Gustave Flaubert

Gustave Flaubert (Paul Gabriel Capellaro 1862-1938). Versailles, châteaux de Versailles et de Trianon.

Le 12 décembre 1821, à quatre heures du matin, est né à Rouen, Gustave Flaubert, fils de Achille-Cléophas Flaubert , chirurgien en chef à l’Hôtel-Dieu de cette ville, et d’Anne-Justine-Caroline Fleuriot.

Gallica propose de retrouver toutes ses ressources consacrées au romancier : sélections, dossier d’écrivain, billets de blog, manuscrits et éditions prestigieuses.

https://gallica.bnf.fr/conseils/content/gustave-flaubert

Je conseille aussi la lecture de Flaubert, les luxures de la plume de Marie Paule Farina. L’Harmattan, 2020.

Quelques citations retrouvées un peu au hasard :

Lettre à Louis Bouilhet, 18 février 1851.

« Mais j’éprouve par là le premier symptôme d’une décadence qui m’humilie et que je sens bien. Je grossis, je deviens bedaine et commence à faire vomir. Peut-être que bientôt je vais regretter ma jeunesse et, comme la grand’mère de Béranger, le temps perdu. Où es tu, chevelure plantureuse de mes dix-huit ans, qui me tombais sur les épaules avec tant d’espérances et d’orgueil ! Oui, je vieillis ; il me semble que je ne peux plus rien faire de bon. J’ai peur de tout en fait de style. Que vais-je écrire à mon retour ? Voilà ce que je me demande sans cesse. »

Lettre à Louise Colet, 26 mars 1854

« Chaque voix trouve son écho ! Je pense souvent avec attendrissement aux êtres inconnus, à naître, étrangers, etc., qui s’émeuvent ou s’émouvront des mêmes choses que moi. Un livre, cela vous crée une famille éternelle dans l’humanité. Tous ceux qui vivront de votre pensée, ce sont comme des enfants attablés à votre foyer.
Aussi quelle reconnaissance, j’ai, moi, pour ces pauvres vieux braves dont on se bourre à si large gueule, qu’il semble que l’on a connus, et auxquels on rêve comme à des amis morts.”

Lettre à Mlle Leroyer de Chantepie, 4 septembre 1858.

“Pourquoi ne travaillez-vous pas ? Le seul moyen de supporter l’existence, c’est de s’étourdir dans la littérature comme dans une orgie perpétuelle. Le vin de l’Art cause une longue ivresse et il est inépuisable. C’est de penser à soi qui rend malheureux”

Lettre à Léon de Saint-Valéry, 15 janvier 1870.

« Vous me demandez de vous répondre franchement à cette question : « Dois-je continuer à faire des romans ? » Or, voici mon opinion : il faut toujours écrire, quand on en a envie. Nos contemporains (pas plus que nous-mêmes) ne savent ce qui restera de nos œuvres. Voltaire ne se doutait pas que le plus immortel de ses ouvrages était Candide. Il n’y a jamais eu de grands hommes, vivants. C’est la postérité qui les fait. – Donc travaillons si le cœur nous en dit, si nous sentons que la vocation nous entraîne »

Lettre à George Sand, 4 décembre 1872.

“Car j’écris (je parle d’un auteur qui se respecte), non pour le lecteur d’aujourd’hui mais pour tous les lecteurs qui pourront se présenter tant que la langue vivra. Ma marchandise ne peut donc être consommée maintenant, car elle n’est pas faite exclusivement pour mes contemporains. Mon service reste donc indéfini et, par conséquent, impayable.»

Lettre à Guy de Maupassant, 9 août 1878.
«Prenez garde à la tristesse. C’est un vice. On prend plaisir à être chagrin et, quand le chagrin est passé, comme on y a usé des forces précieuses, on en reste abruti. Alors on a des regrets, mais il n’est plus temps. Croyez-en l’expérience d’un scheik à qui aucune extravagance n’est étrangère.»

Roberto Juarroz

Je relis Roberto Juarroz et je compare les traductions de Fernand Verhesen (1913-2009) et celles de Roger Munier (1923-2010) . La collection Poésie/Gallimard, créée en mars 1966, vient de republier les traductions du premier. C’est précieux car elle privilégie enfin les éditions bilingues.

  1. (Roberto Juarroz)

La vida nos va haciendo marcas
como si tallara ciertos datos sobre una vara.
Y esas marcas duran más que nosotros.

Parecemos el ayuda-memoria
de un sombrío quehacer
o el soporte accidental de un mensaje
que se apoya un momento y continúa.

Las ancestrales disonancias
danzan sobre los paredones deshilvanados
y su funambulesca coreografía
encuentra allí las figuras necesarias
para desatar los impávidos jeroglíficos.

Las marcas que llevamos
nos sobrevivirán como trincheras abandonadas.
Y como todas las trincheras,
por mucho que las rellenen,
seguirán aguardando el retorno
del áspero combate
que circuló por las carnales incisuras
de sus cavados y olvidados laberintos.

Cuarta poesía vertical. Buenos Aires, Aditor. 1969.

