Beauté. Mélancolie. L’un des plus beaux poèmes de la langue française.
Sensation
Par les soirs bleus d’été, j’irai dans les sentiers,
Picoté par les blés, fouler l’herbe menue :
Rêveur, j’en sentirai la fraîcheur à mes pieds.
Je laisserai le vent baigner ma tête nue.
Je ne parlerai pas, je ne penserai rien :
Mais l’amour infini me montera dans l’âme,
Et j’irai loin, bien loin, comme un bohémien,
Par la Nature, – heureux comme avec une femme.
Mars 1870.
Poésies.
Le portrait que réalise Henri Fantin-Latour du jeune poète de Charleville est, avec la célèbre photo faite par Étienne Carjat, la représentation de Rimbaud la plus connue et reproduite. Peint en février ou mars 1872. Il n’avait pas encore 18 ans.
Albert Camus sera une des rares voix de protestation après l’explosion de la bombe atomique d’Hiroshima (6 mai 1945).
Combat, 8 août 1945. Éditorial.
Le monde est ce qu’il est, c’est-à-dire peu de chose. C’est ce que chacun sait depuis hier grâce au formidable concert que la radio, les journaux et les agences d’information viennent de déclencher au sujet de la bombe atomique.
On nous apprend, en effet, au milieu d’une foule de commentaires enthousiastes que n’importe quelle ville d’importance moyenne peut être totalement rasée par une bombe de la grosseur d’un ballon de football. Des journaux américains, anglais et français se répandent en dissertations élégantes sur l’avenir, le passé, les inventeurs, le coût, la vocation pacifique et les effets guerriers, les conséquences politiques et même le caractère indépendant de la bombe atomique. Nous nous résumerons en une phrase: la civilisation mécanique vient de parvenir à son dernier degré de sauvagerie. Il va falloir choisir, dans un avenir plus ou moins proche, entre le suicide collectif ou l’utilisation intelligente des conquêtes scientifiques.
En attendant, il est permis de penser qu’il y a quelque indécence à célébrer ainsi une découverte, qui se met d’abord au service de la plus formidable rage de destruction dont l’homme ait fait preuve depuis des siècles. Que dans un monde livré à tous les déchirements de la violence, incapable d’aucun contrôle, indifférent à la justice et au simple bonheur des hommes, la science se consacre au meurtre organisé, personne sans doute, à moins d’idéalisme impénitent, ne songera à s’en étonner.
Les découvertes doivent être enregistrées, commentées selon ce qu’elles sont, annoncées au monde pour que l’homme ait une juste idée de son destin. Mais entourer ces terribles révélations d’une littérature pittoresque ou humoristique, c’est ce qui n’est pas supportable.
Déjà, on ne respirait pas facilement dans un monde torturé. Voici qu’une angoisse nouvelle nous est proposée, qui a toutes les chances d’être définitive. On offre sans doute à l’humanité sa dernière chance. Et ce peut-être après tout le prétexte d’une édition spéciale. Mais ce devrait être plus sûrement le sujet de quelques réflexions et de beaucoup de silence.
Au reste, il est d’autres raisons d’accueillir avec réserve le roman d’anticipation que les journaux nous proposent. Quand on voit le rédacteur diplomatique de l’Agence Reuter annoncer que cette invention rend caducs les traités ou périmées les décisions mêmes de Potsdam, remarquer qu’il est indifférent que les Russes soient à Koenigsberg ou la Turquie aux Dardanelles, on ne peut se défendre de supposer à ce beau concert des intentions assez étrangères au désintéressement scientifique.
Qu’on nous entende bien. Si les Japonais capitulent après la destruction d’Hiroshima et par l’effet de l’intimidation, nous nous en réjouirons. Mais nous nous refusons à tirer d’une aussi grave nouvelle autre chose que la décision de plaider plus énergiquement encore en faveur d’une véritable société internationale, où les grandes puissances n’auront pas de droits supérieurs aux petites et aux moyennes nations, où la guerre, fléau devenu définitif par le seul effet de l’intelligence humaine, ne dépendra plus des appétits ou des doctrines de tel ou tel État.
Devant les perspectives terrifiantes qui s’ouvrent à l’humanité, nous apercevons encore mieux que la paix est le seul combat qui vaille d’être mené. Ce n’est plus une prière, mais un ordre qui doit monter des peuples vers les gouvernements, l’ordre de choisir définitivement entre l’enfer et la raison.
