André Malraux

André Malraux. 1934.

«J’ai cru connaître plus que ma culture parce que j’avais rencontré les foules militantes d’une foi, religieuses ou politiques; je sais maintenant qu’un intellectuel ce n’est pas seulement celui à qui les livres sont nécessaires, mais tout homme dont une idée, si élémentaire soit-elle, engage et ordonne la vie. Ceux qui m’entourent, eux, vivent au jour le jour depuis des millénaires.»

Les noyers de l’Altenburg, 1943.

Les noyers de l’Altenburg: c’est le dernier roman d’André Malraux. En 1943, il a quarante et un ans. Par la suite, il publiera de nombreux écrits sur l’art et les Antimémoires.
Dans ce livre, il y a de nombreux souvenirs personnels : l’Alsace entrevue en 1922, le premier retour en Europe, à Marseille, la découverte de la Perse et de l’Afghanistan, les décades de Pontigny, l’expérience militaire de 1939-1940. Ce qu’a vécu Malraux, il le «transforme en fiction», prêtant tantôt au narrateur, tantôt à son père, ses propres aventures et sentiments. Parfois l’auteur transpose simplement les lieux ou les dates : la cathédrale de Sens est transportée à Chartres. Pour le romancier, tout devient métamorphose : la vie, les lectures, les souvenirs, les passions.

Pierre Autin-Grenier

Pierre Autin-Grenier

Lecture ce week-end de Pierre Autin-Grenier. Friterie-Bar Brunetti a été republié dans la collection La petite Vermillon (Éditions de la Table Ronde). Un peu d’anarchisme, un brin de nihilisme, cela fait du bien dans cette période où nos gouvernants essaient de nous faire prendre des vessies pour des lanternes et osent parler d’égalité.

Les écrivains qu’il aime: Céline, Louis Calaferte, Cioran, Thomas Bernhard.

Rencontre entre Brigitte Giraud et Pierre Autin-Grenier (Le Matricule des Anges n°68 Novembre-Décembre 2005)

“B.G.: Je voulais aussi que tu me parles de Thomas Bernhard que tu cites aussi dans Friterie-bar Brunetti : ” Il faut pouvoir se lever et partir de toute société qui n’est bonne à rien “. ” Rien ” et ” inutile ” sont des mots qu’on retrouve souvent dans tes livres…
P. A-G. : J’ai lu tout Thomas Bernhard. Ça a été une grande découverte. L’exergue que j’ai mis rejoint Calaferte et son côté libertaire que j’aime beaucoup. Son esprit révolté.
B. G. : Mais on est au-delà de la révolte, on est déjà dans le rien et l’inutile, dans le nihilisme, non ?
P. A-G. : Ah non, je ne suis pas du tout un nihiliste.
B. G. : Mais tu parles de Cioran aussi…
P. A-G. : Pour moi Cioran n’est pas nihiliste ! Si j’ai le moral qui remonte à peine à zéro, je lis Cioran et ça va mieux, c’est roboratif et pas du tout nihiliste.”

Friterie-Bar Brunetti. Gallimard, L’ Arpenteur. 2005. La petite vermillon (n° 469) 2019. pages 88-90.

« Quant aux maîtres et aux bourgeois, pour n’être pas né de la dernière couvée je vois bien aussi comment ces protozoaires et leurs sous-fifres comptent s’y prendre, et pas à plusieurs fois, pour nous faire passer le goût du pain, astreindre le populo à leur discipline de caserne et subordonner toutes nos envies de seulement respirer à leur brutal appétit de marchandises, à leur soif jamais apaisée du pouvoir, à leur tyrannique besoin de paraître et se penser sel de la terre quand ils ne sont qu’espèces en phase terminale.
Á l’instar de Ginette, de ses cinquante annuités et des poussières pour une pension à piétiner chaque fin de mois dans les files d’attente du bureau de bienfaisance, c’est d’abord tuer le prolétaire au turbin leur programme. User en usine et partout ailleurs les forces de la bête sans trêve ni merci jusqu’à l‘empêcher de jouir du moindre instant de répit. Le travail rend libre, on connaît la chanson. Oh! dans leur calcul d’aujourd’hui il ne saurait surtout s’agir de trente-cinq, ni quarante, ni même cinquante, non, leur petite idée sur la question c’est la semaine de soixante-quinze heures de crève-corps pour tous et jusqu’à soixante-quinze ans; voilà le carême qu’ils prêchent pour pouvoir, eux, encore rajouter des dentelles à leurs caleçons pendant que nous autres irions quasiment sans culotte au charbon, ben voyons! J’exagère? Je divague? J’extrapole?… Laissez-moi rire!
Le bourgeois n’a jamais travaillé de ses mains, c’est même ce qui le caractérise historiquement; depuis qu’il s’est emparé en sournois des manettes, envoyant pour ce faire le peuple à sa place au casse-pipe, il n’a trouvé son compte, entre deux guerres pour soutenir ses intérêts, que dans l’abrutissement des masses par le boulot et l’hécatombe généralisée des travailleurs transbahutés dès l’aube en bétaillère dans les abattoirs du patronat. C’est comme je vous le dis, et vous ne changerez couic au tableau si vous ne vous décidez pas enfin à chasser le bourgeois et ses larbins en leur flanquant une bonne révolution aux fesses. – Tous en charrette à Sainte-Pélagie! Voilà l’idéal slogan; pour rien au monde vous ne m’en ferez démordre.»

