Manuel Machado, poète et dramaturge, est né le 29 août 1874 à Séville. Le frère aîné d’Antonio Machado – né lui le 26 juillet 1875 – est un des représentants du modernisme en Espagne. Sa poésie est influencée par Verlaine et Rubén Darío, mais aussi par le folklore de sa région natale. Les deux frères ont écrit de concert plusieurs pièces de théâtre d’ambiance andalouse. En 1910, Manuel a épousé sa cousine, Eulalia Cáceres, femme profondément religieuse et conservatrice. Il est directeur de la bibliothèque municipale (actuelle bibliothèque historique municipale) et du musée d’histoire de Madrid de 1924 à 1944. Au début de la Guerre Civile, le couple se trouve à Burgos, ville contrôlée par les franquistes. Le conflit le sépare du reste de sa famille. En 1938, il est désigné pour occuper un fauteuil à l’Académie royale espagnole. Son appui au général Franco lui a valu la reconnaissance du régime, mais aussi le mépris de nombreux critiques et poètes postérieurs. Manuel Machado est mort le 19 janvier 1947 à Madrid. Il avait 72 ans.
Certains de ses poèmes méritent d’être relus. On peut se reporter à Poesías completas. Editorial Renacimiento. Ediciones Espuela de plata. 2019.
Ocaso
Era un suspiro lánguido y sonoro la voz del mar aquella tarde… El día, no queriendo morir, con garras de oro de los acantilados se prendía.
Pero su seno el mar alzó potente, y el sol, al fin, como en soberbio lecho, hundió en las olas la dorada frente, en una brasa cárdena deshecho.
Para mi pobre cuerpo dolorido, para mi triste alma lacerada, para mi yerto corazón herido,
para mi amarga vida fatigada… ¡el mar amado, el mar apetecido, el mar, el mar, y no pensar nada…!
La lecture d’Irene Vallejo sur Twitter m’a incité à relire deux poèmes de Francisca Aguirre.
Despedida
Decir adiós quiere decir tan poco. Adiós dijimos a la infancia y vino detrás nuestro como un perro rastreando nuestros pasos. Decir adiós: cerrar esa obstinada puerta que se niega, la persistente cicatriz que destila memoria. Decir adiós: decir que no; ¿quién lo consigue? ¿quién encontró la mágica llave? ¿quién el instante que nos desliza hacia el olvido, la mano que extirpará raíces sin quedarse para siempre cerrada sobre ellas? Decir adiós: volver la espalda; pero ¿quién sabe dónde está la espalda? ¿quién conoce el camino que no muere en el pisado atajo? Decir adiós: gritar porque se está diciendo y llorar porque no se dice nada; porque decir adiós nunca es bastante, porque tal vez decir adiós completamente sea encontrar el recodo donde volver la espalda, donde hundirse en el no definitivo mientras escapa lentamente la vida.
Cuando el suave recodo de la tarde insinúa su curva desolada, algo también en nosotros se inclina. Muy pocas cosas tenemos entonces, ninguna posesión nos acompaña, ninguna posesión nos ultraja tampoco. Hay un lento desastre en estas horas que parecen las únicas del día, las que nos dejan en el viejo límite, las que no pueden entregarnos nada, a las que no pedimos nada. Hay un desastre tierno y descompuesto en las últimas horas de este día que ha pasado lo mismo que los otros, e igual que ellos ha alcanzado esa hermosura ardiente de todo cuanto se asoma hacia la nada. Inclinada sobre el hueco de mi ventana veo cómo resbala todo un tiempo; la tarde ha embalsamado suavemente el bullicioso suceder de la calle, se va agotando el cielo poco a poco y un estallido de paciencia envuelve al mundo en suaves abrazos de ceniza.
Mientras la noche se abre en las esquinas, cuaja la luna unas flores extrañas.
Ítaca. Madrid, Cultura Hispánica. 1971.
Francisca Aguirre est née à Alicante le 27 octobre 1930 dans une famille d’artistes. Autodidacte, elle commence à écrire à l’adolescence. Les poètes qui l’inspirent sont Pablo Neruda, Miguel Hernández, Vicente Aleixandre, Antonio Machado, Blas de Otero, José Hierro, Constantin Cavafis.
À la fin de la Guerre d’Espagne, elle doit s’exiler avec sa famille en France. Son père, le peintre républicain Lorenzo Aguirre (1884-1942), est condamné à mort par la dictature franquiste et est exécuté au garrot le 6 octobre 1942 à la prison de Porlier de Madrid. Á 15 ans, elle commence travailler pour aider sa mère et ses deux soeurs.
Dans les années 50, elle fréquente les cercles littéraires de l’Ateneo de Madrid et le Café Gijón. Elle se lie d’amitié avec des écrivains tels que Luis Rosales, Gerardo Diego, Miguel Delibes, Antonio Buero Vallejo, Julio Cortázar, Juan Rulfo. Elle appartient à la génération de 1950 ( José Ángel Valente, Francisco Brines, Ángel González, Jaime Gil de Biedma o José Manuel Caballero Bonald), mais n’apparaît pas dans les anthologies. Elle rencontre le poète, critique littéraire et spécialiste du flamenco Félix Grande (1937-2014) qu’elle épouse en 1963. Le couple s’installe dans le quartier de Chamberí. Leur maison (Calle Alenza, 8) est connue alors comme ” l’Ambassade de l’Argentine et du Pérou ” en raison des visites d’intellectuels qu’elle reçoit, au cœur du militantisme politique et des idées de mai 68. À partir de 1971, elle travaille à l’Institut de Culture Hispanique comme secrétaire du poète Luis Rosales (1910-1992). Elle reçoit le Prix National de Poésie en 2011 pour Historia de una anatomía (Madrid, Hiperión, 2010) et le Prix National des Lettres Espagnoles en 2018. Elle meurt à Madrid le 13 avril 2019 à 88 ans. Sa fille Guadalupe Grande (1965-2021) était aussi poète.
