Je relis Roberto Juarroz et je compare les traductions de Fernand Verhesen (1913-2009) et celles de Roger Munier (1923-2010) . La collection Poésie/Gallimard, créée en mars 1966, vient de republier les traductions du premier. C’est précieux car elle privilégie enfin les éditions bilingues.
(Roberto Juarroz)
La vida nos va haciendo marcas como si tallara ciertos datos sobre una vara. Y esas marcas duran más que nosotros.
Parecemos el ayuda-memoria de un sombrío quehacer o el soporte accidental de un mensaje que se apoya un momento y continúa.
Las ancestrales disonancias danzan sobre los paredones deshilvanados y su funambulesca coreografía encuentra allí las figuras necesarias para desatar los impávidos jeroglíficos.
Las marcas que llevamos nos sobrevivirán como trincheras abandonadas. Y como todas las trincheras, por mucho que las rellenen, seguirán aguardando el retorno del áspero combate que circuló por las carnales incisuras de sus cavados y olvidados laberintos.
Cuarta poesía vertical. Buenos Aires, Aditor. 1969.
(Roberto Juarroz)
La vie nous fait des marques comme si elle taillait certaines données sur un bâton. Et ces marques durent plus que nous.
Nous ressemblons à l’aide-mémoire d’une obscure occupation ou au support accidentel d’un message qui s’appuie un moment et continue.
Les dissonances ancestrales dans sur les gros murs défaufilés et leur funambulesque chorégraphie trouve là les figures nécessaires pour dénouer les hiéroglyphes impavides.
Les marques que nous portons nous survivront comme des tranchées abandonnées. Et comme toutes les tranchées, pour autant qu’on les remplisse, attendront le retour de l’âpre combat qui circula dans les charnelles incisions de ses labyrinthes creusés et oubliés.
Quatrième poésie verticale. 1972. Éditions Le Cormier. Traduction Fernand Verhesen.
Poésies verticales. I-II-III-IV-XI Traduction Fernand Verhesen. Édition de Réginald Gaillard.
” Al otro, a Borges, es a quien le ocurren las cosas. Yo camino por Buenos Aires y me demoro, acaso ya mecánicamente, para mirar el arco de un zaguán y la puerta cancel; de Borges tengo noticias por el correo y veo su nombre en una terna de profesores o en un diccionario biográfico. Me gustan los relojes de arena, los mapas, la tipografía del siglo XVIII, el sabor del café y la prosa de Stevenson; el otro comparte esas preferencias, pero de un modo vanidoso que las convierte en atributos de un actor. Sería exagerado afirmar que nuestra relación es hostil; yo vivo, yo me dejo vivir, para que Borges pueda tramar su literatura y esa literatura me justifica. Nada me cuesta confesar que ha logrado ciertas páginas válidas, pero esas páginas no me pueden salvar, quizá porque lo bueno ya no es de nadie, ni siquiera del otro, sino del lenguaje o la tradición. Por lo demás, yo estoy destinado a perderme, definitivamente, y sólo algún instante de mí podrá sobrevivir en el otro. Poco a poco voy cediéndole todo, aunque me consta su perversa costumbre de falsear y magnificar. Spinoza entendió que todas las cosas quieren perseverar en su ser; la piedra eternamente quiere ser piedra y el tigre un tigre. Yo he de quedar en Borges, no en mí (si es que alguien soy), pero me reconozco menos en sus libros que en muchos otros o que en el laborioso rasgueo de una guitarra. Hace años yo traté de librarme de él y pasé de las mitologias del arrabal a los juegos con el tiempo y con lo infinito, pero esos juegos son de Borges ahora y tendré que idear otras cosas. Así mi vida es una fuga y todo lo pierdo y todo es del olvido, o del otro. No sé cuál de los dos escribe esta página. “
El hacedor, 1960. Buenos Aires, Emecé Editores.
Borges et moi
« C’est à l’autre, à Borges, que les choses arrivent. Moi, je marche dans Buenos Aires, je m’attarde peut-être machinalement, pour regarder la voûte d’un vestibule et la grille d’un patio. J’ai des nouvelles de Borges par la poste et je vois son nom proposé pour une chaire ou dans un dictionnaire biographique. J’aime les sabliers, les planisphères, la typographie du XVIIIe siècle, le goût du café et la prose de Stevenson ; l’autre partage ces préférences, mais non sans complaisance et d’une manière qui en fait des attributs d’acteur. Il serait exagéré de prétendre que nos relations sont mauvaises. Je vis et me laisse vivre, pour que Borges puisse ourdir sa littérature et cette littérature me justifie. Je confesse volontiers qu’il a réussi quelques pages de valeur, mais ces pages ne peuvent rien pour moi, sans doute parce que ce qui est bon n’appartient à personne, pas même à lui, l’autre, mais au langage et à la tradition. Au demeurant, je suis condamné à disparaître, définitivement, et seul quelque instant de moi aura chance de survivre dans l’autre. Peu à peu, je lui cède tout, bien que je me rende compte de sa manie perverse de tout falsifier et exagérer. Spinoza comprit que toute chose veut persévérer dans son être ; la pierre éternellement veut être pierre et le tigre un tigre. Mais moi je dois persévérer en Borges, non en moi (pour autant que je sois quelqu’un). Pourtant je me reconnais moins dans ses livres que dans beaucoup d’autres ou que dans le raclement laborieux d’une guitare. Il y a des années, j’ai essayé de me libérer de lui et j’ai passé des mythologies de banlieue aux jeux avec le temps et l’infini, mais maintenant ces jeux appartiennent à Borges et il faudra que j’imagine autre chose. De cette façon, ma vie est une fuite où je perds tout et où tout va à l’oubli, ou à l’autre. Je ne sais pas lequel des deux écrit cette page. »
L’auteuret autres textes. Gallimard, 1965. Traduction de Roger Caillois.
