Je choisis un autre poème tiré de l’anthologie des poètes européens du XX ème siècle, un poème de Giuseppe Ungaretti.
Philippe Jaccottet. D’autres astres, plus loin, épars. Poètes européens du XX ème siècle. Domaine étranger. La Dogana, Genève, octobre 2005.
Philippe Jaccottet et Giuseppe Ungaretti se rencontrent pour la première fois en septembre 1946 à Rome. ils ont 37 ans de différence d’âge. Leur correspondance sera pourtant abondante. (Philippe Jaccottet, Giuseppe Ungaretti, Correspondance 1946-1970. Gallimard, « Les Cahiers de la NRF », 2008). Philippe Jaccottet sera un des traducteurs du poète italien. Avant la Première Guerre mondiale, Giuseppe Ungaretti a étudié deux ans à la Sorbonne, et, y étant retourné, a connu Jeanne Dupoix, qui est devenue sa femme en 1920. Il parle le français presque sans accent et l’écrit couramment. Les deux poètes qui sont de générations différentes sont deux ” passeurs “. Ungaretti est traducteur de Shakespeare, Góngora, Racine, Blake, Mallarmé, Saint-John Perse, notamment.
Nostalgia
Quando la notte è a svanire poco prima di primavera e di rado qualcuno passa
Su Parigi s’addensa un oscuro colore di pianto
In un canto di ponte contemplo l’illimitato silenzio di una ragazza tenue
Le nostre malattie si fondono
E come portati via si rimane.
Locvizza il 28 settembre 1916.
Vita di un uomo, Tutte e poesie.
Nostalgie
Quand la nuit est au point de finir au temps que le printemps est proche et que rarement quelqu’un passe
Sur Paris se condense une obscure couleur de larme
Au coin d’un pont je contemple le silence sans limite d’une fille ténue
Nos deux maladies se confondent
Et comme emportés on demeure
Locvizza, 28 septembre 1916.
Vie d’un homme. Poésie, 1914-1970. NRF Poésie / Éditions de Minuit – Gallimard, 1973. Traduction Jean Lescure. Poésie/Gallimard n°147, 1981.
J’ai trouvé hier à la bibliothèque une formidable anthologie de poètes européens du XX ème siècle choisis par Philippe Jaccottet. Je relis quelques poèmes à la nuit tombée dont celui si célèbre d’Antonio Machado. Coup de blues du mois de septembre.
Philippe Jaccottet. D’autres astres, plus loin, épars. Poètes européens du XX ème siècle. Domaine étranger. La Dogana, Genève, octobre 2005.
CXXVI. A José Maria Palacio
Palacio, buen amigo, ¿está la primavera vistiendo ya las ramas de los chopos del río y los caminos? En la estepa del alto Duero, primavera tarda, ¡pero es tan bella y dulce cuando llega!… ¿Tienen los viejos olmos algunas hojas nuevas? Aún las acacias estarán desnudas y nevados los montes de las sierras. ¡Oh mole del Moncayo blanca y rosa, allá, en el cielo de Aragón, tan bella! ¿Hay zarzas florecidas entre las grises peñas, y blancas margaritas entre la fina hierba? Por esos campanarios ya habrán ido llegando las cigüeñas. Habrá trigales verdes, y mulas pardas en las sementeras, y labriegos que siembran los tardíos con las lluvias de abril. Ya las abejas libarán del tomillo y el romero. ¿Hay ciruelos en flor? ¿Quedan violetas? Furtivos cazadores, los reclamos de la perdiz bajo las capas luengas, no faltarán. Palacio, buen amigo, ¿tienen ya ruiseñores las riberas? Con los primeros lirios y las primeras rosas de las huertas, en una tarde azul, sube al Espino, al alto Espino donde está su tierra…
Baeza, 29 de abril de 1913
Campos de Castilla. 1907-1917.
CXXVI. Á José María Palacio
Palacio, mon ami, le printemps déjà revêt-il les branches des peupliers de la rivière et des chemins ? Sur la steppe du haut Douro, le printemps est tardif, mais il est si beau, si doux quand il arrive !… Les vieux ormes ont-ils quelques feuilles nouvelles ? Les acacias encore doivent être nus et enneigés les monts des sierras; Oh! masse du Moncayo, blanche et rose, là-bas, sur le ciel d’Aragon, si belle ! Y-a-t-il des broussailles fleuries entre les rochers gris, de blanches pâquerettes dans l’herbe fine ? Sur vos clochers les cigognes déjà sont sans doute arrivées. Il doit y avoir des champs de blé verdis et des mules grises parmi les semailles, et des paysans semant les plantes tardives avec les pluies d’avril. Les abeilles déjà butineront le thym et le romarin. Y a-t-il des pruniers en fleur ? Reste-t-il des violettes ? Il y a sans doute des chasseurs furtifs dissimulant sous leurs longues capes l’appeau des perdrix. Palacio, mon ami, est-ce que sur les rives chantent les rossignols ? Dès les premiers iris et les premières roses des jardins, par un après-midi d’azur, monte à l’Espino, Là-haut sur l’Espino où se trouve sa terre…
Baeza, 29 avril 1913.