Pierre Autin-Grenier est né à Lyon le 4 avril 1949, il y est mort le 12 avril 2014.

Il a partagé son temps entre sa ville natale et Carpentras. Auteur de proses poétiques, de récits, de nouvelles, c’est un adepte de la forme brève.

Publications:

Une histoire:
I. Je ne suis pas un héros. Gallimard (L’Arpenteur), 1996. Folio n° 3798, 2003.
II. Toute une vie bien ratée. Gallimard (L’Arpenteur), 1997. Folio n° 3195, 1999.
III. L’Éternité est inutile. Gallimard (L’Arpenteur), 2002. Prix du Livre du Département du Rhône 2002 et Prix Alexandre-Vialatte 2003.
Jours anciens. L’Arbre éditeur (02370 Aizy-Jouy), 1980. Rééditions augmentées en 1986 et 2003.
Histoires secrètes. L.-O. Four, 1982. Rééditions La Dragonne, 2000 et 2013.
L’Ange au gilet rouge. Syros, 1990. Réédition Gallimard (L’Arpenteur), 2007.
Les Radis bleus. Le dé bleu, 1991. Folio n° 4163, 2005.
Chroniques des faits. L’Arbre éditeur (02370 Aizy-Jouy), 1992. Réédition Carnet du Dessert de Lune 2014.
Impressions de Lozère : La Margeride (ouvrage collectif). Les Presses du Languedoc, 1992.
Légende de Zahkor. L’Arbre à paroles (Bruxelles), 1996. Réédition Éditions en Forêt/Velag Im Wald (D-93495 Rimbach), 2002, édition trilingue (français, italien, allemand) sous une couverture de Ibrahim Shahda.
13, quai de la Pécheresse, 69000 Lyon (roman collectif). Éditions du Ricochet, 1999.
Là-haut, accompagné de 14 peintures de Ronan Barrot. Éditions du Chemin de fer, 2005.
Friterie-Bar Brunetti. Gallimard (L’Arpenteur), 2005. Réédition collection La petite Vermillon (Éditions de la Table Ronde) 2019.
Un Cri, avec une préface de Dominique Fabre et des illustrations de Laurent Dierick. Éditions Cadex, 2006. Prix Léo Ferré / Ville de Grigny 2007.
C’est tous les jours commé ça: les dernières notes d’Anthelme Bonnard, Finitude, 2010. Prix loin du marketing 2010 et Grand Prix de l’Humour noir 2011.
Élodie Cordou, la Disparition. Accompagné de de peintures de Ronan Barrot. Éditions du Chemin de fer, 2010.
Quand j’étais écrivain, en collaboration avec Christian Garcin. Finitude, 2011.
Rats, illustré par Georges Rubel , Circa 1924. 2013.
Analyser la situation, Finitude, 2014.
Élodie Cordou, une présence: suivi de Edvard Munch, une anecdote. Éditions du Chemin de fer, 2015.

Portrait de Pierre Autin-Grenier en rouge (Shahda) (vers 1982-83)

Charles Baudelaire

Portrait de Charles Baudelaire (Félix Vallotton), 1901.

XLI
Le port

Un port est un séjour charmant pour une âme fatiguée des luttes de la vie. L’ampleur du ciel, l’architecture mobile des nuages, les colorations changeantes de la mer, le scintillement des phares, sont un prisme merveilleusement propre à amuser les yeux sans jamais les lasser. Les formes élancées des navires, au gréement compliqué, auxquels la houle imprime des oscillations harmonieuses, servent à entretenir dans l’âme le goût du rythme et de la beauté. Et puis, surtout, il y a une sorte de plaisir mystérieux et aristocratique pour celui qui n’a plus ni curiosité ni ambition, à contempler, couché dans le belvédère ou accoudé sur le môle, tous ces mouvements de ceux qui partent et de ceux qui reviennent, de ceux qui ont encore la force de vouloir, le désir de voyager ou de s’enrichir.
Petits poèmes en prose (Le spleen de Paris), 1869.

Húsafik (Islande).

Louis Brauquier

Louis Brauquier.

(Un grand merci à Pierre Cohen-Bacrie qui m’a rappelé l’existence de ce poète méconnu.)

Louis Brauquier est né le 14 août 1900, rue Sainte-Marthe, à Marseille. Son ami durant toute sa vie sera l’écrivain de la Méditerranée, Gabriel Audisio (1900-1978). Il fait des études de droit et obtiendra sa licence. Commis en douane à dix-huit ans, il passe le concours du commissariat de la Marine marchande pour s’en aller naviguer sur les lignes de la Méditerranée et sur la ligne de l’Extrême-Orient. Membre du personnel des agences extérieures des Messageries Maritimes à partir de 1926, Louis Brauquier sillonne les mers et multiplie les postes, les ports et les poèmes pendant trente-cinq ans. Il se retire à Marseille en 1960, où il poursuit son œuvre de peintre. Il meurt à Paris le 7 septembre 1976, d’une congestion cérébrale, alors qu’il se rendait au chevet de Gabriel Audisio, son ami hospitalisé.

