Jules Renard

 

Jules Renard, Journal.

12 septembre 1901. “Dans  ma tasse, le café ne reflète que mes idées noires.”

1er octobre 1903 . “Avec l’orage qui s’éloigne, Dieu s’en va.
Les paysans sont contents : il vont pouvoir emblaver “mou”. Le temps a mal au coeur.
Les arbres, d’abord immobiles, anxieux, s’agitent bientôt de joie sous la bonne pluie désaltérante.
Sur le mur d’en face je vois une clarté : c’est la petite aube du soleil qui va reparaître. ”

Chitry-les-Mines Mémorial à Jules Renard. Maire de 1904 à 1910.

Dada 2: André Breton-Tristan Tzara

Publication de la Correspondance d’André Breton
Lettres à Simone Kahn (1920-1960), édité par Jean-Michel Goutier, Paris, Gallimard, coll. «Blanche», 2016.
Lettres à Jacques Doucet (1920-1926), édité par Étienne-Alain Hubert, Paris, Gallimard, coll. «Blanche», 2016.
André Breton et Benjamin Péret, Correspondance 1920-1959, présentée et éditée par Gérard Roche, Paris, Gallimard, 2017.
Correspondance avec Tristan Tzara et Francis Picabia 1919-1924, présentée et éditée par Henri Béhar, Paris, Gallimard, 2017.

La correspondance avec Tristan Tzara et Francis Picabia couvre surtout la période comprise entre 1919 et 1924. Il s’agit donc essentiellement de la période Dada. Michel Sanouillet (Dada à Paris, Pauvert 1965) et Henri Béhar (Oeuvres complètes de Tristan Tzara, Flammarion, 1975-91; André Breton le grand indésirable, Paris, Calmann-Lévy, 1990, nouvelle édition, Fayard, 2005; Tristan Tzara, essai, Paris, Oxus, 2005, coll. «Les Roumains de Paris») ont déjà bien étudié leurs rapports. Breton qui venait de perdre son ami Jacques Vaché attendait Tzara comme le messie. («Je vous attends, je n’attends plus que vous.» 26 décembre 1919) Tzara apportera au groupe réuni autour de Breton, d’Aragon, et de Soupault une radicalité présente à Zürich et Berlin. Rapidement pourtant, le mouvement se désagrège et se divise en deux clans : les disciples de Tzara, et ceux de Breton. Breton veut instaurer le règne de l’esprit nouveau en explorant avec méthode le domaine du rêve .Tzara refuse de participer  à cette première étape du surréalisme. (André Breton, Manifeste du surréalisme, 1924; Tristan Tzara, Sept manifestes Dada, 1924, recueil de manifestes lus ou écrits entre 1916 et 1924.)

Portrait de Tristan Tzara (Francis Picabia) 1919 Paris Centre Georges Pompidou

Dada 1: Dada Africa

Motifs abstraits: Masques (Sophie Taeuber-Arp) 1917

Grande actualité Dada cette année aussi dans le prolongement du centenaire de ce mouvement.

Au Musée de l’Orangerie (Paris) «Dada Africa, sources et influences extra-occidentales» du 18 octobre 2017 au19 février 2018.

Après «Qui a peur des femmes photographes?», «Apollinaire, le regard du poète», et «La peinture américaine des années 1930», nous y avons vu une autre belle exposition sur un sujet méconnu. Le musée de l’Orangerie est né de la collection du marchand d’art Paul Guillaume. C’était un grand marchand d’art africain. Il a joué un rôle de premier plan dans la confrontation entre art moderne et arts premiers.

Dada fut un mouvement artistique subversif mais divers. Il naît à Zürich pendant la Guerre de 14-18 et se déploie ensuite à Berlin, Paris, New York… Par leurs œuvres nouvelles – poésie sonore, danse, collages, performance –, les artistes dadaïstes interrogent la société occidentale aux prises avec la Grande Guerre, et s’approprient les formes culturelles et artistiques de cultures non occidentales (Afrique, Océanie, Amérique). Gauguin, Picasso et les artistes de Die Brücke avaient fait de même.