Champs de Castille précédé de Solitudes, Galeries et autres poèmes et suivi des Poésies de la guerre. 2004. Traduction de Sylvie Léger et Bernard Sesé. NRF Poésie/ Gallimard n°144.
Antonio Machado (1875-1939) obtient en 1907 une place de professeur de français à Soria. Il y rencontre Leonor Izquierdo Cuevas, avec laquelle il se marie le 30 juillet 1909. Il a 34 ans, Leonor 15 seulement. Elle meurt de tuberculose le 1 août 1912. Très affecté, le poète quitte Soria pour ne jamais y retourner. Il obtient sa mutation à Baeza, dans la province de Jaén (Andalousie), où il reste jusqu’en 1919. Entre 1919 et 1932, il est professeur de français à Ségovie, près de Madrid. Á partir de 1932, il réside à Madrid. Lorsqu’éclate la Guerre civile en juillet 1936, Antonio Machado est à Madrid. Il met sa plume au service de la République. En novembre 1936, il est évacué avec sa mère, Ana Ruiz, et deux de ses frères, Joaquín et José, à Valence, puis en 1938 à Barcelone. Le 22 janvier 1939, ils sont contraints de fuir vers la France. Arrivé à Collioure, à quelques kilomètres de la frontière, Antonio Machado meurt épuisé le 22 février 1939, trois jours avant sa mère. Il est enterré à Collioure, tandis que la tombe de Leonor se trouve à Soria (Cementerio del Espino).
La mer est encore sombre, les étoiles vacillent quand l’homme seul se lève. Une tiédeur d’haleine s’élève de la rive, où la mer a son lit, et apaise le souffle. C’est l’heure maintenant où rien ne peut arriver. La pipe elle-même pend entre les dents, éteinte. L’eau murmure tranquille, nocturne. L’homme seul a déjà allumé un grand feu de branchages et regarde le sol qui rougeoie. Bientôt la mer sera elle aussi comme le feu, flamboyante.
Il n’est chose plus amère que l’aube d’un jour où rien n’arrivera. Il n’est chose plus amère que l’inutilité. Lasse dans le ciel, pend une étoile verdâtre que l’aube a surprise. Elle voit la mer sombre et la tache de feu et près d’elle, pour faire quelque chose, l’homme qui se réchauffe ; elle voit, puis tombe de sommeil entre les monts obscurs où est un lit de neige. L’heure qui passe lente est sans pitié pour ceux qui n’attendent plus rien.
Est-ce la peine que le soleil surgisse de la mer et que commence la longue journée ? Demain reviendront l’aube tiède, la lumière diaphane, et ce sera comme hier, jamais rien n’arrivera. L’homme seul ne voudrait que dormir. Quand la dernière étoile s’est éteinte dans le ciel, lentement l’homme bourre sa pipe et l’allume.
Poésies (Travailler fatigue. La mort viendra et elle aura tes yeux). 1969. NRF Poésie/Gallimard n°128. Traduction : Gilles de Van. 1979.
Lo stedazzu
L’uomo solo si leva che il mare e ancor buio e le stelle vacillano. Un tepore di fiato sale su dalla riva, dov’è il letto del mare, e addolcisce il respiro. Quest’è l’ora in cui nulla può accadere. Perfino la pipa tra i denti pende spenta. Notturno è il sommesso sciacquio. L’uomo solo ha già acceso un gran fuoco di rami e lo guarda arrossare il terreno. Anche il mare tra non molto sarà come il fuoco, avvampante.
Non c’è cosa più amara che l’alba di un giorno in cui nulla accadrà. Non c’è cosa più amara che l’inutilità. Pende stanca nel cielo una stella verdognola, sorpresa dall’alba. Vede il mare ancor buio e la macchia di fuoco a cui l’uomo, per fare qualcosa, si scalda; vede, e cade dal sonno tra le fosche montagne dov’è un letto di neve. La lentezza dell’ora è spietata, per chi non aspetta più nulla.
Val la pena che il sole si levi dal mare e la lunga giornata cominci? Domani tornerà l’alba tiepida con la diafana luce e sarà come ieri e mai nulla accadrà. L’uomo solo vorrebbe soltanto dormire. Quando l’ultima stella si spegne nel cielo, l’uomo adagio prepara la pipa e l’accende.
Lavorare stanca. Florence, Solaria, 1936.
