Garcilaso de la Vega est un poète et un militaire du Siècle d’or espagnol. Il est né à Tolède en 1501 dans une illustre famille. Il apprend le grec, le latin, l’italien, le français, la musique et l’escrime. Il entre en 1520 au service de Charles Quint comme membre de la Garde royale. Il participe à la répression des Comunidades de Castille (1521), à la prise de Fontarabie (1523), aux sièges de Vienne (1529) et de Tunis (1535). Il est nommé membre de l’Ordre de Santiago. En 1525, il épouse Doña Elena de Zúñiga, dame de compagnie de la reine Éléonore, sœur de Charles Quint. Ils auront cinq enfants. 1526 est une année très importante. il reçoit Charles Quint chez lui à Tolède et rencontre à Grenade Doña Isabel Freyre, dame portugaise dont il tombe amoureux. Elle lui inspire poèmes et églogues. Il l’appelle Elisa. Elle épousera en 1529 un autre homme et mourra en couches en 1533. Garcilaso est blessé en octobre 1536 lors d’un assaut contre la forteresse du Muy, près de Fréjus. Il meurt à Nice, où il avait été transporté, le 13 ou le 14 octobre 1536. Il est l’ami et le disciple du poète catalan Juan Boscán (entre 1485 et 1492-1542). Il imite Pétrarque et Virgile et introduit en Espagne le goût italien. On lui doit trente-huit sonnets, deux élégies, une épître, trois églogues et cinq chansons. Ses oeuvres seront publiées avec celles de Boscán en 1543 à Barcelone. C’est le type même du poète de la Renaissance en Espagne. Il y joue un rôle analogue à celui de Ronsard en France. Sa poésie a marqué Góngora, Luis de León, saint Jean de la Croix, Cervantes, Gustavo Adolfo Bécquer, Luis Cernuda, Rafael Alberti, Miguel Hernández entre autres. Pedro Salinas (1891-1951) lui emprunte le titre de son recueil poétique le plus important, La voz a ti debida (1933). Carlos Saura intitulera une de ces films, Elisa vida mía (1977)
¿Quién me dijera, Elisa, vida mía, cuando en aqueste valle al fresco viento andábamos cogiendo tiernas flores, que había de ver, con largo apartamiento, venir el triste y solitario día que diese amargo fin a mis amores? El cielo en mis dolores cargó la mano tanto que a sempiterno llanto y a triste soledad me ha condenado; y lo que siento más es verme atado a la pesada vida y enojosa, solo, desamparado, ciego, sin lumbre en cárcel tenebrosa.
Je connais deux traductions :
Première Églogue de Garcilaso, vers 282 : “¡Quién me dijera, Elisa, vida mía !”. Plainte de Nemoroso.
Qui m’eût dit, Élise, ô ma vie, lorsque dans le vent frais de ce vallon nous marchions en cueillant de tendres fleurs, que je verrais avec une si longue absence venir le triste et solitaire jour qui mettrait une fin amère à mes amours ? Le ciel pour ma douleur eut si lourde la main qu’à des pleurs éternels et à triste solitude il m’a condamné ; et ce qui plus me navre est de me voir lié à cette vie et pesante et fastidieuse, tout seul, abandonné, aveugle, sans lumière, en prison ténébreuse.
Poemas. Poèmes. Bilingue Aubier-Flammarion. 1968. Traduction Paul Verdevoye.
Qui m’aurait dit, Élise, mon amour, lorsque, dans la fraîcheur de ce vallon, à tes côtés cueillais de tendres fleurs, que je verrais, longue séparation, venir le triste et solitaire jour qui mettrait fin amère à mon bonheur. Le ciel pour ma douleur eut une main si dure qu’à sanglots qui perdurent et triste solitude m’a contraint. Et d’être lié plus encore crains à cette fâcheuse et pesante vie, esseulé, sans soutien, dans l’aveugle prison où rien ne luit.
Anthologie bilingue de la poésie espagnole. NRF Gallimard Bibliothèque de la Pléiade. 1995. Traduction Patrice Bonhomme.
Le film de Carlos Saura est interprété par Fernando Rey, Geraldine Chaplin, Ana Torrent. Fernando Rey a obtenu le Prix d’interprétation masculine au Festival de Cannes en 1977.
J’ai lu dans Charlie Hebdo du 4 octobre 2023 l’article de Philippe Lançon (Le torrent Neruda) sur le Quarto Gallimard Résidersur la terre. Oeuvres choisies que je conseille à nouveau. Les traductions ont été revues, mais Claude Couffon était un très bon traducteur. Merci à lui pour son travail sur Federico García Lorca et Miguel Hernández particulièrement.
VI
Paz para los crepúsculos que vienen, paz para el puente, paz para el vino, paz para las letras que me buscan y que en mi sangre suben enredando el viejo canto con tierra y amores, paz para la ciudad en la mañana cuando despierta el pan, paz para el río Mississippi, río de las raíces: paz para la camisa de mi hermano, paz en el libro como un sello de aire, paz para el gran koljós de Kíev, paz para las cenizas de estos muertos y de estos otros muertos, paz para el hierro negro de Brooklyn, paz para el cartero de casa en casa como el dia, paz para el coreógrafo que grita con un embudo a las enredaderas, paz para mi mano derecha, que sólo quiere escribir Rosario: paz para el boliviano secreto como una piedra de estaño, paz para que tú te cases, paz para todos los aserraderos de Bío Bío, paz para el corazón desgarrado de España guerrillera: paz para el pequeño Museo de Wyoming en donde lo más dulce es una almohada con un corazón bordado, paz para el panadero y sus amores y paz para la harina: paz para todo el trigo que debe nacer, para todo el amor que buscará follaje, paz para todos los que viven: paz para todas las tierras y las aguas.
