil Como quien espera el alba (1947). Le poète de Séville logea en 1928 dans la pension Castillo de Santa Clara, propriété d’un anglais, George Langworthy. Salvador Dalí et Gala passèrent là aussi plusieurs semaines en mai 1930. Torremolinos était alors un petit village de pêcheurs rattaché à Málaga. Dans un autre poème El indolente, Cernuda surnomme Torremolinos, Sansueña. Le nom évoque el sueño, le rêve. On trouve aussi un poème en prose intitulé de la même façon dans Ocnos (1942). Il fut publié pour la première fois dans le supplément littéraire du journal La Verdad de Murcie (n°56, 18 juillet 1926). Le poète est mort en exil en 1963 à México. il ne revit jamais l’Andalousie qu’il aimait tant.
Elegía anticipada (Luis Cernuda)
Por la costa del sur, sobre una roca alta junto a la mar, el cementerio aquel descansa en codiciable olvido, y el agua arrulla el sueño del pasado.
Desde el dintel, cerrado entre los muros, huerto parecería, si no fuese por las losas, posadas en la hierba como un poco de nieve que no oprime.
Hay troncos a que asisten fuerza y gracia, y entre el aire y las hojas buscan nido pájaros a la sombra de la muerte; hay paz contemplativa, calma entera.
Si el deseo de alguien que en el tiempo dócil no halló la vida a sus deseos, puede cumplirse luego, tras la muerte, quieres estar allá solo y tranquilo.
Ardido el cuerpo, luego lo que es aire al aire vaya, y a la tierra el polvo, por obra del afecto de un amigo, si un amigo tuviste entre los hombres.
Y no es el silencio solamente, la quietud del lugar, quien así lleva tu memoria hacia allá, mas la conciencia de que tu vida allí tuvo su cima.
Fue en la estación cuando la mar y el cielo dan una misma luz, la flor es fruto, y el destino tan pleno que parece cosa dulce adentrarse por la muerte.
Entonces el amor único quiso en cuerpo amanecido sonreírte, esbelto y rubio como espiga al viento. Tú mirabas tu dicha sin creerla.
Cuando su cetro el día pasa luego a su amada la noche, aún más hermosa parece aquella tierra; un dios acaso vela en eternidad sobre su sueño.
Entre las hojas fuisteis, descuidados de una presencia intrusa, y ciegamente un labio hallaba en otro ese embeleso hijo de la sonrisa y del suspiro.
Al alba el mar pulía vuestros cuerpos, puros aún, como de piedra oscura; la música a la noche acariciaba vuestras almas debajo de aquel chopo.
No fue breve esa dicha. ¿Quién pretende que la dicha se mida por el tiempo? Libres vosotros del espacio humano, del tiempo quebrantasteis las prisiones.
El recuerdo por eso vuelve hoy al cementerio aquel, al mar, la roca en la costa del sur : el hombre quiere caer donde el amor fue suyo un día.
Como quien espera el alba, 1941-1944.
Luis Cernuda. Málaga 2 septembre 1933.
Élégie anticipée
Sur la côte du sud, sur une roche Haute près de la mer, ce cimetière Lointain repose en enviable oubli, Et l’eau berce le songe du passé.
Depuis le seuil, fermé entre les murs, On croirait un jardin, s’il n’ y avait Les dalles reposant dans l’herbe comme Un peu de neige qui ne pèse pas.
Vigueur et grâce y assistent des troncs Et dans l’air et les feuilles, les oiseaux Cherchent un nid à l’ombre de la mort ; Tout est paix contemplative, calme absolu.
Si le désir de qui, au cours du temps ne trouva pas la vie docile à ses désirs Peut s’accomplir ensuite, après la mort, Tu veux reposer là, solitaire et tranquille.
Le corps brûlé, qu’ensuite l’air à l’air Retourne, et à la terre la poussière, Par œuvre de l’affection d’un ami, Si tu eus un ami parmi les hommes.
Et ce n’est pas seulement le silence, Le calme de l’endroit, qui ainsi porte Ta mémoire là-bas, mais la conscience Que ta vie y trouva son sommet.
Ce fut en la saison où la mer et le ciel Brillent du même éclat, la fleur est fruit Et le destin si plein que, semble-t-il, Il sera doux de glisser dans la mort.
Et l’amour unique voulut alors Te sourire à travers l’aube d’un corps, Blond et svelte comme un épi au vent. Tu contemplais ton bonheur sans le croire.
Lorsque le jour passe ensuite son sceptre Á la nuit son aimée, plus belle encore apparaît cette terre ; un dieu peut-être Éternellement veille sur son rêve.
Là vous fûtes parmi les feuilles, oublieux De toute autre présence et follement une lèvre trouvait en l’autre cette extase Qu’engendre le sourire ainsi que le soupir.