  1. (Roberto Juarroz)

La vie nous fait des marques
comme si elle taillait certaines données sur un bâton.
Et ces marques durent plus que nous.

Nous ressemblons à l’aide-mémoire
d’une obscure occupation
ou au support accidentel d’un message
qui s’appuie un moment et continue.

Les dissonances ancestrales
dans sur les gros murs défaufilés
et leur funambulesque chorégraphie
trouve là les figures nécessaires
pour dénouer les hiéroglyphes impavides.

Les marques que nous portons
nous survivront comme des tranchées abandonnées.
Et comme toutes les tranchées,
pour autant qu’on les remplisse,
attendront le retour
de l’âpre combat
qui circula dans les charnelles incisions
de ses labyrinthes creusés et oubliés.

Quatrième poésie verticale. 1972. Éditions Le Cormier. Traduction Fernand Verhesen.

Poésies verticales. I-II-III-IV-XI
Traduction Fernand Verhesen. Édition de Réginald Gaillard.

Édition bilingue. Collection Poésie/Gallimard (n° 566), Gallimard.

Jorge Luis Borges

Jorge Luis Borges. 1963. (Alicia d’Amico)

Borges y yo

” Al otro, a Borges, es a quien le ocurren las cosas. Yo camino por Buenos Aires y me demoro, acaso ya mecánicamente, para mirar el arco de un zaguán y la puerta cancel; de Borges tengo noticias por el correo y veo su nombre en una terna de profesores o en un diccionario biográfico. Me gustan los relojes de arena, los mapas, la tipografía del siglo XVIII, el sabor del café y la prosa de Stevenson; el otro comparte esas preferencias, pero de un modo vanidoso que las convierte en atributos de un actor. Sería exagerado afirmar que nuestra relación es hostil; yo vivo, yo me dejo vivir, para que Borges pueda tramar su literatura y esa literatura me justifica. Nada me cuesta confesar que ha logrado ciertas páginas válidas, pero esas páginas no me pueden salvar, quizá porque lo bueno ya no es de nadie, ni siquiera del otro, sino del lenguaje o la tradición. Por lo demás, yo estoy destinado a perderme, definitivamente, y sólo algún instante de mí podrá sobrevivir en el otro. Poco a poco voy cediéndole todo, aunque me consta su perversa costumbre de falsear y magnificar. Spinoza entendió que todas las cosas quieren perseverar en su ser; la piedra eternamente quiere ser piedra y el tigre un tigre. Yo he de quedar en Borges, no en mí (si es que alguien soy), pero me reconozco menos en sus libros que en muchos otros o que en el laborioso rasgueo de una guitarra. Hace años yo traté de librarme de él y pasé de las mitologias del arrabal a los juegos con el tiempo y con lo infinito, pero esos juegos son de Borges ahora y tendré que idear otras cosas. Así mi vida es una fuga y todo lo pierdo y todo es del olvido, o del otro.
No sé cuál de los dos escribe esta página. “

El hacedor, 1960. Buenos Aires, Emecé Editores.

Borges et moi

« C’est à l’autre, à Borges, que les choses arrivent. Moi, je marche dans Buenos Aires, je m’attarde peut-être machinalement, pour regarder la voûte d’un vestibule et la grille d’un patio. J’ai des nouvelles de Borges par la poste et je vois son nom proposé pour une chaire ou dans un dictionnaire biographique. J’aime les sabliers, les planisphères, la typographie du XVIIIe siècle, le goût du café et la prose de Stevenson ; l’autre partage ces préférences, mais non sans complaisance et d’une manière qui en fait des attributs d’acteur. Il serait exagéré de prétendre que nos relations sont mauvaises. Je vis et me laisse vivre, pour que Borges puisse ourdir sa littérature et cette littérature me justifie. Je confesse volontiers qu’il a réussi quelques pages de valeur, mais ces pages ne peuvent rien pour moi, sans doute parce que ce qui est bon n’appartient à personne, pas même à lui, l’autre, mais au langage et à la tradition. Au demeurant, je suis condamné à disparaître, définitivement, et seul quelque instant de moi aura chance de survivre dans l’autre. Peu à peu, je lui cède tout, bien que je me rende compte de sa manie perverse de tout falsifier et exagérer. Spinoza comprit que toute chose veut persévérer dans son être ; la pierre éternellement veut être pierre et le tigre un tigre. Mais moi je dois persévérer en Borges, non en moi (pour autant que je sois quelqu’un). Pourtant je me reconnais moins dans ses livres que dans beaucoup d’autres ou que dans le raclement laborieux d’une guitare. Il y a des années, j’ai essayé de me libérer de lui et j’ai passé des mythologies de banlieue aux jeux avec le temps et l’infini, mais maintenant ces jeux appartiennent à Borges et il faudra que j’imagine autre chose. De cette façon, ma vie est une fuite où je perds tout et où tout va à l’oubli, ou à l’autre.
Je ne sais pas lequel des deux écrit cette page. »

L’auteur et autres textes. Gallimard, 1965. Traduction de Roger Caillois.

Luis Cernuda

(Merci à Gio Bonzon pour ses photos de Torremolinos et de Málaga qui me redonnent la nostalgie du Sud.)