Le Musée de l’Orangerie a proposé une exposition sur ces échanges en confrontant œuvres africaines, amérindiennes et asiatiques et celles, dadaïstes, de Hannah Höch, Jean Arp, Sophie Taeuber-Arp, Marcel Janco, Hugo Ball, Tristan Tzara, Raoul Hausmann, Man Ray, Francis Picabia…

Diversité, inventivité et radicalité des productions Dada – textiles, graphisme, affiches, assemblages, reliefs en bois, poupées et marionnettes – face à la beauté étrange et la rareté d’œuvres non occidentales…

Une place particulière a été donnée à Hannah Höch (1889-1978), une des compagnes de Raoul Hausmann (1886-1971). Elle a réussi à préserver une partie des archives du dadaïsme de la destruction nazie. Il faut noter que la critique de la guerre et du bellicisme fut davantage le fait des artistes allemands (Grosz, Heartfield, Hausmann) que des français. «Nous cherchions un art élémentaire qui devait, pensions-nous, sauver les hommes de la folie furieuse de ces temps», déclarait Hans (Jean) Arp en 1940.

Hannah Höch

Jacques Ferrandez à la Galerie Gallimard

 

Gallimard a ouvert une galerie, 30 rue de l’Université, Paris (VII). Ce nouveau lieu est consacré aux oeuvres graphiques, éditions originales et photographies.  Du 19 janvier au 7 mars 2018: Jacques Ferrandez l’oeuvre d’Albert Camus en bande dessinée. Exposition-vente.

Je suis passé par hasard cette semaine Rue de l’Université. J’ai vu ce lieu et je suis rentré admirer les planches de ce dessinateur.

Né en 1955 à Alger, il s’est exprimé d’abord par la bande dessinée. Il a essayé de raconter les liens complexes entre l’Algérie et la France à travers ses Cahiers d’Orient : 10 tomes publiés par Casterman de 1987 à 2009.

Il a pu aussi mettre en images récemment les oeuvres d’Albert Camus: – L’Hôte (nouvelle tirée de L’exil et le royaume en 2009. – L’étranger en 2013.  – Le premier homme en 2017. Un défi: mettre un visage sur le personnage de Meursault, faire sentir la brûlure du soleil d’Alger en été.

Bien que je n’apprécie pas particulièrement la bande dessinée, j’ ai lu avec grand plaisir ses oeuvres cet hiver. Il me manque Le premier homme.

Jacques Ferrandez a publié aussi en 2017 au Mercure de France, Entre mes deux rives. Livre inclassable: essai, mémoires, autobiographie, dessins. Tout se mêle.

«Je suis comme un enfant trouvé de la Méditerranée, ballotté d’un bord à l’autre. Je suis né sur la rive sud, j’ai vécu sur la rive nord. Les deux m’appartiennent et j’appartiens aux deux. C’est le creuset. C’est la mer, la mère, la matrice à tous les sens du terme. Mer natale. Aujourd’hui, il est temps pour moi d’interroger, à travers mon rapport à Camus, tout ce qui me relie à l’Algérie et plus généralement à la Méditerranée. D’une rive à l’autre. De mes deux rives. Entre mes deux rives.»

” Je ne suis pas nostalgique  de ce qui a été, mais plutôt de ce qui n’a pas été.”

https://www.galeriegallimard.com/content/27-jacques-ferrandez

Le vin

Portrait de Charles Baudelaire (Gustave Courbet) 1848-49

L’âme du vin (Charles Baudelaire)

Un soir, l’âme du vin chantait dans les bouteilles:
“Homme, vers toi je pousse, ô cher déshérité,
Sous ma prison de verre et mes cires vermeilles,
Un chant plein de lumière et de fraternité!

Je sais combien il faut, sur la colline en flamme,
De peine, de sueur et de soleil cuisant
Pour engendrer ma vie et pour me donner l’âme;
Mais je ne serai point ingrat ni malfaisant,

Car j’éprouve une joie immense quand je tombe
Dans le gosier d’un homme usé par ses travaux,
Et sa chaude poitrine est une douce tombe
Où je me plais bien mieux que dans mes froids caveaux.