Poème écrit au cours de l’hiver 1935. Cesare Pavese est arrêté le 15 mai 1935 pour activités antifascistes. Il est exclu du parti national fasciste et relégué en Calabre à Brancaleone, petit village au bord de la mer Ionenne du 4 août 1935 au 15 mars 1936. Italo Calvino, dans son introduction à l’œuvre ( Introduzione, Poesie edite e inedite. Einaudi, Torino, 1962) dit que pour comprendre le titre du recueil il faut avoir lu I Sansôssí d’Augusto Monti : « I sansôssí (graphie piémontaise pour « sans-soucì ») est le titre d’un roman d’Augusto Monti ( professeur de lycée de Pavese et son premier maître en littérature et ami ). Monti oppose ( sentant le charme de l’une et de l’autre ) la vertu du piémontais sansossì ( faite d’insouciance et d’inconscience juvénile ) à la vertu du piémontais ferme, stoïque, travailleur et taciturne. Le premier Pavese ( ou peut-être tout Pavese ) se situe lui aussi entre ces deux bornes : il ne faut pas oublier que l’un de ses premiers auteurs est Walt Whitman, exaltateur et du travail et de la vie vagabonde. Le titre Travailler fatigue sera précisément la version pavésienne de l’antithèse d’Augusto Monti (et de Whitman), mais sans gaieté, avec les tourments de celui qui ne s’intègre pas : jeune garçon dans le monde des adultes, sans métier dans le monde de ceux qui travaillent, sans femme dans le monde de l’amour et des familles, sans armes dans le monde des luttes politiques et des devoirs civils ».
On célèbre en Espagne le centenaire de la naissance du grand poète valencien
Vicent Andrés Estellés est né le 4 septembre 1924 à Burjassot (Communauté de Valence). Il est issu d’un milieu modeste. Ses parents sont boulangers. Son père, analphabète, veut que son fils étudie. Vicent Andrés Estellés fera des études de journalisme dans le Madrid de l’après-guerre. Á partir de 1948, il collabore au journal Las Provincias, dont il deviendra le rédacteur en chef. Il est mort à Valence à 68 ans le 27 mars 1993 après une longue maladie dégénérative. Ce poète espagnol, d’expression valencienne, a été chanté par Ovidi Montllor, Maria del Mar Bonet, Raimon entre autres. D’après Joan Fuster, c’est « le meilleur poète valencien des trois derniers siècles, un nouvel Ausiàs March du XXe siècle ».
Cant de Vicent (Vicent Andrés Estellés)
…a unes tres milles de la mar, a la banda occidental del riu Guadalaviar, sobre el qual hi ha cinc ponts…
Sir John Talbot Dillon
Pense que ha arribat l’hora del teu cant a València. Temies el moment. Confessa-t’ho: temies. Temies el moment del teu cant a València. La volies cantar sense solemnitat, sense Mediterrani, sense grecs ni llatins, sense picapedrers i sense obra de moro. Lavolies cantar d’una manera humil, amb castedat diríem. Veies el cant: creixia. Lentament el miraves créixer com un crepuscle. Arribava la nit , no escrivies el cant. Més avant, altre dia, potser quan m’haja mort. Potser en el moment de la Ressurecció de la Carn. Tot pot ser. Més avant, si de cas. I el tema de València tornava, i se n’anava entre les teues coses, entre les teues síl·labes, aquells moments d’amor i aquells moments de pena, tota la teua vida — sinó tota la vida, allò que tu saps de fonamental en ella — anava per València, pels carrers de València. Modestaments diries el nom d’algun carrer, Pelayo, Gil i Morte…Amb quina intensitat els dius, els anomenes, els escrius! Un poc més, i ja tindries tota València. Per a tu, València és molt poc més. Tan íntima i calenta, tan crescuda i dolguda, i estimada també! Els carrers que creuava una lenta parella, els llargs itineraris d’aquells duies sense un cèntim a la butxaca, algun antic café, aquella lleteria de Sant Vicent de fora… La casa que estrenàveu en estrenar la vida definitivament, l’alegre veïnat. l metge que buscàveu una nit a deshora, la farmàcia de guàrdia. Ah, València, València! El naixement d’un fill, el poal ple de sang. aquell sol matiner, les Torres dels Serrans amb aquell breu color inicial de geranis. Veus, des del menjador, per la finestra oberta, Benimaclet ací, enllà veus Alboraia, escoltes des del llit les sirenes del port. De bon matí arribaven els lents carros de l’horta. Els xiquets van a l’escola. S’escolta la campana veïna de l’església. El treball, el tenaç amor a les paraules que ara escrius i has dit sempre, des que et varen parir un dia a Burjassot: com mamares la llet vares mamar l’idioma, dit siga castament i amb perdó de la taula. Ah, València, València! Podria dir ben bé: Ah, tu, Val`ncia meua! Perquè evoque la meua València. O evoque la València de tots, de tots els vius i els morts, de tots els valenciants? Deixa-ho anar. No et poses solemne. Deixa l’èmfasi. L’èmfasi ens ha perdut freqüentment els indígines. Més avant escriuràs el teu cant a València.
