Jour d’élections en Espagne. Un bel article de Manuel Vicent dans El País.
Dado al siete (Manuel Vicent)
En las elecciones generales que se celebran hoy, nos jugamos a los dados el pasado o el futuro de España. Si de ellas sale que volvemos a la Edad Media, yo, como la escritora Clarice Lispector, dejo registrado que estaré del lado de las brujas. También seré partidario de los alquimistas, de los quiromantes y saltimbanquis; de los canteros que labraban capiteles románicos con un trenzado de reptiles; de los juglares que recitaban versos provenzales al pie de la almena donde permanecía cautiva una princesa; de los monjes que copiaban la metafísica de Aristóteles en códices de vitela, pero no de los clérigos que azotaban la espalda desnuda de los fieles cantando a coro el dies irae. A estos los dejo para quienes hayan votado a la caverna. Si en estas elecciones la extrema derecha me manda al siglo XVI me gustaría conocer al Lazarillo de Tormes y a la Celestina, pero no a los fanáticos racistas que expulsaron de España a los judíos y a los mahometanos. Si las urnas me obligan a recular hasta el siglo XVII estaré a favor de los herejes y en contra de las hogueras, en el bando de Cervantes y de Góngora y no en el de Quevedo y Lope de Vega.
Si gana el Partido Popular e impone su ley y me manda al siglo XVIII seré un afrancesado, amigo de la ilustración, pero no de la España negra que gritaba ¡vivan las cadenas!, ni de la miseria, el odio y la injusticia que nos llevó a la guerra civil. Por el contrario, si en estas elecciones por un milagro la izquierda vota masivamente y gana el futuro, mi país será siempre ese en el que se premia la inteligencia, la solidaridad, la libertad de expresión y mi bandera la que se iza en el podio de todas las canchas del mundo cuando ganan nuestros deportistas, Nadal, Alcaraz, Jon Rham y gente así y no esa misma enseña que llevan algunos en la pulsera y en correa del perro. Mi apuesta: la séptima cara del dado.
Les larmes quelquefois montent aux yeux comme d’une source, elles sont la brume sur les lacs, un trouble du jour intérieur, une eau que la peine a salée.
La seule grâce à demander aux dieux lointains, aux dieux muets, aveugles, détournés, à ces fuyards, ne serait-elle pas que toute larme répandue sur le visage proche dans l’invisible terre fît germer un blé inépuisable ?
A la lumière d’hiver, Gallimard, 1977. NRF, Bibliothèque de la Pléiade, 2014. Page 579.
On peut voir du 11 juillet au 3 septembre 2023 à la Bibliothèque nationale de France, site François Mitterrand (Galerie des donateurs), Paris XIII, l’exposition Julien Gracq, La forme d’une oeuvre. Entrée libre.
“J’ai envie d’être avec le lecteur comme avec quelqu’un à qui on pose la main sur l’épaule.” (Julien Gracq)
La BnF célèbre Julien Gracq, l’une des figures les plus marquantes de la littérature du XXe siècle, en exposant pour la première fois les manuscrits qu’il lui légua à sa mort en 2007. Témoignages émouvants de la fabrique d’une œuvre exigeante, les manuscrits littéraires de Julien Gracq sont présentés aux côtés de photographies, de gravures, d’articles et même de ses cahiers d’écolier… Une centaine de pièces – dont certaines sont commentées par des personnalités qui ont lu ou connu Gracq – permettent ainsi de (re)découvrir un écrivain à l’écart des modes, affranchi des prescriptions de l’opinion, qui refusa le prix Goncourt 1951 pour Le Rivage des Syrtes et qui n’a jamais admis pour son art que trois impératifs : la liberté, la qualité et l’intégrité.
L’exposition en bref
À sa mort en 2007, Julien Gracq a légué à la Bibliothèque nationale de France l’ensemble de ses manuscrits, depuis les copies autographes d’Au château d’Argol jusqu’aux textes encore inédits et dont quelques-uns ont depuis été publiés sous les titres Manuscrits de guerre (2011), Terres du couchant (2014), Nœuds de vie (2021) et La Maison (2023).
Ce fonds exceptionnel, qui compte environ quinze mille pages manuscrites, n’a jamais été montré jusqu’à aujourd’hui. Gracq lui-même n’était « pas partisan de faire à l’invité visiter les cuisines ». Sans doute pressentait-il malgré tout l’intérêt que l’on pouvait trouver à ses manuscrits, puisqu’il les a conservés et légués à la BnF. « Vrais restes matériels d’un écrivain », ces manuscrits témoignent de son travail en cours, tel qu’il prend forme sous sa plume. Les différents états (brouillons raturés, copies corrigées, mises au net minutieusement écrites) de romans comme Le Rivage des Syrtes (1951) ou Un balcon en forêt (1958) côtoient dans l’exposition ceux de fragments choisis et organisés parus dans les livres critiques comme Lettrines (1967) ou En lisant en écrivant (1980). On y découvre également les carnets de notes qui accompagnaient l’écrivain dans ses périples géographiques et le manuscrit de La Maison, le dernier inédit en date de Gracq, paru le 30 mars 2023.