(Merci à Gio Bonzon pour ses photos de Torremolinos et de Málaga qui me redonnent la nostalgie du Sud.)
Depuis 2009, on peut voir dans le cimetière de cette ville de la Costa del Sol une plaque qui reproduit le poème de Luis Cernuda, Elegía anticipada, tiré du recueil Como quien espera el alba (1947). Le poète de Séville logea en 1928 dans la pension Castillo de Santa Clara, propriété d’un anglais, George Langworthy. Salvador Dalí et Gala passèrent là aussi plusieurs semaines en mai 1930. Torremolinos était alors un petit village de pêcheurs rattaché à Málaga. Dans un autre poème El indolente, Cernuda surnomme Torremolinos, Sansueña. Le nom évoque el sueño, le rêve. On trouve aussi un poème en prose intitulé de la même façon dans Ocnos (1942). Il fut publié pour la première fois dans le supplément littéraire du journal La Verdad de Murcie (n°56, 18 juillet 1926). Le poète est mort en exil en 1963 à México. il ne revit jamais l’Andalousie qu’il aimait tant.
Elegía anticipada (Luis Cernuda)
Por la costa del sur, sobre una roca alta junto a la mar, el cementerio aquel descansa en codiciable olvido, y el agua arrulla el sueño del pasado.
Desde el dintel, cerrado entre los muros, huerto parecería, si no fuese por las losas, posadas en la hierba como un poco de nieve que no oprime.
Hay troncos a que asisten fuerza y gracia, y entre el aire y las hojas buscan nido pájaros a la sombra de la muerte; hay paz contemplativa, calma entera.
Si el deseo de alguien que en el tiempo dócil no halló la vida a sus deseos, puede cumplirse luego, tras la muerte, quieres estar allá solo y tranquilo.
Ardido el cuerpo, luego lo que es aire al aire vaya, y a la tierra el polvo, por obra del afecto de un amigo, si un amigo tuviste entre los hombres.
Y no es el silencio solamente, la quietud del lugar, quien así lleva tu memoria hacia allá, mas la conciencia de que tu vida allí tuvo su cima.
Fue en la estación cuando la mar y el cielo dan una misma luz, la flor es fruto, y el destino tan pleno que parece cosa dulce adentrarse por la muerte.
Entonces el amor único quiso en cuerpo amanecido sonreírte, esbelto y rubio como espiga al viento. Tú mirabas tu dicha sin creerla.
Cuando su cetro el día pasa luego a su amada la noche, aún más hermosa parece aquella tierra; un dios acaso vela en eternidad sobre su sueño.
Entre las hojas fuisteis, descuidados de una presencia intrusa, y ciegamente un labio hallaba en otro ese embeleso hijo de la sonrisa y del suspiro.
Al alba el mar pulía vuestros cuerpos, puros aún, como de piedra oscura; la música a la noche acariciaba vuestras almas debajo de aquel chopo.
No fue breve esa dicha. ¿Quién pretende que la dicha se mida por el tiempo? Libres vosotros del espacio humano, del tiempo quebrantasteis las prisiones.
El recuerdo por eso vuelve hoy al cementerio aquel, al mar, la roca en la costa del sur : el hombre quiere caer donde el amor fue suyo un día.
Como quien espera el alba, 1941-1944.
Élégie anticipée
Sur la côte du sud, sur une roche Haute près de la mer, ce cimetière Lointain repose en enviable oubli, Et l’eau berce le songe du passé.
Depuis le seuil, fermé entre les murs, On croirait un jardin, s’il n’ y avait Les dalles reposant dans l’herbe comme Un peu de neige qui ne pèse pas.
Vigueur et grâce y assistent des troncs Et dans l’air et les feuilles, les oiseaux Cherchent un nid à l’ombre de la mort ; Tout est paix contemplative, calme absolu.
Si le désir de qui, au cours du temps ne trouva pas la vie docile à ses désirs Peut s’accomplir ensuite, après la mort, Tu veux reposer là, solitaire et tranquille.
Le corps brûlé, qu’ensuite l’air à l’air Retourne, et à la terre la poussière, Par œuvre de l’affection d’un ami, Si tu eus un ami parmi les hommes.
Et ce n’est pas seulement le silence, Le calme de l’endroit, qui ainsi porte Ta mémoire là-bas, mais la conscience Que ta vie y trouva son sommet.
Ce fut en la saison où la mer et le ciel Brillent du même éclat, la fleur est fruit Et le destin si plein que, semble-t-il, Il sera doux de glisser dans la mort.
