Albert Camus

Le temps des meurtriers, 1949.

« Je ne prendrai que quelques exemples. Et d’abord la polémique. Il n’y pas de vie sans dialogue. Et sur la plus grande partie du monde, le dialogue est remplacé aujourd’hui par la polémique, langage de l’efficacité. Le XX ème siècle est, chez nous, le siècle de la polémique et de l’insulte. Elle tient, entre les nations et les individus, et au niveau même de disciplines autrefois désintéressées la place que tenait traditionnellement le dialogue réfléchi. Des milliers de voix, jour et nuit, poursuivant chacune de son côté un tumultueux monologue, déversant sur les peuples un torrent de paroles mystificatrices. Mais quel est le mécanisme de la polémique? Elle consiste à considérer l’adversaire en ennemi, à le simplifier par conséquent et à refuser de le voir. Celui que j’insulte, je ne connais plus la couleur de son regard. Grâce à la polémique, nous ne vivons plus dans un monde d’hommes, mais dans un monde de silhouettes.»

 

Samuel Beckett (1906-1989)

 

Samuel Beckett.

Fin de partie, 1957.

«La fin est dans le commencement et cependant on continue.»

L’Innommable.

«Il faut continuer, je ne peux pas continuer, il faut continuer, je vais donc continuer, il faut dire des mots, tant qu’il y en a, il faut les dire, jusqu’à ce qu’ils me trouvent, jusqu’à ce qu’ils me disent, étrange peine, étrange faute, il faut continuer, c’est peut-être déjà fait, ils m’ont peut-être déjà dit, ils m’ont peut-être porté jusqu’au seuil de mon histoire, devant la porte qui s’ouvre sur mon histoire, ça m’étonnerait, si elle s’ouvre, ça va être moi, ça va être le silence, là où je suis, je ne sais pas, je ne le saurai jamais, dans le silence on ne sait pas, il faut continuer, je ne peux pas continuer, je vais continuer. (…).»

Fin de partie.

«Fini, c’est fini, ça va finir, ça va peut-être finir. Les grains s’ajoutent aux grains, un à un, et un jour, soudain, c’est un tas, un petit tas, l’impossible tas.».

«Tu n’as pas cessé d’essayer? Tu n’as pas essayé d’échouer? Aucune importance! Réessaie, échoue encore, échoue mieux.»

Cap au pire.

“Déjà essayé. Déjà échoué. Peu importe. Essaie encore. Échoue encore. Échoue mieux.”

Le monde et le pantalon (1989).

Un client s’énervant après moultes essayages chez son vieux tailleur et perdant patience:

« Mais enfin, M. Moysche! Dieu a fait le monde en six jours et vous, il vous faut trois mois pour me faire un pantalon?» «Oui, c’est vrai mais dites, vous avez vu le monde et vous avez vu mon pantalon?»

Lettre à Robert Pinget .

« Ne vous désespérez pas, branchez-vous bien sur le désespoir et chantez-nous ça. »

Samuel Beckett à l’enterrement de Roger Blin, 1984 (Bernard Morlino).

René Char-Alberto Giacometti II

Alberto Giacometti dans son atelier (Ernst Scheidegger ) 1960.

Célébrer Giacometti (René Char)

En cette fin d’après-midi d’avril 1964 le vieil aigle despote, le maréchal-ferrant agenouillé, sous le nuage de feu de ses invectives (son travail, c’est-à-dire lui-même, il ne cessa de le fouetter d’offenses), me découvrit, à même le dallage de son atelier, la figure de Caroline, son modèle, le visage peint sur toile de Caroline — après combien de coups de griffes, de blessures, d’hématomes? —, fruit de passion entre tous les objets d’amour, victorieux du faux gigantisme des déchets additionnés de la mort, et aussi des parcelles lumineuses à peine séparées, de nous autres, ses témoins temporels. Hors de son alvéole de désir et de cruauté. Il se réfléchissait, ce beau visage sans antan qui allait tuer le sommeil, dans le miroir de notre regard, provisoire receveur universel pour tous les yeux futurs.

Retour amont, 1966.

Portrait de René Char (Alberto Giacometti) 1964.

René Char – Alberto Giacometti I

Complément du texte publié sur ce blog le 14 avril 2018.