C’est la fabrique d’une des œuvres majeures de la littérature du XXe siècle que donne à voir l’exposition de la BnF. L’exposition est conçue comme une introduction à l’œuvre de Gracq et voudrait inciter à rouvrir ses livres. Pour mettre au cœur de l’exposition la relation au lecteur, la Bibliothèque a proposé à Pierre Bergounioux, Aurélien Bellanger, Anne Quefélec, Emmanuel Ruben, Maylis de Kerangal, Pierre Jourde ainsi qu’aux successeurs de l’éditeur José Corti, Marie de Quatrebarbes et Maël Guesdon, de commenter, par écrit ou sous forme audiovisuelle, l’une des œuvres de « l’ermite de Saint-Florent-le-Vieil », illustrant ainsi ce que l’on «gagne» à marcher sur le « grand chemin » de Julien Gracq.
La pianiste Anne Quéffelec parle de Julien Gracq. Elle évoque l’amitié qui unissait son père, Henri Queffélec, et Louis Poirier. Leur rencontre sur les bancs de l’École Normale Supérieure va les mener jusqu’à Budapest, où ils passent les mois de juillet et d’août 1931. Ils sont reçus au collège Eörvös, réplique hongroise de l’ENS. C’est Henri Queffélec qui provoque la rencontre du futur Julien Gracq avec la Bretagne. En effet, il va passer huit jours chez lui, à Brest, fin septembre 1931.
J’ai pu me procurer ces jours derniers Nuit obscure Cantique spirituel et autres poèmes dans la collection Poésie/Gallimard. La préface de José Ángel Valente ainsi que la présentation et la traduction de Jacques Ancet sont très éclairantes. Je pense que les deux meilleures traductions en français de ce poème en français sont celle de 1641 du R.P. Cyprien de la Nativité de la Vierge, republiée par Paul Valéry en 1941, et celle de 1997 de Jacques Ancet. On en compterait plus de 70.
Présentation de Jacques Ancet. Celui qui parle :
” (…) L’activité traductrice est toujours, en son fond, re-traductrice. “
” Seule, peut-être, la célèbre version du Père Cyprien de la Nativité de la Vierge me paraît transmettre quelque chose ; mais ce qu’elle nous donne à entendre est si profondément étranger au texte original que cette distance justifiait à elle seule toutes les tentatives postérieures. “
” Il n’est nul besoin, pour lire ses poèmes, de connaissances théologiques. “
” Être fidèle (…), c’est traduire un texte au plus près de son sens sans en rien changer au nom d’une soi-disant élégance qui a conduit à tant de ” belles infidèles ” (…). Pour nous, être fidèle, ce sera donc (…) privilégier l’exactitude aux dépens d’une idée de la ” beauté ” qui n’a plus cours. “
” Être ” fidèle ” (au sens courant) c’est finalement, être infidèle. “
“Traduire, ce n’est pas faire passer, comme on le répète trop souvent,c’est faire se rencontrer. “
” Mon but n’était pas d’aller vers Jean de la Croix par un parti pris archaïque intenable, mais de le faire revenir vers nous : de le faire entendre à partir de notre XX ème siècle finissant. “
En septembre ou octobre 1567, Jean de la Croix rencontre Thérèse d’Avila qui réforme le Carmel et souhaite créer une branche masculine. Il fonde la première communauté des carmes réformés (ou déchaussés), vouée à l’observance de la règle primitive. Il va s’attirer le mécontentement et même la haine des carmes mitigés de l’Observance. Jean de la Croix est arrêté à Ávila dans la nuit du 2 décembre 1577, brutalisé et séquestré à Tolède dans un cachot minuscule et sordide du couvent des Pères de l’Observance, carmes hostiles à la réforme. Il est soumis pendant huit mois et demi à une solitude absolue et à un traitement inhumain. Il y compose les trente premières strophes du Cantique spirituel. Dans la nuit du 14 au 15 août 1578, il réussit à s’évader et à se réfugier chez les soeurs réformées de Tolède. C’est à la fin de 1578 qu’il compose la Nuit obscure. Son oeuvre n’a été éditée en Espagne qu’en 1618 et encore dans une édition tronquée. On sent dans ce poème le climat de métissage culturel dans lequel vivait Jean de la Croix. Des témoignages rapportent son éblouissement devant la beauté du ciel nocturne qu’il contemplait pendant des heures de sa cellule, ce qui explique la double valeur négative et positive prise par le symbole de la nuit dans sa poésie (D’après la chronologie figurant dans le dossier).