Louis Brauquier visita au Panama le cimetière français de Paraiso près de Panama City où sont enterrés des Français qui construisirent le Canal. Il ressentit « la pudeur d’être vivant ». La plupart des travailleurs enterrés là sont originaires de Martinique et de Guadeloupe. Les simples croix de fonte peintes en blanc ne comportent que des numéros. Il retint le nom de deux jeunes ingénieurs, “morts de la fièvre jaune et du Canal inachevé”. Les historiens estiment aujourd’hui que durant cette période 19 000 à 20 000 travailleurs français ont trouvé la mort sur ce chantier.

Cementerio francés Paraiso.

II

A onze heures du matin
Il fait chaud dans le cimetière
De Panama.

Il y a beaucoup de Français
Cachés sous les pierres tombales,
Dans une écoeurante chaleur.
Ils s’appelaient Ernest, André
Etaient nés à Auch dans le Gers,
A Nomeny, Meurthe et Moselle.

A onze heures du matin
Il fait chaud dans le cimetière
De Panama.
Ils sont tous morts en même temps.
81-85.
Ils sont morts de la fièvre jaune
Et du Canal inachevé

De vieux parents ont dû pleurer
Face à face, à Auch dans le Gers
Á Nomeny, Meurthe-et-Moselle

Bonne épouse, bonne mère
4 novembre 85
Pourquoi venir mourir ici?

C’est dégoûtant cette chaleur,
Il faut laisser la porte ouverte;
On entend les bruits de la rue;
On ne peut pas mourir chez soi,
Et le prêtre qui vous confesse
N’a que des péchés espagnols.

Dans l’épaisseur bleue du matin,
Âmes, je vous rends visite.
Je marche amicalement entre vous,
J’apprends vos noms et je vous offre
De la tendresse, du silence,
La pensée de notre pays
Et la pudeur d’être vivant.

Eau douce pour navires, Gallimard, 1930.

Je connais des îles lointaines.p.210. Editions de la Table Ronde 1994.

Lors de notre voyage en Islande le 28 juin, nous avons visité le village de Fáskrúðsfjörður à l’est de l’île. Le cimetière de Krossar à la sortie du village abrite les tombes de 49 marins français et belges qui perdirent la vie à proximité du fjord. Ce village accueillit des marins français venant pêcher sur les côtes islandaises de 1880 à 1914. Entre 4 000 et 5 000 marins Français pêchaient le cabillaud chaque hiver sur les bancs d’Islande.

Fáskrúðsfjörður (Islande). Cimetière des pêcheurs francais.

Arthur Rimbaud II

Arthur Rimbaud (Ernest Pignon-Ernest). 1978.

Georges Izambard (11 décembre 1848 – février 1931) était professeur de rhétorique. Il fut nommé à 22 ans, en janvier 1870, au collège de Charleville et devint l’ami d’Arthur Rimbaud, son élève. Poète lui-même, il encourage celui-ci dans son activité littéraire. A l’automne 1870, lorsque Arthur Rimbaud est mis en prison à la maison d’arrêt de Mazas pour vagabondage lors de sa première fugue, c’est Izambard qu’il appelle à l’aide. Il se réfugie à nouveau chez lui à Douai à l’issue de sa seconde fugue. Le climat d’amitié qui unissait le maître et l’élève se dégrade un peu pourtant quand Izambard, sous la pression de Madame Vitalie Rimbaud, accepte de renvoyer Arthur chez lui sous garde policière. Ensuite, le jeune professeur s’engage pendant la guerre franco-prussienne. Il est démobilisé en février 1871, après la défaite, et accepte en avril un poste de vacataire au lycée de Douai. Rimbaud lui adresse alors cette lettre. D’où la formule initiale : “Vous revoilà professeur”, qui ressemble à un reproche. Il faut entendre implicitement : “alors que moi, je n’ai pas voulu redevenir élève”. En effet, Rimbaud a refusé de reprendre ses études lorsque le collège de Charleville a rouvert ses portes au mois de février, après des vacances prolongées pour cause de guerre.

La lettre a comme premier objectif de justifier cette dissidence. Il s’agit bien d’une argumentation, organisée comme une sorte de dialogue où Rimbaud tient les deux rôles. Il rapporte un propos de son ancien professeur (le “principe”), il résume les idées ou les attitudes qu’il lui prête (“Au fond, vous ne voyez en votre principe que poésie subjective”), il imagine les questions qu’il pourrait lui poser (“Maintenant, je m’encrapule le plus possible. Pourquoi ?”), il anticipe ses objections (“est-ce de la satire comme vous diriez ?), et en réponse il développe ses propres arguments. Mais cette lettre (surtout dans sa dernière partie) répond à un second objectif qui est d’exposer une théorie de la poésie.