Actuelles. Chroniques 1944-1948, Œuvres complètes, tome II, Éditions Gallimard.
Je
dors toujours les fenêtres ouvertes
J’ai dormi comme un homme
seul
Les sirènes à vapeur et à air comprimé ne m’ont pas
trop réveillé
Ce matin je me penche par la fenêtre
Je
vois
Le ciel
La mer
La gare maritime par
laquelle j’arrivais de New-York en 1911
La baraque du
pilotage
Et
A gauche
Des fumées des cheminées des
grues des lampes à arc à contre-jour
Le premier tram grelotte
dans l’aube glaciale
Moi j’ai trop chaud
Adieu
Paris
Bonjour
soleil
Feuilles de route, 1924.
Réveil
Je suis nu
J’ai déjà pris mon bain
Je me frictionne à l’eau de Cologne
Un voilier lourdement secoué passe dans mon hublot
Il fait froid ce matin
Il y a de la brume
Je range mes papiers
J’établis un horaire
Mes journées seront bien remplies
Je n’ai pas une minute à perdre
J’écris
Feuilles de route, 1924.
Lettre
Tu m’as dit si tu m’écris
Ne tape pas tout à la machine
Ajoute une ligne de ta main
Un mot un rien oh pas grand chose
Oui oui oui oui oui oui oui oui
Ma Remington est belle pourtant
Je l’aime beaucoup et travaille bien
Mon écriture est nette est claire
On voit très bien que c’est moi qui l’ai tapée
Il y a des blancs que je suis seul à savoir faire
Vois donc l’oeil qu’à ma page
Pourtant, pour te faire plaisir j’ajoute à l’encre
Deux trois mots
Et une grosse tache d’encre
Pour que tu ne puisses pas les lire.
Secourez moy, douce vierge Marie,
Port de salut que l’en doit réclamer!
Je sens ma nef foible, povre et pourrie,
De sept tourments assaillie en la mer
Mon voile est roupt, ancres n’y puet encrer
J’ai grant paour que plunge ou que n’affonde
Se voz pitiez envers moy ne se fonde.
Qui est la nef, fort ceste mortel vie
Qui a paines puet LX ans passer?
Les sept tourments sont Orgueil et Envie
Detraccion, Luxure et Murmurer
Convoitise qui ne laisse durer,
Et leurs consors me tuent en ce monde,
Se voz pitiez envers moy ne se fonde.
Mon voile est roupt, qui vertu signifie,
Et mon encre ne se puet arrester
Pour ce chetif monde qui me detrie,
Qui ne me laisse à mon ame penser.
Or me vueillez mon volie relever,
Vierge, ou je doubt pechiez ne me confunde,
Se voz pitiez envers moy ne se fonde.
Eustache Deschamps en son temps sous la direction de Jean-Patrice Boudet et Hélène Millet. Publications de la Sorbonne 1997.
Merci à J.A.
Ballade n°134. Tome 1. page 258.
“Dans cet appel au secours à Notre-Dame, le poète parle de sa vie et de lui-même comme d’un bateau (Une nef, vers 3 et 8) devant se rendre au port du salut, d’où le vocable donné à la Vierge (vers 2). L’embarcation est en mauvais état (vers 3 et 5) et doit affronter sept tourmens. Ce sont les sept péchés capitaux qui sont ainsi désignés, dont trois sont nommés dans la seconde strophe (Orgueil, Envie et Luxure). Les quatre autres (Colère, Avarice, Paresse et Gourmandise), englobés sous le nom de consors (vers 13) ont été ici remplacés par Detraccion, Murmurer et Convoitise, qui sont plutôt des dérivés d’Envie. Le poète renouvelle sa prière dans la troisième strophe: Marie doit l’aider à relever sa voile (vers 19), c’est à dire à cultiver les vertus. Touchée, la Vierge répond dans la ballade 135 en lui indiquant les vertus qu’il doit pratiquer pour éviter l’Enfer.”
Voici venir les temps ou vibrant sur sa tige Chaque fleur s’évapore ainsi qu’un encensoir; Les sons et les parfums tournent dans l’air du soir; Valse mélancolique et langoureux vertige!