Jacques Ancet : ” On est là devant une des manifestations majeures de ce que l’on a pu appeler l'” exil espagnol ” : exil de toute une Espagne hétérodoxe, ouverte aux multiples courants qui la fondèrent et que l’autre, l’Espagne de l’Inquisition, de l’intolérance et du pouvoir ascendant de l’orthodoxie, n’a jamais pu tolérer. “
Carlos Saura a tourné en 1989 La Nuit obscure (La noche oscura), film franco-espagnol centré sur cet épisode de la vie du poète mystique. Juan Diego en est l’interprète principal.
Nuit Obscure Chansons de l’âme qui se réjouit d’avoir atteint le haut état de perfection, qui est l’union avec Dieu, par le chemin de la négation spirituelle
Dans une nuit obscure par un désir d’amour tout embrasée oh joyeuse aventure sortis sans me montrer quand ma maison fut enfin apaisée
Dans l’obscur et très sûre par la secrète échelle déguisée oh joyeuse aventure, dans l’obscur et cachée quand ma maison fut enfin apaisée
Dans cette nuit de joie secrètement car nul ne me voyait ni mes yeux rien qui soit sans lumière j’allais autre que celle en mon cœur qui brûlait
Et elle me guidait plus sûr que la lumière de midi au lieu où m’attendait… moi, je savais bien qui en un endroit où nul ne paraissait
Oh nuit qui as conduit nuit plus aimable que l’aube levée oh nuit qui as uni l’ami avec l’aimée l’aimée en l’ami même transformée
Contre mon sein fleuri qui tout entier pour lui seul se gardait il resta endormi moi je le caressais de l’éventail des cèdres l’air venait
Du haut du créneau l’air quand sous mes doigts ses cheveux s’écartaient avec sa main légère à mon cou me blessait et chacun de mes sens me ravissait
En paix je m’oubliai j’inclinai le visage sur l’ami tout cessa je cédai délaissant mon souci entre les fleurs des lis parmi l’oubli.
Nuit obscure Cantique spirituel et autres poèmes. Traduction Jacques Ancet. Poésie/Gallimard n°314. 1997.
Julio Cortázar Carlos Fuentes Gabriel García Márquez Mario Vargas Llosa, Las Cartas del Boom. Alfaguara, 2023. Edition de Carlos Aguirre, Gerald Martin, Augusto Wong Campos et Javier Munguía.
Ce livre réunit la correspondance entre les quatre principaux romanciers du Boom latino-américain. Gabriel García Márquez a reçu le Prix Nobel de Littérature en 1982 et Mario Vargas Llosa en 2010.
il regroupe 207 lettres qu’ils se sont envoyées entre 1955 et 2012. Toutes n’ont pas été retrouvées. Elles mettent bien en valeur l’importance qu’ a eu leur amitié. Ils se lisaient attentivement, se donnaient des conseils, s’aidaient et se voyaient régulièrement. En 1971, se produit l’affaire Heberto Padilla (1932-2000). Ce poète cubain qui s’est montré critique envers le régime de son pays est emprisonné, puis placé en résidence surveillée. Il doit s’exiler aux États-Unis en 1980. Dans un premier temps, les quatre écrivains signent, avec d’autres figures de la gauche internationale, une lettre de protestation qui est publiée dans Le Monde le 9 avril 1971. Puis Vargas Llosa lance une deuxième campagne, mais Cortázar et García Márquez se désolidarisent de cette nouvelle action. Cette affaire provoqua une rupture majeure entre l’intelligentsia de gauche et le régime de Fidel Castro alors que castrisme jouissait jusque-là de la sympathie et du soutien de nombreux intellectuels en Europe et dans le monde.
En 1971, Julio Cortázar écrit : “Hay algo peor, y es el sentimiento de que cosas que quiero mucho pueden resquebrajarse, amistades de muchos años y afectos muy hondos”.
La dernière lettre du livre est datée du 14 mars 2012. Carlos Fuentes l’envoie à Gabriel García Márquez pour le 85 ème anniversaire de l’écrivain colombien alors que ce dernier a déjà perdu complètement la mémoire :
“ Muy querido Gabriel:
¡Felicidades por tus 85!
¡Pensar que nos conocimos hace medio siglo!
Nuestras vidas son inseparables.
Te agradezco tus grandes libros.
Tu cuate.
Carlos Fuentes.”