Yo aquí me despido, vuelvo a mi casa, en mis sueños, vuelvo a la Patagonia en donde el viento golpea los establos y salpica hielo el Océano. Soy nada más que un poeta: os amo a todos, ando errante por el mundo que amo: en mi patria encarcelan mineros y los soldados mandan a los jueces. Pero yo amo hasta las raíces de mi pequeño país frío. Si tuviera que morir mil veces allí quiero morir: si tuviera que nacer mil veces allí quiero nacer, cerca de la araucaria salvaje, del vendaval del viento sur, de las campanas recién compradas. Que nadie piense en mí. Pensemos en toda la tierra, golpeando con amor en la mesa. No quiero que vuelva la sangre a empapar el pan, los frijoles, la música: quiero que venga conmigo el minero, la niña, el abogado, el marinero, el fabricante de muñecas, que entremos al cine y salgamos a beber el vino más rojo.
Yo no vengo a resolver nada.
Yo vine aquí para cantar
y para que cantes conmigo.
IX Qué despierte el leñador. Canto general. 1950.
VI
Paix pour les crépuscules qui s’avancent, paix pour le pont, paix pour le vin, paix pour les lettres qui me cherchent et montent dans mon sang, y emmêlant le vieux chant et la terre, les amours, paix pour la ville au petit jour quand s’éveille le pain, paix pour le fleuve des racines, pour le Mississippi : paix pour la chemise de mon prochain, paix dans le livre comme un sceau de vent, paix pour Kiev et son grand kolkhoze, paix pour les cendres de ces morts et de ces autres morts, paix pour le fer noir de Brooklyn, paix pour le facteur qui se rend de maison en maison comme le jour, paix pour le chorégraphe qui crie ses paroles dans un entonnoir, aux volubilis, paix pour ma main droite qui ne veut écrire que Rosario : paix pour le Bolivien secret comme une pierre d’étain, paix pour que tu te maries, paix pour toutes les scieries du Bío Bío, paix pour le coeur écartelé de l’Espagne guérillera : paix pour le petit musée du Wyoming où le plus doux est un coussin avec un coeur brodé, paix pour le boulanger et ses amours et paix pour la farine : paix pour tout le blé à naître, pour tout l’amour qui cherchera la frondaison, paix pour tous ceux qui vivent : paix pour toutes les terres et les eaux.
Je prends congé, je rentre chez moi, dedans mes rêves, je retourne à cette Patagonie où le vent frappe les étables et où l’Océan disperse la glace. Je ne suis qu’un poète et je vous aime tous, je vais errant par le monde que j’aime : dans ma patrie on emprisonne les mineurs et le soldat commande au juge. Mais j’aime, moi, jusqu’aux racines de mon petit pays si froid. Si je devais mourir cent fois, c’est là que je veux mourir, si je devais naître cent fois, c’est là aussi que je veux naître, près de l’araucaria sauvage, des bourrasques du vent du sud, des cloches depuis peu acquises. Que personne ne pense à moi. Pensons à toute la terre, frappons amoureusement sur la table. Je ne veux pas revoir le sang imbiber le pain, les haricots noirs, la musique : je veux que viennent avec moi le mineur, la fillette, l’avocat, le marin et le fabricant de poupées, que nous allions au cinéma, que nous sortions boire le plus rouge des vins.
Je ne veux rien résoudre.
Je suis venu ici chanter, je suis venu
afin que tu chantes avec moi.
IX Que s’éveille le bûcheron. Chant général. 1950. Traduction Claude Couffon révisée par Stéphanie Decante.
José Ángel Valente est né à Orense (Galice) le 25 avril 1929. Après des études de droit à Saint-Jacques de Compostelle et de philologie romane à Madrid (Licence à l’Université Complutense ), il est lecteur à Oxford. Il s’installe en 1958 à Genève et occupe un poste de traducteur à l’Organisation Mondiale de la Santé. Il dirige ensuite un département de l’Unesco à Paris. C’est un poète, essayiste et traducteur (Constantin Cavafis, Paul Celan, John Donne, Edmond Jabès, John Keats, Eugenio Montale, Dylan Thomas entre autres). Á la retraite, il s’installe dans la province d’Almería, poussé par ” l’appel ardent de la lumière ” ( “la irrenunciable llamada de la luz” ) . Il participe à la vie culturelle de la région et à la défense du Parc Naturel Cabo de Gata-Níjar. On peut visiter sa maison ( Casa del Poeta, calle José Ángel Valente n°7 à Almería) Il meurt d’un cancer à Genève le 18 juillet 2000. C’est l’une des grandes voix poétiques de l’Espagne de la seconde partie du XX ème siècle. On le classe habituellement parmi les poètes de la Génération de 1950.
– Prix Príncipe de Asturias de las Letras ( 1988 ).
– Prix Reina Sofía de Poesía Iberoamericana ( 1998 ).
– Prix national de littérature (Poésie) ( 2001 ) à titre posthume pour Fragmentos de un libro futuro.
On peut le lire facilement en français dans les excellentes traductions de Jacques Ancet : Trois leçons de ténèbres – Mandorle – L’Eclat. Poésie/Gallimard n°321. 1998.
J’ai choisi trois textes de ce poète.
El cabo entra en las aguas como el perfil de un muerto o de un durmiente con la cabellera anegada en el mar. El color no es color; es tan sólo la luz. Y la luz sucedía a la luz en láminas de tenue transparencia. El cabo baja hacia las aguas, dibujado perfil por la mano de un dios que aquí encontrara acabamiento, la perfección del sacrificio, delgadez de la línea que engendra un horizonte o el deseo sin fin de lo lejano. El dios y el mar. Y más allá, los dioses y los mares. Siempre. Como las aguas besan las arenas y tan sólo se alejan para volver, regreso a tu cintura, a tus labios mojados por el tiempo, a la luz de tu piel que el viento bajo de la tarde enciende. Territorio, tu cuerpo. El descenso afilado de la piedra hacia el mar, del cabo hacia las aguas. Y el vacío de todo lo creado envolvente, materno, como inmensa morada.