Préface au Visage nupcial , Poésie/Gallimard. 2018. (Marie-Claude Char)

“En 1954, Char rend visite à Giacometti à la campagne où il loge chez des amis. Tôt levé, Char admire la beauté de l’aube et l’apparition de la vie naissante au travers de la silhouette d’un couple dans le lointain. cette apparition lui rappelle les sculptures de Giacometti et lui inspire son premier texte sur le travail de l’artiste, qui sera publié dans Recherche de la base et du sommet et qu’il lui envoie fin août de l’Isle-sur-Sorgue. Giacometti reçoit le texte à Paris, et s’installe pour lui répondre au café-tabac de la place d’Alésia, lieu où il vient chaque jour lire les journaux et voir ses amis. Il lui exprime son émotion: “C’était une merveilleuse surprise de recevoir ta lettre et de lire ton texte merveilleux avec son étrange résonance. Je ne le mérite d’aucune manière…ton texte est comme une voix lointaine et très proche qui trouble le temps et qui me parle, comme un visage que je regarde et qui me regarde…Il y a longtemps que je me suis arrêté d’écrire, je suis resté assis seul à la terrasse place d’Alésia et pendant ce temps je sentais que je voudrais te lire…on ferme, on enlève les chaises autour de moi…J’espère te voir quand tu seras à Paris et je voudrais te dessiner.”

Alberto Giacometti

Du linge étendu, linge de corps et linge de maison, retenu par des pinces, pendait à une corde. Son insouciant propriétaire lui laissait volontiers passer la nuit dehors. Une fine rosée blanche s’étalait sur les pierres et sur les herbes. Malgré la promesse de chaleur la campagne n’osait pas encore babiller. La beauté du matin, parmi les cultures désertes, était totale, car les paysans n’avaient pas ouvert leur porte, à large serrure et à grosse clé, pour éveiller seaux et outils. La basse-cour réclamait. Un couple de Giacometti, abandonnant le sentier proche, parut sur l’aire. Nus ou non. Effilés et transparents, comme les vitraux des églises brulées, gracieux, tels des décombres ayant beaucoup souffert en perdant leur poids et leur sang anciens. Cependant hautains de décision, à la manière de ceux qui se sont engagés sans trembler sous la lumière irréductible des sous-bois et des désastres. Ces passionnés de laurier-rose s’arrêtèrent devant l’arbuste du fermier et humèrent longuement son parfum. Le linge sur la corde s’effraya. Un chien stupide s’enfuit sans aboyer. L’homme toucha le ventre de la femme qui remercia d’un regard, tendrement. Mais seule l’eau du puits profond, sous son petit toit de granit, se réjouit de ce geste, parce qu’elle en percevait la lointaine signification. A l’intérieur de la maison, dans la chambre rustique des amis, le grand Giacometti dormait.

1954

Recherche de la base et du sommet, II Alliés substantiels, 1971.

Deux figures dans un paysage II,1955.

Eric Holder (1960-2019)

Eric Holder.

Éric Holder est décédé à Queyrac en Gironde le 23 janvier 2019. J’aimais ses livres et son style.

En compagnie des femmes, 1996. Le Dilettante.

La compagnie des femmes: ” On ne sait pas ce que c’est, la vie. On sait seulement ceci: elle ressemble – de très près – à ce que les femmes racontent, en juin, dans la cuisine, tandis qu’il monte des bassines un parfum chargé de sucre, tout à la fois âcre et fade, trop puissant.

Car nous ne savons plus, parfois, qui nous sommes. A force de boire, ou d’errer, nous avons perdu le fil.

Pas elles.”

Exergue de L’homme de chevet, 1995, Flammarion.

“Le premier jour après une mort, la neuve absence
Est toujours la même; nous devrions avoir souci

Les uns des autres, nous devrions avoir de la bonté,
Pendant qu’il en est encore temps.»

Philip Larkin, La Tondeuse. Traduction de Jacques Nassif.

(The Mower

“The first day after a death, the new absence
Is always the same; we should be careful
Of each other, we should be kind
Where there is still time.»

Autumn 1979)

Hervé Prudon (1950-2017)

Hervé Prudon.

Hervé Prudon est mort le 15 octobre 2017 d’un cancer à 66 ans. Il a consacré les deux derniers mois de sa vie à l’écriture d’une centaine de courts poèmes, «instantanés d’une existence qui se défait», comme le dit Olivier Rolin dans la préface à Devant la mort. Il s’agit de la transcription de ses carnets. Le livre est paru en septembre 2018 aux éditions Gallimard. Dans ce livre, j’ai trouvé aussi de la légereté, de la beauté et beaucoup de sincérité.

Né le 27 décembre 1950, à Sannois, dans le Val-d’Oise, Hervé Prudon a d’abord connu l’univers de la banlieue et des HLM. Après une maîtrise de lettres sur Céline obtenue à la faculté de Censier de Paris, désenchanté par les suites de Mai 68, il prend la route comme beaucoup de jeunes de sa génération. Il parcourt en routard l’Asie, l’Australie, l’Inde.

De retour à Paris, après avoir échoué à l’agrégation, il accumule les petits boulots (déménageur, manutentionnaire, accessoiriste de théâtre, etc.).