Chaque fleur s’évapore ainsi qu’un encensoir; Le violon frémit comme un coeur qu’on afflige; Valse mélancolique et langoureux vertige! Le ciel est triste et beau comme un grand reposoir.
Le violon frémit comme un coeur qu’on afflige, Un coeur tendre, qui hait le néant vaste et noir! Le ciel est triste et beau comme un grand reposoir; Le soleil s’est noyé dans son sang qui se fige.
Un coeur tendre, qui hait le néant vaste et noir, Du passé lumineux recueille tout vestige! Le soleil s’est noyé dans son sang qui se fige… Ton souvenir en moi luit comme un ostensoir!
Les Fleurs du Mal, 1861.
I – L’Etranger “Qui aimes-tu le mieux, homme énigmatique, dis? ton père, ta mère, ta soeur ou ton frère? Je n’ai ni père, ni mère, ni soeur, ni frère. –
Tes amis?
Vous vous servez là d’une parole dont le sens m’est resté jusqu’à ce jour inconnu.
Ta patrie?
J’ignore sous quelle latitude elle est située.
La beauté?
Je l’aimerais volontiers, déesse et immortelle.
L’or?
Je le hais comme vous haïssez Dieu.
Eh! qu’aimes-tu donc, extraordinaire étranger?
J’aime les nuages… les nuages qui passent… là-bas… là-bas… les merveilleux nuages!” Petits poèmes en prose Le Spleen de Paris. 1869. Eugène Boudin, Le roi des ciels.
Vous autres qui êtes vivants
Avec vos fils père et mère
Vous n’entendez pas crier les trépassés!
Entre Vannes et Redon
Mon âme est dans l’eau des marais
Mon drap mortuaire est pourri
Depuis que je suis enterré
Est-ce que vous pensez à la mort vous autres?
Avant peu vous gémirez
Ah! qu’il est triste de se plaindre
Plus de bonne lumière
Plus de lit de feignant, plus de sommeil
Gare à vous,
Gare à votre corps si doux
Moi je ne pensais pas davantage
A ceux qui ont quitté la terre
Et vous, mon Dieu où êtes-vous,
Vous qui me laissez dans la nuit et dans l’eau?
Poèmes de Morven le Gaëlique, 1953.
Amour du prochain
à Jean Rousselot
Qui a vu le crapaud traverser la rue? C’est un tout petit homme: une poupée n’est pas plus minuscule. Il se traîne sur les genoux: il a honte on dirait…? Non! Il est rhumatisant, une jambe reste en arrière, il la ramène! Où va-t-il ainsi? Il sort de l’égout, pauvre clown. Personne n’a remarqué ce crapaud dans la rue. Jadis personne ne me remarquait dans la rue, maintenant, les enfants se moquent de mon étoile jaune. Heureux crapaud! tu n’as pas d’étoile jaune.
1943.
Derniers poèmes en vers et en prose. Editions Gallimard, 1961.
Max Jacob est né le 12 juillet 1876 à Quimper dans une famille juive voltairienne et non pratiquante Il est mort le 5 mars 1944 à Drancy, cinq jours avant sa déportation programmée pour Auschwitz.
Max Jacob Œuvres précédé de Portrait de Max en accordéon par Guy Goffette Édition d’Antonio Rodriguez. Collection Quarto, Gallimard 2012. 1824 pages, 203 illustrations.
«Les oeuvres de Max Jacob rassemblées, introduites et annotées par Antonio Rodriguez sont disponibles dans la collection Quarto de Gallimard.
Grand poète, Max Jacob (1876-1944) est un l’une des figures les plus marquantes du XX ème siècle. Sa production ne se borne pas à la poésie mais elle comprend aussi une œuvre graphique et musicale ainsi que l’une des plus riches correspondances de son temps.
Ses amitiés avec les peintres, avec Picasso en particulier qu’il rencontre en 1901, et ses liens privilégiés avec Guillaume Apollinaire, André Salmon ou Pierre Reverdy le placent au cœur des débats esthétiques de l’Esprit nouveau et à l’origine de la poésie moderne. Sa vie et les nombreuses légendes qui lui sont attribuées ou qu’il s’attribue lui-même le mêle à l’effervescence des avant-gardes picturales et littéraires parisiennes à Montmartre ou à Montparnasse. Éclaireur d’une relation profonde dans l’écriture du siècle entre la poésie et la peinture, rénovateur des qualités plastiques et musicales du poème en prose dont il va jusqu’à revendiquer la paternité, son œuvre est faite de contrastes : sa poésie est traversée d’élans religieux et mystiques mais roule aussi vers le cocasse porté au cœur de l’interrogation sur les fondations du sujet. Toute son œuvre montre les jeux multiples autour de la notion du personnage, ses éclats kaléidoscopiques, ses masques incessants, les attentes et les désillusions qu’elle engendre.