Et l’amour unique voulut alors Te sourire à travers l’aube d’un corps, Blond et svelte comme un épi au vent. Tu contemplais ton bonheur sans le croire.
Lorsque le jour passe ensuite son sceptre Á la nuit son aimée, plus belle encore apparaît cette terre ; un dieu peut-être Éternellement veille sur son rêve.
Là vous fûtes parmi les feuilles, oublieux De toute autre présence et follement une lèvre trouvait en l’autre cette extase Qu’engendre le sourire ainsi que le soupir.
La mer à l’aube lustrait vos deux corps, Encore purs, comme de pierre obscure ; Á la nuit la musique caressait Vos âmes au pied de ce peuplier.
Ce bonheur fut sans fin. Qui peut prétendre Que le bonheur ait pour mesure le temps ? Tous deux libres de l’espace des hommes, Vous brisâtes les barrières du temps.
C’est pourquoi aujourd’hui le souvenir revient Au cimetière lointain, à la mer, à la roche Sur la côte du Sud : l’homme désire Mourir là où un jour l’amour lui appartint.
Comme celui qui attend l’aube, 1941-1944. Traduction Jacques Ancet.
La romancière et journaliste espagnole Almudena Grandes vient de mourir ce samedi 27 novembre à Madrid à l’âge de 61 ans. Née à Madrid le 7 mai 1960, elle s’était fait connaître avec un roman érotique en 1989, Las edades de Lulú (Les vies de Loulou), porté à l’écran par Bigas Luna en 1990. Elle avait publié ensuite Te llamaré viernes (1991) et Malena es un nombre de tango (1994) ( Malena c’est un nom de tango). En 2010, elle s’était lancée dans un projet de six volumes indépendants, Episodios de una guerra interminable racontant les années de l’après-guerre civile en Espagne. Cette série est dans la ligne des Episodios nacionales (46 volumes) du grand romancier réaliste Benito Pérez Galdós (1843-1920). Depuis 2008, elle publiait régulièrement des articles dans le quotidien El País. Le 10 octobre dernier, elle avait écrit un article sur le cancer dont elle souffrait depuis un an (Tirar una valla)
Son mari est le poète Luis García Montero, directeur de l’Institut Cervantès depuis 2018.
Livres traduits en français :
Les vies de Loulou. Albin Michel, 1990.
Malena c’est un nom de tango. Plon, 1996 et Pocket 2000.
Atlas de géographie humaine. Grasset, 2000.
Vents Contraires. Grasset, 2003. Livre de poche, 2011.
Le cœur glacé. Éditions JC Lattès, 2008. Livre de poche, 2010. (2 tomes)
Inès et la joie. Éditions JC Lattès, 2012. Livre de poche, 2013.
Le Lecteur de Jules Verne. Éditions JC Lattès, 2013. Livre de poche, 2014.
Les Trois Mariages de Manolita. Éditions JC Lattès, 2016. Livre de poche, 2019.
Les patients du docteur Garcia. Éditions JC Lattès, 2020. Premio Nacional de la Narrativa (2018)
Son décès m’a remis en mémoire la fin du poème de Luis Cernuda Díptico español (Diptyque espagnol) qui date de 1961.
…Hoy, cuando a tu tierra ya no necesitas, Aún en estos libros te es querida y necesaria, Más real y entresoñada que la otra: No ésa, mas aquélla es hoy tu tierra. La que Galdós a conocer te diese, Como él tolerante de lealtad contraria, Según la tradición generosa de Cervantes, Heroica viviendo, heroica luchando Por el futuro que era el suyo, No el siniestro pasado donde a la otra han vuelto.
La real para ti no es esa España obscena y deprimente En la que regentea hoy la canalla, Sino esta España viva y siempre noble Que Galdós en sus libros ha creado. De aquélla nos consuela y cura ésta.
Desolación de la quimera. 1956-1962
…Aujourd’hui, quand de ta terre tu n’as plus besoin, Dans les livres encore elle t’est chère et nécessaire, Plus réelle que l’autre et à demi rêvée ; Pas celle-ci, mais celle-là qui est toujours ta terre. Celle que Galdós t’aurait donnée à connaître, Comme lui tolérante à la loyauté contraire, Selon la généreuse tradition de Cervantès, Héroïque dans la vie, héroïque dans la bataille Pour l’avenir qui était le sien, Et non le sinistre passé où ils ont renvoyé l’autre.
La réalité pour toi n’est pas cette Espagne obscène et déprimante Où gouverne aujourd’hui la canaille, Mais cette Espagne vivante et toujours noble que Galdós a créée dans ses livres. De celle-là il nous console et soigne celle-ci.
Après avoir vu l’exposition de la BnF, je relis ces jours derniers les poèmes de Baudelaire, mais aussi ceux de José Ángel Valente. Pas de de rapport entre ces deux écrivains. Je parcours Fragmentos de un libro futuro. Galaxia Gutenberg Círculo de Lectores, 2000. ( Édition française : Fragments d’un livre futur. Éditions José Corti, 2002. Traduction de Jacques Ancet. ) José Ángel Valente souhaitait publier ce recueil à titre posthume. Il est constitué de quatre-vingt-douze poèmes. Ils sont retranscrits dans l’ordre chronologique par date de composition. Ils couvrent les dix dernières années de la vie de ce poète galicien qui appartient à la génération de l’après-guerre civile ( Generación del 50 ). Dans cette sorte de journal, il revient sur ses sujets de prédilection : les questions métaphysiques, la douleur provoquée par la disparition des êtres chers. Son fils, Antonio, est mort d’une overdose en 1990. Le pressentiment de sa mort prochaine est très présente. On remarque dans ces poèmes le dépouillement, la simplicité du lexique, l’absence de sentimentalisme. La nostalgie colore tout ce qui illumine la vie : la chair, le désir, l’amour, la lumière.