La mer à l’aube lustrait vos deux corps, Encore purs, comme de pierre obscure ; Á la nuit la musique caressait Vos âmes au pied de ce peuplier.
Ce bonheur fut sans fin. Qui peut prétendre Que le bonheur ait pour mesure le temps ? Tous deux libres de l’espace des hommes, Vous brisâtes les barrières du temps.
C’est pourquoi aujourd’hui le souvenir revient Au cimetière lointain, à la mer, à la roche Sur la côte du Sud : l’homme désire Mourir là où un jour l’amour lui appartint.
Comme celui qui attend l’aube, 1941-1944. Traduction Jacques Ancet.
La romancière et journaliste espagnole Almudena Grandes vient de mourir ce samedi 27 novembre à Madrid à l’âge de 61 ans. Née à Madrid le 7 mai 1960, elle s’était fait connaître avec un roman érotique en 1989, Las edades de Lulú (Les vies de Loulou), porté à l’écran par Bigas Luna en 1990. Elle avait publié ensuite Te llamaré viernes (1991) et Malena es un nombre de tango (1994) ( Malena c’est un nom de tango). En 2010, elle s’était lancée dans un projet de six volumes indépendants, Episodios de una guerra interminable racontant les années de l’après-guerre civile en Espagne. Cette série est dans la ligne des Episodios nacionales (46 volumes) du grand romancier réaliste Benito Pérez Galdós (1843-1920). Depuis 2008, elle publiait régulièrement des articles dans le quotidien El País. Le 10 octobre dernier, elle avait écrit un article sur le cancer dont elle souffrait depuis un an (Tirar una valla)
Son mari est le poète Luis García Montero, directeur de l’Institut Cervantès depuis 2018.
Livres traduits en français :
Les vies de Loulou. Albin Michel, 1990.
Malena c’est un nom de tango. Plon, 1996 et Pocket 2000.
Atlas de géographie humaine. Grasset, 2000.
Vents Contraires. Grasset, 2003. Livre de poche, 2011.
Le cœur glacé. Éditions JC Lattès, 2008. Livre de poche, 2010. (2 tomes)
Inès et la joie. Éditions JC Lattès, 2012. Livre de poche, 2013.
Le Lecteur de Jules Verne. Éditions JC Lattès, 2013. Livre de poche, 2014.
Les Trois Mariages de Manolita. Éditions JC Lattès, 2016. Livre de poche, 2019.
Les patients du docteur Garcia. Éditions JC Lattès, 2020. Premio Nacional de la Narrativa (2018)
Son décès m’a remis en mémoire la fin du poème de Luis Cernuda Díptico español (Diptyque espagnol) qui date de 1961.
…Hoy, cuando a tu tierra ya no necesitas, Aún en estos libros te es querida y necesaria, Más real y entresoñada que la otra: No ésa, mas aquélla es hoy tu tierra. La que Galdós a conocer te diese, Como él tolerante de lealtad contraria, Según la tradición generosa de Cervantes, Heroica viviendo, heroica luchando Por el futuro que era el suyo, No el siniestro pasado donde a la otra han vuelto.
La real para ti no es esa España obscena y deprimente En la que regentea hoy la canalla, Sino esta España viva y siempre noble Que Galdós en sus libros ha creado. De aquélla nos consuela y cura ésta.
Desolación de la quimera. 1956-1962
…Aujourd’hui, quand de ta terre tu n’as plus besoin, Dans les livres encore elle t’est chère et nécessaire, Plus réelle que l’autre et à demi rêvée ; Pas celle-ci, mais celle-là qui est toujours ta terre. Celle que Galdós t’aurait donnée à connaître, Comme lui tolérante à la loyauté contraire, Selon la généreuse tradition de Cervantès, Héroïque dans la vie, héroïque dans la bataille Pour l’avenir qui était le sien, Et non le sinistre passé où ils ont renvoyé l’autre.
La réalité pour toi n’est pas cette Espagne obscène et déprimante Où gouverne aujourd’hui la canaille, Mais cette Espagne vivante et toujours noble que Galdós a créée dans ses livres. De celle-là il nous console et soigne celle-ci.
Après avoir vu l’exposition de la BnF, je relis ces jours derniers les poèmes de Baudelaire, mais aussi ceux de José Ángel Valente. Pas de de rapport entre ces deux écrivains. Je parcours Fragmentos de un libro futuro. Galaxia Gutenberg Círculo de Lectores, 2000. ( Édition française : Fragments d’un livre futur. Éditions José Corti, 2002. Traduction de Jacques Ancet. ) José Ángel Valente souhaitait publier ce recueil à titre posthume. Il est constitué de quatre-vingt-douze poèmes. Ils sont retranscrits dans l’ordre chronologique par date de composition. Ils couvrent les dix dernières années de la vie de ce poète galicien qui appartient à la génération de l’après-guerre civile ( Generación del 50 ). Dans cette sorte de journal, il revient sur ses sujets de prédilection : les questions métaphysiques, la douleur provoquée par la disparition des êtres chers. Son fils, Antonio, est mort d’une overdose en 1990. Le pressentiment de sa mort prochaine est très présente. On remarque dans ces poèmes le dépouillement, la simplicité du lexique, l’absence de sentimentalisme. La nostalgie colore tout ce qui illumine la vie : la chair, le désir, l’amour, la lumière.