Torremolinos. Amanecer.

Depuis 2009, on peut voir dans le cimetière de cette ville de la Costa del Sol une plaque qui reproduit le poème de Luis Cernuda, Elegía anticipada, tiré du recueil Como quien espera el alba (1947). Le poète de Séville logea en 1928 dans la pension Castillo de Santa Clara, propriété d’un anglais, George Langworthy. Salvador Dalí et Gala passèrent là aussi plusieurs semaines en mai 1930. Torremolinos était alors un petit village de pêcheurs rattaché à Málaga. Dans un autre poème El indolente, Cernuda surnomme Torremolinos, Sansueña. Le nom évoque el sueño, le rêve. On trouve aussi un poème en prose intitulé de la même façon dans Ocnos (1942). Il fut publié pour la première fois dans le supplément littéraire du journal La Verdad de Murcie (n°56, 18 juillet 1926). Le poète est mort en exil en 1963 à México. il ne revit jamais l’Andalousie qu’il aimait tant.

Elegía anticipada (Luis Cernuda)

Por la costa del sur, sobre una roca
alta junto a la mar, el cementerio
aquel descansa en codiciable olvido,
y el agua arrulla el sueño del pasado.

Desde el dintel, cerrado entre los muros,
huerto parecería, si no fuese
por las losas, posadas en la hierba
como un poco de nieve que no oprime.

Hay troncos a que asisten fuerza y gracia,
y entre el aire y las hojas buscan nido
pájaros a la sombra de la muerte;
hay paz contemplativa, calma entera.

Si el deseo de alguien que en el tiempo
dócil no halló la vida a sus deseos,
puede cumplirse luego, tras la muerte,
quieres estar allá solo y tranquilo.

Ardido el cuerpo, luego lo que es aire
al aire vaya, y a la tierra el polvo,
por obra del afecto de un amigo,
si un amigo tuviste entre los hombres.

Y no es el silencio solamente,
la quietud del lugar, quien así lleva
tu memoria hacia allá, mas la conciencia
de que tu vida allí tuvo su cima.

Fue en la estación cuando la mar y el cielo
dan una misma luz, la flor es fruto,
y el destino tan pleno que parece
cosa dulce adentrarse por la muerte.

Entonces el amor único quiso
en cuerpo amanecido sonreírte,
esbelto y rubio como espiga al viento.
Tú mirabas tu dicha sin creerla.

Cuando su cetro el día pasa luego
a su amada la noche, aún más hermosa
parece aquella tierra; un dios acaso
vela en eternidad sobre su sueño.

Entre las hojas fuisteis, descuidados
de una presencia intrusa, y ciegamente
un labio hallaba en otro ese embeleso
hijo de la sonrisa y del suspiro.

Al alba el mar pulía vuestros cuerpos,
puros aún, como de piedra oscura;
la música a la noche acariciaba
vuestras almas debajo de aquel chopo.

No fue breve esa dicha. ¿Quién pretende
que la dicha se mida por el tiempo?
Libres vosotros del espacio humano,
del tiempo quebrantasteis las prisiones.

El recuerdo por eso vuelve hoy
al cementerio aquel, al mar, la roca
en la costa del sur : el hombre quiere
caer donde el amor fue suyo un día.

Como quien espera el alba, 1941-1944.

Luis Cernuda. Málaga 2 septembre 1933.

Élégie anticipée

Sur la côte du sud, sur une roche
Haute près de la mer, ce cimetière
Lointain repose en enviable oubli,
Et l’eau berce le songe du passé.

Depuis le seuil, fermé entre les murs,
On croirait un jardin, s’il n’ y avait
Les dalles reposant dans l’herbe comme
Un peu de neige qui ne pèse pas.

Vigueur et grâce y assistent des troncs
Et dans l’air et les feuilles, les oiseaux
Cherchent un nid à l’ombre de la mort ;
Tout est paix contemplative, calme absolu.

Si le désir de qui, au cours du temps
ne trouva pas la vie docile à ses désirs
Peut s’accomplir ensuite, après la mort,
Tu veux reposer là, solitaire et tranquille.

Le corps brûlé, qu’ensuite l’air à l’air
Retourne, et à la terre la poussière,
Par œuvre de l’affection d’un ami,
Si tu eus un ami parmi les hommes.

Et ce n’est pas seulement le silence,
Le calme de l’endroit, qui ainsi porte
Ta mémoire là-bas, mais la conscience
Que ta vie y trouva son sommet.

Ce fut en la saison où la mer et le ciel
Brillent du même éclat, la fleur est fruit
Et le destin si plein que, semble-t-il,
Il sera doux de glisser dans la mort.

Et l’amour unique voulut alors
Te sourire à travers l’aube d’un corps,
Blond et svelte comme un épi au vent.
Tu contemplais ton bonheur sans le croire.

Lorsque le jour passe ensuite son sceptre
Á la nuit son aimée, plus belle encore
apparaît cette terre ; un dieu peut-être
Éternellement veille sur son rêve.

Là vous fûtes parmi les feuilles, oublieux
De toute autre présence et follement
une lèvre trouvait en l’autre cette extase
Qu’engendre le sourire ainsi que le soupir.