José Ángel Valente est né à Orense (Galice). Après des études de philologie romane à Madrid (Licence à l’Université Complutense de Madrid), il est lecteur à Oxford. Il s’installe en 1958 à Genève et occupe jusqu’en 1975 un poste de fonctionnaire international. C’est un poète, essayiste et traducteur (Constantin Cavafis, Paul Celan, John Donne, Edmond Jabès, John Keats, Eugenio Montale, Dylan Thomas entre autres). Il meurt à Genève le 18 juillet 2000.
– Prix Príncipe de Asturias de las Letras ( 1988 ).
– Prix Reina Sofía de Poesía Iberoamericana ( 1998 ).
– Prix national de littérature (Poésie) ( 2001 ) à titre posthume pour Fragmentos de un libro futuro.
On peut le lire facilement en français dans les excellentes traductions de Jacques Ancet : Trois leçons de ténèbres – Mandorle – L’Eclat. Poésie/Gallimard n°321. 1998.
Llorar por lo perdido cuando no deja huella el pie en la arena que no sea borrada por la cierta sucesión de las aguas.
( 28.VI.1991 )
Pleurer ce qui est perdu quand le pied ne laisse sur le sable trace qui ne soit effacée par la succession certaine des eaux.
( 28.VI.1991 )
A Andrés Sánchez Robayna
El humo aciago de las víctimas.
Todo se deshacía en el aire. La historia como el viento dorado del otoño arrastraba a su paso los gemidos, las hojas, las cenizas, para que el llanto no tuviera fundamento. Disolución falaz de la memoria. Parecía como si todo hubiera sido para siempre borrado.
Para jamás, me digo. Para nunca.
( Sonderaktion, 1943 ) ( 7.08.1992 )
A Andrés Sánchez Robayna
La fumée sinistre des victimes.
Tout se défaisait dans l’air. L’histoire comme le vent doré de l’automne traînait à son passage les gémissements, les feuilles, les cendres, pour que les pleurs soient sans fondement. Fausse dissolution de la mémoire. On aurait dit que tout avait été toujours effacé.
Á jamais, me dis-je. Á tout jamais.
( Sonderaktion, 1943 ) ( 7.08.1992 )
Ha pasado algún tiempo. El tiempo pasa y no deja nada. Lleva, arrastra muchas cosas contigo. El vacío, deja el vacío. Dejarse vaciar por el tiempo como se dejan vaciar los pequeños crustáceos y moluscos por el mar. El tiempo es como el mar. Nos va gastando hasta que somos transparentes. Nos da la transparencia para que el mundo pueda verse a través de nosotros o puedo oírse como oímos el sempiterno rumor del mar en la concavidad de una caracola. El mar, el tiempo, alrededores de lo que no podemos medir y nos contiene.
( Desde del otro costado )( 4.IX.1993 )
Un peu de temps a passé. Le temps passe et ne laisse rien. Il emporte, il traîne beaucoup de choses avec lui. Le vide, il laisse le vide. Se laisser vider par le temps comme les petits crustacés et les mollusques se laissent vider par la mer. Le temps est comme la mer. Il nous use jusqu’à être transparents. Il nous donne la transparence pour que le monde puisse se voir à travers nous ou puisse s’entendre comme nous entendons la sempiternelle rumeur de la mer dans le creux d’un coquillage. La mer, le temps, alentours de ce que nous ne pouvons mesurer et qui nous contient.
( Depuis l’autre côté)(4.IX.1993 )
Caminabas despacio.
Tu cuerpo fatigado aún arrastraba la absoluta ruina de ti.
Te acariciaba tenuemente el sol. Tú ibas disolviéndote en su luz.
Quedaban todavía algunos pasos. ¿Hacia dónde? Ni siquiera sabías con certeza cuántos podrías dar.
( La certeza ) ( 31.III.1996 )
Tu marchais lentement.
Ton corps fatigué traînait encore la ruine absolue de toi-même.
Le soleil te caressait doucement. Tu te dissolvais peu à peu dans sa lumière.
Il restait encore quelques pas. Mais vers où ? Tu ne savais même pas avec certitude combien tu pourrais en faire.
( La certitude ) ( 31.III.1996 )
Cima del canto. El ruiseñor y tú ya sois lo mismo.
( Anónimo: versión )( 25.V.2000 )
Cime du chant. Le rossignol et toi n’êtes plus qu’un.