Entends-tu retentir les refrains des dimanches
Et l’espoir qui gazouille en mon sein palpitant?
Les coudes sur la table et retroussant tes manches,
Tu me glorifieras et tu seras content;

J’allumerai les yeux de ta femme ravie;
A ton fils je rendrai sa force et ses couleurs
Et serai pour ce frêle athlète de la vie
L’huile qui raffermit les muscles des lutteurs.

En toi je tomberai, végétale ambroisie,
Grain précieux jeté par l’éternel Semeur,
Pour que de notre amour naisse la poésie
Qui jaillira vers Dieu comme une rare fleur ! ”

Les Fleurs du mal, 1857.

Isla Negra Café Restaurante El rincón del poeta Oda al vino (Pablo Neruda)

ODA AL VINO (Pablo Neruda)

Vino color de día,
vino color de noche,
vino con pies de púrpura
o sangre de topacio,
vino,
estrellado hijo
de la tierra,
vino, liso
como una espada de oro,
suave
como un desordenado terciopelo,
vino encaracolado
y suspendido,
amoroso,
marino,
nunca has cabido en una copa,
en un canto, en un hombre,
coral, gregario eres,
y cuando menos, mutuo.
A veces
te nutres de recuerdos
mortales,
en tu ola
vamos de tumba en tumba,
picapedrero de sepulcro helado,
y lloramos
lágrimas transitorias,
pero
tu hermoso
traje de primavera
es diferente,
el corazón sube a las ramas,
el viento mueve el día,
nada queda
dentro de tu alma inmóvil.
El vino
mueve la primavera,
crece como una planta la alegría,
caen muros,
peñascos,
se cierran los abismos,
nace el canto.
Oh tú, jarra de vino, en el desierto
con la sabrosa que amo,
dijo el viejo poeta.
Que el cántaro de vino
al beso del amor sume su beso.

Amor mio, de pronto
tu cadera
es la curva colmada
de la copa,
tu pecho es el racimo,
la luz del alcohol tu cabellera,
las uvas tus pezones,
tu ombligo sello puro
estampado en tu vientre de vasija,
y tu amor la cascada
de vino inextinguible,
la claridad que cae en mis sentidos,
el esplendor terrestre de la vida.

Pero no sólo amor,
beso quemante
o corazón quemado
eres, vino de vida,
sino
amistad de los seres, transparencia,
coro de disciplina,
abundancia de flores.
Amo sobre una mesa,
cuando se habla,
la luz de una botella
de inteligente vino.
Que lo beban,
que recuerden en cada
gota de oro
o copa de topacio
o cuchara de púrpura
que trabajó el otoño
hasta llenar de vino las vasijas
y aprenda el hombre oscuro,
en el ceremonial de su negocio,
a recordar la tierra y sus deberes,
a propagar el cántico del fruto.

Odas elementales, 1954.

Buenos Aires Café Tortoni Jorge Luis Borges

Soneto del vino (Jorge Luis Borges)

¿En qué reino, en qué siglo, bajo qué silenciosa
Conjunción de los astros, en qué secreto día
Que el mármol no ha salvado, surgió la valerosa
Y singular idea de inventar la alegría?

Con otoños de oro la inventaron. El vino
Fluye rojo a lo largo de las generaciones
Como el río del tiempo y en el arduo camino
Nos prodiga su música, su fuego y sus leones.

En la noche del júbilo o en la jornada adversa
Exalta la alegría o mitiga el espanto
Y el ditirambo nuevo que este día le canto

Otrora lo cantaron el árabe y el persa.
Vino, enséñame el arte de ver mi propia historia
Como si ésta ya fuera ceniza en la memoria,

El otro, el mismo, 1964.