Recueils de poésie : 1971 Ítaca. Madrid, Cultura Hispánica. 1976 Los trescientos escalones. San Sebastián, Caja de Ahorros Provincial de Guipúzcoa. 1978 La otra música. Madrid, Ediciones Cultura Hispánica. 1995 Ensayo general. El Ferrol, La Coruña. Sociedad de Cultura Valle-Inclán. 1998 Pavana del desasosiego. Madrid, Ediciones Torremozas. 2000 Ensayo general. Poesía completa 1966-2000. Madrid, Calambur. 2002 Memoria arrodillada. Antología. Valencia, Institució Alfons el Magnànim. 2006 La herida absurda. Madrid Bartleby Editores. 2008 Nanas para dormir desperdicios. Madrid, Hiperión. 2010 Historia de una anatomía. Madrid, Hiperión. 2011 Los maestros cantores. Madrid, Calambur Editorial. 2012 Conversaciones con mi animal de compañía. Madrid, Ediciones Rilke. 2018 Ensayo general. Poesía completa 1966-2017. Madrid, Calambur. 2019 Prenda de abrigo. Antología poética. Olé Libros.
Elle dit en novembre 2018 : “Escribes para no andar a gritos y para no volverte loca. La poesía tranquiliza. A mí me ayuda. El mundo es injusto, pero el lenguaje es inocente. El poder de las mujeres es tener la oportunidad de decir que no. Por eso es tan importante la educación, la independencia. Queda mucho por hacer porque la desigualdad sigue siendo enorme: entre hombre y mujeres, entre ricos y pobres…”.
Francisco Gómez de Quevedo Villegas y Santibáñez Cevallos est né, probablement, le 14 septembre 1580 à Madrid. Il est mort le 8 septembre 1645 à Villanueva de los Infantes (Ciudad Real). Il était laid, boiteux et myope (en espagnol, los quevedos, ce sont les lorgnons). Il avait deux passions : la politique et l’écriture. Cet homme incarne toutes les contradictions de l’Espagne décadente de son époque. Il est réactionnaire, misogyne, antisémite et arriviste. Il attaque férocement la “nouvelle poésie”, et particulièrement Góngora et Lope de Vega. Il connaîtra l’exil et la prison. Il est enfermé de 1639 à 1643 par le Conde-Duque de Olivares, ministre favori de Philippe IV, dans un cachot du Couvent de San Marcos de León, prison misérable et humide, où sa santé se dégrade. Pendant la Guerre Civile espagnole, cet endroit servira de camp de concentration pour les prisonniers républicains. De 15 000 à 20 000 personnes y furent enfermées. Beaucoup seront fusillés. La population carcérale atteindra jusqu’à 6 700 hommes. C’est aujourd’hui un luxueux parador. Quevedo est un maître de l’écriture conceptiste. Son oeuvre, d’un pessimisme noir est toujours hantée par la mort. Elle a eu une influence considérable sur Rubén Darío, César Vallejo, Jorge Luis Borges, Pablo Neruda, Octavio Paz, Miguel de Unamuno, Ramón del Valle-Inclán, Jorge Guillén, Dámaso Alonso, Miguel Hernández, Blas de Otero, Camilo José Cela…
Salmo XIX
¡Cómo de entre mis manos te resbalas! ¡Oh, cómo te deslizas, edad mía! ¡Qué mudos pasos traes, oh muerte fría, pues con callado pie todo lo igualas!
Feroz de tierra el débil muro escalas, en quien lozana juventud se fía; mas ya mi corazón del postrer día atiende el vuelo, sin mirar las alas.
¡Oh condición mortal! ¡Oh dura suerte! ¡Que no puedo querer vivir mañana, sin la pensión de procurar mi muerte!
¡Cualquier instante de la vida humana es nueva ejecución, con que me advierte cuán frágil es, cuán mísera, cuán vana.
Psaume XIX
Entre mes mains oh ! comme tu ruisselles mon âge, comme tu t’évanouis : Oh ! froide mort, quels pas tu fais, sans bruit : d’un pied muet, c’est tout que tu nivelles.
Féroce, au faible mur tu mets l’échelle en qui la fraîche jeunesse se fie ; pourtant mon coeur du dernier jour épie déjà le vol, sans regarder ses ailes.
Oh ! condition mortelle ! oh ! âpre sort ! Car je ne puis vouloir vivre demain sans le souci de rechercher ma mort !
Et chaque instant de cette vie humaine est une exécution qui dit combien elle est fragile et pauvre, et combien vaine.
Les furies et les peines. 102 sonnets. 2010. Traduction Jacques Ancet. Collection NRF Poésie/Gallimard. N°463.