J’ai très envie de voir l’exposition Baudelaire. La modernité mélancolique, à la BNF, bibliothèque François-Mitterrand, Paris 13ème arrondissement. Peut-être demain. Il s’agit d’une exposition thématique pour célébrer le bicentenaire de la naissance de Charles Baudelaire (1821-1867). Elle a été inaugurée le 3 novembre et durera jusqu’au 13 février 2022. Jean-Marc Chatelain, directeur des réserves des livres rares de la BNF, commissaire général de l’exposition et responsable du catalogue résume ainsi son propos : « Toucher le cœur même de l’acte de la création, aussi bien dans l’œuvre poétique de Baudelaire que dans son œuvre critique. » 200 pièces sont exposées: estampes, lettres autographes, éditions originales, manuscrits, portraits, une de journaux ayant publié ses poèmes.
Hier soir, j’ai relu un des poèmes les plus noirs de Baudelaire:
Le goût du néant
Morne esprit, autrefois amoureux de la lutte, L’Espoir, dont l’éperon attisait ton ardeur, Ne veut plus t’enfourcher ! Couche-toi sans pudeur, Vieux cheval dont le pied à chaque obstacle butte.
Résigne-toi, mon cœur; dors ton sommeil de brute.
Esprit vaincu, fourbu ! Pour toi, vieux maraudeur, L’amour n’a plus de goût, non plus que la dispute ; Adieu donc, chants du cuivre et soupirs de la flûte ! Plaisirs, ne tentez plus un coeur sombre et boudeur !
Le Printemps adorable a perdu son odeur !
Et le Temps m’engloutit minute par minute, Comme la neige immense un corps pris de roideur ; Je contemple d’en haut le globe en sa rondeur Et je n’y cherche plus l’abri d’une cahute.
La peintre et poétesse américano-libanaise Etel Adnan vient de mourir le 14 novembre à Paris. Elle avait 96 ans. Elle est née à Beyrouth le 24 février 1925 d’une mère grecque orthodoxe, née à Smyrne (aujourd’hui Izmir en Turquie), et d’un père syrien musulman, officier de l’Empire ottoman. Elle grandit en parlant le grec et le turc dans une société arabophone. Elle va dans l’école d’un couvent français. Le français devient la langue de ses premiers écrits littéraires. Très jeune, elle étudie l’anglais. Elle suit des études supérieures de lettres-philosophie à la Sorbonne de 1949 à 1953, puis à Berkeley et Harvard. Elle commence à peindre en Californie en 1958. En 1996, elle affirme : « L’art abstrait c’était l’équivalent à l’expression poétique ; je n’ai pas éprouvé le besoin de me servir des mots, mais plutôt des couleurs et des lignes. Je n’ai pas eu le besoin d’appartenir à une culture orientée vers le langage mais plutôt à une forme ouverte d’expression. » Elle utilise aussi des leporellos ( livres dont les pages sont pliées et collées formant comme un accordéon) Elle vivait à Paris depuis les années 1980. Elle est reconnue comme peintre au début des années 2010 : Guggenheim de New York, Mudam à Luxembourg, Centre Paul-Klee à Berne, Fondation Luma en Arles, Documenta (13) 2012 à Kassel, Pointe de la douane de Venise (exposition Luogo e segni – lieux et signes) Centre Georges Pompidou-Paris (Elles font l’abstraction) Centre Pompidou-Metz (Écrire c’est dessiner, 6 novembre 2021 au 21 février 2022). Des galeries prestigieuses la représentaient depuis : galeries Lelong à Paris et à New York, Continua de Pékin et de La Havane, White Cube à Londres, Pace Gallery à New York, Sfeir-Semler à Hambourg et Beyrouth.
Je ne la connaissais pas du tout. Ses tableaux ont attiré mon attention en voyant l’exposition Elles font l’abstraction, il y a quelques mois au Centre Georges Pompidou.
Le Monde (12/11/2021, actualisé le 15/11), L’artiste Etel Adnan est morte presque centenaire.
France Culture (18/05/2012). Émission de Marie Richeux. Pas la peine de crier. Ethel Adnan : « Le temps que prend un poème, c’est la vie entière » (Á partir de 21’24”)
Cristina Peri Rossi est une poétesse, traductrice, nouvelliste et romancière. Elle vient de recevoir le Prix Cervantès 2021, la récompense la plus importante pour la littérature en espagnol . Elle est la sixième femme à obtenir ce prix après María Zambrano (1988), Dulce María Loynaz (1992), Ana María Matute (2010), Elena Poniatowska (2013) et Ida Vitale (2018).
Elle est née à Montevideo le 12 novembre 1941.
Après une licence de littérature comparée, elle commence à enseigner. Son premier recueil de nouvelles, Viviendo, paraît en 1963. Elle publie ensuite un recueil de poèmes, Evohé : poemas eróticos (1971), qui fait scandale par son expression du lesbianisme.
Elle s’exile le 4 octobre 1972, sous le gouvernement autoritaire du président Juan María Bordaberry, sa vie étant menacée. En effet, elle est militante du Frente Amplio et collaboratrice de la revue progressiste Marcha. Après le coup d’état du 27 juin 1973, l’armée détient la réalité du pouvoir en Uruguay. Les livres de Cristina Peri Rossi sont interdits. Elle s’installe à Barcelone en 1974 où elle vit encore aujourd’hui. Elle obtient la nationalité espagnole en 1975, tout en conservant sa nationalité uruguayenne.
Cristina Peri Rossi a publié des nouvelles, des romans et de nombreux recueils de poèmes.