Georges Bernanos

“Je pense depuis longtemps déjà que si un jour les méthodes de destruction de plus en plus efficaces finissent par rayer notre espèce de la planète, ce ne sera pas la cruauté qui sera la cause de notre extinction, et moins encore, bien entendu, l’indignation qu’éveille la cruauté, ni même les représailles de la vengeance qu’elle s’attire…mais la docilité, l’absence de responsabilité de l’homme moderne, son acceptation vile et servile du moindre décret public. Les horreurs auxquelles nous avons assisté, les horreurs encore plus abominables auxquelles nous allons maintenant assister ne signalent pas que les rebelles, les insubordonnés, les réfractaires sont de plus en plus nombreux dans le monde, mais plutôt qu’il y a de plus en plus d’hommes obéissants et dociles.”

Journal d’un curé de campagne” (1936)

Les Bouées jaunes (Serge Toubiana)


Les Bouées jaunes, de Serge Toubiana, Stock, 2018.

J’ai acheté et lu ce récit de Serge Toubiana pour Emmanuèle Bernheim, sa compagne depuis 1989. Pourtant, lecteur de toujours de la revue de cinéma Positif et non des Cahiers du Cinéma, l’homme m’était plutôt antipathique.
Critique aux Cahiers depuis fin 1972 en pleine période maoïste.
Rédacteur en chef de de la même revue de 1981 à 1991.
Directeur de la Cinémathèque française de 2003 à 2016.
Une institution à lui tout seul. Le gauchisme mène à tout.

Les livres de sa compagne Emmanuèle Bernheim, écrits dans un style minimaliste, eux, m’ont toujours plu.
«Le style d’Emmanuèle est fait de phrases courtes liées à l’action – le geste de marcher, de courir, de prendre le bus ou le métro, de conduire une voiture, de préparer un repas.» (page 138)

Oeuvres littéraires

Le Cran d’arrêt, Paris, Denoël, 1985. (Folio n° 2614)
Un couple, Paris, Gallimard, 1987. (Folio n° 2667)
Sa femme, Paris, Gallimard, 1993. Prix Médicis 1993 (Folio n° 2741)
Vendredi soir, Paris, Gallimard, 1998. (Folio n° 3287)
Stallone, Paris, Gallimard, 2002. (Folio n° 3287)
Tout s’est bien passé (récit), Paris, Gallimard, 2013. Grand prix des lectrices de Elle 2014. (Foilio n°5780)

Emmanuèle Bernheim est décédée du cancer le 10 mai 2017 à l’hôpital Bichat, à Paris, à 61 ans.

Un homme écrit donc sur la femme qu’il a aimée et perdue. Il raconte leurs vingt-huit ans de vie commune avec sobriété et émotion. L’écrivain c’est bien elle, et non lui.

«Elle vénérait Sartre, Françoise Sagan et Simenon.» (page 72)

«Elle aimait chez cet écrivain le mélange de monstruosité et de neutralité, une force physique qui l’autorisait à porter la littérature sur ses épaules, sans la moindre posture, tout en campant en dehors de la vie littéraire et de ses vanités.» (page 98)

«Son père lui avait demandé de l’aider à mourir.»(page 88).

Le décès de son père est survenu le 9 juin 2009. Voir «Tout s’est bien passé»

«Le cran d’arrêt commence à la manière d’un film d’Aldrich qu’elle adorait, En quatrième vitesse (Kiss me Deadly, le titre original).» (page 99)

«En m’aidant à faire le deuil d’Emmanuèle…» (page 135)

«Le poids des morts pèse longtemps sur la conscience des vivants…» (page 164)

«La vie a passé si vite.» (page 188). Dernière phrase du livre.

Je n’aime pas dans ce livre l’utilisation de l’expression «faire son deuil» que je ne supporte pas. Je n’aime pas trop non plus les allusions aux personnalités connues et amies du couple. J’aime bien, en revanche, l’évocation de la Bretagne et de la nage dans l’Océan. Je connais mieux maintenant qui était Emmanuèle Bernheim.

La chanson favorite d’Emmanuèle Bernheim était «Eye of the Tiger» du groupe américain Survivor. Elle fut écrite à la demande de Sylvester Stallone pour le film Rocky 3: L’Œil du tigre (1982).