Notes Vers 1-2 : « Il est certain que l’homme, dès qu’il naît, commence à mourir, et que le pied nouveau-né qui ne peut faire un pas dans la vie, le fait dans la mort. » Providencia de Dios, cité par Juan Manuel Blecua dans Poemas escogidos. Clásicos Castalia, Madrid, 1989. Salmo XVIII : “Antes que sepa andar el pie, se mueve camino de la muerte…” ( ” Vient-il déjà le pied à naître à peine, qu’il marche vers la mort… “
Vers 14 : Cette idée, venue de Sénèque, Quevedo la répète souvent : « Omnia mors poscit. Lex est, non poena, perite. » (« La mort emporte tout. C’est une loi, non un châtiment, que de mourir. »)
Le journaliste et écrivain Ramón Lobo est mort mercredi 2 août à Madrid d’un cancer du poumon. Il était né le 23 janvier 1955 à Lagunillas (Venezuela) d’un père espagnol et d’une mère anglaise (Maud Leyder). Il vivait en Espagne depuis 1960. Licencié en journalisme à l’Université Complutense de Madrid en 1975, il a travaillé pour de nombreux moyens de communication. Pendant deux décennies (1992-2012), il a couvert comme correspondant de guerre pour El País les principaux conflits : Croatie, Serbie Bosnie, Albanie, Tchétchénie, Irak, Afghanistan, Philippines, Liban, Sierra Leone, Zaïre, Rwanda, Ouganda, Nigeria, Guinée équatoriale, Zimbabwe, Namibie, Haïti, Argentine etc.
Oeuvres
El héroe inexistente. Los viajes de un corresponsal de guerra al corazón de las tinieblas del fin de siglo. Aguilar, 1999. Isla África. Seix Barral, 2001. Cuadernos de Kabul. Historias de mujeres, hombres y niños atrapados en una guerra. RBA, 2010. El autoestopista de Grozni y otras historias de fútbol y guerra. KO, 2012. Todos náufragos. Ediciones B, 2015. El día que murió Kapuściński. Círculo de Tiza, 2019. Las ciudades evanescentes. Miedos, soledades y pandemias en un mundo globalizado. Península, 2020.
Isla África a été traduit en français par Claude Bleton. Actes Sud, 2003.
Il a écrit un bel article dans El País après la mort d’Almudena Grandes le 27 novembre 2021. Des centaines de personnes se sont rendues lundi 29 novembre, comme il le proposait, un livre à la main, au cimetière civil de Madrid où la romancière Almudena Grandes a été enterrée.
El País, 29/11/2021
Ahora necesitaré una flor más (Ramón Lobo)
Almudena Grandes, fallecida el sábado a los 61 años de edad, será enterrada el lunes en el cementerio civil de Madrid de acuerdo con sus deseos. Estará en compañía de los seis creadores del Instituto de Libre Enseñanza encabezados por Francisco Giner de los Ríos, enterrados en el mismo lugar. Estará junto a Pío Baroja, que ahí yace gracias a su sobrino Julio Caro, encargado de hacer cumplir su voluntad frente a los intentos de la Falange por apropiarse del cuerpo. Le separará de Benito Pérez Galdós una calle con tráfico, pues el gran novelista del XIX quedó en el otro lado, en el de la Almudena.
La escritora tendrá buena compañía con tres de los cuatro presidentes de la efímera Primera República, Nicolás Salmerón, Francisco Pi y Margall y Estanislao Figueras, autor de una frase vigente en esta España de derechas extremadas y desmemoria histórica: “Señores, voy a serles franco, estoy hasta los cojones de todos nosotros”.
Reposará junto a prohombres y promujeres de la España derrotada, de la que tanto escribió, como el poeta Blas de Otero, la periodista Carmen de Burgos (Colombine), el urbanista Arturo Soria o el historiador Américo Castro.
También están Pablo Iglesias, fundador del PSOE y de la UGT, y los socialistas Francisco Largo Caballero y Julián Besteiro, además de la dirigente comunista Dolores Ibárruri y el fundador de CC OO, Marcelino Camacho.
Y está Ascensión Mendieta junto a su padre asesinado, al que buscó con ahínco toda la vida, desaparecido en una fosa común de Guadalajara que nadie quería abrir.
Este cementerio destinado a masones, ateos, suicidas y gente de mal vivir se inauguró en 1884, cuando el Gobierno decidió acabar con el monopolio de la Iglesia sobre los cementerios. Pese a que cobraba por muerto, la Iglesia no gastaba en mantener las instalaciones; también prometía tumbas perpetuas que revendía a la primera oportunidad.
En la municipalización de los camposantos hubo bronca. La Iglesia pedía cinco pesetas de entonces por adulto y 2,5 por infante. Como el Gobierno no cedió, el cardenal se negó a bendecir la nueva Almudena, hasta entonces llamada cementerio del Este o de las epidemias. Alfonso XII mandó a parte de su Gobierno a la inauguración de la parte civil tras el suicidio de una joven de 20 años llamada Maravilla Leal. Fue la tumba inaugural. Ante la firmeza del Ejecutivo, el primado cedió, firmó y bendijo (y cobró).
Cada vez que fallece un amigo o un conocido pido permiso a la familia para robar flores de las coronas. No les comunico el fin por si hubiera discrepancia. Deposito las flores sobre las tumbas de los descreídos, rojos y semirrojos. También honro a un facha: Vintila Horia, que cada vez que entraba en clase se dejaba la ideología en la puerta para permitir la presencia de un profesor brillante de Literatura Universal.
Así conocí a Nieves Concostrina tras la muerte de Forges. Es la mujer que más sabe de muertos en una España que recuerda mal. Mucha de la información que acaban de leer se la debo a ella. Ahora necesitaré una flor más, la de Almudena. Ojalá que su despedida sea como la de Saramago: miles de lectores con un libro extendido en la mano como símbolo de agradecimiento.