La mer à l’aube lustrait vos deux corps,
Encore purs, comme de pierre obscure ;
Á la nuit la musique caressait
Vos âmes au pied de ce peuplier.

Ce bonheur fut sans fin. Qui peut prétendre
Que le bonheur ait pour mesure le temps ?
Tous deux libres de l’espace des hommes,
Vous brisâtes les barrières du temps.

C’est pourquoi aujourd’hui le souvenir revient
Au cimetière lointain, à la mer, à la roche
Sur la côte du Sud : l’homme désire
Mourir là où un jour l’amour lui appartint.

Comme celui qui attend l’aube, 1941-1944. Traduction Jacques Ancet.

Almudena Grandes – Luis Cernuda

La romancière et journaliste espagnole Almudena Grandes vient de mourir ce samedi 27 novembre à Madrid à l’âge de 61 ans.
Née à Madrid le 7 mai 1960, elle s’était fait connaître avec un roman érotique en 1989, Las edades de Lulú (Les vies de Loulou), porté à l’écran par Bigas Luna en 1990.
Elle avait publié ensuite Te llamaré viernes (1991) et Malena es un nombre de tango (1994) ( Malena c’est un nom de tango).
En 2010, elle s’était lancée dans un projet de six volumes indépendants, Episodios de una guerra interminable racontant les années de l’après-guerre civile en Espagne. Cette série est dans la ligne des Episodios nacionales (46 volumes) du grand romancier réaliste Benito Pérez Galdós (1843-1920).
Depuis 2008, elle publiait régulièrement des articles dans le quotidien El País. Le 10 octobre dernier, elle avait écrit un article sur le cancer dont elle souffrait depuis un an (Tirar una valla)

https://elpais.com/eps/2021-10-10/tirar-una-valla.html

Son mari est le poète Luis García Montero, directeur de l’Institut Cervantès depuis 2018.

Livres traduits en français :

  • Les vies de Loulou. Albin Michel, 1990.
  • Malena c’est un nom de tango. Plon, 1996 et Pocket 2000.
  • Atlas de géographie humaine. Grasset, 2000.
  • Vents Contraires. Grasset, 2003. Livre de poche, 2011.
  • Le cœur glacé. Éditions JC Lattès, 2008. Livre de poche, 2010. (2 tomes)
  • Inès et la joie. Éditions JC Lattès, 2012. Livre de poche, 2013.
  • Le Lecteur de Jules Verne. Éditions JC Lattès, 2013. Livre de poche, 2014.
  • Les Trois Mariages de Manolita. Éditions JC Lattès, 2016. Livre de poche, 2019.
  • Les patients du docteur Garcia. Éditions JC Lattès, 2020. Premio Nacional de la Narrativa (2018)

Son décès m’a remis en mémoire la fin du poème de Luis Cernuda Díptico español (Diptyque espagnol) qui date de 1961.

…Hoy, cuando a tu tierra ya no necesitas,
Aún en estos libros te es querida y necesaria,
Más real y entresoñada que la otra:
No ésa, mas aquélla es hoy tu tierra.
La que Galdós a conocer te diese,
Como él tolerante de lealtad contraria,
Según la tradición generosa de Cervantes,
Heroica viviendo, heroica luchando
Por el futuro que era el suyo,
No el siniestro pasado donde a la otra han vuelto.

La real para ti no es esa España obscena y deprimente
En la que regentea hoy la canalla,
Sino esta España viva y siempre noble
Que Galdós en sus libros ha creado.
De aquélla nos consuela y cura ésta.

Desolación de la quimera. 1956-1962

…Aujourd’hui, quand de ta terre tu n’as plus besoin,
Dans les livres encore elle t’est chère et nécessaire,
Plus réelle que l’autre et à demi rêvée ;
Pas celle-ci, mais celle-là qui est toujours ta terre.
Celle que Galdós t’aurait donnée à connaître,
Comme lui tolérante à la loyauté contraire,
Selon la généreuse tradition de Cervantès,
Héroïque dans la vie, héroïque dans la bataille
Pour l’avenir qui était le sien,
Et non le sinistre passé où ils ont renvoyé l’autre.

La réalité pour toi n’est pas cette Espagne obscène et déprimante
Où gouverne aujourd’hui la canaille,
Mais cette Espagne vivante et toujours noble
que Galdós a créée dans ses livres.
De celle-là il nous console et soigne celle-ci.

José Ángel Valente

Ángel Valente (Manuel Álvarez)José

Après avoir vu l’exposition de la BnF, je relis ces jours derniers les poèmes de Baudelaire, mais aussi ceux de José Ángel Valente. Pas de de rapport entre ces deux écrivains.
Je parcours Fragmentos de un libro futuro. Galaxia Gutenberg Círculo de Lectores, 2000. ( Édition française : Fragments d’un livre futur. Éditions José Corti, 2002. Traduction de Jacques Ancet. )
José Ángel Valente souhaitait publier ce recueil à titre posthume. Il est constitué de quatre-vingt-douze poèmes. Ils sont retranscrits dans l’ordre chronologique par date de composition. Ils couvrent les dix dernières années de la vie de ce poète galicien qui appartient à la génération de l’après-guerre civile ( Generación del 50 ). Dans cette sorte de journal, il revient sur ses sujets de prédilection : les questions métaphysiques, la douleur provoquée par la disparition des êtres chers. Son fils, Antonio, est mort d’une overdose en 1990. Le pressentiment de sa mort prochaine est très présente. On remarque dans ces poèmes le dépouillement, la simplicité du lexique, l’absence de sentimentalisme. La nostalgie colore tout ce qui illumine la vie : la chair, le désir, l’amour, la lumière.