C’est ce second aspect que l’histoire littéraire a retenu sous l’appellation de “lettre du voyant”. Il est difficile donc de séparer cette lettre à Georges Izambard de la seconde “lettre du voyant”, celle que Rimbaud envoie deux jours plus tard (15 mai 1871) à Paul Demeny (1844-1918), poète, ami d’Izambart, et lui aussi de Douai. On y trouve les mêmes idées, les mêmes formules. Cette seconde lettre est beaucoup plus développée et explicite que celle-ci sur certains points.

Les souvenirs d’Izambard sur cette période ont été réunis dans Rimbaud tel que je l’ai connu. Mercure de France, 1946.

Georges Izambard.

La lettre de Rimbaud à Izambard contient un poème, Le Cœur supplicié.

Lettre d’Arthur Rimbaud à Georges Izambard
Charleville, [13] mai 1871.
Cher Monsieur!
Vous revoilà professeur. On se doit à la Société, m’avez-vous dit; vous faites partie des corps enseignants: vous roulez dans la bonne ornière. — Moi aussi, je suis le principe: je me fais cyniquement entretenir; je déterre d’anciens imbéciles de collège: tout ce que je puis inventer de bête, de sale, de mauvais, en action et en paroles, je le leur livre: on me paie en bocks et en filles. Stat mater dolorosa, dum pendet filius. — Je me dois à la Société, c’est juste; — et j’ai raison. — Vous aussi, vous avez raison, pour aujourd’hui. Au fond, vous ne voyez en votre principe que poésie subjective: votre obstination à regagner le râtelier universitaire, — pardon! — le prouve! Mais vous finirez toujours comme un satisfait qui n’a rien fait, n’ayant rien voulu faire. Sans compter que votre poésie subjective sera toujours horriblement fadasse. Un jour, j’espère, — bien d’autres espèrent la même chose, — je verrai dans votre principe la poésie objective, je la verrai plus sincèrement que vous ne le feriez! — Je serai un travailleur: c’est l’idée qui me retient, quand les colères folles me poussent vers la bataille de Paris, — où tant de travailleurs meurent pourtant encore tandis que je vous écris! Travailler maintenant, jamais, jamais; je suis en grève.
Maintenant, je m’encrapule le plus possible. Pourquoi? je veux être poète, et je travaille à me rendre Voyant: vous ne comprendrez pas du tout, et je ne saurais presque vous expliquer. Il s’agit d’arriver à l’inconnu par le dérèglement de tous les sens. Les souffrances sont énormes, mais il faut être fort, être né poète, et je me suis reconnu poète. Ce n’est pas du tout ma faute. C’est faux de dire: Je pense: on devrait dire: On me pense. — Pardon du jeu de mots.
Je est un autre. Tant pis pour le bois qui se trouve violon, et Nargue aux inconscients, qui ergotent sur ce qu’ils ignorent tout à fait!
Vous n’êtes pas Enseignant pour moi. Je vous donne ceci: est-ce de la satire, comme vous diriez? Est-ce de la poésie? C’est de la fantaisie, toujours. — Mais je vous en supplie, ne soulignez ni du crayon, ni trop de la pensée:

LE COEUR SUPPLICIÉ

                                          

Mon triste cœur bave à la poupe …
Mon cœur est plein de caporal!
Ils y lancent des jets de soupe,
Mon triste cœur bave à la poupe…
Sous les quolibets de la troupe
Qui lance un rire général,
Mon triste cœur bave à la poupe,
Mon cœur est plein de caporal!

Ithyphalliques et pioupiesques
Leurs insultes l’ont dépravé;
À la vesprée, ils font des fresques
Ithyphalliques et pioupiesques;
Ô flots abracadabrantesques,
Prenez mon cœur, qu’il soit sauvé!
Ithyphalliques et pioupiesques,
Leurs insultes l’ont dépravé.

Quand ils auront tari leurs chiques,
Comment agir, ô cœur volé?
Ce seront des refrains bachiques
Quand ils auront tari leurs chiques!
J’aurai des sursauts stomachiques
Si mon cœur triste est ravalé!
Quand ils auront tari leurs chiques,
Comment agir, ô cœur volé?

Ça ne veut pas rien dire. — RÉPONDEZ-MOI: chez Mr. Deverrière, pour A. R.
Bonjour de cœur,
Art. Rimbaud.

Arthur Rimbaud I

L’homme aux semelles devant. Hommage à Arthur Rimbaud (1984) de Jean-Robert Ipoustéguy. Place du Père-Teilhard-de-Chardin. Paris. IV ème arrondissement.