Beaucoup de passages sont très drôles. Un des chats de Julio Cortázar s’appelait Teodoro W. Adorno.
Ernesto González Bermejo, Revelaciones de un Cronopio: Conversaciones con Cortárzar. Montevideo, Ediciones de la Banda Oriental, 1986.
« Desde niño el reino vegetal me ha sido profundamente indiferente (…) En cambio los animales me fascinan; el mundo de los insectos, de los mamíferos, descubrir poco a poco afinidades y similitudes. Yo considero que el gato es mi animal totémico y los gatos lo saben. »
Les révélations d’un cronope. Entretiens avec Julio Cortázar. p.69-70. VLB éditeur, 1990. (Traduction : Javier García Méndez)
« Depuis l’enfance le règne végétal m’est profondément indifférent. Je n’ai jamais bien distingué un eucalyptus d’un bananier. J’aime les fleurs mais je ne me ferais pas un jardin. Les animaux, par contre, me fascinent ; le monde des insectes, des mammifères, découvrir peu à peu les affinités et les similitudes. Je considère que le chat est mon animal totémique, et les chats le savent ; j’ai pu le constater souvent en arrivant chez des amis qui ont des chiens et des chats : les chiens sont indifférents à mon égard, mais les chats me cherchent tout de suite. Cela me rappelle un peu cette vieille nouvelle à moi – Circe – dans laquelle les animaux suivaient Delia, le personnage maléfique qui fabriquait des bonbons aux cafards pour ses fiancés ( cette nouvelle dont nous disions qu’elle a guéri ma petite névrose liée à la nourriture). Là, il y avait une relation de magie noire, absolument fantastique, entre certains animaux et Delia. Dans mon cas, c’est plutôt une bonne relation diurne. Le chat sait qui je suis ; je sais qui est le chat. Il n’y a plus rien à dire : nous sommes des amis, un point, c’est tout, et chacun de son côté. Si on soumettait mes livres à des statistiques, on trouverait que le pourcentage d’animaux est énorme. Pour commencer, mon premier livre s’intitule Bestiario. Il est très fréquent, d’ailleurs, que les êtres humains soient perçus comme des animaux dans mes textes, ou considérés sous un angle animal. Il y a certains climats dans lesquels ils sont perçus de manière zoologique. Pour moi, ça a été un grand plaisir, il y a quelques années que Ricci, l’éditeur italien, me demande un texte pour accompagner la publication des très belles gravures de Zötl, un naïf autrichien. J’ai alors écrit un texte qui n’a rien à voir avec les gravures mais où je raconte des souvenirs d’animaux, des anecdotes de toutes sortes. Dans mon territoire du fantastique il y a, en effet, une grande circulation d’animaux. Je crois que cela est aussi en rapport avec le monde onirique, parce que même les archétypes jungiens – le thème du taureau, le thème du lion – reviennent dans les rêves et sont toujours des symboles sexuels ou de volonté ou de puissance. Chez moi, cela se produit au plan de la nouvelle. »
Christian P. m’annonce aujourd’hui le décès de notre professeur, Bernard Gille, agrégé d’espagnol, maître assistant à l’U.E.R. d’études ibériques de l’université de Paris-IV. Nous avons suivi ses cours à L’Institut Hispanique (31 rue Gay-Lussac, 75005-Paris). Il animait aussi le Théâtre Espagnol de la Sorbonne (TES) dans les années 70.
Boulogne-Billancourt (Hauts-de-Seine) , le 02 juillet 2023 Nous avons la tristesse de vous faire part du décès de :
Monsieur Bernard GILLE survenu le mardi 27 juin 2023 à l’âge de 88 ans. Sa cérémonie aura lieu en l’Église Sainte-Thérèse de Boulogne-Billancourt (92100) le mardi 04 juillet 2023 à 10h30 .
Je me souviens particulièrement d’une magnifique explication de texte du poème Noche oscura del alma de Juan de la Cruz (Juan de Yepes Álvarez 1542-1591 ), le grand mystique espagnol du Siècle d’or. Thérèse d’Avila, réformatrice de l’ordre du Carmel, lui demanda de prendre en charge l’ordre masculin du Carmel. Il fonda l’ordre des Carmes déchaux. Il fut enfermé par les autorités de l’ordre qui refusaient sa réforme.
Noche oscura del alma
En una noche oscura, con ansias en amores inflamada ¡oh dichosa ventura!, salí sin ser notada, estando ya mi casa sosegada.
A escuras y segura por la secreta escala, disfrazada, ¡oh dichosa ventura! a oscuras y en celada, estando ya mi casa sosegada.
En la noche dichosa en secreto que nadie me veía, ni yo miraba cosa sin otra luz y guía sino la que en el corazón ardía.