José Ángel Valente est né à Orense (Galice). Après des études de philologie romane à Madrid (Licence à l’Université Complutense de Madrid), il est lecteur à Oxford. Il s’installe en 1958 à Genève et occupe jusqu’en 1975 un poste de fonctionnaire international. C’est un poète, essayiste et traducteur (Constantin Cavafis, Paul Celan, John Donne, Edmond Jabès, John Keats, Eugenio Montale, Dylan Thomas entre autres). Il meurt à Genève le 18 juillet 2000.

– Prix Príncipe de Asturias de las Letras ( 1988 ).

– Prix Reina Sofía de Poesía Iberoamericana ( 1998 ).

– Prix national de littérature (Poésie) ( 2001 ) à titre posthume pour Fragmentos de un libro futuro.

On peut le lire facilement en français dans les excellentes traductions de Jacques Ancet : Trois leçons de ténèbres – Mandorle – L’Eclat. Poésie/Gallimard n°321. 1998.

Llorar por lo perdido cuando no deja huella el pie en la arena que no sea borrada por la cierta sucesión de las aguas.

( 28.VI.1991 )

Pleurer ce qui est perdu quand le pied ne laisse sur le sable trace qui ne soit effacée par la succession certaine des eaux.

( 28.VI.1991 )

A Andrés Sánchez Robayna

El humo aciago de las víctimas.

Todo se deshacía en el aire.
La historia como el viento dorado del otoño
arrastraba a su paso los gemidos, las hojas, las cenizas,
para que el llanto no tuviera fundamento.
Disolución falaz de la memoria.
Parecía
como si todo hubiera sido para siempre borrado.

Para jamás, me digo.
Para nunca.

( Sonderaktion, 1943 ) ( 7.08.1992 )

A Andrés Sánchez Robayna

La fumée sinistre des victimes.

Tout se défaisait dans l’air.
L’histoire comme le vent doré de l’automne
traînait à son passage les gémissements, les feuilles, les cendres,
pour que les pleurs soient sans fondement.
Fausse dissolution de la mémoire.
On aurait dit
que tout avait été toujours effacé.

Á jamais, me dis-je.
Á tout jamais.

( Sonderaktion, 1943 ) ( 7.08.1992 )

Ha pasado algún tiempo. El tiempo pasa y no deja nada. Lleva, arrastra muchas cosas contigo. El vacío, deja el vacío. Dejarse vaciar por el tiempo como se dejan vaciar los pequeños crustáceos y moluscos por el mar. El tiempo es como el mar. Nos va gastando hasta que somos transparentes. Nos da la transparencia para que el mundo pueda verse a través de nosotros o puedo oírse como oímos el sempiterno rumor del mar en la concavidad de una caracola. El mar, el tiempo, alrededores de lo que no podemos medir y nos contiene.

( Desde del otro costado )( 4.IX.1993 )

Un peu de temps a passé. Le temps passe et ne laisse rien. Il emporte, il traîne beaucoup de choses avec lui. Le vide, il laisse le vide. Se laisser vider par le temps comme les petits crustacés et les mollusques se laissent vider par la mer. Le temps est comme la mer. Il nous use jusqu’à être transparents. Il nous donne la transparence pour que le monde puisse se voir à travers nous ou puisse s’entendre comme nous entendons la sempiternelle rumeur de la mer dans le creux d’un coquillage. La mer, le temps, alentours de ce que nous ne pouvons mesurer et qui nous contient.

( Depuis l’autre côté)(4.IX.1993 )

Caminabas despacio.

Tu cuerpo fatigado aún arrastraba
la absoluta ruina
de ti.

Te acariciaba tenuemente el sol.
Tú ibas disolviéndote en su luz.

Quedaban todavía algunos pasos.
¿Hacia dónde?
Ni siquiera sabías
con certeza cuántos podrías dar.

( La certeza ) ( 31.III.1996 )

Tu marchais lentement.

Ton corps fatigué traînait encore
la ruine absolue
de toi-même.

Le soleil te caressait doucement.
Tu te dissolvais peu à peu dans sa lumière.

Il restait encore quelques pas.
Mais vers où ?
Tu ne savais même pas
avec certitude combien tu pourrais en faire.

( La certitude ) ( 31.III.1996 )

Cima del canto.
El ruiseñor y tú
ya sois lo mismo.

( Anónimo: versión )( 25.V.2000 )

Cime du chant.
Le rossignol et toi
n’êtes plus qu’un.

( Anonyme: version ) ( 25.V.2000 )

Charles Baudelaire

Affiche de l’exposition.