(Cabo de Gata) (4.X.1992)
Fragmentos de un libro futuro, 2000.
Le cap entre dans les eaux comme le profil d’un mort ou d’un dormeur, la chevelure noyée dans la mer. La couleur n’est pas la couleur ; elle n’est que la lumière. Et la lumière succédait à la lumière en lames d’une légère transparence. Le cap descend jusqu’aux eaux, profil tracé par la main d’un dieu qui aurait ici trouvé son terme, la perfection du sacrifice, la pureté de la ligne qui engendre un horizon ou le désir sans fin des lointains. Le dieu et la mer. Et au-delà, les dieux et les mers. Toujours. Comme les eaux déposent un baiser sur le sable et ne s’éloignent que pour revenir, je retourne à ta taille, à tes lèvres humectées par le temps, à l’éclat de ta peau que le vent bas de la soirée fait briller. Territoire, ton corps. La déclinaison tranchante de la pierre vers la mer, du cap vers les eaux. Et le vide de tout le créé enveloppant, maternel, comme une immense demeure.
(Cabo de Gata) (4.X.1992)
Fragments d’un livre futur. Librairie José Corti, Collection Ibériques, 2002. Traduction et préface de Jacques Ancet.
Ha pasado algún tiempo. El tiempo pasa y no deja nada. Lleva, arrastra muchas cosas contigo. El vacío, deja el vacío. Dejarse vaciar por el tiempo como se dejan vaciar los pequeños crustáceos y moluscos por el mar. El tiempo es como el mar. Nos va gastando hasta que somos transparentes. Nos da la transparencia para que el mundo pueda verse a través de nosotros o puedo oírse como oímos el sempiterno rumor del mar en la concavidad de una caracola. El mar, el tiempo, alrededores de lo que no podemos medir y nos contiene.
(Desde del otro costado) (4.IX.1993)
Fragmentos de un libro futuro, 2000.
Un peu de temps a passé. Le temps passe et ne laisse rien. Il emporte, il traîne beaucoup de choses avec lui. Le vide, il laisse le vide. Se laisser vider par le temps comme les petits crustacés et les mollusques se laissent vider par la mer. Le temps est comme la mer. Il nous use jusqu’à être transparents. Il nous donne la transparence pour que le monde puisse se voir à travers nous ou puisse s’entendre comme nous entendons la sempiternelle rumeur de la mer dans le creux d’un coquillage. La mer, le temps, alentours de ce que nous ne pouvons mesurer et qui nous contient.
(Depuis l’autre côté) (4.IX.1993)
Fragments d’un livre futur. José Corti, 2002. Traduction de Jacques Ancet.
El amor está en lo que tendemos
El amor está en lo que tendemos (puentes, palabras).
El amor está en todo lo que izamos (risas, banderas).
Y en lo que combatimos (noche, vacío) por verdadero amor.
El amor está en cuanto levantamos (torres, promesas).
En cuanto recogemos y sembramos (hijos, futuro).
Y en las ruinas de lo que abatimos (desposesión, mentira) por verdadero amor.
Breve son. 1968.
L’amour est dans ce que nous lançons.
L’amour est dans ce que nous lançons (ponts, paroles).
L’amour est dans tout ce que nous hissons (rires, drapeaux).
Et dans ce que nous combattons (nuit, vide) pour le véritable amour.
L’amour est dans tout ce que nous levons (tours, promesses).
Dans tout ce que nous cueillons et semons (enfants, futur).
Et dans les ruines de ce que nous abattons (dépossession, mensonge) pour le véritable amour.
Poésie espagnole. Anthologie 1945-1990. Unesco et Actes Sud, 1995. Traduction Claude de Frayssinet.
La Maison de l’Amérique Latine (217 Boulevard Saint-Germain. 75007-Paris) rend hommage à Pablo Neruda, 50 ans après sa mort. Un après-midi de rencontres a été organisé le dimanche 24 septembre à la Maison Elsa Triolet-Aragon (Moulin de Villeneuve à Saint-Arnoult-en-Yvelines).
Le 2 octobre 2023, à 19 heures, à la Maison de l’Amérique Latine, aura lieu la présentation du livre Résider sur la terre (Œuvres choisies. Quarto-Gallimard) en compagnie de Patrick Straumann, modérateur, de Stéphanie Decante et Waldo Rojas. Projection de photos tirées du Quarto, et poèmes lus par Jean-Marie Thiédey.
Traduction de l’espagnol (Chili) par Claude Couffon, Stéphanie Decante, Jean-Francis Reille, Waldo Rojas, Bernard Sesé et Sylvie Sesé-Léger. Édition de Stéphanie Decante.
Ce recueil fait de Résidence sur la terre le pivot central de l’œuvre de Neruda. Il retrace la trajectoire poétique et intellectuelle du grand poète chilien, au-delà de sa légende. Le Prix Nobel de Littérature 1971 a participé aux principales mutations artistiques du XX ème siècle. Il fut avant-gardiste, compagnon de route des poètes espagnols de la Génération de 1927 et précurseur de la poésie engagée. Son écriture originelle, son expression dense et sensuelle qui célèbre la matière, tend ensuite à une simplicité marquée par une vision plus grave et ironique. On peut découvrir aussi dans ce livre sa collaboration avec de nombreux artistes (Sergio Larraín, Antonio Quintana, Federico García Lorca, José Venturelli).