José Ángel Valente est né à Orense (Galice). Après des études de philologie romane à Madrid (Licence à l’Université Complutense de Madrid), il est lecteur à Oxford. Il s’installe en 1958 à Genève et occupe jusqu’en 1975 un poste de fonctionnaire international. C’est un poète, essayiste et traducteur (Constantin Cavafis, Paul Celan, John Donne, Edmond Jabès, John Keats, Eugenio Montale, Dylan Thomas entre autres). Il meurt à Genève le 18 juillet 2000.
– Prix Príncipe de Asturias de las Letras ( 1988 ).
– Prix Reina Sofía de Poesía Iberoamericana ( 1998 ).
– Prix national de littérature (Poésie) ( 2001 ) à titre posthume pour Fragmentos de un libro futuro.
On peut le lire facilement en français dans les excellentes traductions de Jacques Ancet : Trois leçons de ténèbres – Mandorle – L’Eclat. Poésie/Gallimard n°321. 1998.
Llorar por lo perdido cuando no deja huella el pie en la arena que no sea borrada por la cierta sucesión de las aguas.
( 28.VI.1991 )
Pleurer ce qui est perdu quand le pied ne laisse sur le sable trace qui ne soit effacée par la succession certaine des eaux.
( 28.VI.1991 )
A Andrés Sánchez Robayna
El humo aciago de las víctimas.
Todo se deshacía en el aire. La historia como el viento dorado del otoño arrastraba a su paso los gemidos, las hojas, las cenizas, para que el llanto no tuviera fundamento. Disolución falaz de la memoria. Parecía como si todo hubiera sido para siempre borrado.
Para jamás, me digo. Para nunca.
( Sonderaktion, 1943 ) ( 7.08.1992 )
A Andrés Sánchez Robayna
La fumée sinistre des victimes.
Tout se défaisait dans l’air. L’histoire comme le vent doré de l’automne traînait à son passage les gémissements, les feuilles, les cendres, pour que les pleurs soient sans fondement. Fausse dissolution de la mémoire. On aurait dit que tout avait été toujours effacé.
Á jamais, me dis-je. Á tout jamais.
( Sonderaktion, 1943 ) ( 7.08.1992 )
Ha pasado algún tiempo. El tiempo pasa y no deja nada. Lleva, arrastra muchas cosas contigo. El vacío, deja el vacío. Dejarse vaciar por el tiempo como se dejan vaciar los pequeños crustáceos y moluscos por el mar. El tiempo es como el mar. Nos va gastando hasta que somos transparentes. Nos da la transparencia para que el mundo pueda verse a través de nosotros o puedo oírse como oímos el sempiterno rumor del mar en la concavidad de una caracola. El mar, el tiempo, alrededores de lo que no podemos medir y nos contiene.
( Desde del otro costado )( 4.IX.1993 )
Un peu de temps a passé. Le temps passe et ne laisse rien. Il emporte, il traîne beaucoup de choses avec lui. Le vide, il laisse le vide. Se laisser vider par le temps comme les petits crustacés et les mollusques se laissent vider par la mer. Le temps est comme la mer. Il nous use jusqu’à être transparents. Il nous donne la transparence pour que le monde puisse se voir à travers nous ou puisse s’entendre comme nous entendons la sempiternelle rumeur de la mer dans le creux d’un coquillage. La mer, le temps, alentours de ce que nous ne pouvons mesurer et qui nous contient.
( Depuis l’autre côté)(4.IX.1993 )
Caminabas despacio.
Tu cuerpo fatigado aún arrastraba la absoluta ruina de ti.
Te acariciaba tenuemente el sol. Tú ibas disolviéndote en su luz.
Quedaban todavía algunos pasos. ¿Hacia dónde? Ni siquiera sabías con certeza cuántos podrías dar.
( La certeza ) ( 31.III.1996 )
Tu marchais lentement.
Ton corps fatigué traînait encore la ruine absolue de toi-même.
Le soleil te caressait doucement. Tu te dissolvais peu à peu dans sa lumière.
Il restait encore quelques pas. Mais vers où ? Tu ne savais même pas avec certitude combien tu pourrais en faire.
( La certitude ) ( 31.III.1996 )
Cima del canto. El ruiseñor y tú ya sois lo mismo.