Son oeuvre fait souvent allusion à la répression en Amérique latine dans les années 70 et 80, à la dictature dans les pays du Cône Sud et à l’exil. Elle a rendu hommage à Julio Cortázar dont elle fut proche dans Julio Cortázar et Cris, 2014. J’ai relu ce livre hier soir. J’en avais déjà parlé sur ce blog.
Julio Cortázar avait écrit pour elle 15 poèmes que l’on trouve dans Salvo el crepúsculo (Alfaguara, 1984) : Cinco poemas para Cris, Otros cinco poemas para Cris, Cinco últimos poemas para Cris. Ce livre a été traduit par les Éditions José Corti en 2010 (Crépuscule d’automne. Traduction: Silvia Baron Supervielle. ) Il mêle poésie et prose et avait été assemblé par Cortázar peu avant sa mort le 12 février 1984.
Ouvrages de Cristina Peri Rossi traduits en français :
1976 La tarde del dinosaurio 1980 La rebelión de los niños. Ces deux recueils de nouvelles ont été publiés ensemble sous le titre Le soir du dinosaure. Actes sud, 1985. 1988 Solitario de amor, traduit sous le titre L’Amour sans elle chez Phébus en 1997.
Cinco poemas para Cris (Julio Cortázar)
1. Ya mucho más allá del mezzo camin di nostra vita existe un territorio del amor un laberinto más mental que mítico donde es posible ser lentamente dichoso sin el hilo de Ariadna delirante si espumas ni sábanas ni muslos. Todo se cumple en un reflejo de crepúsculo tu pelo tu perfume tu saliva. Y allí del otro lado te poseo mientras tú juegas con tu amiga los juegos de la noche.
Julio Cortázar aimait la boxe. Cristina Peri Rossi préférait le football.
Distancia justa (Cristina Peri Rossi)
En el amor y en el boxeo, todo es cuestión de distancia. Si te acercas demasiado me excito me asusto me obnubilo, digo tonterías me echo a temblar. Pero si estás lejos sufro entristezco me desvelo y escribo poemas.
Otra vez Eros, 1994.
Juste distance
En amour, et dans la boxe tout est question de distance. Si tu t’approches trop je m’excite m’effraie m’obnubile, je dis des bêtises me mets à trembler. mais si tu es loin je souffre deviens triste perds le sommeil et j’écris des poèmes.
Les Éditions Chandeigne viennentde publier La Poésie du Portugal des origines au XX ème siècle. Cette anthologie a été éditée et les poèmes traduits par Max de Carvalho. C’est une édition bilingue. 1892 pages (!!!). 49 euros. Environ trois cents poètes et plus de mille poèmes. C’est un objet magnifique et l’anthologie semble très bien faite. Mathias Énard a publié une critique élogieuse dans Le Monde des Livres du 3 novembre 2021. C’est bientôt Noël et il y a tant de bons poètes portugais. Les poèmes du XIX et du XX siècles occupent les quatre cinquièmes du livre.
Mathias Énard à la fin de son article donne comme exemple un poème de Sophia de Mello Breyner, un de mes écrivains portugais préférés: Maria Helena Vieira Da Silva ou o itirenàrio ineluctável ( Maria Helena Vieira Da Silva ou l’itinéraire inéluctable ). Dans l’anthologie, on trouve Apequena praça (La petite place). J’ajoute ici la traduction Raymond Farina.
Maria Helena Vieira Da Silva ou o itirenàrio inelutàvel(Sophia de Mello Breyner)
Minúcia é o labirinto muro por muro Pedra contra pedra livro sobre livro Rua após rua escada após escada Se faz e se desfaz o labirinto Palácio é o labirinto e nele Se multiplicam as salas e cintilam Os quartos de Babel roucos e vermelhos Passado é o labirinto : seus jardins afloram E do fundo da memória sobem as escadas Encruzilhada é o labirinto e antro e gruta Biblioteca rede inventário colmeia – Itinerário é o labirinto Como o subir dum astro inelutável – Mas aquele que o percorre não encontra Toiro nenhum solar nem sol nem lua Mas só o vidro sucessivo do vazio E um brilho de azulejos iman frio Onde os espelhos devoram as imagens
Exauridos pelo labirinto caminhamos Na minúcia da busca na atenção da busca Na luz mutável : de quadrado em quadrado Encontramos desvios redes e castelos Torres de vidro corredores de espanto Mas um dia emergiremos e as cidades Da equidade mostrarão seu branco Sua cal sua aurora seu prodígio
Dual. 1972.
Maria Helena Vieira Da Silva ou l’itinéraire inéluctable
Le labyrinthe est minutie mur par mur Pierre contre pierre livre sur livre Une rue après l’autre, un escalier après l’autre Se forme et se défait le labyrinthe Le labyrinthe est un palais et en lui Se multiplient les salles et scintillent Les chambres de Babel rauques et rouges Le labyrinthe est passé : ses jardins affleurent Et du fond de la mémoire montent les escaliers Le labyrinthe est carrefour antre et grotte Bibliothèque mailles inventaires ruche – Le labyrinthe est itinéraire Comme l’ascension d’un astre inéluctable – Mais celui qui le parcourt ne rencontre aucun Taureau aucune demeure soleil ni lune Seulement le vide successif du verre Et un éclat d’azulejos magnétisme froid Où les miroirs dévorent les images
Épuisés par le labyrinthe nous allons Dans la minutie de la quête Dans la lumière changeante : de carré en carré Nous rencontrons détours, bifurcations et châteaux Des tours de verre des couloirs d’épouvante Mais un jour nous émergerons et les villes D’équité montreront leur blancheur Leur chaux leur aube leur prodige
La Poésie du Portugal, pages 1150-1152. Traduction Max de Carvalho.