J’ai relu Memorial de Isla Negra qui a été publié en 1964. Pablo Neruda avait 60 ans. L’oeuvre est composée de 5 parties : Donde nace la lluvia, La luna en el laberinto. El fuego cruel. el cazador de raíces. Sonata crítica. Il s’agit d’une autobiographie poétique, une oeuvre de maturité où on ressent une certaine désillusion face aux rêves de jeunesse. On y retrouve imbriqués des événements personnels, des souvenirs, des réflexions et la quête des paysages et de la nature du Chili.
La traduction de Claude Couffon date de 1970. On peut aussi la lire dans la Collection Poésie Gallimard n°117. Elle a été légèrement révisée par Stéphanie Decante. J’ai choisi trois poèmes tirés du Quarto Gallimard.
Patagonias
I
Áspero territorio extremo sur del agua : recorri los costados, los pies, los dedos fríos del planeta, desde arriba mirando el duro ceño, tercos montes y nieve abandonada, cúpulas del vacío, viendo, como una cinta que se desenrolla bajo las alas férreas la hostilidad de la naturaleza.
Aquí, cumbres de sombra, ventisqueros, y el infinito orgullo que hace resplandecer las soledades, aquí, en alguna cita con raíces o sólo con el ímpetu del viento debo de haber nacido.
Tengo que ver, tengo deberes puros con esta claridad enmarañada y me pesa el espacio en el pasado como si mi pequeña historia humana se hubiera escrito a golpes en la nieve y ahora yo descubriera mi propio nombre, mi estupor silvestre, la volcánica estatua de la vida.
II
La patria se descubre pétalo a pétalo bajo los harapos porque de tanta soledad el hombre no extrajo flor, ni anillo, ni sombrero : no encontró en estos páramos sino la lengua de los ventisqueros, los dientes de la nieve, la rama turbulenta de los ríos. Pero a mí me sosiegan estos montes, la paz huraña, el cuerpo de la luna repartido como un espejo roto.
Desde arriba acaricio mi propia piel, mis ojos, mi tristeza, y en mi propia extensión veo la sombra : mi propia Patagonia : pertenezco a los ásperos conflictos, de alguna inmensa estrella que cayó derrotándome y sólo soy una raíz herida del torpe territorio : me quemó la ciclónea nieve, las astillas del hielo, la insistencia del viento, la crueldad clara, la noche pura y dura como una espina. Pido a la tierra, al destino, este silencio que me pertenece.
Memorial de Isla negra. Editorial Losada, 1964.
Patagonie
I
Âpre territoire, extrême sud de l’eau : j’ai parcouru les flancs, les pieds, les doigts froids de la planète, de tout là-haut j’ai regardé les durs sourcils froncés, les monts butés, la neige abandonnée, les coupoles du vide. J’ai vu comme un ruban qui se déroule sous les ailes de fer l’hostilité de la nature.
Ici, des cimes d’ombre, des glaciers, et cet orgueil sans fin qui fait briller de tous leurs feux les solitudes, ici, de quelque rendez-vous avec les racines ou de la seule fougue du vent, il me semble que je suis né.
J’ai un lien, j’ai des devoirs purs envers cette clarté aux rais enchevêtrés. L’espace dans le passé me harcèle comme si ma petite histoire humaine par à-coups dans la neige avait été écrite et qu’à présent je découvrais mon propre nom, ma stupeur de forêt, la volcanique statue de la vie.
II
La patrie se découvre pétale à pétale sous les haillons car l’homme n’a extrait d’une aussi grande solitude ni fleur ni anneau ni chapeau : il n’a trouvé sur cette haute nudité que la langue des glaciers, les dents de la neige, la branche turbulente des rivières. Pourtant moi, ils me tranquillisent ces monts et cette paix farouche et la corps de la lune éparpillé comme un miroir brisé.
De tout là-haut je caresse ma propre peau, mes yeux, ma tristesse, et sur ma propre étendue je vois l’ombre : ma propre Patagonie : j’appartiens aux âpres conflits, d’une étoile immense qui en s’abattant me vainquit, je ne suis qu’une racine blessée du territoire maladroit : j’ai senti me brûler la neige cyclonale et les échardes de la glace, l’insistance du vent, la cruauté claire, la nuit limpide et dure comme une épine. Je demande à la terre, au destin, ce silence qui m’appartient.
Memorial d’Isla Negra, 1964. Traduction : Claude Couffon, révisée par Stéphanie Decante. Gallimard, résider sur la terre. Œuvres choisies. Gallimard, Quarto, 2023.
La verdad
Os amo idealismo y realismo, como agua y piedra sois partes del mundo, luz y raíz del árbol de la vida.
No me cierren los ojos aun después de muerto, los necesitaré aún para aprender, para mirar y comprender mi muerte.
Necesita mi boca para cantar después, cuando no exista. Y mi alma y mis manos y mi cuerpo para seguirte amando, amada mía.
Sé que no puede ser, pero esto quise.
Amo lo que no tiene sino sueños.
Tengo un jardín de flores que no existen.
Soy decididamente triangular.
Aún echo de menos mis orejas, pero las enrrollé para dejarlas en un puerto fluvial del interior de la República de Malagueta.
No puedo más con la razón al hombro.
Quiero inventar el mar de cada día.
Vino una vez a verme un gran pintor que pintaba soldados. Todos eran heróicos y el buen hombre los pintaba en el campo de batalla muriéndose de gusto.
También pintaba vacas realistas y eran tan extremadamente vacas que uno se iba poniendo melancólico y dispuesto a rumiar eternamente.
Execración y horror! Leí novelas interminablemente bondadosas y tantos versos sobre el Primero de Mayo que ahora escribo sólo sobre el 2 de ese mes.
Parece ser que el hombre atropella el paisaje y ya la carretera que antes tenía cielo ahora nos agobia con su empecinamiento comercial.