Cet écrivain, révélé par le néo-polar en 1978, aux côtés de Jean-Patrick Manchette, Frédéric Fajardie, Thierry Jonquet, Jean-Bernard Pouy ou Jean Vautrin, s’était fait une spécialité des petits boulots avant de devenir journaliste au Nouvel Observateur, au Monde, à Libération,

Son parcours me rappelle celui de beaucoup de gens de ma génération.

il ne fera ni jour ni nuit
ni chaud ni froid
je ne serai ni moi
ni un autre
sans âme et sans substance
je ne serai ni le feu ni le vent
ni la pierre ni l’arbre ni l’animal
ni la lumière ni les ténèbres
de moins en moins l’absence
et rien de plus en plus
jusqu’à ce que rien ne dure

__________________________

j’en bave
tout me coûte
tout me gave
que me foutent
le cap Fréhel
et Valparaíso
je vois le ciel chagrin
Paris
la tour Eiffel
et les oiseaux
je respire moins
jusqu’à rien
et la mort m’époumonne
en voiture Simone

________________________________________

Je ne rêve pas de plage, d’arbres, de cocotiers
de neige, ni d’îles désertes
je ne rêve pas de fêtes, de faste ou de triomphe
je ne rêve pas d’ailleurs
Je suis très bien ici dans mon corps
immobile impuissant
à regarder le ciel et le vent
les nuances de la pluie
les nuages et le temps
que je façonne à ma façon

Romans
Mardi gris, Gallimard, «Série noire» n°1724 1978
Tarzan malade, Éditions des autres (1979); réédition, Gallimard,«Série noire» n°2457 1997
Banquise, Fayard«Fayard noir» n°3 (1981); réédition, Édito-Service,«Les Classiques du crime» (1983); nouvelle édition revue et corrigée, Éditions La Table ronde,«La Petite Vermillon» (2009)
Les Yeux doux, Mazarine (1983)
Champs-Élysées, Mazarine (1984)
Plume de nègre, Mazarine (1987)
Sainte Extase, Édition Le Dernier Terrain Vague (1989)
Nadine Mouque, Gallimard,«Série noire»n°2401 (1995) Prix Louis-Guilloux
La Revanche de la colline, Gallimard,«Série noire»n°2411 (1996)
Vinyle Rondelle ne fait pas le printemps, Gallimard,«Série noire»n°2418 (1996)
Ouarzazate et mourir, Éditions Baleine,«Le Poulpe»n°20 (1996); réédition, EJL,«Librio noir»n°288 (1999)
La Femme du chercheur d’or, Flammarion (1998)
Les hommes s’en vont, Grasset (1998)
Cochin, Flammarion (1999)
Venise attendra, Grasset (2000), écrit en collaboration avec Sylvie Péju
Les Inutiles, Grasset (2002)
Ours et Fils, Grasset (2004)
La Sainte journée, Après la Lune, Collection «La Maîtresse en maillot de bain»n°9 (2006)
Ze big Slip, Éditions La Branche,«Suite noire»n°6 (2006)
La Langue chienne, Gallimard,«Série noire» (2008)
Autres publications
Le Bourdon, J.L. Lesfargues,«Traboule» (1982), en collaboration avec Pierre Marcelle
Au matin j’explose, poèmes, Éditions Le Ricochet (1999), dessins de Muzo
Devant la mort, poèmes, Gallimard,«Blanche» (2018)
Théâtre
Comme des malades (1998)

 

Walter Benjamin (1892-1940)

Walter Benjamin à Pontigny (Gisèle Freund), Mai 1939.

Dans la seconde quinzaine de mai  1939, Walter Benjamin se rend à Pontigny, hors décades. Ce qui l’amène là est prosaïque. Craignant d’être privé de tous subsides après que Max Horkheimer, directeur de l’Institut de Recherches Sociales, lui a annoncé que l’Institut exsangue ne peut plus le payer, il se met en quête de mécènes. Son espoir Pontigny, Paul Desjardins (1859-1940), la NRF. Mais, il est déçu. Paul Desjardins n’est plus que l’ombre de lui-même et Pontigny aussi. Walter Benjamin qualifie ce séjour de “naufrage”. A cette occasion, il donne une petite conférence sur Baudelaire dans la belle bibliothèque, conférence qui fut prise en sténo.

Walter Benjamin, Ecrits français. Folio essais, Gallimard 1991.

Notes sur les Tableaux parisiens de Baudelaire.