Paris. IV ème arrondissement. Place du Père-Teilhard-de-Chardin. La statue du sculpteur Jean-Robert Ipoustéguy (1920-2006), intitulée L’Homme aux semelles devant, parodie du surnom donné à Arthur Rimbaud, « l’homme aux semelles de vent », inaugurée en 1984, a été déplacée à l’automne 2018. Un jardin public a été aménagé sur la place. Les vestiges de l’enceinte Charles V (construite entre 1356 et 1383) découverts lors des excavations préliminaires sont accessibles au public par un escalier. L’ oeuvre d’Ipousteguy se trouve maintenant dans le musée de la Sculpture en plein air dans le V ème arrondissement. Je préférais l’emplacement primitif, près de la belle Bibliothèque de l’Arsenal.

DÉLIRES
II
Alchimie du verbe

À moi. L’histoire d’une de mes folies.
Depuis longtemps je me vantais de posséder tous les paysages possibles, et trouvais dérisoires les célébrités de la peinture et de la poésie modernes.
J’aimais les peintures idiotes, dessus de portes, décors, toiles de saltimbanques, enseignes, enluminures populaires; la littérature démodée, latin d’église, livres érotiques sans orthographe, romans de nos aïeules, contes de fées, petits livres de l’enfance, opéras vieux, refrains niais, rythmes naïfs.
Je rêvais croisades, voyages de découvertes dont on n’a pas de relations, républiques sans histoires, guerres de religion étouffées, révolutions de moeurs, déplacements de races et de continents: je croyais à tous les enchantements.
J’inventai la couleur des voyelles! – A noir, E blanc, I rouge, O bleu,U vert. – Je réglai la forme et le mouvement de chaque consonne, et, avec des rythmes instinctifs, je me flattai d’inventer un verbe poétique accessible, un jour ou l’autre, à tous les sens. Je réservais la traduction.
Ce fut d’abord une étude. J’écrivais des silences, des nuits, je notais l’inexprimable. Je fixais des vertiges.
(…)
Je devins un opéra fabuleux: je vis que tous les êtres ont une fatalité de bonheur: l’action n’est pas la vie, mais une façon de gâcher quelque force, un énervement. La morale est la faiblesse de la cervelle.
À chaque être, plusieurs autres vies me semblaient dues. Ce monsieur ne sait ce qu’il fait : il est un ange. Cette famille est une nichée de chiens. Devant plusieurs hommes, je causai tout haut avec un moment d’une de leurs autres vies. — Ainsi, j’ai aimé un porc.
Aucun des sophismes de la folie, — la folie qu’on enferme, — n’a été oublié par moi : je pourrais les redire tous, je tiens le système.
Ma santé fut menacée. La terreur venait. Je tombais dans des sommeils de plusieurs jours, et, levé, je continuais les rêves les plus tristes. J’étais mûr pour le trépas, et par une route de dangers ma faiblesse me menait aux confins du monde et de la Cimmérie, patrie de l’ombre et des tourbillons.
Je dus voyager, distraire les enchantements assemblés sur mon cerveau. Sur la mer, que j’aimais comme si elle eût dû me laver d’une souillure, je voyais se lever la croix consolatrice. J’avais été damné par l’arc-en-ciel. Le Bonheur était ma fatalité, mon remords, mon ver: ma vie serait toujours trop immense pour être dévouée à la force et à la beauté.
Le Bonheur! Sa dent, douce à la mort, m’avertissait au chant du coq, — ad matutinum, au Christus venit, — dans les plus sombres villes:

Ô saisons ô châteaux,
Quelle âme est sans défauts ?

Ô saisons, ô châteaux,

J’ai fait la magique étude
Du Bonheur, que nul n’élude.

Ô vive lui, chaque fois
Que chante son coq gaulois.

Mais ! je n’aurai plus d’envie,
Il s’est chargé de ma vie.

Ce Charme ! il prit âme et corps.
Et dispersa tous efforts.

Que comprendre à ma parole ?
Il fait qu’elle fuie et vole !

Ô saisons, ô châteaux !

Et, si le malheur m’entraîne,
Sa disgrâce m’est certaine.

Il faut que son dédain, las !
Me livre au plus prompt trépas !

Ô Saisons, ô Châteaux !

Une saison en enfer, 1873.

L’homme aux semelles devant. Hommage à Arthur Rimbaud (1984) de Jean-Robert Ipoustéguy. Musée de la Sculpture en plein air – Jardin Tino Rossi – Port Saint Bernard – Paris. Vème arrondissement

Félix Fénéon 1861 – 1944

Sur l’émail d’un fond rythmique de mesures et d’angles, de tons et de teintes, portrait de M. Félix Fénéon en 1890, Opus 2171, (Paul Signac) Museum of Modern Art, New York.

Paris, Musée de l’Orangerie. Exposition Félix Fénéon. Les temps nouveaux, de Seurat à Matisse du 16 octobre 2019 au 27 janvier 2020.

Félix Fénéon fut un des acteurs majeurs de la scène artistique à la fin du XIXème siècle et au début du XXème siècle. Le musée de l’Orangerie célèbre cette personnalité hors du commun et assez méconnue. L’exposition réunit un ensemble de peintures et de dessins de Seurat, Signac, Degas, Bonnard, Modigliani, Matisse, Derain, Severini, Balla, des pièces africaines et océaniennes ainsi que des documents et des archives.