Aquésta me guiaba más cierta que la luz de mediodía, adonde me esperaba quien yo bien me sabía, en parte donde nadie parecía.
¡Oh noche, que guiaste! ¡Oh noche amable más que el alborada! ¡oh noche que juntaste amado con amada, amada en el amado transformada!
En mi pecho florido, que entero para él solo se guardaba allí quedó dormido y yo le regalaba y el ventalle de cedros aire daba.
El aire de la almena, cuando ya sus cabellos esparcía, con su mano serena , en mi cuello hería y todos mis sentidos suspendía.
Quedéme y olvidéme, el rostro recliné sobre el amado, cesó todo y dejéme dejando mi cuidado entre las azucenas olvidado.
Chant de la nuit obscure de l’âme
Á l’ombre d’une obscure nuit, D’angoisseux amour embrasée, Õ l’heureux sort qui me conduit ! Je sortis sans être avisée, Le calme tenant à propos ma maison en un doux repos.
Á l’obscur, mais hors de danger, Par une échelle fort secrète, Couverte d’un voile étranger, je me dérobai en cachette, (Heureux sort!) quand tant à propos ma maison était en repos.
En secret sous le manteau noir De la nuit, sans être aperçue, Ou que je pusse apercevoir aucun des objets de la vue, N’ayant ni guide, ni lueur, Que la lampe ardente en mon coeur.
Ce flambeau luisant me guidait, Plus sûr que la torche allumée Du plein midi où m’attendait Celui que j’avais en pensée, Là où nul vivant sous les Cieux ne se présentait à mes yeux.
Ô nuit que me conduis à point ! Nuit plus aimable que l’aurore, Nuit heureuse qui as conjoint L’aimée à l’aimé, mais encore celle que l’amour a formée et en son Amant transformée.
Dans mon sein parsemé de fleurs Qu’entier soigneuse je luy garde, Il s’endort et, pour ses faveurs, D’un chaste accueil je le mignarde, Lors que l’éventail ondoyant d’un cèdre le va festoyant.
L’Aurore par ses doux zéphyrs Ayant épars sa chevelure, Mit sa main pleine de saphirs Sur mon col, flattant ma blessure ; Lors sa douceur tint en suspens l’entier usage de mes sens.
Je me tins coi et m’oubliai, Penchant sur mon ami ma face, Tout cessa, je m’abandonnai, Remettant mes soins à sa grâce, comme étant tous ensevelis Dans le beau parterre des lis.
Les Cantiques spirituels de saint Jean de la Croix (Traduction en vers français de R.P. Cyprien. 1641) Rouart, 1941.
Paul Valéry voit dans les poèmes de Jean de la Croix un des chefs-d’œuvre de la littérature universelle (Cantiques spirituels, dans Variété, Bibliothèque de La Pléiade, tome I, 1957, p. 445 à 457). Il présente en ces termes cette traduction : ” Je propose aux amateurs des beautés de notre langage de considérer désormais l’un des plus parfaits poètes de France dans le R.P. Cyprien de la Nativité de la Vierge, carme déchaussé, jusqu’ici à peu près inconnu. ” André de Compans, en religion Cyprien de la Nativité de la Vierge, est né le 26 novembre 1605 à Paris et est mort le 16 décembre 1680 à Paris. C’est un prêtre carme déchaux parisien. Ses traductions concernent entre autres les œuvres fondamentales des réformateurs du Carmel, Jean de la Croix et Thérèse d’Avila.
On ne peut déterminer avec précision la date de composition du poème : peut-être dans la prison de Tolède entre décembre 1577 et août 1578 ; peut-être quelques jours après l’évasion, à Jaén. Il a été commenté oralement et par écrit avant 1582. Le commentaire, fragmentaire, sert de base aux traités de la Montée du mont Carmel et de Nuit obscure de l’âme. (Notices et notes. Anthologie bilingue de la poésie espagnole. NRF, Bibliothèque de la Pléiade. 1995) Selon Jacques Ancet, la Nuit obscure et le Cantique spirituel seraient redevables à la tradition hébraïque (celle notamment du Chant des chants, ou Cantique des cantiques), ainsi qu’à la tradition arabe. Juan de Yepes fut béatifié le 25 janvier 1675, canonisé le 27 décembre 1726. Il a été déclaré docteur de l’Eglise catholique le 24 août 1926.
La librairie Lagun ( compañero en euskera ) de San Sébastien (Donostia, Urdaneta, 3 où elle se trouve depuis 2001 ) va fermer ce week-end définitivement à cause de la baisse de son chiffre d’affaires.