«Il paraît que par échappées, Baudelaire ait saisi certains traits de cette inhumanité à venir. On lit dans les Fusées; «Le monde va finir… Je demande à tout homme qui pense de me montrer ce qui subsiste de la vie…Ce n’est pas particulièrement par des institutions politiques que se manifestera la ruine universelle…Ce sera par l’asservissement des coeurs. Ai-je besoin de dire que le peu qui restera de politique se débattra péniblement dans les étreintes de l’animalité générale, et que les gouvernants seront forcés, pour se maintenir et créer un fantôme d’ordre, de recourir à des moyens qui feraient frissonner notre humanité actuelle, pourtant si endurcie?…Ces temps sont peut-être bien proches; qui sait même s’ils ne sont pas venus, et si l’épaississement de notre nature n’est pas le seul obstacle qui nous empêche d’apprécier le milieu dans lequel nous respirons?»
Nous ne sommes déjà pas si mal placés pour convenir de la justesse de ces phrases. Il y a bien des chances qu’elles gagneront en sinistre. Peut-être la condition de la clairvoyance dont elles font preuve, était-elle beaucoup moins un don quelconque d’observateur que l’irrémédiable détresse du solitaire au sein des foules. Est-il trop audacieux de prétendre que ce sont ces mêmes foules qui, de nos jours, sont pétries par les mains des dictateurs? Quant à la faculté d’entrevoir dans ces foules asservies des noyaux de résistance – noyaux que formèrent les masses révolutionnaires de quarante- huit et les communards- elle n’était pas dévolue à Baudelaire. Le désespoir fut la rançon de cette sensibilité qui, la première abordant la grande ville, la première en fut saisie d’un frisson que nous, en face des menaces multiples, par trop précises, ne savons même plus sentir.»

Illustration de Georges Rochegrosse aux Fleurs du mal. Ferroud. 1917.

Paul Claudel (1868-1955)

Paul Claudel enlaçant le Buste de Camille Claudel aux cheveux courts par Rodin.

Le 28 novembre 1943, lors d’un dîner avec Brassaï, Henri Michaux livre une opinion sur Paul Claudel: “Il a écrit une ode au Maréchal, mais n’a-t-il pas aussi adressé une lettre au grand rabbin, pour défendre les Juifs? Qui a osé le faire?”

(Henri Michaux, Oeuvres complètes I Gallimard NRF Bibliothèque de la Pléiade. 1998. Chronologie)

10 mai 1941:  Il publie dans le Figaro Paroles au Maréchal (désignées couramment comme l’Ode à Pétain)

24 décembre 1941: Lettre au grand-rabbin de France Isaïe Schwartz pour protester contre la législation anti-juive.

23 décembre 1944, il publie dans le Figaro Un poème au général de Gaulle.

Henri Michaux 1943-45 à sa table de travail (Brassaï).

Henri Michaux (1899-1984) lu par Delphine Seyrig

Delphine Seyrig. L’Année dernière à Marienbad (1961), Alain Resnais.

Les Nuits de France Culture. Les chemins de la connaissance. Hécube (1 ère diffusion).

Delphine Seyrig lit Henri Michaux : “Je vous écris d’un pays lointain” (1ère diffusion : 17/08/1985) 16/06/1989) PODCAST.

https://goo.gl/52P2jf

Delphine Seyrig (1932-1990) joue le rôle Fabienne Tabard dans Baisers volés (1968) de François Truffaut. Elle est à la fois l’incarnation de la femme romantique et inaccessible, mais aussi la représentation de la femme réaliste et maîtresse de son destin. Antoine Doinel, dans Baisers volés, dit du personnage interprété par Delphine Seyrig: «Madame Tabard est une femme exceptionnelle, Madame Tabard, c’est… c’est une apparition!».

Elle est morte en 1990, à 58 ans, des suites d’un cancer des poumons. Sa tombe se trouve au cimetière du Montparnasse à Paris.

Je vous écris d’un pays lointain 
I
Nous n’avons ici, dit-elle, qu’un soleil par mois, et pour peu de temps. On se frotte les yeux des jours en avance. Mais en vain. Temps inexorable. Soleil n’arrive qu’en son heure.
Ensuite on a un monde de choses à faire, tant qu’il y a de la clarté, si bien qu’on a à peine le temps de se regarder un peu.
La contrariété, pour nous, dans la nuit, c’est quand il faut travailler, et il le faut : il naît des nains continuellement.

II

Quand on marche dans la campagne, lui confie-t-elle encore, il arrive que l’on rencontre sur son chemin des masses considérables. Ce sont des montagnes, et il faut tôt ou tard se mettre à plier les genoux. Rien ne sert de résister, on ne pourrait plus avancer, même en se faisant du mal.

Ce n’est pas pour blesser que je le dis. Je pourrais dire d’autres choses, si je voulais vraiment blesser.

III
L’aurore est grise ici, lui dit-elle encore. Il n’en fut pas toujours ainsi. Nous ne savons qui accuser.

Dans la nuit le bétail pousse de grands mugissements, longs et flûtes pour finir. On a de la compassion, mais que faire?

L’odeur des eucalyptus nous entoure : bienfait, sérénité, mais elle ne peut préserver de tout, ou bien pensez-vous qu’elle puisse réellement préserver de tout?

IV
Je vous ajoute encore un mot, une question plutôt.
Est-ce que l’eau coule aussi dans votre pays? (je ne me souviens pas si vous me l’avez dit) et elle donne aussi des frissons, si c’est bien elle.
Est-ce que je l’aime? Je ne sais. On se sent si seule dedans, quand elle est froide. C’est tout autre chose quand elle est chaude. Alors? Comment juger? Comment jugez-vous, vous autres, dites-moi, quand vous parlez d’elle sans déguisement, à cœur ouvert?