Así suele pasar con la belleza como si no quisiéramos comprarla y la empaquetan a su gusto y modo.
Hay que dejar que baile la belleza con los galanes más inaceptables, entre el día y la noche: no la obliguemos a tomar la píldora de la verdad como una medicina.
Y lo real? También, si duda alguna, pero que nos aumente, que nos alargue, que nos haga fríos, que nos redacte tanto el orden del pan como el del alma.
A susurrar! ordeno al bosque puro, a que diga en secreto su secreto y a la verdad: No te detengas tanto que te endurezcas hasta la mentira.
No soy rector de nada, no dirijo, y por eso atesoro las equivocaciones de mi canto.
Memorial de Isla negra. Editorial Losada, 1964.
La vérité
Idéalisme et réalisme, je vous aime, Comme l’eau et la pierre vous êtes parties du monde, lumière et racine de l’arbre de la vie.
Non, ne me fermez pas les yeux. lorsque j’aurai cessé de vivre, j’en aurai besoin pour apprendre pour regarder et comprendre ma mort.
Il me faut ma bouche pour chanter après qu’elle aura disparu. Et mon âme, et mes mains, mon corps pour continuer à t’aimer, ma douce.
C’est impossible, je le sais, pourtant je l’ai voulu.
J’aime ce qui n’a que des rêves.
J’ai un jardin tout de fleurs qui n’existent pas.
Je suis résolument triangulaire.
Et je regrette encore mes oreilles, mais je les ai enveloppées pour les laisser dans un port, sur un fleuve à l’intérieur de la République de Malagueta.
Je suis las de porter la raison sur l’épaule.
Je veux inventer la mer quotidienne.
Un jour j’ai reçu la visite d’un peintre de talent qui peignait des soldats. Tous étaient des héros et le brave homme les peignait en plein feu sur le champ de bataille mourant comme à plaisir.
Et il peignait aussi des vaches réalistes, si réalistes et si parfaites, si parfaites qu’on se sentait, rien qu’à les voir, mélancolique et prêt à ruminer jusqu’à la fin des siècles.
Horreur et abomination ! J’ai lu des romans-fleuves de bonté et tant de vers à la gloire du Premier Mai que je n’écris plus désormais que sur le Deux du même mois.
Il semble bien que l’homme bouscule fort le paysage et cette route qui avait un ciel auparavant maintenant nous écrase de son entêtement commercial.
Il en va de même avec la beauté, et comme si nous refusions de l’acheter, ils l’emballent à leur goût et à leur mode.
La beauté, laissons-la danser avec ses courtisans les plus inacceptables, entre le plein jour et la nuit ; ne la contraignons pas à avaler comme un médicament la pilule de vérité.
(Et le réel ? Il nous le faut, sans aucun doute, mais que ce soit pour nous grandir, pour nous rendre plus vastes, pour nous faire frémir, pour rédiger ce qui pour nous doit être l’ordre du pain tout autant que l’ordre de l’âme.)
Sussurez ! tel est mon ordre aux forêts pures, qu’elles disent en secret ce qui est leur secret, et à la vérité : Cesse donc de stagner, tu te durcis jusqu’au mensonge. Je ne suis pas recteur, je ne dirige rien, et voilà pourquoi j’accumule les erreurs de mon chant.
Memorial d’Isla Negra, 1964. Traduction : Claude Couffon, révisée par Stéphanie Decante. Gallimard, résider sur la terre. Œuvres choisies. Gallimard, Quarto, 2023.
Tal vez tenemos tiempo
Tal vez tenemos tiempo aún para ser y para ser justos. De una manera transitoria ayer se murió la verdad y aunque lo sabe todo el mundo todo el mundo lo disimula: ninguno le ha mandado flores: ya se murió y no llora nadie.
Tal vez entre olvido y apuro tendremos la oportunidad un poco antes del entierro de nuestra muerte y nuestra vida para salir de calle en calle, de mar en mar, de puerto en puerto, de cordillera en cordillera, y sobre todo de hombre en hombre, a preguntar si la matamos o si la mataron otros, si fueron nuestros enemigos o nuestro amor cometió el crimen, porque ya murió la verdad y ahora podemos ser justos.
Antes debíamos pelear con armas de oscuro calibre y por herirnos olvidamos para qué estabamos peleando.
Nunca se supo de quién era la sangre que nos envolvía, acusábamos sin cesar, sin cesar fuimos acusados, ellos sufrieron, y sufrimos, y cuando ya ganaron ellos y también ganamos nosotros había muerto la verdad de antigüedad o de violencia. Ahora no hay nada que hacer: todos perdimos la batalla.
Por eso pienso que tal vez por fin pudiéramos ser justos o por fin pudiéramos ser: tenemos este último minuto y luego mil años de gloria para no ser y no volver.
Memorial de Isla negra. Editorial Losada, 1964.
Nous avons peut-être le temps
Nous avons peut-être le temps encore d’être, et d’être justes. D’une manière provisoire la vérité est morte hier, cela tout le monde le sait bien que chacun le dissimule : elle n’a point reçu de fleurs : elle est morte et nul ne la pleure.
Entre l’oubli et ce qui presse, un peu avant l’enterrement, nous aurons l’occasion peut-être de notre mort, de notre vie, pour aller d’une rue à l’autre, de mer en mer, de port en port, de cordillère en cordillère, et plus encore, d’homme en homme, demander : « L’avons-nous tuée, nous, ou bien les autres l’ont-ils tuée ? Ce crime a-t-il été commis par notre amour ? Nos ennemis ? Puisque la vérité est morte nous pouvons dès lors être justes.
Car avant nous devions nous battre avec des armes d’obscur calibre : blessés, nous avons oublié le pourquoi de notre combat.