Créée en 1968, pendant 55 ans elle a été un symbole de culture et de liberté. Ses fondateurs Ignacio Latierro, María Teresa Castells (1935-2017) et Ramón Recalde (1930-2016) étaient des démocrates antifranquistes. Elle s’est installée d’abord Plaza de la Constitución, dans la vieille ville, fief des nationalistes. Elle a dû subir dans les années 70 les bombes incendiaires de l’extrême droite (Guerrilleros de Cristo Rey), puis dans les années 90 les menaces et les attaques des nationalistes radicaux qui soutenaient l’ETA (militants de la kale borroka). Ces derniers en vinrent même à saccager la boutique et à brûler des livres au milieu de la place, y compris les manuels d’euskera (11 janvier 1997).
Ignacio Latierro a confirmé la décision de fermeture. La librairie avait été fondée dans le contexte d’effervescence culturelle qui a marqué les dernières années du franquisme. Elle vendait les romans du boom latino-américain, mais aussi les livres de sciences humaines et d’histoire, interdits par la dictature (ainsi ceux de Ruedo Ibérico, la maison d’édition installée à Paris en 1961 par cinq réfugiés espagnols, dont José Martínez Guerricabeitia, principal animateur de la maison. Sa librairie se trouvait rue de Latran n°6. V arrondissement. Elle disparaîtra en 1982.)
Les trois fondateurs étaient des militants engagés et très courageux. Ramón Recalde fut mitraillé par les terroristes de l’ETA le 14 septembre 2000 quand il rentrait chez lui. Cet avocat, militant du FLP, puis du PSOE, emprisonné et torturé pendant la période franquiste survécut, mais garda de graves séquelles après cet attentat. La librairie dut fermer pendant plusieurs mois. Recalde a publié en 2004 Fe de vida, XVII Prix Comillas de biographie.
La revue Europe de juin-juillet-août 2023 (n° 1130-1131-1132) met en valeur trois grands écrivains hispano-américains : Rubén Darío (1867-1916), père du Modernisme, premier mouvement de la littérature hispanique à trouver son origine hors des frontières de l’Espagne ; Juan Rulfo (1917-1986) qui n’a pas écrit plus de 300 pages, mais dont l’influence a été considérable sur tous les écrivains latino-américains du “Boom” (Julio Cortázar, Carlos Fuentes, Gabriel García Márquez, Mario Vargas Llosa entre autres) ; Blanca Varela (1926-2009), poétesse péruvienne qui appartient à la génération dite de 50.
La poétesse péruvienne Blanca Varela est une des grandes figures de la poésie latino-américaine du XX ème siècle. Elle a vécu longtemps en France avec son mari Fernando de Szyszlo (1925 – 2017), un des peintres péruviens contemporains les plus importants. C’est la première femme qui ait obtenu le Prix international de Poésie Federico García Lorca de la Ville de Grenade en 2006. Elle a aussi reçu le Prix de Poésie ibéroaméricaine Reina Sofía en 2007. Ses poèmes sont au programme de l’agrégation d’espagnol en 2023 et 2024.
Son oeuvre est dense et concise. Elle a publié 8 recueils :
Este puerto existe, 1959.
Luz de día, 1963.
Valses y otras falsas confesiones, 1971.
Canto villano, 1978.
Ejercicios materiales, 1993.
El libro de barro, 1994.
Concierto animal, 1999.
El falso teclado, 2000.
Puerto Supe
Á J.B.
Está mi infancia en esta costa, bajo el cielo tan alto, cielo como ninguno, cielo, sombra veloz, nubes de espanto, oscuro torbellino de alas, azules casas en el horizonte.
Junto a la gran morada sin ventanas, junto a las vacas ciegas, junto al turbio licor y al pájaro carnívoro.
¡Oh, mar de todos los días, mar montaña, boca lluviosa de la costa fría!
Allí destruyo con brillantes piedras la casa de mis padres, allí destruyo la jaula de las aves pequeñas, destapo las botellas y un humo negro escapa y tiñe tiernamente el aire y sus jardines.
Están mis horas junto al río seco, entre el polvo y sus hojas palpitantes, en los ojos ardientes de esta tierra adonde lanza el mar su blanco dardo. Una sola estación, un mismo tiempo de chorreantes dedos y aliento de pescado. Toda una larga noche entre la arena. Amo la costa, ese espejo muerto en donde el aire gira como loco, esa ola de fuego que arrasa corredores, círculos de sombra y cristales perfectos.
Aquí en la costa escalo un negro pozo, voy de la noche hacia la noche honda, voy hacia el viento que recorre ciego pupilas luminosas y vacías, o habito el interior de un fruto muerto, esa asfixiante seda, ese pesado espacio poblado de agua y pálidas corolas. En esta costa soy el que despierta entre el follaje de alas pardas, el que ocupa esa rama vacía, el que no quiere ver la noche.