Son ami Gervasio Sánchez lui avait fait ses adieux il y a quelques jours dans le journal de Saragosse Heraldo de Aragón.
Rafael Alberti est né le 16 décembre 1902 à El Puerto de Santa María (Cadix). Il est mort dans sa ville natale le 28 octobre 1999. Il fait partie de la génération de 1927. En 1917, sa famille s’installe à Madrid où son père est amené à travailler. Il doit s’éloigner avec regret de la baie de Cadix. Il se destine à la peinture, mais, à l’automne 1920, la maladie l’oblige à garder la chambre, puis à faire un séjour dans la Sierra de Guadarrama. Il découvre alors sa vocation poétique. Il a 23 ans quand son premier recueil de poèmes, Marinero en tierra (Marin à terre), obtient le Prix national de Littérature. Dans le jury, figurent deux poètes : Antonio Machado et José Moreno Villa. Le montant du prix est de cinq mille pesetas. Une vraie fortune. Le recueil est publié à l’automne 1925 par la Biblioteca Nueva de Madrid. Juan Ramón Jiménez lui adresse une lettre enthousiaste le 31 mai 1925. (” Enhorabuena y gracias de su amigo y triple paisano: por tierra, mar y cielo del oeste andaluz, Juan Ramón. “) Il fréquente alors la Residencia de Estudiantes de Madrid et se lie d’amitié avec Federico García Lorca, Luis Buñuel, Pepín Bello et Salvador Dalí. Le premier cycle de sa poésie (Marinero en tierra, La amante, El alba del alhelí) se situe dans la tradition des recueils de chansons, mais sa position comme celle de Federico García Lorca, son ami et rival, est celle d’un poète d’avant-garde.
1
El mar. La mar. El mar. ¡Sólo la mar!
¿Por qué me trajiste, padre, a la ciudad?
¿Por qué me desenterraste del mar?
En sueños, la marejada me tira del corazón. Se lo quisiera llevar.
Padre, ¿por qué me trajiste acá?
Marinero en tierra, 1924.
1
La mer. La mer. La mer. Rien que la mer !
Pourquoi m’avoir emmené, père, à la ville ?
Pourquoi m’avoir arraché, père, à la mer ?
La houle, dans mes songes, me tire par le coeur comme pour l’entraîner.
Ô père, pourquoi donc m’avoir emmené ?
Marin à terre, L’Amante et L’aube de la giroflée. 1985. Poésie Gallimard n°474. 2012. Traduction Claude Couffon.
19
Desde alta mar
No quiero barca, corazón barquero, quiero ir andando por la mar al puerto.
¡Qué dulce el agua salada con su salitre hecho cielo! ¡No quiero sandalias, no! Quiero ir descalzo, barquero
No quiero barca, corazón barquero, quiero ir andando por la mar al puerto.
Marinero en tierra, 1924.
19
Haute mer
Pas de barque, mon coeur pilote : je veux aller à pied sur la mer jusqu’au port.
Quelle douceur a l’eau salée dont le salpêtre s’est fait ciel ! Pas de sandales, non, mon coeur ! Je veux aller pieds nus, pilote.
Pas de barque, mon coeur pilote : je veux aller à pied sur la mer jusqu’au port.
Marin à terre, L’Amante et L’aube de la giroflée. 1985. Poésie Gallimard n°474. 2012. Traduction Claude Couffon.
21
Siempre que sueño las playas, las sueño solas, mi vida. …Acaso algún marinero… quizás alguna velilla de algún remoto velero…
Marinero en tierra, 1924.
21
Chaque fois que je rêve aux plages, je les rêve seules, ma vie. … Avec peut-être un matelot … aussi peut-être un petit foc, lointain, au-dessus d’une coque …
Marin à terre, L’Amante et L’aube de la giroflée. 1985. Poésie Gallimard n°474. 2012. Traduction Claude Couffon.
31
A la sombra de una barca, fuera de la mar, dormido.
Descalzo y el torso al aire. Los hombros, contra la arena.
Y contra la arena el sueño, a la sombra de una barca, fuera de la mar, sin remos.
Marinero en tierra, 1924.
31
Á l’ombre d’une barque hors de l’eau, endormi.
Pieds nus. Le torse au vent. Épaules contre sable.
Contre sable, rêvant, à l’ombre d’une barque, hors de l’eau, et sans rames.
Marin à terre, L’Amante et L’aube de la giroflée. 1985. Poésie Gallimard n°474. 2012. Traduction Claude Couffon.
49
Murallas azules, olas, del África, van y vienen.
Cuando van… ¡Ay, quién con ellas se fuera!
¡Ay, quién con ellas volviera! Cuando vuelven…
Marinero en tierra, 1924.
49
Murailles bleues, les vagues, d’Afrique, vont et viennent.
Quand elles vont… Ah ! Qui ne les suivrait !
Ah ! Qui ne les suivrait ! Quand s’en reviennent…
Marin à terre, L’Amante et L’aube de la giroflée. 1985. Poésie Gallimard n°474. 2012. Traduction Claude Couffon.
60
Si yo nací campesino, si yo nací marinero, ¿por qué me tenéis aquí, si este aquí yo no lo quiero?
El mejor día, ciudad a quien jamás he querido, el mejor día -¡silencio! – habré desaparecido.
Marinero en tierra, 1924.
60
Si je suis né homme des terres, si je suis né homme de mer, pourquoi me retenir ici, si je n’aime pas cet ici ?
Mais un beau jour tu apprendras, ville qui jamais ne m’as plu, mais un beau jour tu apprendras – silence ! – que j’ai disparu.