V
Je vous écris du bout du monde. Il faut que vous le sachiez. Souvent les arbres tremblent. On recueille les feuilles. Elles ont un nombre fou de nervures. Mais à quoi bon ? Plus rien entre elles et l’arbre, et nous nous dispersons, gênées.
Est-ce que la vie sur terre ne pourrait pas se poursuivre sans vent? Ou faut-il que tout tremble, toujours, toujours?
Il y a aussi des remuements souterrains, et dans la maison comme des colères qui viendraient au-devant de vous, comme des êtres sévères qui voudraient arracher des confessions.
On ne voit rien, que ce qu’il importe si peu de voir. Rien, et cependant on tremble. Pourquoi?

VI
Nous vivons toutes ici la gorge serrée. Savez-vous que, quoique très jeune, autrefois j’étais plus jeune encore, et mes compagnes pareillement. Qu’est-ce que cela signifie? Il y a là, sûrement, quelque chose d’affreux.
Et autrefois quand, comme je vous l’ai déjà dit, nous étions encore plus jeunes, nous avions peur.
On eût profité de notre confusion. On nous eût dit : « Voilà, on vous enterre. Le moment est arrivé. » Nous pensions, c’est vrai, nous pourrions aussi bien être enterrées ce soir, s’il est avéré que c’est le moment.
Et nous n’osions pas trop courir : essoufflées, au bout d’une course, arriver devant une fosse toute prête, et pas le temps de dire mot, pas le souffle.
Dites-moi, quel est donc le secret à ce propos ?

VII
Il y a constamment, lui dit-elle encore, des lions dans le village, qui se promènent sans gêne aucune.
Moyennant qu’on ne fera pas attention à eux, ils ne font pas attention à nous.
Mais s’ils voient courir devant eux une jeune fille, ils ne veulent pas excuser son émoi. Non! aussitôt ils la dévorent.
C’est pourquoi ils se promènent constamment dans le village où ils n’ont rien à faire, car ils bâilleraient aussi bien ailleurs, n’est-ce pas évident?

VIII
Depuis longtemps, longtemps, lui confie-t-elle, nous sommes en débat avec la mer.
De très rares fois, bleue, douce, on la croirait contente. Mais cela ne saurait durer. Son odeur du reste le dit, une odeur de pourri (si ce n’était son amertume).
Ici, je devrais expliquer l’affaire des vagues. C’est follement compliqué, et la mer… Je vous prie, ayez confiance en moi. Est-ce que je voudrais vous tromper? Elle n’est pas qu’un mot.
Elle n’est pas qu’une peur. Elle existe, je vous le jure; on la voit constamment.
Qui? mais nous, nous la voyons. Elle vient de très loin pour nous chicaner et nous effrayer.
Quand vous viendrez, vous la verrez vous-même, vous serez tout étonné. « Tiens ! » direz-vous, car elle stupéfie.
Nous la regarderons ensemble. Je suis sûre que je n’aurai plus peur. Dites-moi, cela n’arrivera-t-il jamais ?

IX
Je ne veux pas vous laisser sur un doute, continue-t-elle, sur un manque de confiance. Je voudrais vous reparler de la mer. Mais il reste l’embarras. Les ruisseaux avancent; mais elle, non. Écoutez, ne vous fâchez pas, je vous le jure, je ne songe pas à vous tromper. Elle est comme ça. Pour fort qu’elle s’agite, elle s’arrête devant un peu de sable. C’est une grande embarrassée. Elle voudrait sûrement avancer, mais le fait est là.

Plus tard peut-être, un jour elle avancera.

X

«Nous sommes plus que jamais entourées de fourmis», dit sa lettre. Inquiètes, ventre à terre elles poussent des poussières. Elles ne s’intéressent pas à nous.»
Pas une ne lève la tête.
C’est la société la plus fermée qui soit, quoiqu’elles se répandent constamment au dehors. N’importe, leurs projets à réaliser, leurs préoccupations…elles sont entre elles…partout.
Et jusqu’à présent pas une n’a levé la tête sur nous. Elle se ferait plutôt écraser.

XI

Elle lui écrit encore:
«Vous n’imaginez pas tout ce qu’il y a dans le ciel, il faut l’avoir vu pour le croire. Ainsi, tenez les…mais je ne vais pas vous dire leur nom tout de suite.»
Malgré des airs de peser très lourd et d’occuper presque tout le ciel, ils ne pèsent pas, tout grands qu’ils sont, autant qu’un enfant nouveau né.
Nous les appelons des nuages.
Il est vrai qu’il en sort de l’eau, mais pas en les comprimant, ni en les triturant. Ce serait inutile, tant ils ont en peu.
Mais, à condition d’occuper des longueurs et des longueurs, des largeurs et des largeurs, des profondeurs aussi et des profondeurs et de faire les enflés, ils arrivent à la longue à laisser tomber quelques gouttelettes d’eau, oui, d’eau. Et on est bel et bien mouillé. On s’enfuit, furieuses d’avoir été attrapées; car personne ne sait le moment où ils vont lâcher leurs gouttes; parfois ils restent des jours sans les lâcher. Et on resterait en vain chez soi à attendre.