A pequena praça (Sophia de Mello Breyner)
A minha vida tinha tomado a forma da pequena praça Naquele outono em que a tua morte se organizava meticulosamente Eu agarrava-me à praça porque tu amavas A humanidade humilde e nostálgica dos pequenas lojas Onde os caixeiros dobram e desdobram fitos e fazendas Eu procurava tornar-me tu porque tu ias morrer E a vida toda deixava ali de ser a minha Eu procurava sorrir como tu sorrias Ao vendedor de jornais ao vendedor de tabaco E à mulher sem pernas que vendia violetas Eu pedia à mulher sem pernas que rezasse por ti Eu acendia velas em todos os altares Das igrejas que ficam no canto desta praça Pois mal abri os olhos e vi foi para ler A vocação do eterno escrita no teu rosto Eu convocava as ruas os lugares as gentes Que foram as testemunhas do teu rosto Para que eles te chamassem para que eles desfizessem O tecido que a morte entrelaçava em ti
Dual, 1972.
La petite place
Ma vie a pris la forme de la petite place L’automne durant lequel ta mort s’organisait méticuleusement Je m’attachais à cette petite place parce que tu aimais L’humble et nostalgique humanité des petites boutiques Où les commis plient et déplient rubans et étoffes Je cherchais à devenir toi parce que tu allais mourir Et là toute ma vie cessa d’être la mienne J’essayais de sourire comme tu souriais Au marchand de journaux au marchand de tabac Et à la femme sans jambes qui vendait des violettes Je demandais à la femme sans jambes de prier pour toi J’allumais des cierges à tous les autels Des églises qui se trouvaient au coin de cette place Puisque dès que j’ai ouvert les yeux je ne vis que pour lire La vocation de l’éternel écrite sur ton visage Je convoquais les rues les lieux les gens Qui furent les témoins de ton visage Pour qu’ils t’appellent pour qu’ils défassent La trame que la mort entrelaçait en toi.
El País a publié hier un article sur un poète de la Génération de 1927 que j’aime beaucoup : Emilio Prados. (Málaga se reencuentra con Emilio Prados, el poeta menos conocido de la Generación del 27)
Le Centro Cultural de la Fundación Unicaja organise une exposition Emilio Prados, el mar de la nostalgia. Sa ville natale met aussi en valeur son image en organisant des journées, des parcours littéraires et en facilitant diverses publications. Jorge Peña tourne actuellement un documentaire : Emilio Prados, cazador de nubes. En effet, Federico García Lorca, son ami, l’appelait ainsi quand il voyait que Prados plaçait un miroir face à la fenêtre de sa chambre de la Residencia de Estudiantes de Madrid. Pedro Salinas l’a décrit comme un « místico de la soledad » et María Zambrano comme « el poeta de la muerte ». Pour Juan Ramón Jiménez, c’était un “poeta de huidas y siempre en fuga, de sí mismo y de los demás”
José Sanchis-Banús (1921-1987), mon professeur à l’Institut d’Études Hispaniques, militant socialiste et franc-maçon, était un grand spécialiste de son œuvre. Pre-Textos a publié la correspondance entre les deux hommes (José Sanchis-Banús. Emilio Prados. Correspondencia 1957-1962. Valencia, 1995)
Emilio Prados est né le 4 mars 1899 à Málaga.
Le père d’Emilio Prados possède une fabrique de meubles (Fábrica de Muebles Prados Hermanos S.A.), installé dans le palais de Buenavista où se trouve aujourd’hui le magnifique Musée Picasso.
Le poète est un amoureux de la nature. Il parcourt Los Montes de Málaga avec son ami, le berger Antonio Ríos. Il nage, il plonge dans la Méditerranée. Il fréquente régulièrement le quartier pauvre de El Palo, à l’est de Málaga, et la crique El Peñón del Cuervo. Il apprend à lire et à écrire aux enfants des pêcheurs qui sont analphabètes, fait de l’animation culturelle, organise un syndicat.
Il séjourne à la Residencia de Estudiantes de Madrid en 1918 avec son frère aîné Miguel qui étudie la psychiatrie. Il devient l’ami de Federico García Lorca. De 1921 à 1922, il séjourne au Waldsanatorium de Davos pour soigner la maladie pulmonaire dont il souffre depuis l’enfance. Il étudie ensuite la philosophie à Fribourg-en-Brisgau (Allemagne) où enseignent les philosophes Edmund Husserl et Martin Heidegger. Il fait aussi deux courts séjours à Paris où il fait la connaissance de Jean Cocteau et Pablo Picasso dont il visite l’atelier.