Marin à terre, L’Amante et L’aube de la giroflée. 1985. Poésie Gallimard n°474. 2012. Traduction Claude Couffon.
Las cartas del Boom (Julio Cortázar, Carlos Fuentes, Gabriel García Márquez Mario Vargas Llosa) 2023. Edición de Carlos Aguirre, Gerald Martin, Javier Munguía y Augusto Wong Campos. Alfaguara, juin 2023. 568 pages.
En août 1968, Julio Cortázar, Carlos Fuentes, Gabriel García Márquez y Mario Vargas Llosa et d’autres intellectuels espagnols et latino-américains signent une lettre de protestation contre l’invasion de Tchécoslovaquie par les troupes du Pacte de Varsovie.
Le Monde, 26 août 1968
Une protestation d’intellectuels espagnols et latino-américains de Paris
Des Intellectuels espagnols et latino – américains résidant à Paris ont adressé à l’Union des écrivains de l’U.R.S.S. un message dont nous extrayons le passage suivant : ” Les soussignés, écrivains et intellectuels espagnols et latino-américains, dont la position démocratique et anti – impérialiste est bien connue, condamnent énergiquement l’agression militaire du gouvernement soviétique et ses alliés du pacte de Varsovie contre le peuple et le gouvernement socialistes de Tchécoslovaquie.
” Ils considèrent cette intervention comme contraire aux principes de la morale internationale, au droit d’autodétermination des peuples, dans la mesure où elle renforce la position américaine au Vietnam, éloigne les espoirs d’un socialisme authentiquement démocratique et sème la division dans le camp des forces progressistes. (…) “
Le texte est signé par : Carlos Barrai, José Maria Castellet, Alfonso Carlos Comin, Julio Cortazar, Francisco Fernandez Santos, Carlos Fuentes, Juan Garcia Hortellano, Gabriel Garcia Marquez, Jaime Gil de Biedma, Angel Gonzalez, Juan Goytisolo, Luis Goytisolo, Jesus Lopez Pacheco, Ana Maria Matute, Jorge Semprun, José Angel Valente, Mario Vargas Llosa.
En décembre 1968, Carlos Fuentes, Julio Cortázar et Gabriel García Márquez voyagent ensemble à Prague à l’invitation de l’Union des écrivains tchécoslovaques. Trois livres de Cortázar (El perseguidor y otros relatos, Rayuela, Historias de cronopios y de famas ) ainsi que deux romans de Fuentes (La región más transparente, La muerte de Artemio Cruz) ont déjà été traduits en tchèque. L’édition de Cien años de soledad de García Márquez est en préparation. La revue Listy, dirigée alors par Antonin Liehm (volume 2, n°6), publie le 13 février 1969 un entretien entre les trois écrivains et Petr Pujman : Literatura en América Latina Julio Cortázar Carlos Fuentes, et Gabriel García Márquez. (pages 479-484)
Carlos Fuentes El otro K. Prólogo de La vida está en otra parte (Barcelona, Seix Barral, 1979) y Vuelta (México, n°28, marzo de 1979)
« En diciembre de 1968, tres latinoamericanos friolentos descendimos de un tren en la terminal de Praga. Entre París y Múnich, Cortázar, García Márquez y yo habíamos hablado mucho de literatura policial y consumido cantidades heroicas de cerveza y salchicha. Al acercarnos a Praga, un silencio espectral nos invitó a compartirlo (…) Kundera nos dio cita en un baño de sauna a orillas del río para contarnos lo que había pasado en Praga. Parece que era uno de los pocos lugares sin orejas en los muros. »
Jour d’élections en Espagne. Un bel article de Manuel Vicent dans El País.
Dado al siete (Manuel Vicent)
En las elecciones generales que se celebran hoy, nos jugamos a los dados el pasado o el futuro de España. Si de ellas sale que volvemos a la Edad Media, yo, como la escritora Clarice Lispector, dejo registrado que estaré del lado de las brujas. También seré partidario de los alquimistas, de los quiromantes y saltimbanquis; de los canteros que labraban capiteles románicos con un trenzado de reptiles; de los juglares que recitaban versos provenzales al pie de la almena donde permanecía cautiva una princesa; de los monjes que copiaban la metafísica de Aristóteles en códices de vitela, pero no de los clérigos que azotaban la espalda desnuda de los fieles cantando a coro el dies irae. A estos los dejo para quienes hayan votado a la caverna. Si en estas elecciones la extrema derecha me manda al siglo XVI me gustaría conocer al Lazarillo de Tormes y a la Celestina, pero no a los fanáticos racistas que expulsaron de España a los judíos y a los mahometanos. Si las urnas me obligan a recular hasta el siglo XVII estaré a favor de los herejes y en contra de las hogueras, en el bando de Cervantes y de Góngora y no en el de Quevedo y Lope de Vega.
Si gana el Partido Popular e impone su ley y me manda al siglo XVIII seré un afrancesado, amigo de la ilustración, pero no de la España negra que gritaba ¡vivan las cadenas!, ni de la miseria, el odio y la injusticia que nos llevó a la guerra civil. Por el contrario, si en estas elecciones por un milagro la izquierda vota masivamente y gana el futuro, mi país será siempre ese en el que se premia la inteligencia, la solidaridad, la libertad de expresión y mi bandera la que se iza en el podio de todas las canchas del mundo cuando ganan nuestros deportistas, Nadal, Alcaraz, Jon Rham y gente así y no esa misma enseña que llevan algunos en la pulsera y en correa del perro. Mi apuesta: la séptima cara del dado.