XII

L’éducation des frissons n’est pas bien faite dans ce pays. Nous ignorons les vraies règles et quand l’événement apparaît, nous sommes prises au dépourvu.
C’est le Temps, bien sûr. (Est-il pareil chez vous?) Il faudrait arriver plus tôt que lui; vous voyez, ce que je veux dire, rien qu’un tout petit peu avant. Vous connaissez l’histoire de la puce dans le tiroir? Oui, bien sûr. Et comme c’est vrai, n’est-ce pas! Je ne sais plus que dire. Quand allons-nous nous voir enfin?

Plume précédé de Lointain intérieur, 1938.

Henri Michaux (Claude Cahun), Jersey 1938.

 

Susana Soca (1906-1959) II

Susana Soca (Valentine Hugo).

Susana Soca (Jorge Luis Borges)

Con lento amor miraba los dispersos
colores de la tarde. Le placía
perderse en la compleja melodía
o en la curiosa vida de los versos.

No el rojo elemental sino los grises
hilaron su destino delicado,
hecho a discriminar y ejercitado
en la vacilación y en los matices.

Sin atreverse a hollar este perplejo
laberinto, atisbaba desde afuera
las formas, el tumulto y la carrera,

como aquella otra dama del espejo.
Dioses que moran más allá del ruego
la abandonaron a ese tigre, el Fuego.

Homenaje a Susana Soca. Entregas de La Licorne, nº 16, 1961.

Susana Soca

Se perdre au fil de la complexe mélodie
Lui plut; et du poème, univers curieux.
Avec un lent amour, elle suivait des yeux
L’aventure parfois du soir qui s’incendie.

On lui connut de délicates passions:
La limite, le choix différé, le scrupule.
Non le rouge foncier, mais le gris qui module
Tissait sa vie experte en hésitations.

Elle suivait de loin, sans désir et sans crainte,
Les formes du présent, la course, le fracas;
Telle la dame au fond de son miroir, ses pas

Jamais n’entrèrent au perplexe labyrinthe,
Un dieu la dévora que nul ne prie – un dieu
Qu’on pourrait nommer Tigre et qui se nomme Feu.

Oeuvre poétique 1925-1965. Éditions Gallimard, 1970. Mis en vers français par Ibarra.

Emil Cioran, Exercices d’admiration, “Elle n’était pas d’ici”, Pages 199 et 200, Editions Gallimard, Collection ARCADES, mais aussi Entregas de la licorne, N 16, 1961

“Je ne l’ai rencontrée que deux fois. C’est peu. Mais l’extraordinaire ne se mesure pas en termes de temps. Je fus conquis d’emblée par son air d’absence et de dépaysement, ses chuchotements (elle ne parlait pas), ses gestes mal assurés, ses regards, qui n’adhéraient aux êtres ni aux choses, son allure de spectre adorable. « Qui êtes-vous? D’où venez-vous? » était la question qu’on avait envie de lui poser à brûle-pourpoint. Elle n’eût pu y répondre, tant elle se confondait avec son mystère ou répugnait à le trahir. Personne ne saura jamais comment elle s’arrangeait pour respirer, par quel égarement elle cédait aux prestiges du souffle, ni ce qu’elle cherchait parmi nous. Ce qui est certain c’est qu’elle n’était pas d’ici, et qu’elle ne partageait notre déchéance que par politesse ou par quelque curiosité morbide. Seuls les anges et les incurables peuvent respirer un sentiment analogue à celui qu’on éprouvait en sa présence. Fascination, malaise surnaturel!

A l’instant même où je la vis, je devins amoureux de sa timidité, une timidité unique, inoubliable, qui lui prêtait l’apparence d’une vestale épuisée au service d’un dieu clandestin ou alors d’une mystique ravagée par la nostalgie ou l’abus de l’extase, à jamais inapte à réintégrer les évidences!