Gustave Flaubert, lui, sera l’ ami de George Sand. Tout les sépare pourtant : l’âge, la manière d’écrire, les idées politiques, la façon de vivre. De 1866 à 1876, les deux écrivains échangent plusieurs centaines de lettres. George Sand ira trois fois à Croisset (du 28 au 30 août 1866, du 3 au 10 novembre 1866, puis du 24 au 26 mai 1868) et Flaubert viendra deux fois à Nohant (du 23 au 28 décembre 1869 puis du 12 au 19 avril 1873). George Sand meurt le 8 juin 1876. Flaubert va à ses obsèques et verse d’abondantes larmes.
Lettre de Flaubert à Tourgueniev (25 juin 1976) : « La mort de la pauvre mère Sand m’a fait une peine infinie. – J’ai pleuré comme un veau, et par deux fois : la première en embrassant sa petite-fille Aurore (dont les yeux ce jour-là ressemblaient tellement aux siens que c’était comme une résurrection) – et la seconde, en voyant passer devant moi son cercueil.(…) Vous avez raison de regretter notre amie, car elle vous aimait beaucoup et ne parlait jamais de vous qu’en vous appelant « le bon Tourgueneff ». Mais pourquoi la plaindre ? Rien ne lui a manqué, – elle restera une très grande figure. Les bonnes gens de la campagne pleuraient beaucoup autour de la fosse. Dans ce petit cimetière de campagne, on avait de la boue jusqu’aux chevilles. Une pluie douce tombait. Son enterrement ressemblait à un chapitre d’un de ses livres. »
La lecture à voix haute par sa mère de François le Champi de George Sand était l’un des grands plaisirs de Marcel Proust enfant. Ce roman que Proust n’aimait probablement plus lorsqu’il était adulte joue pourtant un grand rôle dans À la recherche du temps perdu.
« Maman s’assit à côté de mon lit ; elle avait pris François le Champi à qui sa couverture rougeâtre et son titre incompréhensible, donnaient pour moi une personnalité distincte et un attrait mystérieux. Je n’avais jamais lu encore de vrais romans. J’avais entendu dire que George Sand était le type du romancier. Cela me disposait déjà à imaginer dans François le Champi quelque chose d’indéfinissable et de délicieux. Les procédés de narration destinés à exciter la curiosité ou l’attendrissement, certaines façons de dire qui éveillent l’inquiétude et la mélancolie, et qu’un lecteur un peu instruit reconnaît pour communs à beaucoup de romans, me paraissaient simplement – à moi qui considérais un livre nouveau non comme une chose ayant beaucoup de semblables, mais comme une personne unique, n’ayant de raison d’exister qu’en soi – une émanation troublante de l’essence particulière à François le Champi. Sous ces événements si journaliers, ces choses si communes, ces mots si courants, je sentais comme une intonation, une accentuation étrange. L’action s’engagea ; elle me parut d’autant plus obscure que dans ce temps-là, quand je lisais, je rêvassais souvent, pendant des pages entières, à tout autre chose. Et aux lacunes que cette distraction laissait dans le récit, s’ajoutait, quand c’était maman qui me lisait à haute voix, qu’elle passait toutes les scènes d’amour. Aussi tous les changements bizarres qui se produisent dans l’attitude respective de la meunière et de l’enfant et qui ne trouvent leur explication que dans les progrès d’un amour naissant me paraissaient empreints d’un profond mystère dont je me figurais volontiers que la source devait être dans ce nom inconnu et si doux de « Champi » qui mettait sur l’enfant, qui le portait sans que je susse pourquoi, sa couleur vive, empourprée et charmante. Si ma mère était une lectrice infidèle c’était aussi, pour les ouvrages où elle trouvait l’accent d’un sentiment vrai, une lectrice admirable par le respect et la simplicité de l’interprétation, par la beauté et la douceur du son. Même dans la vie, quand c’étaient des êtres et non des oeuvres d’art qui excitaient ainsi son attendrissement ou son admiration, c’était touchant de voir avec quelle déférence elle écartait de sa voix, de son geste, de ses propos, tel éclat de gaieté qui eût pu faire mal à cette mère qui avait autrefois perdu un enfant, tel rappel de fête, d’anniversaire, qui aurait pu faire penser ce vieillard à son grand âge, tel propos de ménage qui aurait paru fastidieux à ce jeune savant. De même, quand elle lisait la prose de George Sand, qui respire toujours cette bonté, cette distinction morale que maman avait appris de ma grand-mère à tenir pour supérieures à tout dans la vie, et que je ne devais lui apprendre que bien plus tard à ne pas tenir également pour supérieures à tout dans les livres, attentive à bannir de sa voix toute petitesse, toute affectation qui eût pu empêcher le flot puissant d’y être reçu, elle fournissait toute la tendresse naturelle, toute l’ample douceur qu’elles réclamaient à ces phrases qui semblaient écrites pour sa voix et qui pour ainsi dire tenaient tout entières dans le registre de sa sensibilité. Elle retrouvait pour les attaquer dans le ton qu’il faut, l’accent cordial qui leur préexiste et les dicta, mais que les mots n’indiquent pas ; grâce à lui elle amortissait au passage toute crudité dans les temps des verbes, donnait à l’imparfait et au passé défini la douceur qu’il y a dans la bonté, la mélancolie qu’il y a dans la tendresse, dirigeait la phrase qui finissait vers celle qui allait commencer, tantôt pressant, tantôt ralentissant la marche des syllabes pour les faire entrer, quoique leurs quantités fussent différentes, dans un rythme uniforme, elle insufflait à cette prose si commune une sorte de vie sentimentale et continue. »
Conclusion d’André Fermigier dans sa préface de l’édition de François le Champi. (Gallimard 1976. Folio classique n°4203) :
« Une femme qui a eu Chopin, Liszt, Delacroix, Louis Blanc, Taine, Renan, Flaubert, Tourgueniev, Balzac et, bien sûr, Musset pour correspondants, pour convives ou pour amants ne pouvait être une grosse bête. »
Baudelaire haïssait-il vraiment George Sand ? Le 14 août 1855, il lui écrit avec déférence et politesse pour lui demander son intercession auprès des directeurs du Théâtre de l’Odéon en faveur de son amie et amante, Marie Daubrun, pour qu’elle puisse jouer le rôle de Marianne dans la pièce dont George Sand est l’auteur, Maître Favilla, et qui sera représentée pour la première fois le 15 septembre 1855. Celle-ci intervient dans ce sens, mais sans succès. Baudelaire pense avoir été trompé par George Sand.