J’ai pu me procurer ces jours derniers Nuit obscure Cantique spirituel et autres poèmes dans la collection Poésie/Gallimard. La préface de José Ángel Valente ainsi que la présentation et la traduction de Jacques Ancet sont très éclairantes. Je pense que les deux meilleures traductions en français de ce poème en français sont celle de 1641 du R.P. Cyprien de la Nativité de la Vierge, republiée par Paul Valéry en 1941, et celle de 1997 de Jacques Ancet. On en compterait plus de 70.
Présentation de Jacques Ancet. Celui qui parle :
” (…) L’activité traductrice est toujours, en son fond, re-traductrice. “
” Seule, peut-être, la célèbre version du Père Cyprien de la Nativité de la Vierge me paraît transmettre quelque chose ; mais ce qu’elle nous donne à entendre est si profondément étranger au texte original que cette distance justifiait à elle seule toutes les tentatives postérieures. “
” Il n’est nul besoin, pour lire ses poèmes, de connaissances théologiques. “
” Être fidèle (…), c’est traduire un texte au plus près de son sens sans en rien changer au nom d’une soi-disant élégance qui a conduit à tant de ” belles infidèles ” (…). Pour nous, être fidèle, ce sera donc (…) privilégier l’exactitude aux dépens d’une idée de la ” beauté ” qui n’a plus cours. “
” Être ” fidèle ” (au sens courant) c’est finalement, être infidèle. “
“Traduire, ce n’est pas faire passer, comme on le répète trop souvent,c’est faire se rencontrer. “
” Mon but n’était pas d’aller vers Jean de la Croix par un parti pris archaïque intenable, mais de le faire revenir vers nous : de le faire entendre à partir de notre XX ème siècle finissant. “
En septembre ou octobre 1567, Jean de la Croix rencontre Thérèse d’Avila qui réforme le Carmel et souhaite créer une branche masculine. Il fonde la première communauté des carmes réformés (ou déchaussés), vouée à l’observance de la règle primitive. Il va s’attirer le mécontentement et même la haine des carmes mitigés de l’Observance. Jean de la Croix est arrêté à Ávila dans la nuit du 2 décembre 1577, brutalisé et séquestré à Tolède dans un cachot minuscule et sordide du couvent des Pères de l’Observance, carmes hostiles à la réforme. Il est soumis pendant huit mois et demi à une solitude absolue et à un traitement inhumain. Il y compose les trente premières strophes du Cantique spirituel. Dans la nuit du 14 au 15 août 1578, il réussit à s’évader et à se réfugier chez les soeurs réformées de Tolède. C’est à la fin de 1578 qu’il compose la Nuit obscure. Son oeuvre n’a été éditée en Espagne qu’en 1618 et encore dans une édition tronquée. On sent dans ce poème le climat de métissage culturel dans lequel vivait Jean de la Croix. Des témoignages rapportent son éblouissement devant la beauté du ciel nocturne qu’il contemplait pendant des heures de sa cellule, ce qui explique la double valeur négative et positive prise par le symbole de la nuit dans sa poésie (D’après la chronologie figurant dans le dossier).
Jacques Ancet : ” On est là devant une des manifestations majeures de ce que l’on a pu appeler l'” exil espagnol ” : exil de toute une Espagne hétérodoxe, ouverte aux multiples courants qui la fondèrent et que l’autre, l’Espagne de l’Inquisition, de l’intolérance et du pouvoir ascendant de l’orthodoxie, n’a jamais pu tolérer. “
Carlos Saura a tourné en 1989 La Nuit obscure (La noche oscura), film franco-espagnol centré sur cet épisode de la vie du poète mystique. Juan Diego en est l’interprète principal.
Nuit Obscure Chansons de l’âme qui se réjouit d’avoir atteint le haut état de perfection, qui est l’union avec Dieu, par le chemin de la négation spirituelle
Dans une nuit obscure par un désir d’amour tout embrasée oh joyeuse aventure sortis sans me montrer quand ma maison fut enfin apaisée
Dans l’obscur et très sûre par la secrète échelle déguisée oh joyeuse aventure, dans l’obscur et cachée quand ma maison fut enfin apaisée
Dans cette nuit de joie secrètement car nul ne me voyait ni mes yeux rien qui soit sans lumière j’allais autre que celle en mon cœur qui brûlait
Et elle me guidait plus sûr que la lumière de midi au lieu où m’attendait… moi, je savais bien qui en un endroit où nul ne paraissait
Oh nuit qui as conduit nuit plus aimable que l’aube levée oh nuit qui as uni l’ami avec l’aimée l’aimée en l’ami même transformée
Contre mon sein fleuri qui tout entier pour lui seul se gardait il resta endormi moi je le caressais de l’éventail des cèdres l’air venait
Du haut du créneau l’air quand sous mes doigts ses cheveux s’écartaient avec sa main légère à mon cou me blessait et chacun de mes sens me ravissait
En paix je m’oubliai j’inclinai le visage sur l’ami tout cessa je cédai délaissant mon souci entre les fleurs des lis parmi l’oubli.
Nuit obscure Cantique spirituel et autres poèmes. Traduction Jacques Ancet. Poésie/Gallimard n°314. 1997.
Julio Cortázar Carlos Fuentes Gabriel García Márquez Mario Vargas Llosa, Las Cartas del Boom. Alfaguara, 2023. Edition de Carlos Aguirre, Gerald Martin, Augusto Wong Campos et Javier Munguía.