Accablée de biens, comblée selon le monde, elle paraissait néanmoins destituée de tout, au seuil d’une mendicité idéale, vouée à murmurer son dénuement au sein de l’imperceptible. Au reste, que pouvait-elle posséder et proférer, quand le silence lui tenait lieu d’âme et la perplexité d’univers? Et n’évoquait-elle pas ces créatures de la lumière lunaire dont parle Rozanov? Plus on songeait à elle, moins on était enclin à la considérer selon les goûts et les vues du temps. Un genre inactuel de malédiction pesait sur elle. Par bonheur, son charme même s’inscrivait dans le révolu. Elle aurait dû naître ailleurs, et à une autre époque, au milieu des landes de Haworth, dans le brouillard et la désolation, aux côtés des sœurs Brontë…

Qui sait déchiffrer les visages lisait aisément dans le sien qu’elle n’était pas condamnée à durer, que le cauchemar des années lui serait épargné. Vivante, elle semblait si peu complice de la vie, qu’on ne pouvait la regarder sans penser qu’on ne la reverrait jamais. L’adieu était le signe et la loi de sa nature, l’éclat de sa prédestination, la marque de son passage sur terre ; aussi le portait-elle comme un nimbe, non point par indiscrétion, mais par solidarité avec l’invisible.”