La Folie en tête, aux racines de l’art brut (Maison de Victor Hugo)

Exposition vue à la Maison de Victor Hugo, Place des Vosges à Paris.  Jusqu’au 18 mars 2018.

https://www.dailymotion.com/video/x6ai6r9

Point de départ de l’exposition: la place qu’a tenu la folie dans la vie de Victor Hugo. Ce thème est  très présent dans le romantisme littéraire et artistique.

Eugène Hugo, un des deux frères aînés de Victor Hugo, est né le 16 septembre 1800 à Nancy. Ecrivain lui-aussi, il était fragile psychologiquement. Son état s’aggravera après le mariage de Victor Hugo et d’Adèle Foucher ( le 18 octobre 1822 en l’Eglise Saint-Sulpice) dont il était aussi amoureux. Il est interné fin décembre 1822 à Charenton et considéré comme schizophrène et incurable dès la fin 1824. Les médecins refusaient même les visites à la famille. Il est mort à l’asile de Charenton (Val-de-Marne) le 20 février 1837.

Sa figure apparaît dans l’oeuvre de son frère dans  la pièce inachevée Les jumeaux et le poème du 6 juin 1837 :
A Eugène, vicomte Hugo :
“Tu vas dormir là-haut sur la colline verte,
Qui, livrée à l’hiver, à tous les vents ouverte,
A le ciel pour plafond;
Tu vas dormir, poussière, au fond d’un lit d’argile;
Et moi je resterai parmi ceux de la ville
Qui parlent et qui vont!” (
“Les voix intérieures” 1837)

Adèle Hugo, le cinquième enfant et la seconde fille de Victor Hugo et d’Adèle Foucher (appelée aussi Adèle Hugo), est née le 28 juillet 1830 pendant les Trois Glorieuses.

Sa passion pour le lieutenant Albert Pinson, qu’elle rencontra à Jersey en 1854, a fait l’objet du film célèbre de François Truffaut L’Histoire d’Adèle H. (1975) avec Isabelle Adjani. Après avoir poursuivi  jusqu’au Canada et à la Barbade l’homme qu’elle prétendait avoir épousé, elle fut internée à son retour en France en 1872.

Adèle Hugo était, selon les médecins, sujette à l’érotomanie. Les symptômes de la maladie mentale dont elle souffrait (hallucinations, mythomanie, tendance bipolaire, trouble de la personnalité accompagnée d’une perte du rapport au réel) ont également été apparentés à la schizophrénie.

Elle survécut à son père. Après quarante-trois années de réclusion, elle mourut à l’hôpital de Suresnes (Hauts-de-Seine) le 21 avril 1915.

D’elle Balzac avait dit : ” La seconde fille de Victor Hugo est la plus grande beauté que j’aurai vue de ma vie. Elle n’a que quatorze ans, mais elle sera !

L’universitaire Frances Vernor Guille a publié les deux premiers volumes de son journal intime (1852-1853) en 1968 et 1971. (Lettres modernes, Minard). Henri Gourdin a publié, lui,  une biographie, Adèle, l’autre fille de Victor Hugo (Ramsay, 2003), à partir d’une relecture de l’ensemble de son journal (six mille pages connues).

(François Truffaut et Isabelle Adjani pendant le tournage de L’Histoire d’Adèle H.)

L’Exposition présente des collections constituées dans quatre établissements par quatre aliénistes:

– Le docteur William Browne (1805-1885) au Crichton Royal Hospital, installé en 1838 dans la ville écossaise de Dumfries.

– Le docteur Auguste Marie (1865-1934) médecin-chef à l’asile de Villejuif de 1900 à 1920, puis à Sainte-Anne jusqu’en 1929. Sa collection intéressa particulièrement les surréalistes et André Breton qui acheta certaines oeuvres.

– Le psychiatre Walter Morgenthaler (1882-1965) dans l’asile de la Waldau, près de Berne. Il suivra particulièrement l’un des plus célèbres de ces artistes d’art brut , le suisse Adolf Wölfli (1864-1930).