Ce livre réunit la correspondance entre les quatre principaux romanciers du Boom latino-américain. Gabriel García Márquez a reçu le Prix Nobel de Littérature en 1982 et Mario Vargas Llosa en 2010.
il regroupe 207 lettres qu’ils se sont envoyées entre 1955 et 2012. Toutes n’ont pas été retrouvées. Elles mettent bien en valeur l’importance qu’ a eu leur amitié. Ils se lisaient attentivement, se donnaient des conseils, s’aidaient et se voyaient régulièrement. En 1971, se produit l’affaire Heberto Padilla (1932-2000). Ce poète cubain qui s’est montré critique envers le régime de son pays est emprisonné, puis placé en résidence surveillée. Il doit s’exiler aux États-Unis en 1980. Dans un premier temps, les quatre écrivains signent, avec d’autres figures de la gauche internationale, une lettre de protestation qui est publiée dans Le Monde le 9 avril 1971. Puis Vargas Llosa lance une deuxième campagne, mais Cortázar et García Márquez se désolidarisent de cette nouvelle action. Cette affaire provoqua une rupture majeure entre l’intelligentsia de gauche et le régime de Fidel Castro alors que castrisme jouissait jusque-là de la sympathie et du soutien de nombreux intellectuels en Europe et dans le monde.
En 1971, Julio Cortázar écrit : “Hay algo peor, y es el sentimiento de que cosas que quiero mucho pueden resquebrajarse, amistades de muchos años y afectos muy hondos”.
La dernière lettre du livre est datée du 14 mars 2012. Carlos Fuentes l’envoie à Gabriel García Márquez pour le 85 ème anniversaire de l’écrivain colombien alors que ce dernier a déjà perdu complètement la mémoire :
“ Muy querido Gabriel:
¡Felicidades por tus 85!
¡Pensar que nos conocimos hace medio siglo!
Nuestras vidas son inseparables.
Te agradezco tus grandes libros.
Tu cuate.
Carlos Fuentes.”
Beaucoup de passages sont très drôles. Un des chats de Julio Cortázar s’appelait Teodoro W. Adorno.
Ernesto González Bermejo, Revelaciones de un Cronopio: Conversaciones con Cortárzar. Montevideo, Ediciones de la Banda Oriental, 1986.
« Desde niño el reino vegetal me ha sido profundamente indiferente (…) En cambio los animales me fascinan; el mundo de los insectos, de los mamíferos, descubrir poco a poco afinidades y similitudes. Yo considero que el gato es mi animal totémico y los gatos lo saben. »
Les révélations d’un cronope. Entretiens avec Julio Cortázar. p.69-70. VLB éditeur, 1990. (Traduction : Javier García Méndez)
« Depuis l’enfance le règne végétal m’est profondément indifférent. Je n’ai jamais bien distingué un eucalyptus d’un bananier. J’aime les fleurs mais je ne me ferais pas un jardin. Les animaux, par contre, me fascinent ; le monde des insectes, des mammifères, découvrir peu à peu les affinités et les similitudes. Je considère que le chat est mon animal totémique, et les chats le savent ; j’ai pu le constater souvent en arrivant chez des amis qui ont des chiens et des chats : les chiens sont indifférents à mon égard, mais les chats me cherchent tout de suite. Cela me rappelle un peu cette vieille nouvelle à moi – Circe – dans laquelle les animaux suivaient Delia, le personnage maléfique qui fabriquait des bonbons aux cafards pour ses fiancés ( cette nouvelle dont nous disions qu’elle a guéri ma petite névrose liée à la nourriture). Là, il y avait une relation de magie noire, absolument fantastique, entre certains animaux et Delia. Dans mon cas, c’est plutôt une bonne relation diurne. Le chat sait qui je suis ; je sais qui est le chat. Il n’y a plus rien à dire : nous sommes des amis, un point, c’est tout, et chacun de son côté. Si on soumettait mes livres à des statistiques, on trouverait que le pourcentage d’animaux est énorme. Pour commencer, mon premier livre s’intitule Bestiario. Il est très fréquent, d’ailleurs, que les êtres humains soient perçus comme des animaux dans mes textes, ou considérés sous un angle animal. Il y a certains climats dans lesquels ils sont perçus de manière zoologique. Pour moi, ça a été un grand plaisir, il y a quelques années que Ricci, l’éditeur italien, me demande un texte pour accompagner la publication des très belles gravures de Zötl, un naïf autrichien. J’ai alors écrit un texte qui n’a rien à voir avec les gravures mais où je raconte des souvenirs d’animaux, des anecdotes de toutes sortes. Dans mon territoire du fantastique il y a, en effet, une grande circulation d’animaux. Je crois que cela est aussi en rapport avec le monde onirique, parce que même les archétypes jungiens – le thème du taureau, le thème du lion – reviennent dans les rêves et sont toujours des symboles sexuels ou de volonté ou de puissance. Chez moi, cela se produit au plan de la nouvelle. »
Christian P. m’annonce aujourd’hui le décès de notre professeur, Bernard Gille, agrégé d’espagnol, maître assistant à l’U.E.R. d’études ibériques de l’université de Paris-IV. Nous avons suivi ses cours à L’Institut Hispanique (31 rue Gay-Lussac, 75005-Paris). Il animait aussi le Théâtre Espagnol de la Sorbonne (TES) dans les années 70.