Une autre exposition au musée du Quai Branly-Jacques Chirac avait évoqué, du 28 mai au 29 septembre 2019, l’enquête de Félix Fénéon sur les “arts lointains“, publiée en 1920 interrogeant le statut des sculptures et objets d’art primitif.

Félix Fénéon sut concilier sa carrière de fonctionnaire – de 1881 à 1894, il fut employé au ministère de la Guerre – , son engagement artistique et ses convictions anarchistes.

Il fut chroniqueur, rédacteur à La Revue Blanche (de janvier 1894 à 1903), critique d’art, galeriste (à la galerie Bernheim-Jeune), éditeur – il publia Les Illuminations de Rimbaud -. C’était aussi un collectionneur exceptionnel qui réunit un nombre important de chefs d’œuvre comprenant un ensemble unique de sculptures africaines et océaniennes. Il fit connaître le néo-impressionnisme (Seurat, Signac et Maximilien Luce), défendit le fauvisme, le futurisme, Matisse. Sa collection fut mise en vente publique en 1941 et en 1947.

Entre février et novembre 1906, Félix Fénéon anima une rubrique dans le quotidien Le Matin intitulée Nouvelles en trois lignes. Il s’agissait de dépêches sous forme de brèves qui n’excèdaient pas trois lignes. Cette contrainte conférait à ces faits-divers, ou plutôt à ces «histoires», poésie et humour noir. En 1948, après la mort de l’auteur, elles furent réunies en volume par Jean Paulhan chez Gallimard et célébrées par les surréalistes. Elles ont été rééditées en poche par Libretto en 2019.

En voici quelques exemples:

« À Méréville, un chasseur d’Étampes a, croyant à du gibier, tué un mioche et, du même coup de fusil, blessé le père.»

« C’est au cochonnet que l’apoplexie terrassa, à 70 ans, M. André, de Levallois: sa boule roulait encore qu’il n’était déjà plus.»

« Mme Fournier, M. Voisin, M. Septeuil, de Sucy, Tripleval, Septeuil, se sont pendus: neurasthénie, cancer, chômage.»

« Le feu, 126, boulevard Voltaire. Un caporal fut blessé. Deux lieutenants reçurent sur la tête, l’un une poutre, l’autre un pompier.»

«Rattrapé par un tramway qui venait de le lancer à dix mètres, l’herboriste Jean Désille, de Vannes, a été coupé en deux.»

«Le professeur de natation Renard, dont les élèves tritonnaient en Marne, à Charenton, s’est mis à l’eau lui-même: il s’est noyé.»

« – La fourche en l’air, les Masson rentraient à Marainvillier (Meurthe-et-Moselle) ; le tonnerre tua l’homme et presque la femme. »

« – Explosion de gaz chez le Bordelais Larrieu; Iui fut blessé; les cheveux de sa belle-mère flambèrent. Le plafond creva. »

« – A peine humée sa prise, A. Chevrel éternua, et tombant du char de foin qu’il ramenait de Perven-chères (Orne), expira.»

« – Onofrias Scarcello tua-t-il quelqu’un à Charmes (Haute-Marne) le 5 juin? Quoi qu’il en soit, on l’a arrêté en gare de Dijon.»

« Le sombre rôdeur aperçu par le mécanicien Gicquel près de la gare d’Herblay, est retrouvé: Jules Mesnard, ramasseur d’escargots. »

« Avec un couteau à fromage, le banlieusard marseillais Coste a tué sa sœur qui, comme lui épicière, lui faisait de la concurrence.»

«Le Dunkerquois Scheid a tiré trois fois sur sa femme. Comme il la manquait toujours, il visa sa belle-mère: le coup porta.»

«Jugeant sa fille (19 ans) trop peu austère, l’horloger stéphanois Jallat l’a tuée. Il est vrai qu’il lui reste onze autres enfants.»

«Avec une fourche à quatre dents, le laboureur David, de Courtemaux (Loiret), a tué sa femme qu’il croyait, bien à tort, infidèle.»

«Le mendiant septuagénaire Verniot, de Clichy, est mort de faim. Sa paillasse recelait 2000F. Mais il ne faut pas généraliser.»

«Emilienne Moreau, de la Plaine-Saint-Denis, s’était jetée à l’eau. Hier elle sauta du quatrième étage. Elle vit encore, mais elle avisera.»

«À Marseille, le Napolitain Sosio Merello a tué sa femme : elle ne voulait pas faire commerce de ses agréments. (Havas.)»

«La couturière Adolphine Julien, 35 ans, a vitriolé son amant fugitif, l’étudiant Barthuel. Deux passants furent éclaboussés.»

http://maitron-en-ligne.univ-paris1.fr/spip.php?article155192

Félix Fénéon.

Marcel Proust

Journées de lecture. Texte extrait de Pastiches et mélanges.

(Le texte a paru en préface à la traduction par Proust du livre de John Ruskin : Sésame et les lys; troisième édition, Paris, Société du Mercure de France, 1906.)