– Hans Prinzhorn (1886-1933), enfin, nommé en 1919 à la clinique universitaire de Heidelberg (Allemagne). Avec un autre psychiatre, Karl Wilmanns (1873-1945), il créera un « musée d’art pathologique » de 4500 documents venant d’Allemagne et d’Autriche . Le nazisme extermina entre 70 000 et 80 000 malades sous l’autorité de Carl Schneider, le successeur de Wilmanns à Heidelberg.

Le Voyageur français Composition aux fleurs s.d. Lausanne Collection de l’Art Brut.

August Klett, “III è Feuille: La république des coqs dans le soleil a donné dîner et danse sans déguisement“, 21 octobre 1923. Collection Prinzhorn, Université d’Heidelberg.

 

J’accuse (Emile Zola)

J’accuse d’Emile Zola publié le 13 janvier 1898 en première page du quotidien parisien L’ Aurore. Lettre ouverte au président de la République.

Conclusion de la lettre:

“Mais cette lettre est longue, monsieur le Président, et il est temps de conclure. J’accuse le lieutenant-colonel du Paty de Clam d’avoir été l’ouvrier diabolique de l’erreur judiciaire, en inconscient, je veux le croire, et d’avoir ensuite défendu son oeuvre néfaste, depuis trois ans, par les machinations les plus saugrenues et les plus coupables.

J’accuse le général Mercier de s’être rendu complice, tout au moins par faiblesse d’esprit, d’une des plus grandes iniquités du siècle.

J’accuse le général Billot d’avoir eu entre les mains les preuves certaines de l’innocence de Dreyfus et de les avoir étouffées, de s’être rendu coupable de ce crime de lèse- humanité et de lèse-justice, dans un but politique et pour sauver l’état-major compromis.

J’accuse le général de Boisdeffre et le général Gonse de s’être rendus complices du même crime, l’un sans doute par passion cléricale, l’autre peut-être par cet esprit de corps qui fait des bureaux de la guerre l’arche sainte, inattaquable.

J’accuse le général de Pellieux et le commandant Ravary d’avoir fait une enquête scélérate, j’entends par là une enquête de la plus monstrueuse partialité, dont nous avons, dans le rapport du second, un impérissable monument de naïve audace.

J’accuse les trois experts en écritures, les sieurs Belhomme, Varinard et Couard, d’avoir fait des rapports mensongers et frauduleux, à moins qu’un examen médical ne les déclare atteints d’une maladie de la vue et du jugement.

J’accuse les bureaux de la guerre d’avoir mené dans la presse, particulièrement dans L’Éclair et dans L’Écho de Paris, une campagne abominable, pour égarer l’opinion et couvrir leur faute.

J’accuse enfin le premier conseil de guerre d’avoir violé le droit, en condamnant un accusé sur une pièce restée secrète, et j’accuse le second conseil de guerre d’avoir couvert cette illégalité, par ordre, en commettant à son tour le crime juridique d’acquitter sciemment un coupable.

En portant ces accusations, je n’ignore pas que je me mets sous le coup des articles 30 et 31 de la loi sur la presse du 29 juillet 1881, qui punit les délits de diffamation. Et c’est volontairement que je m’expose.

Quant aux gens que j’accuse, je ne les connais pas, je ne les ai jamais vus, je n’ai contre eux ni rancune ni haine. Ils ne sont pour moi que des entités, des esprits de malfaisance sociale. Et l’acte que j’accomplis ici n’est qu’un moyen révolutionnaire pour hâter l’explosion de la vérité et de la justice.

Je n’ai qu’une passion, celle de la lumière, au nom de l’humanité qui a tant souffert et qui a droit au bonheur. Ma protestation enflammée n’est que le cri de mon âme. Qu’on ose donc me traduire en cour d’assises et que l’enquête ait lieu au grand jour ! J’attends.

Veuillez agréer, monsieur le Président, l’assurance de mon profond respect.”

Emile Zola