J’ai très envie de voir l’exposition Baudelaire. La modernité mélancolique, à la BNF, bibliothèque François-Mitterrand, Paris 13ème arrondissement. Peut-être demain. Il s’agit d’une exposition thématique pour célébrer le bicentenaire de la naissance de Charles Baudelaire (1821-1867). Elle a été inaugurée le 3 novembre et durera jusqu’au 13 février 2022. Jean-Marc Chatelain, directeur des réserves des livres rares de la BNF, commissaire général de l’exposition et responsable du catalogue résume ainsi son propos : « Toucher le cœur même de l’acte de la création, aussi bien dans l’œuvre poétique de Baudelaire que dans son œuvre critique. » 200 pièces sont exposées: estampes, lettres autographes, éditions originales, manuscrits, portraits, une de journaux ayant publié ses poèmes.

Hier soir, j’ai relu un des poèmes les plus noirs de Baudelaire:

Le goût du néant

Morne esprit, autrefois amoureux de la lutte,
L’Espoir, dont l’éperon attisait ton ardeur,
Ne veut plus t’enfourcher ! Couche-toi sans pudeur,
Vieux cheval dont le pied à chaque obstacle butte.

Résigne-toi, mon cœur; dors ton sommeil de brute.

Esprit vaincu, fourbu ! Pour toi, vieux maraudeur,
L’amour n’a plus de goût, non plus que la dispute ;
Adieu donc, chants du cuivre et soupirs de la flûte !
Plaisirs, ne tentez plus un coeur sombre et boudeur !

Le Printemps adorable a perdu son odeur !

Et le Temps m’engloutit minute par minute,
Comme la neige immense un corps pris de roideur ;
Je contemple d’en haut le globe en sa rondeur
Et je n’y cherche plus l’abri d’une cahute.

Avalanche, veux-tu m’emporter dans ta chute ?

Les Fleurs du mal. 1857.

Destruction, (Carlos Schwabe 1866-1926). lllustration pour Les Fleurs du mal de Charles Baudelaire. Paris, imprimé pour Charles Meunier, 1900.

Etel Adnan

Etel Adnan (Anaïs Barelli). Erquy, 23 septembre 2021.

La peintre et poétesse américano-libanaise Etel Adnan vient de mourir le 14 novembre à Paris. Elle avait 96 ans.
Elle est née à Beyrouth le 24 février 1925 d’une mère grecque orthodoxe, née à Smyrne (aujourd’hui Izmir en Turquie), et d’un père syrien musulman, officier de l’Empire ottoman. Elle grandit en parlant le grec et le turc dans une société arabophone. Elle va dans l’école d’un couvent français. Le français devient la langue de ses premiers écrits littéraires. Très jeune, elle étudie l’anglais.
Elle suit des études supérieures de lettres-philosophie à la Sorbonne de 1949 à 1953, puis à Berkeley et Harvard.
Elle commence à peindre en Californie en 1958. En 1996, elle affirme : « L’art abstrait c’était l’équivalent à l’expression poétique ; je n’ai pas éprouvé le besoin de me servir des mots, mais plutôt des couleurs et des lignes. Je n’ai pas eu le besoin d’appartenir à une culture orientée vers le langage mais plutôt à une forme ouverte d’expression. » Elle utilise aussi des leporellos ( livres dont les pages sont pliées et collées formant comme un accordéon)
Elle vivait à Paris depuis les années 1980.
Elle est reconnue comme peintre au début des années 2010 : Guggenheim de New York, Mudam à Luxembourg, Centre Paul-Klee à Berne, Fondation Luma en Arles, Documenta (13) 2012 à Kassel, Pointe de la douane de Venise (exposition Luogo e segni lieux et signes) Centre Georges Pompidou-Paris (Elles font l’abstraction) Centre Pompidou-Metz (Écrire c’est dessiner, 6 novembre 2021 au 21 février 2022). Des galeries prestigieuses la représentaient depuis : galeries Lelong à Paris et à New York, Continua de Pékin et de La Havane, White Cube à Londres, Pace Gallery à New York, Sfeir-Semler à Hambourg et Beyrouth.

Je ne la connaissais pas du tout. Ses tableaux ont attiré mon attention en voyant l’exposition Elles font l’abstraction, il y a quelques mois au Centre Georges Pompidou.

Sans titre. vers 1965. Hambourg, Sfeir-Semler Gallery.

Le Monde (12/11/2021, actualisé le 15/11), L’artiste Etel Adnan est morte presque centenaire.

https://www.lemonde.fr/m-le-mag/article/2021/11/12/etel-adnan-navigatrice-des-langues-des-arts-et-des-continents_6101869_4500055.html

El País (14/11/2021), Muere a los 96 años Etel Adnan, la maestra de la abstracción sencilla.

https://elpais.com/cultura/2021-11-14/muere-a-los-96-anos-etel-adnan-la-maestra-de-la-abstraccion-sencilla.html

France Culture (18/05/2012). Émission de Marie Richeux. Pas la peine de crier. Ethel Adnan : « Le temps que prend un poème, c’est la vie entière » (Á partir de 21’24”)

https://www.franceculture.fr/emissions/pas-la-peine-de-crier/sous-plus-dun-tilleul

Sans Titre. vers 1975. Villeneuve d’Ascq, Lille Métropole Musée d’Art Moderne La M.