Nous n’avons jamais su à qui était le sang autour de nous, nous avons accusé sans cesse, sans cesse on nous a accusés, ils ont souffert, et nous aussi, mais alors qu’ils avaient gagné, alors que nous avions gagné, la vérité est morte de vieillesse ou de mort violente. Maintenant tout est vain, nous avons tous été vaincus.
Aussi je pense que peut-être nous pourrions enfin être justes ou que nous pourrions enfin être : nous avons cet ultime instant et après, mille années de gloire pour ne pas être ni revenir.
Memorial d’Isla Negra, 1964. Traduction : Claude Couffon, révisée par Stéphanie Decante. Gallimard, résider sur la terre. Œuvres choisies. Gallimard, Quarto, 2023.
Neruda siempre presente. En attendant Nadeau, 23 septembre 2023.
Le 11 septembre 1973, eut lieu au Chili le coup d’état militaire contre le président Salvador Allende. Le 15 septembre 1973, l’auteur-compositeur Victor Jara était criblé de balles par ses tortionnaires dans le Stade national de Santiago de Chile. Le 23 septembre 1973, mourait le Pablo Neruda dans la chambre 406 de la clinique Santa María de la capitale. Est-il mort de son cancer de la prostate ou d’un empoisonnement ? Ses demeures furent pillées par les militaires. La dictature du général Augusto Pinochet dura 17 ans (1973-1990). Le corps du poète repose dans le jardin de sa maison d’Isla Negra face à l’océan Pacifique. 50 ans. Chile en el corazón.
L’ouvrage Résider sur la terre est paru récemment dans la collection Quarto de Gallimard. Il retrace la trajectoire poétique et intellectuelle de ce poète universel, prix Nobel de littérature en 1971 et ambassadeur du Chili en France de 1970 à 1972.
Pablo Neruda. Résider sur la terre. Œuvres choisies. Préface de Stéphanie Decante. Gallimard, collection « Quarto », 1 600 pages, 37 €.
Oda al camino
En el invierno azul con mi caballo al paso al paso sin saber recorro la curva del planeta, las arenas bordadas por una cinta mágica de espuma, caminos resguardados por acacios, por boldos polvorientos, lomas, cerros hostiles, matorrales envueltos por el nombre del invierno.
Ay viajero! No vas y no regresas: eres en los caminos, existes en la niebla.
Viajero dirigido no a un punto, no a una cita, sino sólo al aroma de la tierra, sino sólo al invierno en los caminos.
Por eso lentamente voy cruzando el silencio y parece que nadie me acompaña.
No es cierto.
Las soledades cierran sus ojos y sus bocas sólo al transitorio, al fugaz, al dormido. Yo voy despierto. Y como una nave en el mar abre las aguas y seres invisibles acuden y se apartan, así, detrás del aire, se mueven y reúnen las invisibles vidas de la tierra, las hojas suspiran en la niebla, el viento oculta su desdichado rostro y llora sobre la punta de los pinos. Llueve, y cada gota cae sobre una pequeñita vasija de la tierra: hay una copa de cristal que espera cada gota de lluvia.
Andar alguna vez sólo por eso! Vivir la temblorosa pulsación del camino con las respiraciones sumergidas del campo en el invierno: caminar para ser, sin otro rumbo que la propia vida, y como, junto al árbol, la multitud del viento, trajo zarzas, semillas, lianas, enredaderas, así, junto a tus pasos, va creciendo la tierra.
Ah viajero, no es niebla, ni silencio, ni muerte, lo que viaja contigo, sino tú mismo con tus muchas vidas.
Así es cómo, a caballo, cruzando colinas y praderas, en invierno, una vez más me equivoqué: creía caminar por los caminos: no era verdad, porque a través de mi alma fui viajero y regresé cuando no tuve ya secretos para la tierra y ella los repetía con su idioma.
En cada hoja está mi nombre escrito.
La piedra es mi familia.
De una manera o de otra hablamos o callamos con la tierra.
Déjame que te hable en esta hora de dolor con alegres palabras. Ya se sabe que el escorpión, la sanguijuela, el piojo, curan a veces. Pero tú oye, déjame decirte que, a pesar de tanta vida deplorable, sí, a pesar y aun ahora que estamos en derrota, nunca en doma, el dolor es la nube, la alegría, el espacio, el dolor es el huésped, la alegría, la casa. Que el dolor es la miel, símbolo de la muerte, y la alegría es agria, seca, nueva, lo único que tiene verdadero sentido. Déjame que con vieja sabiduría, diga: a pesar, a pesar de todos los pesares y aunque sea muy dolorosa y aunque sea a veces inmunda, siempre, siempre la más honda verdad es la alegría. La que de un río turbio hace aguas limpias, la que hace que te diga estas palabras tan indignas ahora, la que nos llega como llega la noche y llega la mañana, como llega a la orilla la ola: irremediablemente.
Alianza y condena. 1965.
Ce qui n’est pas un songe
Laisse-moi te parler, à cette heure de douleur, avec de joyeuses paroles. On sait bien que le scorpion, la sangsue, le pou, soignent parfois. Mais toi écoute, laisse-moi te dire que, malgré tant de vies déplorables, oui, malgré cela et même à présent que nous sommes déroutés, jamais domptés, la douleur est le nuage, la joie, l’espace ; la douleur est l’hôte, la joie, la maison. Car la douleur est le miel, symbole de la mort, et la joie est aigre, sèche, neuve, la seule chose qui ait un véritable sens. Laisse la vieille sagesse te dire : malgré, malgré tout, et même si elle est très douloureuse, et même si elle est parfois immonde, toujours, toujours la plus profonde vérité est la joie. Celle qui d’un fleuve trouble fait des eaux claires, celle qui me fait te dire ces paroles si indignes à présent, celle qui nous arrive comme nous vient la nuit et comme le matin, comme vient aux rives la vague irrémédiablement.