Aquí en la costa tengo raíces, manos imperfectas, un lecho ardiente en donde lloro a solas.
Ese puerto existe (1949-1959).
Puerto Supe
Á J.B.
Mon enfance est là sur cette côte, Sous le ciel si haut, ciel comme nul autre, ciel, ombre véloce, nuages d’épouvante, obscur tourbillon d’ailes, demeures bleues posées sur l’horizon.
Près de la grande maison sans fenêtres, près des vaches avuegles, près de la trouble liqueur et de l’oiseau carnivore.
Ah, océan de tous les jours, océan montagne, bouche pluvieuse de la côte froide !
Je détruis là par des pierres brillantes la maison de mes parents, je détruis là cette cage à oiseaux, j’ouvre les bouteilles, une fumée noire s’échappe et vient teindre tendrement l’air et ses jardins.
Là sont mes heures près du fleuve desséché, dans sa poussière, ses feuilles qui palpitent, au fond des yeux ardents de cette terre où l’océan lance son dard très blanc. Une seule saison, un même temps de doigts mouillés, d’haleine de poisson. Une longue nuit passée sur le sable. J’aime la côte, j’aime ce miroir mort où l’air vient tournoyer éperdument, la vague de feu qui emporte des couloirs, des cercles d’ombre et des cristaux parfaits.
Ici je gravis sur côte un puits noir, je vais de la nuit vers la nuit profonde, je vais vers le vent qui parcourt aveugle les pupilles lumineuses et vides, ou j’habite l’intérieur d’un fruit mort, cette étouffante soie, cet espace pesant envahi d’eau et de pâles corolles. Je suis sur la côte celui qui s’éveille parmi le feuillage d’ailes obscures, celui qui occupe cette branche vide, celui qui se refuse à voir la nuit.
Ici sur la côte j’ai mes racines mes mains imparfaites, ma couche ardente où je pleure solitaire.
Ce port existe. 1949-1959. Traduction Laurence Breysse-Chanet.
Morir cada día un poco más recortarse las uñas el pelo los deseos aprender a pensar en lo pequeño y en lo inmenso en las estrellas más lejanas e inmóviles en el cielo manchado como un animal que huye en el cielo espantado por mi.
Concierto animal, 1999.
Mourir chaque jour un peu plus couper ses ongles ses cheveux ses désirs apprendre à penser à ce qui est petit et à ce qui est immense aux étoiles les plus lointaines et immobiles dans le ciel taché comme un animal qui fuit dans le ciel effrayé à ma vue
Concert animal.
Nadie nos dice
Nadie nos dice cómo voltear la cara contra la pared y morirnos sencillamente así como lo hicieron el gato o el perro de la casa o el elefante que caminó en pos de su agonía como quien va a una impostergable ceremonia batiendo orejas al compás del cadencioso resuello de su trompa
sólo en el reino animal hay ejemplares de tal comportamiento cambiar el paso acercarse y oler lo ya vivido y dar la vuelta sencillamente dar la vuelta
El falso teclado, 2000.
Il n’y a personne pour nous dire
personne ne nous dit comment tourner la tête contre le mur et mourir simplement comme l’ont fait le chat ou le chien de la maison ou l’éléphant qui allait en quête de son agonie comme on se rend à une cérémonie inéluctable en battant des oreilles au rythme du souffle cadencé de sa trompe
dans le règne animal seulement l’on trouve des exemples d’un tel comportement changer de pas s’approcher et renifler ce qui a été vécu et se retourner tout simplement se retourner
Le faux clavier.
Octavio Paz, Destiempos, de Blanca Varela en Fundación y disidencia, Obras completas III, México, Fondo de Cultura Económica, 1997, p. 351.
“Y entre esos cantos, el canto solitario de una muchacha peruana: Blanca Varela. El más secreto y tímido, el más natural. (…) Es un poeta que no se complace en sus hallazgos ni se embriaga con su canto. Con el instinto del verdadero poeta, sabe callarse a tiempo. Su poesía no explica ni razona. Tampoco es una confidencia. Es un signo, un conjuro frente, contra y hacia el mundo, una piedra negra tatuada por el fuego y la sal, el amor, el tiempo y la soledad. Y, también, una exploración de la propia conciencia.”
La romancière ukrainienne Victoria Amelina, 37 ans, est décédée le 1 juillet des suites de ses blessures à la tête. 13 personnes (dont 3 enfants) sont mortes après le bombardement du restaurant Ria de Kramatorsk (dans l’est de l’Ukraine). Elle accompagnait une délégation colombienne (le romancier Héctor Abad Faciolince, l’homme politique Sergio Jaramillo, la journaliste Catalina Gómez Ángel, eux mêmes blessés) qui était venue présenter sur place la campagne “Aguanta Ucrania”, de solidarité de l’Amérique Latine avec la population ukrainienne agressée.