Cristina Peri Rossi

Cristina Peri Rossi et Julio Cortázar.

Cristina Peri Rossi est une poétesse, traductrice, nouvelliste et romancière. Elle vient de recevoir le Prix Cervantès 2021, la récompense la plus importante pour la littérature en espagnol . Elle est la sixième femme à obtenir ce prix après María Zambrano (1988), Dulce María Loynaz (1992), Ana María Matute (2010), Elena Poniatowska (2013) et Ida Vitale (2018).

Elle est née à Montevideo le 12 novembre 1941.

Après une licence de littérature comparée, elle commence à enseigner. Son premier recueil de nouvelles, Viviendo, paraît en 1963. Elle publie ensuite un recueil de poèmes, Evohé : poemas eróticos (1971), qui fait scandale par son expression du lesbianisme.

Elle s’exile le 4 octobre 1972, sous le gouvernement autoritaire du président Juan María Bordaberry, sa vie étant menacée. En effet, elle est militante du Frente Amplio et collaboratrice de la revue progressiste Marcha. Après le coup d’état du 27 juin 1973, l’armée détient la réalité du pouvoir en Uruguay. Les livres de Cristina Peri Rossi sont interdits. Elle s’installe à Barcelone en 1974 où elle vit encore aujourd’hui. Elle obtient la nationalité espagnole en 1975, tout en conservant sa nationalité uruguayenne.

Cristina Peri Rossi a publié des nouvelles, des romans et de nombreux recueils de poèmes.

Son oeuvre fait souvent allusion à la répression en Amérique latine dans les années 70 et 80, à la dictature dans les pays du Cône Sud et à l’exil. Elle a rendu hommage à Julio Cortázar dont elle fut proche dans Julio Cortázar et Cris, 2014. J’ai relu ce livre hier soir. J’en avais déjà parlé sur ce blog.

http://www.lesvraisvoyageurs.com/2020/04/24/cristina-peri-rossi-julio-cortazar/

Julio Cortázar avait écrit pour elle 15 poèmes que l’on trouve dans Salvo el crepúsculo (Alfaguara, 1984) : Cinco poemas para Cris, Otros cinco poemas para Cris, Cinco últimos poemas para Cris. Ce livre a été traduit par les Éditions José Corti en 2010 (Crépuscule d’automne. Traduction: Silvia Baron Supervielle. ) Il mêle poésie et prose et avait été assemblé par Cortázar peu avant sa mort le 12 février 1984.

Ouvrages de Cristina Peri Rossi traduits en français :

1976 La tarde del dinosaurio 1980 La rebelión de los niños. Ces deux recueils de nouvelles ont été publiés ensemble sous le titre Le soir du dinosaure. Actes sud, 1985.
1988 Solitario de amor, traduit sous le titre L’Amour sans elle chez Phébus en 1997.

Cinco poemas para Cris (Julio Cortázar)

1.
Ya mucho más allá del mezzo
camin di nostra vita
existe un territorio del amor
un laberinto más mental que mítico
donde es posible ser
lentamente dichoso
sin el hilo de Ariadna delirante
si espumas ni sábanas ni muslos.
Todo se cumple en un reflejo de crepúsculo
tu pelo tu perfume tu saliva.
Y allí del otro lado te poseo
mientras tú juegas con tu amiga
los juegos de la noche.

Julio Cortázar aimait la boxe. Cristina Peri Rossi préférait le football.

Distancia justa (Cristina Peri Rossi)

En el amor y en el boxeo,
todo es cuestión de distancia.
Si te acercas demasiado me excito
me asusto
me obnubilo, digo tonterías
me echo a temblar.
Pero si estás lejos
sufro entristezco
me desvelo
y escribo poemas.

Otra vez Eros, 1994.

Juste distance
 
En amour, et dans la boxe
tout est question de distance.
Si tu t’approches trop je m’excite
m’effraie
m’obnubile, je dis des bêtises
me mets à trembler.
mais si tu es loin
je souffre deviens triste
perds le sommeil
et j’écris des poèmes.

Traduction : Colette Museur.

La Poésie du Portugal des origines au XX ème siècle

(Merci beaucoup, Raymond Farina)

Les Éditions Chandeigne viennent de publier La Poésie du Portugal des origines au XX ème siècle. Cette anthologie a été éditée et les poèmes traduits par Max de Carvalho. C’est une édition bilingue. 1892 pages (!!!). 49 euros. Environ trois cents poètes et plus de mille poèmes. C’est un objet magnifique et l’anthologie semble très bien faite. Mathias Énard a publié une critique élogieuse dans Le Monde des Livres du 3 novembre 2021. C’est bientôt Noël et il y a tant de bons poètes portugais. Les poèmes du XIX et du XX siècles occupent les quatre cinquièmes du livre.

https://www.lemonde.fr/livres/article/2021/11/03/la-poesie-du-portugal-une-epopee-de-heros-et-de-monstres_6100820_3260.html

Mathias Énard à la fin de son article donne comme exemple un poème de Sophia de Mello Breyner, un de mes écrivains portugais préférés: Maria Helena Vieira Da Silva ou o itirenàrio ineluctável ( Maria Helena Vieira Da Silva ou l’itinéraire inéluctable ). Dans l’anthologie, on trouve A pequena praça (La petite place). J’ajoute ici la traduction Raymond Farina.