Poésie 1, n°52 – La nouvelle poésie castillane d’Espagne. 1978. Traduction : Annie Salager.
La nièce de Federico García Lorca, Vicenta Fernández-Montesinos García-Lorca (Tica) vient de mourir le 12 septembre 2023 dans une résidence pour personnes âgées d’Aravaca (Madrid). Elle était née le 9 décembre 1930.
Son père, Manuel Fernández-Montesinos (1901-1936), médecin, fut le maire socialiste de Grenade à partir du 1 juillet 1936. Sa mère, Concha García Lorca (1903-1962) était la soeur du poète. Le couple eut trois enfants : Vicenta (1930-2023), Manuel (1932-2013) et Concha (1936-2015). Cette dernière n’a connu ni son père ni son oncle.
Manuel Fernández-Montesinos fut fusillé le 16 août 1936 contre les murs du cimetière de la ville et enterré là. Son oncle, Federico fut assassiné à Víznar à l’aube du 18 août 1936. Son corps n’a jamais été retrouvé.
Tica Fernández-Montesinos avait 5 ans à la mort de son père et son oncle. C’était la dernière personne vivante qui ait connu le grand poète andalou. Elle se souvenait de son rire, de sa voix, de ses gestes.
« Mi tío me sentaba en sus rodillas y me cantaba, me recitaba, se reía con la o y me estiraba de las trenzas. » «De la voz de Tío Federico recuerdo las “eses”: tenían una forma parecida a como la dicen en Granada y Málaga». Malgré les efforts de nombreux chercheurs, on n’ a retrouvé aucun enregistrement de la voix du poète.
La nièce de Federico s’appelait Vicenta Pilar Concepción. Le poète était son parrain et avait choisi de lui donner le prénom de sa propre mère, Vicenta Lorca Romero (1870-1959).
Tica avait grandi dans la résidence d’été de la famille García Lorca, la Huerta de SanVicente, achetée en 1925, un vrai paradis pour les enfants. Toute la famille s’exila à New York en 1940.
C’était une femme intelligente, cultivée, féministe et antifranquiste.
Elle a publié deux livres de souvenirs : Notas deshilvanadas de una niña que perdió la guerra (Editorial Comares, Granada 2007) et El sonido del agua en las acequias (La familia de Federico García Lorca en América) (Dauro Ediciones, 2017). Ils évoquent sa vie à Grenade enfant, puis à New York, en exil.
L’historien anglais Paul Preston estime que 5000 personnes furent exécutées pendant la Guerre Civile à Grenade. (El holocausto español: odio y exterminio en la guerra civil y después. Debate, 2011. Traduction française : Une guerre d’extermination. Espagne, 1936-1945, Belin, 2016).
Ángel González Muñiz est né le 6 septembre 1925 à Oviedo (Asturies).
Son enfance est marquée par la mort de son père, professeur de sciences et de pédagogie à l’école normale d’Oviedo en 1927 alors qu’il n’a que dix-huit mois. Sa situation familiale s’aggrave encore lorsque, pendant la Guerre civile espagnole, son frère Manuel est fusillé par les franquistes en novembre 1936. Son autre frère, Pedro, républicain aussi, doit s’exiler. Sa soeur Maruja ne peut plus exercer son métier d’institutrice.
La tuberculose l’empêche de terminer ses études de droit. Il devient ensuite fonctionnaire, puis professeur de littérature espagnole contemporaine aux États-Unis.
il fait partie du groupe de poètes appelé «Génération de 50» ou «Génération du milieu du siècle» qui compte aussi José Ángel Valente, Jaime Gil de Biedma, Carlos Barral, José Agustín Goytisolo, José Manuel Caballero Bonald, Claudio Rodríguez, Francisco Brines…
En 1985, il reçoit le prix Prince des Asturies de littérature. En janvier 1996, il est élu membre de l’Académie royale espagnole. La même année, il obtient le Prix Reina Sofía de Poésie ibéroaméricaine.
Il meurt le 12 janvier 2008 d’une insuffisance respiratoire à l’âge de 82 ans.
Esto no es nada
Si tuviésemos la fuerza suficiente para apretar como es debido un trozo de madera, sólo nos quedaría entre las manos un poco de tierra. Y si tuviésemos más fuerza todavía para presionar con toda la dureza esa tierra, sólo nos quedaría entre las manos un poco de agua. Y si fuese posible aún oprimir el agua, ya no nos quedaría entre las manos nada.
Áspero mundo. Adonais, Madrid, 1956.
Tout cela n’est rien
Si nous avions suffisamment de force pour bien serrer un morceau de bois, il ne resterait entre nos mains qu’un peu de terre. Et si nous avions plus de force encore pour écraser avec toute notre énergie cette terre, il ne nous resterait entre les mains qu’un peu d’eau. Et s’il était possible aussi de comprimer l’eau, il ne resterait alors entre nos mains rien du tout.
Poésie espagnole. Anthologie 1945 – 1990. Actes Sud / Editions Unesco, 1995. Traduction : Claude de Frayssinet. Points-Poésie, 2007.
Soneto
Donde pongo la vida pongo el fuego de mi pasión volcada y sin salida. Donde tengo el amor, toco la herida. Donde dejo la fe, me pongo en juego.
Pongo en juego mi vida, y pierdo, y luego vuelvo a empezar, sin vida, otra partida. Perdida la de ayer, la de hoy perdida, no me doy por vencido, y sigo, y juego.
lo que me queda : un resto de esperanza. Al siempre va. Mantengo mi postura. Si sale nunca, la esperanza es muerte.