«Sans doute, l’amitié, l’amitié qui a égard aux individus, est une chose frivole, et la lecture est une amitié. Mais du moins c’est une amitié sincère, et le fait qu’elle s’adresse à un mort, à un absent, lui donne quelque chose de désintéressé, de presque touchant. C’est de plus une amitié débarrassée de tout ce qui fait la laideur des autres. Comme nous ne sommes tous, nous les vivants, que des morts qui ne sont pas encore entrés en fonctions, toutes ces politesses, toutes ces salutations dans le vestibule que nous appelons déférence, gratitude, dévouement et où nous mêlons tant de mensonges, sont stériles et fatigantes. De plus, – dès les premières relations de sympathie, d’admiration, de reconnaissance, – les premières paroles que nous prononçons, les premières lettres que nous écrivons, tissent autour de nous les premiers fils d’une toile d’habitudes, d’une véritable manière d’être, dont nous ne pouvons plus nous débarrasser dans les amitiés suivantes ; sans compter que pendant ce temps-là les paroles excessives que nous avons prononcées restent comme des lettres de change que nous devons payer, ou que nous paierons plus cher encore toute notre vie des remords de les avoir laissé protester. Dans la lecture, l’amitié est soudain ramenée à sa pureté première. Avec les livres, pas d’amabilité. Ces amis-là, si nous passons la soirée avec eux, c’est vraiment que nous en avons envie. Eux, du moins, nous ne les quittons souvent qu’à regret. Et quand nous les avons quittés, aucune de ces pensées qui gâtent l’amitié : Qu’ont-ils pensé de nous ? – N’avons-nous pas manqué de tact ? – Avons-nous plu ? – et la peur d’être oublié pour tel autre. Toutes ces agitations de l’amitié expirent au seuil de cette amitié pure et calme qu’est la lecture. Pas de déférence non plus ; nous ne rions de ce que dit Molière que dans la mesure exacte où nous le trouvons drôle ; quand il nous ennuie nous n’avons pas peur d’avoir l’air ennuyé, et quand nous avons décidément assez d’être avec lui, nous le remettons à sa place aussi brusquement que s’il n’avait ni génie ni célébrité. L’atmosphère de cette pure amitié est le silence, plus pur que la parole. Car nous parlons pour les autres, mais nous nous taisons pour nous-mêmes. Aussi le silence ne porte pas, comme la parole, la trace de nos défauts, de nos grimaces. Il est pur, il est vraiment une atmosphère. Entre la pensée de l’auteur et la nôtre il n’interpose pas ces éléments irréductibles, réfractaires à la pensée, de nos égoïsmes différents. Le langage même du livre est pur (si le livre mérite ce nom), rendu transparent par la pensée de l’auteur qui en a retiré tout ce qui n’était pas elle-même jusqu’à le rendre son image fidèle, chaque phrase, au fond, ressemblant aux autres, car toutes sont dites par l’inflexion unique d’une personnalité ; de là une sorte de continuité, que les rapports de la vie et ce qu’ils mêlent à la pensée d’éléments qui lui sont étrangers excluent et qui permet très vite de suivre la ligne même de la pensée de l’auteur, les traits de sa physionomie qui se reflètent dans ce calme miroir. Nous savons nous plaire tour à tour aux traits de chacun sans avoir besoin qu’ils soient admirables, car c’est un grand plaisir pour l’esprit de distinguer ces peintures profondes et d’aimer d’une amitié sans égoïsme, sans phrases, comme en soi-même.»

Robert de Flers, Marcel Proust, Lucien Daudet (Otto Wegener) vers 1894.

Guillaume Apollinaire

La Muse inspirant le poète (Marie Laurencin et Guillaume Apollinaire) (Le Douanier Rousseau) .1909. Bâle, Kunstmuseum.

Automne malade

Automne malade et adoré
Tu mourras quand l’ouragan soufflera dans les roseraies
Quand il aura neigé
dans les vergers

Pauvre automne
Meurs en blancheur et en richesse
de neige et fruits mûrs.
Au fond du ciel
Des éperviers planent
Sur les nixes nicettes aux cheveux verts et naines
Qui n’ont jamais aimé

Aux lisières lointaines,
les cerfs ont bramé

Et que j’aime ô saison, que j’aime tes rumeurs
Les fruits tombant, sans qu’on les cueille
Le vent et la forêt qui pleurent
Toutes leurs larmes en automne feuille à feuille
Les feuilles
qu’on foule,
Un train
qui roule
La vie
s’écoule…

Alcools, 1913.

Torcy (Seine-et-Marne). L’Arche Guédon.
Annie Playden.

En évoquant cet automne malheureux qu’on délaisse et qui se meurt, le poète évoque sa propre situation, et la déception amoureuse qu’il a connue avec Annie Playden.
Celle-ci est née en Angleterre le 28 janvier 1880. Elle est morte en 1967. Elle aurait inspiré au poète entre autres Annie, La Chanson du mal-aimé et L’Émigrant de Landor Road.