Edgar Allan Poe, sa vie et ses ouvrages II (Charles Baudelaire). Revue de Paris, avril 1852.
« Un autre caractère particulier de sa littérature est qu’elle est tout à fait anti-féminine. Je m’explique. Les femmes écrivent, écrivent avec une rapidité débordante ; leur cœur bavarde à la rame. Elles ne connaissent généralement ni l’art, ni la mesure, ni la logique ; leur style traîne et ondoie comme leurs vêtements. Un très grand et très justement illustre écrivain, George Sand elle-même, n’a pas tout à fait, malgré sa supériorité, échappé à cette loi du tempérament ; elle jette ses chefs-d’œuvre à la poste comme des lettres. Ne dit-on pas qu’elle écrit ses livres sur du papier à lettres ? Ne dit-on pas qu’elle écrit ses livres sur du papier à lettres ? »
Mon coeur mis à nu. ( commencé en 1859 ?, publié à titre posthume en 1887)
« Un grand livre auquel je rêve depuis deux ans : Mon cœur mis à nu, et où j’entasserai toutes mes colères. Ah ! si jamais celui-là voit le jour, Les Confessions de Jean-Jacques paraîtront pâles. Tu vois que je rêve encore. » (Lettre à sa mère, 1er avril 1861)
« Oui, ce livre tant rêvé sera un livre de rancunes. (…) Je tournerai contre la France entière mon réel talent d’impertinence. J’ai un besoin de vengeance comme un homme fatigué a besoin d’un bain. » (Lettre à sa mère, 5 juin 1853)
[26] mon coeur mis à nu
Sur George Sand. La femme Sand est le Prudhomme de l’immoralité.
Elle a toujours été moraliste. Seulement elle faisait autrefois de la contre-morale – aussi elle n’a jamais été artiste. Elle a le fameux style coulant, cher aux bourgeois. Elle est bête, elle est lourde, elle est bavarde ; elle a, dans les idées morales, la même profondeur de jugement et la même délicatesse de sentiment que les concierges et les filles entretenues. Ce qu’elle dit de sa mère. Ce qu’elle dit de la poésie.
Son amour pour les ouvriers.
Que quelques hommes aient pu s’amouracher de cette latrine, c’est bien la preuve de l’abaissement des hommes de ce siècle.
Voir la préface de Mademoiselle La Quintinie, où elle prétend que les vrais chrétiens ne croient pas à l’Enfer. La Sand est pour le Dieu des bonnes gens, le Dieu des concierges et des domestiques filous. Elle a de bonnes raisons pour vouloir supprimer l’Enfer.
[27] MON COEUR MIS A NU
LE DIABLE ET GEORGE SAND
Il ne faut pas croire que le Diable ne tente que les hommes de génie. Il méprise sans doute les imbéciles, mais il ne dédaigne pas leur concours. Bien au contraire, il fonde ses grands espoirs sur ceux-là. Voyez George Sand. Elle est surtout, et plus que toute autre chose, une grosse bête ; mais elle est possédée. C’est le Diable qui lui a persuadé de se fier à son bon cœur et à son bon sens, afin qu’elle persuadât toutes les autres grosses bêtes de se fier à leur bon cœur et à leur bon sens. Je ne puis penser à cette stupide créature, sans un certain frémissement d’horreur. Si je la rencontrais, je ne pourrais m’empêcher de lui jeter un bénitier à la tête.
[28] mon coeur mis à nu
George Sand est une de ces vieilles ingénues qui ne veulent jamais quitter les planches…”
(Charles Baudelaire. Œuvres complètes I, II. Coffret de deux volumes vendus ensemble. Gallimard NRF. Collection Bibliothèque de la Pléiade, 2024)
Nietzsche, Barbey d’Aurevilly, les Goncourt, Jules Renard figurent aussi parmi les détracteurs de George Sand.