Boulogne-Billancourt (Hauts-de-Seine) , le 02 juillet 2023 Nous avons la tristesse de vous faire part du décès de :
Monsieur Bernard GILLE survenu le mardi 27 juin 2023 à l’âge de 88 ans. Sa cérémonie aura lieu en l’Église Sainte-Thérèse de Boulogne-Billancourt (92100) le mardi 04 juillet 2023 à 10h30 .
Je me souviens particulièrement d’une magnifique explication de texte du poème Noche oscura del alma de Juan de la Cruz (Juan de Yepes Álvarez 1542-1591 ), le grand mystique espagnol du Siècle d’or. Thérèse d’Avila, réformatrice de l’ordre du Carmel, lui demanda de prendre en charge l’ordre masculin du Carmel. Il fonda l’ordre des Carmes déchaux. Il fut enfermé par les autorités de l’ordre qui refusaient sa réforme.
Noche oscura del alma
En una noche oscura, con ansias en amores inflamada ¡oh dichosa ventura!, salí sin ser notada, estando ya mi casa sosegada.
A escuras y segura por la secreta escala, disfrazada, ¡oh dichosa ventura! a oscuras y en celada, estando ya mi casa sosegada.
En la noche dichosa en secreto que nadie me veía, ni yo miraba cosa sin otra luz y guía sino la que en el corazón ardía.
Aquésta me guiaba más cierta que la luz de mediodía, adonde me esperaba quien yo bien me sabía, en parte donde nadie parecía.
¡Oh noche, que guiaste! ¡Oh noche amable más que el alborada! ¡oh noche que juntaste amado con amada, amada en el amado transformada!
En mi pecho florido, que entero para él solo se guardaba allí quedó dormido y yo le regalaba y el ventalle de cedros aire daba.
El aire de la almena, cuando ya sus cabellos esparcía, con su mano serena , en mi cuello hería y todos mis sentidos suspendía.
Quedéme y olvidéme, el rostro recliné sobre el amado, cesó todo y dejéme dejando mi cuidado entre las azucenas olvidado.
Chant de la nuit obscure de l’âme
Á l’ombre d’une obscure nuit, D’angoisseux amour embrasée, Õ l’heureux sort qui me conduit ! Je sortis sans être avisée, Le calme tenant à propos ma maison en un doux repos.
Á l’obscur, mais hors de danger, Par une échelle fort secrète, Couverte d’un voile étranger, je me dérobai en cachette, (Heureux sort!) quand tant à propos ma maison était en repos.
En secret sous le manteau noir De la nuit, sans être aperçue, Ou que je pusse apercevoir aucun des objets de la vue, N’ayant ni guide, ni lueur, Que la lampe ardente en mon coeur.
Ce flambeau luisant me guidait, Plus sûr que la torche allumée Du plein midi où m’attendait Celui que j’avais en pensée, Là où nul vivant sous les Cieux ne se présentait à mes yeux.
Ô nuit que me conduis à point ! Nuit plus aimable que l’aurore, Nuit heureuse qui as conjoint L’aimée à l’aimé, mais encore celle que l’amour a formée et en son Amant transformée.
Dans mon sein parsemé de fleurs Qu’entier soigneuse je luy garde, Il s’endort et, pour ses faveurs, D’un chaste accueil je le mignarde, Lors que l’éventail ondoyant d’un cèdre le va festoyant.
L’Aurore par ses doux zéphyrs Ayant épars sa chevelure, Mit sa main pleine de saphirs Sur mon col, flattant ma blessure ; Lors sa douceur tint en suspens l’entier usage de mes sens.
Je me tins coi et m’oubliai, Penchant sur mon ami ma face, Tout cessa, je m’abandonnai, Remettant mes soins à sa grâce, comme étant tous ensevelis Dans le beau parterre des lis.
Les Cantiques spirituels de saint Jean de la Croix (Traduction en vers français de R.P. Cyprien. 1641) Rouart, 1941.
Paul Valéry voit dans les poèmes de Jean de la Croix un des chefs-d’œuvre de la littérature universelle (Cantiques spirituels, dans Variété, Bibliothèque de La Pléiade, tome I, 1957, p. 445 à 457). Il présente en ces termes cette traduction : ” Je propose aux amateurs des beautés de notre langage de considérer désormais l’un des plus parfaits poètes de France dans le R.P. Cyprien de la Nativité de la Vierge, carme déchaussé, jusqu’ici à peu près inconnu. ” André de Compans, en religion Cyprien de la Nativité de la Vierge, est né le 26 novembre 1605 à Paris et est mort le 16 décembre 1680 à Paris. C’est un prêtre carme déchaux parisien. Ses traductions concernent entre autres les œuvres fondamentales des réformateurs du Carmel, Jean de la Croix et Thérèse d’Avila.
On ne peut déterminer avec précision la date de composition du poème : peut-être dans la prison de Tolède entre décembre 1577 et août 1578 ; peut-être quelques jours après l’évasion, à Jaén. Il a été commenté oralement et par écrit avant 1582. Le commentaire, fragmentaire, sert de base aux traités de la Montée du mont Carmel et de Nuit obscure de l’âme. (Notices et notes. Anthologie bilingue de la poésie espagnole. NRF, Bibliothèque de la Pléiade. 1995) Selon Jacques Ancet, la Nuit obscure et le Cantique spirituel seraient redevables à la tradition hébraïque (celle notamment du Chant des chants, ou Cantique des cantiques), ainsi qu’à la tradition arabe. Juan de Yepes fut béatifié le 25 janvier 1675, canonisé le 27 décembre 1726. Il a été déclaré docteur de l’Eglise catholique le 24 août 1926.