En juillet 1900, Guillaume Apollinaire trouve un emploi dans une officine financière où il fait la connaissance de René Nicosia. La mère de celui-ci est le professeur de piano de Gabrielle, la fille de Élinor Hölterhoff, vicomtesse de Milhau. Celle-ci cherche un professeur de français pour Gabrielle. Madame Nicosia lui présente Apollinaire qui est engagé en mai 1901. Quand la vicomtesse de Milhau décide de faire un long séjour en Allemagne où sa famille habite, Apollinaire est du voyage, ainsi qu’Annie Playden, la gouvernante anglaise de Gabrielle. Une idylle s’ébauche entre les deux jeunes gens qui sont nés tous les deux en 1880. En août 1902, Apollinaire a terminé son contrat d’un an et il rentre à Paris. En novembre 1903, il se rend à Londres, où il loge chez son ami Faik Konica. Il essaie de revoir Annie Playden, rentrée en Angleterre. Il y retourne en mai 1904. Il se heurte au refus de la jeune fille. Peu de temps après, Annie Playden quitte l’Angleterre et s’installe aux États-Unis. Elle fut retrouvée cinquante ans plus tard par des spécialistes d’Apollinaire, devenue Mrs Postings. Elle n’avait aucune connaissance de la destinée de son soupirant, qu’elle ne connaissait que sous le nom de Wilhelm Kostrowicki et qu’on appelait «Kostro».

Témoignage d’Apollinaire
««Aubade» n’est pas un poème à part mais un intermède intercalé dans «La Chanson du mal aimé» qui datant de 1903 commémore mon premier amour à vingt ans, une Anglaise rencontrée en Allemagne, ça dura un an, nous dûmes retourner chacun chez nous, puis ne nous écrivîmes plus. Et bien des expressions de ce poème sont trop sévères et injurieuses pour une fille qui ne comprenait rien à moi et qui m’aima puis fut déconcertée d’aimer un poète, être fantasque; je l’aimais charnellement mais nos esprits étaient loin l’un de l’autre. Elle était fine et gaie cependant. J’en fus jaloux sans raison et par l’absence vivement ressentie, ma poésie qui peint bien cependant mon état d’âme, poète inconnu au milieu d’autres poètes inconnus, elle loin et ne pouvant venir à Paris. Je fus la voir deux fois à Londres, mais le mariage était impossible et tout s’arrangea par son départ à l’Amérique, mais j’en souffris beaucoup, témoin ce poème où je me croyais mal-aimé, tandis que c’était moi qui aimait mal et aussi «L’Émigrant de Landor Road» qui commémore le même amour, de même que «Cors de chasse» commémore les mêmes souvenirs déchirants que «Zone», «Le Pont Mirabeau» et «Marie» le plus déchirant de tous je crois.»

Guillaume Apollinaire, Lettre à Madeleine Pagès, 30 juillet 1915.

Lettres à Madeleine. Folio n°4428. 2006.

Blaise Pascal

Pensées, Livre de Poche classique n°823-824, 1962.

“88. Quand je considère la petite durée de ma vie, absorbée devant l’éternité précédente et suivante, le petit espace que je remplis, et même que je vois, abîmé dans l’infinie immensité des espaces que j’ignore et qui m’ignorent, je m’effraie et m’étonne de me voir ici plutôt que là, pourquoi à présent plutôt que lors. Qui m’y a mis? Par l’ordre et la conduite de qui ce lieu et ce temps a-t-il été destiné à moi? Memoria hospitis unius diei praetereuntis.

Memoria hospitis unius diei praetereuntis = l’espoir de l’impie est comme le souvenir de l’hôte d’un jour qui passe. (Sag.V, 15)

89. Pourquoi ma connaissance est-elle bornée ? ma taille ? ma durée à cent ans plutôt qu’à mille ? Quelle raison a eue la nature de me la donner telle, et de choisir ce nombre plutôt qu’un autre, dans l’infinité desquels il n’y a pas plus de raison de choisir l’un que l’autre, rien ne tentant plus que l’autre ?

90. Combien de royaumes nous ignorent !

91. Le silence éternel de ces espaces infinis m’effraie.

158. Es-tu moins esclave, pour être aimé et flatté de ton maître ? Tu as bien du bien, esclave. Ton maître te flatte, il te battra tantôt.

227. Le dernier acte est sanglant, quelque belle que soit la comédie en tout le reste : on jette enfin de la terre sur la tête, et en voilà pour jamais.

264. L’homme n’est qu’un roseau, le plus faible de la nature; mais c’est un roseau pensant. Il ne faut pas que l’univers entier s’arme pour l’écraser: une vapeur, une goutte d’eau, suffit pour le tuer. Mais, quand l’univers l’écraserait, l’homme serait encore plus noble que ce qui le tue, parce qu’il sait qu’il meurt, et l’avantage que l’univers a sur lui, l’univers n’en sait rien.
Toute notre dignité consiste donc en la pensée. C’est de là qu’il faut nous relever et non de l’espace et de la durée, que nous ne saurions remplir. Travaillons donc à bien penser: voilà le principe de la morale.”

Épitaphe de Pascal.Église Saint-Étienne-du-Mont ( Paris V).