Recuerdo para Susana Soca (Juan Carlos Onetti)
“En un principio era un fantasma lejano —los hay demasiado próximos— que gastaba sus millones en París dándose el gusto de editar una revista llamada La Licorne en la que colaboraron los más destacados escritores, en aquella época, de Francia.
Cuando la horda teutona se puso en movimiento, Susana —como la primera persona de la chanson— tenía dos amores: su país y París. Eligió el último porque era el que más la necesitaba en aquellos años. De manera que se sumergió en el maquis. Es fácil imaginarla, diminuta, torcida en su bicicleta, recorriendo Francia, llevando y trayendo mensajes, bordeando el precipicio de la muerte. Terminada la guerra, Susana volvió a Montevideo con algún centenar de recuerdos que no podía suprimir y docenas de poemas que no quiso publicar. Y trajo también su idea fija: La Licorne.
No conocía a Susana Soca sino algunos poemas sueltos, en español o francés, que me produjeron más respeto que admiración. Y el deseo de saber más de ella.
Es natural en los provincianos un afán indudable por la clasificación veloz y definitiva. Por eso escuché en Madrid, de boca de un turista:
—¿Susana Soca? Claro. Era una esnob millonaria que compró un palacio en la calle San José y lo convirtió en museo.
Mucho y muy inteligente se ha escrito sobre los esnobs. Pertenecen a todas las categorías sociales. La palabra me hace recordar una definición de Benavente sobre la cursilería: quiero y no puedo. Porque el “museo” de Susana estaba hecho con obras maestras, de esas que contribuyen a creer que la vida no es tan mala, al fin y al cabo. Susana sufría, sufrió durante toda su vida. Pero me atrevo a suponer que mirar diariamente un Picasso, un Cézanne, un Modigliani ayuda a vivir y seguir viviendo. El arte justifica la vida, espectáculo, lectura o creación.
Ya instalada en su museo y con La Licorne a cuestas e impresa en español, Susana siguió luchando por la supervivencia de la revista, a pesar de las vallas presumibles.
Así, un día, le pidió al director de la revista – Guido Castillo – que me extrajera un cuento y fijara el precio. Por entonces yo también estaba influido por el ambiente “antilicorne”. De modo que pedí un precio increíble para aquellos tiempos y me tomé la mezquina venganza de colocarle un título casi tan largo como una página.
Susana pagó agregando su lamento por no ofrecerme más, ya que la revista mostraba un déficit implacable y previsto. El cuento fue publicado sin mutilar el título. Y hasta logré encontrarme con personas que me dijeron que se trataba de mi mejor relato, nombre incluido.
Unos meses después, convencida no sé por quién de que lo de cuentista no quitaba la buena educación, Susana Soca me invitó a una reunión en su casa. Me acerqué con timidez media hora antes a una esquina de café en la manzana de la residencia de Susana y estuve presenciando la descarga de comestibles y botellas que se hacía desde una camioneta, propiedad de la mejor confitería que teníamos entonces en Montevideo.
Yo estaba muy bien trajeado para la ocasión. Pero, en los llamados días laborales, también actuaba como un esnob al revés. Tenía camisas de hilo de Irlanda, zapatos hechos a medida, una serie de corbatas cuyo origen había olvidado. Pero me vestía y ambulaba con una tricota gastada, pantalones viejos, alpargatas barbudas.
Era la hora, terminé de envidiar y toqué el timbre. Un mayordomo,claro. Después, demasiada gente, demasiadas voces. Algún amigo o conocido con el que pude apartarme y remover los lugares comunes que parecen constituir el suelo de los hombres de letras. De pronto surgió Susana Soca para saludarme. Era pequeña, nerviosa, más hecha que yo para habitar un mundo de silencio. Recordaba una frase de Anatole France: “Tenemos que vivir y eso es una cosa muy difícil”. Sigo viendo sus hermosos ojos, siempre intimidados, su cuerpo frágil, apenas tembloroso, tan parecido al de un pájaro, armado para huir. Parecía estar en eterna actitud de pedir perdón por algún pecado inexistente.
Creo que esto se expresa mejor en el poema La demente que publicamos.
Luego todo continuó como cualquier reunión o fiesta, hasta que la mezcla de intelectuales y semiaristócratas juzgó que era prudente marcharse. Pero una pausa: en un momento tal vez calculado, Susana se acercaba sonriente: —Mi madre quiere saludarlos.
Entonces peregrinamos hasta una habitación lejana y nos era dado ver a la gran hechicera sentada en un sillón, entre almohadones dispersos, inmóvil y desconfiada, con ojos incongruentemente policiales. Iba extendiendo la mano seca y enjoyada mientras Susana recitaba nombres. Para mí se trataba de un trasplantado Saint-Germain y yo era Marcelo en el mundo de los Guermantes.
Terminada la ceremonia todo seguía igual; no para mí que había aumentado mi odio por la anciana. Porque sabía que su misión en la tierra era estropear todo posible destino de felicidad a Susana, dominarla, exigir que rogara su visto bueno antes de que la hija tomara cualquier resolución.
* * *
Una noche, después del besamanos y la bebida, quedamos solos Castillo y yo como resaca de la fiesta. Estábamos en el desordenado escritorio donde ella trabajaba y leía.
Uno de los muros de la biblioteca daba a un jardín lleno de perros enfurecidos e invisibles que reprochaban nuestra presencia. No queríamos irnos sin despedirnos de Susana. Pero los minutos pasaban entre frases tediosas y Susana no aparecía. De pronto y sin ruido se materializó en una puerta, con un abrigo oscuro y lista para marcharse. Balbuceando, encogida y temerosa. Nos dijo: —Recibí un mensaje y tengo que salir. Pero ustedes pueden quedarse. Les dejo una botella. Revuelvan donde quieran y si algún libro les gusta… No tienen que llamar; el portón queda abierto.
Aparte de vicios menores, Castillo era bibliómano; de modo que, revolviendo libracos, encontró muchos motivos de asombro y alegría. Por mi parte, pretextando novelas que nunca iba a escribir me dediqué a revolver escritorios y secrétaires. Y esta indelicadeza fue pronto y bien recompensada. Entre poemas y proyectos descubrí una carta de Pasternak a Susana. Estaba escrita en un francés casi peor que el mío,con grandes letras retintas y una grafía exótica.
Susana había hecho un viaje a Moscú para conversar con Pasternak, a quien admiraba mucho y dedicó un hermoso poema. La carta era muy anterior al premio Nobel y al vergonzoso escándalo y a las doscientas ediciones piratas de Doctor Zhivago que surgieron en español. Todas espantosas.
En aquella carta Pasternak le explicaba a Susana por qué no habían podido encontrarse: sus relaciones con la asociación oficial de escritores rusos patentados ya no eran buenas. Así que Susana fue despistada: un día Pasternak estaba en su dacha, al siguiente en Siberia, al otro internado por hidrofobia en un castillo de los Cárpatos.
En otro tono, claro, el poeta explicaba con dulzura la razón de los desencuentros y autorizaba a Susana a publicar en Uruguay o Francia (primera edición en todo el mundo) la novela hoy famosa. Pero, siempre en mi labor de comisario, encontré otra carta. Era de una hermana del escritor y le suplicaba abandonar el proyecto porque su realización significaría la muerte civil de Pasternak en la U.R.S.S. o, simplemente, la muerte a la que todos podemos aspirar y que lograremos comportándonos con bondad y obediencia.
Por eso Zhivago permaneció enrejado tantos años. Y aunque no se crea, hablamos aún de Susana Soca, que prefirió archivar los originales de la obra.
Hay escritores que sufren mucho para dar remate a sus obras. Otros padecen del principio al fin y también sus lectores. El final de Susana Soca tiene cierta afinidad con su persona. Había ido a Francia, libre ahora de autodenominadas razas superiores, para pedir un sencillo milagro a Nuestra Señora de Lourdes. No se trataba directamente de ella sino de una persona enferma y querida.
De vuelta en París, se encontró con una vieja amiga que tenía un pasaje de regreso a Montevideo para el día miércoles en un avión alemán; el de Susana era para el jueves, en avión norteamericano. Susana fue impulsada al juego misterioso que todos jugamos, sin saberlo y tal vez en este preciso momento. Rogó y obtuvo el cambio de pasajes para llegar a su destino veinticuatro horas antes. Llegó a la costa de Brasil, donde el aparato aterrizó entre agua y tierra para terminar incendiado.
Cuando se confirmó la muerte —el cambio de pasajes había provocado confusiones y esperanzas— mucha gente rezó por su alma; otra prefirió comprar una botella y seleccionar blasfemias polvorientas. Hay testigos.
Tal vez por todo esto uno de mis mejores amigos le dedicó un libro con estas palabras: Para Susana Soca: Por ser la más desnuda forma de la piedad que he conocido; por su talento.

Mundo Hispánico, nº 333, Madrid, diciembre de 1975.

Juan Carlos Onetti.