” Ein Buch muss die Axt sein für das gefrorene Meer in uns. “
” Un livre doit être la hache qui brise la mer gelée en nous. “
Phrase célèbre que l’on trouve dans la correspondance de Franz Kafka. L’ordre des mots est important : c’est en nous que la mer est gelée.
Œuvres complètes. Tome III. NRF. Bibliothèque de La Pléiade. Édition de Claude David. 1984.
” Il me semble d’ailleurs qu’on ne devrait lire que les livres qui nous mordent et nous piquent. Si le livre que nous lisons ne nous réveille pas d’un coup de poing sur le crâne, à quoi bon le lire ? Pour qu’il nous rende heureux, comme tu l’écris? Mon Dieu, nous serions tout aussi heureux si nous n’avions pas de livres, et des livres qui nous rendent heureux, nous pourrions à la rigueur en écrire nous-mêmes. En revanche, nous avons besoin de livres qui agissent comme un malheur dont nous souffririons beaucoup, comme la mort de quelqu’un que nous aimerions plus que nous-mêmes, comme si nous étions proscrits, condamnés à vivre dans les forêts loin de tous les hommes, comme un suicide – un livre doit être la hache qui brise la mer gelée en nous. Voilà ce que je crois. “
Œuvres complètes. Tome III. NRF. Bibliothèque de La Pléiade. Édition publiée sous la direction de Jean-Pierre Lefebvre. 2022. Traduction : Laure Bernardi.
« Je pense que l’on ne devrait lire que des livres qui vous mordent ou qui vous piquent. Si le livre que nous lisons ne nous réveille pas d’un coup de poing sur le crâne, pourquoi le lisons-nous donc ? Pour qu’il nous rende heureux, comme tu l’écris? Mon Dieu, heureux, nous le serions aussi bien si nous n’avions pas de livres, et les livres qui nous rendent heureux, nous pourrions s’il le fallait les écrire nous-mêmes. Mais nous avons besoin de livres qui ont sur nous l’effet d’un malheur qui nous fait beaucoup souffrir, comme la mort de quelqu’un que nous aimions davantage que nous, comme si nous étions rejetés dans les forêts, loin de tous les hommes, comme un suicide, un livre doit être la hache qui brise la mer gelée en nous. Voilà ce que je crois. »
Répertoire des correspondants de Franz Kafka. Œuvres complètes. Tome III. NRF. Bibliothèque de La Pléiade. Édition publiée sous la direction de Jean-Pierre Lefebvre. 2022.
Oskar Pollak (Prague, 5 septembre 1883 – bataille de l’Isonzo, dans le Frioul, 11 juin 1915) fut un camarade de classe de Kafka au lycée. Après avoir commencé des études de chimie, comme Kafka, il opta pour la philosophie et l’archéologie, et enfin pour l’histoire de l’art à l’université de Prague. Une amitié très forte liait les deux hommes, qui entretinrent une correspondance importante entre 1902 et 1904. il fut nommé pour l’année 1903-1904, rapporteur pour l’art de la section littéraire de la Lese- und Redehalle der deutschen in Prag (Salle de lecture des étudiants allemands de Prague, mais à l’automne de 1903, il prit le poste de précepteur privé du château Oberstudenetz, près de Zdiretz. Kafka assura alors sa succession à la Lee- und Redehalle. En 1907, il soutint une thèse de doctorat sur les sculpteurs baroques Johann et Ferdinand Maximilian Brockhoff, et se maria à Prague avec hedwig eisner. Il est l’auteur de nombreux articles sur l’art de la renaissance et de l’âge baroque, et obtint très tôt un poste d’assistant puis de maître de conférences (Privatdocent) à l’université de Vienne. Nommé à l’Institut historique autrichien de Rome, il s’installa avec son épouse en italie. Au déclenchement de la Première Guerre mondiale, il se porta volontaire pour combattre au front.
Carnets Tome 1 : Mai 1935 – février 1942. Gallimard. Folio n° 5617.
Août 37 Dernier chapitre ? Paris Marseille. La descente vers la Méditerranée. Et il entra dans l’eau et il lava sur sa peau les images noires et grimaçantes qu’y avait laissées le monde. Soudain l’odeur de sa peau renaissait pour lui dans le jeu de ses muscles. Jamais peut-être il n’avait autant senti son accord avec le monde, sa course accordée à celle du soleil. À cette heure où la nuit débordait d’étoiles, ses gestes se dessinaient sur le grand visage muet du ciel. S’il bouge ce bras, il dessine l’espace qui sépare cet astre brillant de celui qui semble disparaître par moments, il entraîne dans son élan des gerbes d’étoiles, des traînes de nuées. Ainsi l’eau du ciel battue par son bras et, autour de lui, la ville comme un manteau de coquillages resplendissants…
Septembre À Marseille, bonheur et tristesse – Tout au bout de moi-même. Ville vivante que j’aime. Mais, en même temps, ce goût amer de solitude.