Sophia de Mello Breyner. 1919-2004.

Maria Helena Vieira Da Silva ou o itirenàrio inelutàvel (Sophia de Mello Breyner)

Minúcia é o labirinto muro por muro
Pedra contra pedra livro sobre livro
Rua após rua escada após escada
Se faz e se desfaz o labirinto
Palácio é o labirinto e nele
Se multiplicam as salas e cintilam
Os quartos de Babel roucos e vermelhos
Passado é o labirinto : seus jardins afloram
E do fundo da memória sobem as escadas
Encruzilhada é o labirinto e antro e gruta
Biblioteca rede inventário colmeia –
Itinerário é o labirinto
Como o subir dum astro inelutável –
Mas aquele que o percorre não encontra
Toiro nenhum solar nem sol nem lua
Mas só o vidro sucessivo do vazio
E um brilho de azulejos iman frio
Onde os espelhos devoram as imagens

Exauridos pelo labirinto caminhamos
Na minúcia da busca na atenção da busca
Na luz mutável : de quadrado em quadrado
Encontramos desvios redes e castelos
Torres de vidro corredores de espanto
Mas um dia emergiremos e as cidades
Da equidade mostrarão seu branco
Sua cal sua aurora seu prodígio

Dual. 1972.

Maria Helena Vieira Da Silva ou l’itinéraire inéluctable

Le labyrinthe est minutie mur par mur
Pierre contre pierre livre sur livre
Une rue après l’autre, un escalier après l’autre
Se forme et se défait le labyrinthe
Le labyrinthe est un palais et en lui
Se multiplient les salles et scintillent
Les chambres de Babel rauques et rouges
Le labyrinthe est passé : ses jardins affleurent
Et du fond de la mémoire montent les escaliers
Le labyrinthe est carrefour antre et grotte
Bibliothèque mailles inventaires ruche –
Le labyrinthe est itinéraire
Comme l’ascension d’un astre inéluctable –
Mais celui qui le parcourt ne rencontre aucun
Taureau aucune demeure soleil ni lune
Seulement le vide successif du verre
Et un éclat d’azulejos magnétisme froid
Où les miroirs dévorent les images

Épuisés par le labyrinthe nous allons
Dans la minutie de la quête
Dans la lumière changeante : de carré en carré
Nous rencontrons détours, bifurcations et châteaux
Des tours de verre des couloirs d’épouvante
Mais un jour nous émergerons et les villes
D’équité montreront leur blancheur
Leur chaux leur aube leur prodige

La Poésie du Portugal, pages 1150-1152. Traduction Max de Carvalho.

.Composition 55 (Maria Helena Vieira Da Silva). 1955. Paris, Galerie Jeanne Bucher

A pequena praça (Sophia de Mello Breyner)

A minha vida tinha tomado a forma da pequena praça
Naquele outono em que a tua morte se organizava meticulosamente
Eu agarrava-me à praça porque tu amavas
A humanidade humilde e nostálgica dos pequenas lojas
Onde os caixeiros dobram e desdobram fitos e fazendas
Eu procurava tornar-me tu porque tu ias morrer
E a vida toda deixava ali de ser a minha
Eu procurava sorrir como tu sorrias
Ao vendedor de jornais ao vendedor de tabaco
E à mulher sem pernas que vendia violetas
Eu pedia à mulher sem pernas que rezasse por ti
Eu acendia velas em todos os altares
Das igrejas que ficam no canto desta praça
Pois mal abri os olhos e vi foi para ler
A vocação do eterno escrita no teu rosto
Eu convocava as ruas os lugares as gentes
Que foram as testemunhas do teu rosto
Para que eles te chamassem para que eles desfizessem
O tecido que a morte entrelaçava em ti

Dual, 1972.

La petite place

Ma vie a pris la forme de la petite place
L’automne durant lequel ta mort s’organisait méticuleusement
Je m’attachais à cette petite place parce que tu aimais
L’humble et nostalgique humanité des petites boutiques
Où les commis plient et déplient rubans et étoffes
Je cherchais à devenir toi parce que tu allais mourir
Et là toute ma vie cessa d’être la mienne
J’essayais de sourire comme tu souriais
Au marchand de journaux au marchand de tabac
Et à la femme sans jambes qui vendait des violettes
Je demandais à la femme sans jambes de prier pour toi
J’allumais des cierges à tous les autels
Des églises qui se trouvaient au coin de cette place
Puisque dès que j’ai ouvert les yeux je ne vis que pour lire
La vocation de l’éternel écrite sur ton visage
Je convoquais les rues les lieux les gens
Qui furent les témoins de ton visage
Pour qu’ils t’appellent pour qu’ils défassent
La trame que la mort entrelaçait en toi.

Traduction : Raymond Farina.