Max Jacob a été bouleversé par une apparition miraculeuse en septembre 1909 et s’est retiré à Saint-Benoît-sur-Loire (Loiret) de 1921 à 1928 puis de 1936 à 1944 afin qu’une existence nouvelle refonde les enjeux spirituels initiés par sa conversion au catholicisme (18 février 1915). C’est dans ce village qu’il sera arrêté le 24 février 1944 par la police allemande.
Dès 1940, la législation antisémite bouleverse sa vie: il subit toutes les mesures de persécutions menées par le régime de Vichy et l’occupant contre les Juifs. En 1941, « Monsieur Max » est interdit de publication : il est spolié de ses droits d’auteur. Pendant l’Occupation, il assiste impuissant aux malheurs des siens : « aryanisation » des biens, arrestations, déportations. Lui qui se pensait, à tort, protégé est arrêté chez lui. Conduit à la prison d’Orléans, transféré le 28 février à Drancy, il meurt d’une congestion pulmonaire le 5 mars 1944.
En 1960, Max Jacob a été élevé, à titre civil, au rang de « poète mort pour la France.»
Patricia Sustrac, Présidente de l’association des Amis de Max Jacob.
Le printemps laisse errer les fiancés parjures
Et laisse feuilloler longtemps les plumes bleues
Que secoue le cyprès où niche l’oiseau bleu
Une Madone à l’aube a pris les églantines
Elle viendra demain cueillir les giroflées
Pour mettre aux nids des colombes qu’elle destine
Au pigeon qui ce soir semblait le Paraclet
Au petit bois de citronniers s’énamourèrent
D’amour que nous aimons les dernières venues
Les villages lointains sont comme leurs paupières
Et parmi les citrons leurs cœurs sont suspendus
Mes amis m’ont enfin avoué leur mépris Je buvais à pleins verres les étoiles Un ange a exterminé pendant que je dormais Les agneaux les pasteurs des tristes bergeries De faux centurions emportaient le vinaigre Et les gueux mal blessés par l’épurge dansaient Étoiles de l’éveil je n’en connais aucune Les becs de gaz pissaient leur flamme au clair de lune Des croque-morts avec des bocks tintaient des glas À la clarté des bougies tombaient vaille que vaille Des faux-cols sur des flots de jupes mal brossées Des accouchées masquées fêtaient leurs relevailles La ville cette nuit semblait un archipel Des femmes demandaient l’amour et la dulie Et sombre sombre fleuve je me rappelle Les ombres qui passaient n’étaient jamais jolies
Je n’ai plus même pitié de moi Et ne puis exprimer mon tourment de silence Tous les mots que j’avais à dire se sont changés en étoiles Un Icare tente de s’élever jusqu’à chacun de mes yeux Et porteur de soleils je brûle au centre de deux nébuleuses Qu’ai-je fait aux bêtes théologales de l’intelligence Jadis les morts sont revenus pour m’adorer Et j’espérais la fin du monde Mais la mienne arrive en sifflant comme un ouragan
J’ai eu le courage de regarder en arrière Les cadavres de mes jours Marquent ma route et je les pleure Les uns pourrissent dans les églises italiennes Ou bien dans de petits bois de citronniers Qui fleurissent et fructifient En même temps et en toute saison D’autres jours ont pleuré avant de mourir dans des tavernes Où d’ardents bouquets rouaient Aux yeux d’une mulâtresse qui inventait la poésie Et les roses de l’électricité s’ouvrent encore Dans le jardin de ma mémoire
Pardonnez-moi mon ignorance Pardonnez-moi de ne plus connaître l’ancien jeu des vers Je ne sais plus rien et j’aime uniquement Les fleurs à mes yeux redeviennent des flammes Je médite divinement Et je souris des êtres que je n’ai pas créés Mais si le temps venait où l’ombre enfin solide Se multipliait en réalisant la diversité formelle de mon amour J’admirerais mon ouvrage