Le poète César Vallejo est né le 16 mars 1892 à Santiago de Chuco, petite ville située au nord du Pérou, à 3000 mètres d’altitude (département de La Libertad). C’était le dernier des onze enfants de Francisco de Paula Vallejo Benítez (1840- 1924) et de María de los Santos Mendoza Gurrionero (1850- 1918). Quand il est né, son père avait déjà 52 ans et sa mère 42.
Il a vécu au sein d’une famille métis, très croyante. Son grand-père paternel José Rufo Vallejo était un prêtre espagnol et son grand-père maternel, Sebastián Baltasar de Mendoza aussi. Ses parents auraient voulu qu’il devienne prêtre. Les références religieuses sont constantes dans son oeuvre.
Dans ses poèmes, il évoque souvent ses parents, ses frères et sa modeste maison natale. Enereida = Canto del mes de enero.
Enereida
Mi padre, apenas, en la mañana pajarina, pone sus setentiocho años, sus setentiocho ramos de invierno a solear. El cementerio de Santiago, untado en alegre año nuevo, está a la vista. Cuántas veces sus pasos cortaron hacia él, y tornaron de algún entierro humilde. Hoy hace mucho tiempo que mi padre no sale ! Una broma de niños se desbanda.
Otras veces le hablaba a mi madre de impresiones urbanas, de política ; y hoy, apoyado en su bastón ilustre que sonara mejor en los de la Gobernación, mi padre está desconocido, frágil, mi padre es una víspera. Lleva, trae, abstraído, reliquias, cosas, recuerdos, sugerencias. La mañana apacible le acompaña con sus alas blancas de hermana de caridad.
Día eterno es éste, día ingenuo, infante, coral, oracional ; se corona el tiempo de palomas, y el futuro se puebla de caravanas de inmortales rosas. Padre, aún sigue todo despertando; es Enero que canta, es tu amor que resonando va en la Eternidad. Aún reirás de tus pequeñuelos, y habrá bulla triunfal en los Vacíos.
Aún será año nuevo. Habrá empanadas ; y yo tendré hambre, cuando toque a misa en el beato campanario el buen ciego mélico con quien departieron mis sílabas escolares y frescas, mi inocencia rotunda. Y cuando la mañana llena de gracia, desde sus senos de tiempo, que son dos renuncias, dos avances de amor que se tienden y ruegan infinito, eterna vida, cante, y eche a volar Verbos plurales, girones de tu ser, a la borda de sus alas blancas de hermana de caridad ¡oh, padre mío !
1 de enero de 1919.
Los heraldos negros, 1919.
Énéréide
Mon père, tout juste, dans le matin oiselier, met ses soixante-six-huit années, ses soixante-six-huit rameaux d’hiver à chauffer au soleil. Le cimetière de Santiago, huilé d’allègre année nouvelle, est en vue. Combien de fois ses pas ont-ils coupé vers lui, et sont-ils revenus d’un humble enterrement. Aujourd’hui, il y a longtemps que mon père ne sort plus ! Un tumulte d’enfants se débande.
Autrefois, il parlait à ma mère d’impressions urbaines, de politique ; et aujourd’hui, appuyé sur son bâton illustre qui tintait plus fort en son temps de Gouverneur, mon père est méconnaissable, fragile, mon père est un hier. Il emporte, rapporte, absorbé, des reliques, des choses, des souvenirs, des suggestions. La matinée paisible l’accompagne de ses ailes blanches de sœur de charité.
C’est un jour éternel, un jour ingénu, enfant, choral, orant ; le temps se couronne de palombes, et l’avenir se peuple de caravanes d’immortelles roses. Père, tout encore s’éveille ; c’est Janvier qui chante, c’est ton amour qui entre en résonnant dans l’Éternité. Tu riras encore de tes tous petits, et il y aura un vacarme triomphal dans les Vides.
Ce sera encore le Nouvel An. Il y aura des pâtés ; et moi j’aurai faim, quand sonnera la messe au clocher dévot, le bon aveugle mélique avec qui devisèrent mes syllabes scolaires et fraîches, mon innocence éclatante. Et quand la matinée pleine de grâce, avec ses seins de temps, qui sont deux renoncements, deux avancées d’amour qui se rendent et requièrent l’infini, la vie éternelle, chantera et lancera dans l’air des Verbes pluriels, des lambeaux de ton être, sur le bordage de ses ailes blanches de sœur de charité, oh, mon cher père !