8 septembre Marseille, chambre d’hôtel. Grosses fleurs jaunes de la tapisserie à fond gris. Géographies de la crasse. Coins gras et boueux derrière le radiateur énorme. Lit à lamelles, commutateur brisé…. Cette sorte de liberté qui vous vient du douteux et de l’interlope.
Nous avons vu hier un film soporifique de Víctor Iriarte : Dos madres (titre original : Sobre todo la noche). 2023. 1h50. Scénario : Isa Campo, Andrea Queralt, Víctor Iriarte. Interprètes : Lola Dueñas, Ana Torrent, Manuel Egozkue.
Résumé : Véra (Lola Dueñas) a été séparée de son bébé le jour de l’accouchement. Elle pense qu’il est vivant et a tout essayé pour le retrouver. Son dossier a disparu. Elle se heurte au silence de l’administration. Elle bascule alors dans l’illégalité pour obtenir les informations qu’elle recherche. Elle retrouve la trace de son fils, Egoz (Manuel Egozkue), désormais jeune adulte, adopté par Cora (Ana Torrent), elle aussi victime du système.
Le premier long métrage de Víctor Iriarte (né en 1976) a une grande ambition, politique et esthétique. Il rate son coup. Il veut mêler le thriller d’espionnage, le roman épistolaire et le carnet de voyage. Ses maniérismes occultent le propos politique annoncé d’emblée.
L’Espagne a retrouvé la démocratie, mais n’a pas soldé l’ héritage de la dictature. Sous le régime franquiste, près de 300 000 nourrissons, déclarés mort-nés, ont été subtilisés aux mères espagnoles pour faire l’objet d’un commerce (chiffres avancés par les associations). Ces pratiques étaient justifiées alors par les théories délirantes du psychiatre Antonio Vallejo-Nájera (1889-1960), un proche du dictateur. Avec la complicité des institutions médicale et religieuse, ce trafic d’enfants a perduré après la mort de Franco, jusque dans les années 1980, pour des raisons lucratives. « Nous avions déjà exposé dans d’autres travaux l’idée des relations intimes entre le marxisme et l’infériorité mentale… La vérification de nos hypothèses à une transcendance politico-sociale énorme, car, si comme nous le pensons, les militants marxistes sont de préférence des psychopathes antisociaux, la ségrégation totale de ces sujets dès l’enfance pourrait libérer la société d’une plaie si terrible. » (Antonio Vallejo-Nájera).
On peut voir le documentaire Els nens perduts del franquisme (Los niños perdidos del franquismo) (2002) de Montserrat Armengou y Ricard Belis.
L’« association nationale des victimes d’adoptions illégales » — Anadir — , fondée par Juan Luis Moreno et Antonio Barroso, défend les intérêts des victimes.
D’autre part, selon la Asociación para la Recuperación de la Memoria Histórica (ARMH), 114 000 personnes, victimes de la répression franquiste, sont encore portées disparues.
Je retiens de ce film un fado et le titre original qui fait référence à un beau poème de Álvaro de Campos, un des 70 hétéronymes créés par Fernado Pessoa.
Sim, é claro, O Universo é negro, sobretudo de noite. Mas eu sou como toda a gente, Não tenha eu dores de dentes nem calos e as outras dores passam. Com as outras dores fazem-se versos. Com as que doem, grita-se.
A constituição íntima da poesia Ajuda muito… (Como analgésico serve para as dores da alma, que são fracas…) Deixem-me dormir.
3 juillet 1930
Álvaro de Campos – Livro de Versos. Fernando Pessoa. (Edição crítica. Introdução, transcrição, organização e notas de Teresa Rita Lopes.) Lisboa: Estampa, 1993.
(Fernando Pessoa)
Oui, c’est évident, L’Univers est noir, surtout la nuit. Mais moi je suis comme tout le monde. Pourvu que je n’aie ni mal aux dents ni cor aux pieds, les autres douleurs passent. Avec les autres douleurs on fait des vers. Avec celles qui font mal, on crie.
L’intime constitution de la poésie Est une aide énorme… (Elle sert d’analgésique pour les douleurs de l’âme, qui sont faibles…) laissez-moi dormir.
Álvaro de Campos, Derniers poèmes. Traduction Patrick Quillier en collaboration avec Maria Antónia Câmara Manuel. Christian Bourgois Éditeur, 2001.
El profesor (Puan. 2023). Réalisation et scénario : María Alché et Benjamín Naishtat. Photographie : Hélène Louvart. Musque : Santiago Dolan. 1h50.
Interprètes : Marcelo Subiotto. Leonardo Sbaraglia. Julieta Zylberberg. Alejandra Flechner. Andrea Frigerio. Mara Bestelli. Valentinz Posleman.