En 1924, il abandonne ses études universitaires et revient à Málaga. Il crée en 1926 l’imprimerie et maison d’édition Sur et la revue Litoral (Calle de San Lorenzo) avec un autre poète, Manuel Altolaguirre. Ce lieu devient essentiel pour tous les poètes de sa génération.
A partir de 1930, il publie de la poésie révolutionnaire. Il est membre de l’Alliance des intellectuels antifascistes et se rend à Madrid, en août 1936, au début de la guerre civile. Il lit à la radio ses romances de guerre. Replié à Valence, il collabore à la revue Hora de España et sélectionne les poèmes qui feront l’objet du Romancero de la guerra de España, publié en 1937.
A la fin de la guerre, il s’exile, d’abord en France en février 1939, puis au Mexique en mai 1939. Il y trouve du travail dans l’édition et dans l’enseignement. En 1942, il adopte un orphelin espagnol, Francisco Sala. Il vit très pauvrement à Mexico dans une petite chambre (Calle Lerma) entouré d’ étoiles de mer, du portrait de Federico García Lorca, de livres et d’une petite boîte contenant du sable provenant des plages de Málaga. Son frère Miguel, psychiatre au Canada, l’aide financièrement. Il meurt le 24 avril 1962 dans cette ville après 23 années d’exil.
XVI. Dormido en la yerba ( Emilio Prados )
Todos vienen a darme consejo. Yo estoy dormido junto a un pozo.
Todos se acercan y me dicen: – La vida se te va, y tú te tiendes en la yerba, bajo la luz más tenue del crepúsculo, atento solamente a mirar cómo nace el temblor del lucero o el pequeño rumor del agua, entre los árboles.
Y tú te tiendes sobre la yerba: cuando ya tus cabellos comienzan a sentir más cerca y fríos que nunca, la caricia y el beso de la mano constante y sueño de la luna.
Y tú te tiendes sobre la yerba: cuando apenas si puedes sentir en tu costado el húmedo calor del grano que germina y el amargo crujir de la rosa ya muerta.
Y tú te tiendes sobre la yerba: cuando apenas si el viento contiene su rigor, al mirar en ruina los muros de tu espalda, y, el sol, ni se detiene a levantar tu sangre del silencio.
Todos se acercan y me dicen: – La vida se te va. Tú vienes de la orilla donde crece el romero y la alhucema entre la nieve y el jazmín, eternos, y es un mar todo espumas lo que aquí te ha traído porque nos hables… Y tú te duermes sobre la yerba.
Todos se acercan para decirme. – Tú duermes en la tierra y tu corazón sangra y sangra, gota a gota ya sin dolor, encima de tu sueño, como en lo más oscuro del jardín, en la noche, ya sin olor, se muere la violeta.
Todos vienen a darme consejo. Yo estoy dormido junto a un pozo.
Sólo, si algún amigo mio se acerca, y, sin pregunta me da un abrazo entre las sombras: lo llevo hasta asomarnos al borde, juntos, del abismo, y, en sus profundas aguas, ver llorar a la luna y su reflejo, que más tarde ha de hundirse como piedra de oro, bajo el otoño frío de la muerte.
Ils viennent tous me donner des leçons. Moi, je dors auprès d’un puits.
Tous s’approchent et me disent : – Ta vie s’en va, Et toi tu gis sur l’herbe, Á la lumière fragile du crépuscule, Attentif seulement Á observer le premier Frémissement de l’astre, Le léger bruissement de l’eau, parmi les arbres.
Et toi tu gis sur l’herbe : Alors que tes cheveux déjà commencent à percevoir Plus proches, plus froids que jamais, La caresse et le baiser De la main persistante Et du rêve de la lune.
Toi tu gis sur l’herbe : Alors que c’est à peine si tu peux Percevoir dans ton flanc La chaleur humide De la graine qui germe Et l’amer craquement De la rose, morte.
Et toi tu gis sur l’herbe : Alors que c’est à peine si le vent Réfrène sa violence, En voyant en ruine Les murs de ton dos, Et que le soleil ne s’arrête pas Pour arracher ton sang au silence.
Tous s’approchent et me disent : – Ta vie s’en va, Toi, tu viens des rivages Où le romarin pousse et la lavande Entre la neige et le jasmin, éternels ; C’est une mer d’écumes Qui t’a amené ici, Pour que tu nous parles… Mais toi, tu dors sur l’herbe.
Tous s’approchent pour me dire : – Tu dors sur la terre, Ton coeur saigne, Il saigne, goutte à goutte, Insensible, sur ton sommeil, Comme au plus profond Du jardin, au sein de la nuit, Inodore, se meurt la violette.
Ils viennent tous me donner des leçons. Moi, auprès d’un puits, je dors.
Mais si d’aventure un ami S’approche et, sans poser de questions, M’embrasse au milieu des ombres : Je l’amène nous pencher Au bord, tous les deux, de l’abîme, Voir, dans ses eaux profondes, Pleurer la lune et son reflet, Qui, plus tard, s’abîmera Comme une pierre d’or, Sous l’automne froid de la mort.
Traduction : Nadine Ly. Anthologie bilingue de la poésie espagnole (Bibliothèque de la Pléiade, NRF. Gallimard. 1995)
Voir un autre poème sur ce blog: Rincón de la sangre.