J’observe le repos du dimanche Et je loue la paresse Comment comment réduire L’infiniment petite science Que m’imposent mes sens L’un est pareil aux montagnes au ciel Aux villes à mon amour Il ressemble aux saisons Il vit décapité sa tête est le soleil Et la lune son cou tranché Je voudrais éprouver une ardeur infinie Monstre de mon ouïe tu rugis et tu pleures Le tonnerre te sert de chevelure Et tes griffes répètent le chant des oiseaux Le toucher monstrueux m’a pénétré m’empoisonne Mes yeux nagent loin de moi Et les astres intacts sont mes maîtres sans épreuve La bête des fumées a la tête fleurie Et le monstre le plus beau Ayant la saveur du laurier se désole
À la fin les mensonges ne me font plus peur C’est la lune qui cuit comme un œuf sur le plat Ce collier de gouttes d’eau va parer la noyée Voici mon bouquet de fleurs de la Passion Qui offrent tendrement deux couronnes d’épines Les rues sont mouillées de la pluie de naguère Des anges diligents travaillent pour moi à la maison La lune et la tristesse disparaîtront pendant Toute la sainte journée Toute la sainte journée j’ai marché en chantant Une dame penchée à sa fenêtre m’a regardé longtemps M’éloigner en chantant
Au tournant d’une rue je vis des matelots Qui dansaient le cou nu au son d’un accordéon J’ai tout donné au soleil Tout sauf mon ombre
Les dragues les ballots les sirènes mi-mortes
À l’horizon brumeux s’enfonçaient les trois-mâts
Les vents ont expiré couronnés d’anémones
Ô Vierge signe pur du troisième mois
Templiers flamboyants je brûle parmi vous Prophétisons ensemble ô grand maître je suis Le désirable feu qui pour vous se dévoue Et la girande tourne ô belle ô belle nuit
Liens déliés par une libre flamme Ardeur
Que mon souffle éteindra Ô Morts à quarantaine
Je mire de ma mort la gloire et le malheur
Comme si je visais l’oiseau de la quintaine
Incertitude oiseau feint peint quand vous tombiez
Le soleil et l’amour dansaient dans le village
Et tes enfants galants bien ou mal habillés
Ont bâti ce bûcher le nid de mon courage
Marcel Proust est né le 10 juillet 1871 à Paris (quartier d’Auteuil dans le 16e arrondissement), dans la maison de son grand-oncle maternel, Louis Weil, au 96, rue La Fontaine.
«Le seul véritable voyage, le seul bain de Jouvence, ce ne serait pas d’aller vers de nouveaux paysages, mais d’avoir d’autres yeux, de voir l’univers avec les yeux d’un autre, de cent autres, de voir les cent univers que chacun d’eux voit, que chacun d’eux est.»
Victor Segalen est né le 14 janvier 1878 à Brest. L’oeuvre de ce poète est imprégnée des cultures qu’il a rencontrées dans l’exercice de son métier de médecin de marine.
Pour obtenir son doctorat de médecine, il soutient en 1902 une thèse dont le titre est Les Cliniciens ès lettres. Le sujet: les névroses dans la littérature contemporaine.
En 1903, il arrive en mission à Tahiti et découvre les restes de la culture Maorie, décimée par la présence européenne («Ici comme ailleurs, la race se meurt…» Journal de voyage). Lors d’une escale aux Marquises, il consulte les derniers croquis et carnets de Gauguin, mort trois mois auparavant («Je puis dire n’avoir rien vu du pays et de ses maoris avant d’avoir parcouru et presque vécu les croquis de Gauguin.»). De son séjour en Polynésie, il tire un livre, Les Immémoriaux, publié en 1907 sous le pseudonyme de Max Anély.
Dés 1908, Segalen s’intéresse à la Chine et souhaite devenir interprète. Il s’y installe avec sa femme et son fils Yvon en 1910. Il publie la première édition des Stèles à Pékin en 1912. Interrompu par la guerre dans le cours d’une expédition archéologique en Chine, il rentre en France, passe quelque temps au front, puis retourne en Chine pour y recruter des volontaires. Il continue ses recherches archéologiques qui inspirent Chine, la grande statutaire.