Professeur mélancolique, maladroit et introverti, Marcelo Pena enseigne depuis des années la philosophie à l’Université de Buenos Aires ( qu’on surnomme Puan, du nom de la rue où se trouve la Faculté de Philosophie et de Littérature de Buenos Aires). Comme tous les autres professeurs, il peine à gagner sa vie. Son ami et mentor Caselli meurt au début du film en faisant du footing. Pena est pressenti pour reprendre sa chaire. Mais un autre candidat débarque, Rafael Sujarchuk. Il est séduisant et charismatique. Cette ancienne connaissance de Marcelo, spécialiste de Heidegerr et fiancé à une jeune actrice à la mode, est décidé lui aussi à briguer le poste. Pena défend son université, se remet en question et surmonte peut-être sa crise existentielle en Bolivie.
Les différentes mésaventures de Marcelo sont toujours clôturées par une fermeture à l’iris comme dans les vieux films. Un des mérites du film c’est qu’il n’y a pas un seul point de vue. Le discours n’est pas fermé. Le spectateur reste libre.
Ce film reflète aussi les luttes actuelles en Argentine pour la défense des services publics et de l’éducation. En effet, sa sortie a précédé d’un mois et demi l’élection à la présidence, le 19 novembre 2023, de Javier Milei, ultralibéral d’extrême-droite qui considère les universités publiques comme des centres d’endoctrinement de gauche. El Profesor a anticipé la mobilisation actuelle des étudiants (Voir Le Monde du 19 mars 2024. En Argentine, les universités et les instituts de recherche au bord de l’effondrement ). Javier Milei menace aussi d’annuler tous les fonds destinés au cinéma et à la culture en général.
A la fin du film, Marcelo Pena chante un célèbre tango de 1937, Niebla del Riachuelo de Juan Carlos Cobián et d’Enrique Cadícamo. Il avait été d’abord écrit pour le film de Luis Saslavky (1903-1995), La fuga (1937), et interprété par l’actrice Tita Merello (1904-2002)
Il a été repris par la suite par les plus grands chanteurs de tango. La version la plus célèbre reste celle de Roberto Goyeneche, El Polaco (1926-1994).
Niebla del Riachuelo
Turbio fondeadero donde van a recalar, Barcos que en el muelle para siempre han de quedar, Sombras que se alargan en la noche del dolor, Náufragos del mundo que han perdido el corazón, Puentes y cordajes donde el viento viene a aullar, Barcos carboneros que jamás han de zarpar, Torvo cementerio de las naves que al morir, Sueñan, sin embargo, que hacia el mar han de partir.
Niebla del Riachuelo! Amarrado al recuerdo Yo sigo esperando. Niebla del Riachuelo! De ese amor, para siempre Me vas alejando.
Nunca más volvió. Nunca más la vi. Nunca más su voz nombró mi nombre junto a mí Esa misma voz que dijo: Adiós!
Sueña marinero, con tu viejo bergantín. Bebe tus nostalgias en el sordo cafetín. Llueve sobre el puerto, mientras tanto mi canción Llueve lentamente sobre tu desolación.
Anclas que ya nunca, nunca más han de levar, Bordas de lanchones sin amarras que soltar, Triste caravana sin destino ni ilusión, Como un barco preso en la botella del figón.
Niebla del Riachuelo! Amarrado al recuerdo Yo sigo esperando Niebla del Riachuelo! De ese amor, para siempre Me vas alejando. Nunca más volvió. Nunca más la vi. Nunca más su voz nombró mi nombre junto a mí. Esa misma voz que dijo: Adiós!
Brouillard du Riachuelo
Sombre mouillage où s’échouent Des bateaux qui pour toujours resteront à quai, Ombres qui grandissent dans la nuit des douleurs, Naufragés d’un monde qui ont perdu leur âme, Ponts et cordages où le vent vient hurler Navires charbonniers qui jamais ne lèveront l’ancre, Sinistre cimetière de bateaux qui en mourant, Rêvent encore qu’ils prennent la mer.
Brouillard du Riachuelo ! Ancré dans ma mémoire Je continue d’attendre. Brouillard du Riachuelo ! De cet amour, pour toujours Tu m’éloignes.
Elle n’est jamais revenue, Jamais je ne l’ai revue : Plus jamais sa voix n’a murmuré mon nom près de moi, Cette même voix qui m’a dit : adieu.
Rêve, marin, de ton vieux brigantin, Bois tes regrets dans ton bistrot silencieux, Il pleut sur le port, alors que ma chanson Pleut lentement sur ton désespoir.
Ancres qui jamais, jamais plus ne seront levées Plats-bords des bacs sans plus d’amarres à larguer. Triste caravane sans destin ni illusion, Comme un bateau enfermé dans une bouteille de troquet.
Brouillard du Riachuelo ! Ancré dans ma mémoire Je continue d’attendre. Brouillard du Riachuelo ! De cet amour, pour toujours Je m’éloigne. Elle n’est jamais revenue, Jamais je ne l’ai revue. Plus jamais sa voix n’a murmuré mon nom près de moi. Cette même voix qui a dit : Adieu !