( Anónimo: versión )( 25.V.2000 )
Cime du chant. Le rossignol et toi n’êtes plus qu’un.
J’ai très envie de voir l’exposition Baudelaire. La modernité mélancolique, à la BNF, bibliothèque François-Mitterrand, Paris 13ème arrondissement. Peut-être demain. Il s’agit d’une exposition thématique pour célébrer le bicentenaire de la naissance de Charles Baudelaire (1821-1867). Elle a été inaugurée le 3 novembre et durera jusqu’au 13 février 2022. Jean-Marc Chatelain, directeur des réserves des livres rares de la BNF, commissaire général de l’exposition et responsable du catalogue résume ainsi son propos : « Toucher le cœur même de l’acte de la création, aussi bien dans l’œuvre poétique de Baudelaire que dans son œuvre critique. » 200 pièces sont exposées: estampes, lettres autographes, éditions originales, manuscrits, portraits, une de journaux ayant publié ses poèmes.
Hier soir, j’ai relu un des poèmes les plus noirs de Baudelaire:
Le goût du néant
Morne esprit, autrefois amoureux de la lutte, L’Espoir, dont l’éperon attisait ton ardeur, Ne veut plus t’enfourcher ! Couche-toi sans pudeur, Vieux cheval dont le pied à chaque obstacle butte.
Résigne-toi, mon cœur; dors ton sommeil de brute.
Esprit vaincu, fourbu ! Pour toi, vieux maraudeur, L’amour n’a plus de goût, non plus que la dispute ; Adieu donc, chants du cuivre et soupirs de la flûte ! Plaisirs, ne tentez plus un coeur sombre et boudeur !
Le Printemps adorable a perdu son odeur !
Et le Temps m’engloutit minute par minute, Comme la neige immense un corps pris de roideur ; Je contemple d’en haut le globe en sa rondeur Et je n’y cherche plus l’abri d’une cahute.
Avalanche, veux-tu m’emporter dans ta chute ?
Les Fleurs du mal. 1857.
Destruction, (Carlos Schwabe 1866-1926). lllustration pour Les Fleurs du mal de Charles Baudelaire. Paris, imprimé pour Charles Meunier, 1900.
Etel Adnan (Anaïs Barelli). Erquy, 23 septembre 2021.
La peintre et poétesse américano-libanaise Etel Adnan vient de mourir le 14 novembre à Paris. Elle avait 96 ans. Elle est née à Beyrouth le 24 février 1925 d’une mère grecque orthodoxe, née à Smyrne (aujourd’hui Izmir en Turquie), et d’un père syrien musulman, officier de l’Empire ottoman. Elle grandit en parlant le grec et le turc dans une société arabophone. Elle va dans l’école d’un couvent français. Le français devient la langue de ses premiers écrits littéraires. Très jeune, elle étudie l’anglais. Elle suit des études supérieures de lettres-philosophie à la Sorbonne de 1949 à 1953, puis à Berkeley et Harvard. Elle commence à peindre en Californie en 1958. En 1996, elle affirme : « L’art abstrait c’était l’équivalent à l’expression poétique ; je n’ai pas éprouvé le besoin de me servir des mots, mais plutôt des couleurs et des lignes. Je n’ai pas eu le besoin d’appartenir à une culture orientée vers le langage mais plutôt à une forme ouverte d’expression. » Elle utilise aussi des leporellos ( livres dont les pages sont pliées et collées formant comme un accordéon) Elle vivait à Paris depuis les années 1980. Elle est reconnue comme peintre au début des années 2010 : Guggenheim de New York, Mudam à Luxembourg, Centre Paul-Klee à Berne, Fondation Luma en Arles, Documenta (13) 2012 à Kassel, Pointe de la douane de Venise (exposition Luogo e segni – lieux et signes) Centre Georges Pompidou-Paris (Elles font l’abstraction) Centre Pompidou-Metz (Écrire c’est dessiner, 6 novembre 2021 au 21 février 2022). Des galeries prestigieuses la représentaient depuis : galeries Lelong à Paris et à New York, Continua de Pékin et de La Havane, White Cube à Londres, Pace Gallery à New York, Sfeir-Semler à Hambourg et Beyrouth.
Je ne la connaissais pas du tout. Ses tableaux ont attiré mon attention en voyant l’exposition Elles font l’abstraction, il y a quelques mois au Centre Georges Pompidou.
Sans titre. vers 1965. Hambourg, Sfeir-Semler Gallery.
Le Monde (12/11/2021, actualisé le 15/11), L’artiste Etel Adnan est morte presque centenaire.
France Culture (18/05/2012). Émission de Marie Richeux. Pas la peine de crier. Ethel Adnan : « Le temps que prend un poème, c’est la vie entière » (Á partir de 21’24”)