Malade, il quitte définitivement l’Asie fin 1917. Il prend part à la lutte contre l’épidémie de « grippe espagnole» à l’hôpital de Brest, mais son travail l’épuise. Il essaye de créer un centre culturel extrême oriental en France en 1918. Après deux mois de convalescence à Alger, il meurt le 21 mai 1919 en forêt d’Huelgoat.
Huelgoat. 23 mai 1919, la mort mystérieuse de l’écrivain Victor Segalen (Ouest France, 26/05/2019)
Victor Segalen est mort le 23 mai 1919, en forêt d’Huelgoat. Mais sa mort comme son œuvre est assez mystérieuse. Comme s’il l’avait lui-même mise en scène.
Le mercredi 21 mai 1919, Victor Segalen, très affaibli par une dépression qui le ronge depuis sept mois, quitte l’hôtel d’Angleterre où il séjourne, à Huelgoat. Il a sa canne et son pique-nique. Au moment de sortir, il se ravise et revient troquer ses bottines de chasse contre une paire de souliers bas. Le détail aura son importance. Il prend le chemin de la forêt vers 11 heures. Nul ne le reverra vivant.
L’après-midi, un violent orage éclate. On se dit qu’il s’est réfugié dans une auberge. Mais, le lendemain, l’inquiétude grandit. Les recherches commencent. Le vendredi 23, sa femme, Yvonne, arrive de Brest. Elle n’hésite pas un instant. Elle escalade le sentier qui domine le gouffre, parvient au sommet, et découvre son mari.
Une entaille à la cheville Il est en position assise, les yeux ouverts. Il a plié son manteau d’officier de marine pour s’en faire un oreiller. Près de lui, un volume des œuvres de Shakespeare en anglais, ouvert sur une page de Hamlet, avec, comme garde page, une photo de sa femme.
La cause du décès saute aux yeux. Il a le pied gauche déchaussé, une entaille au creux de la cheville. Un mouchoir est noué au-dessus de la blessure, comme pour faire un garrot. Et, tout autour du pied, une grande mare de sang.
«Blessé, sans doute par un bois taillé en biseau, il a eu la force de venir mourir là où il savait que seule je saurais le retrouver», écrit Yvonne Segalen. En effet, une semaine plus tôt, les deux époux étaient venus à cet endroit, ils y avaient lu la page de Hamlet qu’on retrouvera ouverte près du corps. Malgré ces circonstances troublantes, Yvonne impose la thèse de l’accident et refuse l’autopsie. Les obsèques sont célébrées dès le lendemain matin, et l’écrivain est enterré au cimetière d’Huelgoat.
L’hypothèse du suicide Pourtant, dès le début, l’hypothèse du suicide, si difficile à admettre à cette époque, est évoquée par certains de ses amis, ainsi que par ses collègues médecins de l’hôpital maritime de Brest. Victor Segalen souffre en effet d’une profonde dépression: il ne peut plus écrire, ne parvient pas à arrêter l’opium, se trouve dans une impasse affective entre sa femme Yvonne et sa maîtresse Hélène Hilpert, il a perdu le commandement de l’hôpital maritime de Brest, n’obtient pas de la Marine une mise en congés.
Des faits matériels sont aussi troublants: il a revêtu pour cette promenade son uniforme d’officier de Marine, ce qu’il ne faisait jamais. Il a mis des chaussures basses, ce qui rend l’accident possible. L’entaille a sectionné une petite artère de la malléole interne, un geste quasi-chirurgical. Un canif est retrouvé à proximité. Par contre, on ne retrouve aucune trace de sang dans le sentier, ni de «bois taillé en biseau». Certes, la pluie de l’orage a pu laver le sang, mais comment se fait-il alors que les pages du livre de Shakespeare n’aient absolument pas souffert de la pluie? Serait-il mort bien plus tard? Enfin, s’il était blessé, pourquoi ne pas être descendu vers la route, où il pouvait trouver du secours rapidement, plutôt que d’avoir escaladé le sentier?
Tout laisse penser que Victor Segalen a lui-même voulu donner une aura mystérieuse et symbolique à sa mort (il comparait les chaos rocheux d’Huelgoat aux stèles des tombeaux chinois). «Il existe en chacun de nous une irréductible et forclose tanière que nous ne pouvons qu’entrouvrir à autrui, écrivait-il.Le moi essentiel reste tapi dans le fond de son antre.»