Si sale amor, la primavera avanza. Pero nunca o amor, mi fe segura: jamás o llanto, pero mi fe fuerte.
Sin esperanza, con convencimiento. Colliure, Barcelona, 1961.
Sonnet
Là où j’apporte la vie j’apporte aussi le feu de ma passion entière et sans issue. Si l’amour a surgi, j’en ressens la blessure. Et si je montre ma foi, je joue avec ma vie.
Je mets ma vie en jeu, je perds et je recommence, sans ma vie, la nouvelle partie. Déjà je l’ai perdue, je la reperds encore aujourd’hui, je ne m’avoue pas vaincu, je m’obstine
et je joue ce qui me reste : un lambeau d’espérance. Je joue à « toujours va ». Je maintiens mon enjeu. Si le sort dit « jamais », mon espérance est morte.
Si le sort dit « amour », le printemps s’avance. « Jamais » ou « amour », ma foi est grande ; « jamais» ou « larmes », ma foi demeure forte.
Anthologie bilingue de la poésie espagnole contemporaine. Marabout Université, Verviers (Belgique), 1969. Traduction : Jacinto Luis Guereña.
Porvenir Te llaman porvenir porque no vienes nunca. Te llaman: porvenir, y esperan que tú llegues como un animal manso a comer en su mano. Pero tú permaneces más allá de las horas, agazapado no se sabe dónde. … Mañana! Y mañana será otro día tranquilo un día como hoy, jueves o martes, cualquier cosa y no eso que esperamos aún, todavía, siempre.
Sin esperanza, con convencimiento. Colliure, Barcelona, 1961.
Avenir
On t’appelle avenir parce que tu ne viens jamais. On t’appelle : avenir, et on attend que tu arrives comme un animal docile manger dans leur main. Mais tu restes au-delà des heures, caché on ne sait où. … Demain ! Et demain sera un jour tranquille un jour comme aujourd’hui, jeudi ou mardi, n’importe quel jour et non ce que nous attendons encore et encore, toujours.
Antonio Gamoneda est né dans les Asturies à Oviedo en 1931. Il vit à León depuis 1934. Son père meurt en 1932. Sa mère l’élève dans une banlieue ouvrière, en proie à toutes sortes de difficultés matérielles. Il doit abandonner ses études en 1943 et travailler comme coursier dès 1945. Il a une formation d’autodidacte et a connu l’extrême pauvreté de l’après-guerre et la répression franquiste. Il a obtenu de nombreux prix dont le Prix Cervantès en 2006.
Malos recuerdos
La vergüenza es un sentimiento revolucionario
Karl Marx
Llevo colgados de mi corazón los ojos de una perra y, más abajo, una carta de madre campesina.
Cuando yo tenía doce años, algunos días, al anochecer, llevábamos al sótano a una perra sucia y pequeña.
Con un cable le dábamos y luego con las astillas y los hierros. (Era así. Era así. Ella gemía, se arrastraba pidiendo, se orinaba, y nosotros la colgábamos para pegar mejor).
Aquella perra iba con nosotros a las praderas y los cuestos. Era veloz y nos amaba.
Cuando yo tenía quince años, un día, no sé cómo, llegó a mí un sobre con la carta de un soldado.
Le escribía su madre. No recuerdo: «¿Cuándo vienes? Tu hermana no me habla. No te puedo mandar ningún dinero…»
Y, en el sobre, doblados, cinco sellos y papel de fumar para su hijo. «Tu madre que te quiere.» No recuerdo el nombre de la madre del soldado.
Aquella carta no llegó a su destino: yo robé al soldado su papel de fumar y rompí las palabras que decían el nombre de su madre.
Mi vergüenza es tan grande como mi cuerpo, pero aunque tuviese el tamaño de la tierra no podría volver y despegar el cable de aquel vientre ni enviar la carta del soldado.
Blues castellano, Gijón, Noega, 1982.
Mauvais souvenirs
La honte est un sentiment révolutionnaire Karl Marx
Je porte à mon coeur pendus les yeux d’une chienne et, plus bas, une lettre de mère paysanne.
Quand j’avais douze ans, un jour, à la tombée de la nuit, nous emmenâmes à la cave une chienne sale et petite.
Avec un câble nous la maltraitâmes et aussi avec des échardes et des fers. (C’était ainsi. C’était ainsi. Elle gémissait, elle se traînait suppliante, elle urinait, et nous la pendions pour mieux la maltraiter).
Cette chienne venait avec nous aux pâturages et sur les coteaux. Elle courait vite et nous aimait.
Quand j’avais quinze ans, un jour, je ne sais pas comment, parvint à moi une enveloppe avec une lettre pour un soldat.
Sa mère lui écrivait. Je ne sais plus: “Quand reviens-tu ? Ta soeur ne me parle pas. Je ne puis t’envoyer d’argent… “
Et, dans l’enveloppe, il y avait, cinq timbres pliés et du papier à cigarettes pour son fils. “Ta mère qui t’aime.” Je ne me souviens pas du nom de la mère du soldat.
Cette lettre n’est pas arrivée à sa destination : j’ai volé au soldat son papier à cigarettes et j’ai déchiré les mots qui disaient le nom de la mère.
Ma honte est aussi grande que mon corps, mais serait-elle aussi vaste que la terre je ne pourrais pas retourner pour détacher le câble de ce ventre ni envoyer la lettre au soldat.
Blues castillan. José Corti, 2004. Traduction Jacques Ancet.
Existían tus manos
Existían tus manos
Un día el mundo se quedó en silencio; los árboles, arriba, eran hondos y majestuosos, y nosotros sentíamos bajo nuestra piel el movimiento de la tierra.
Tus manos fueron suaves en las mías y yo sentí la gravedad y la luz y que vivías en mi corazón.
Todo era verdad bajo los árboles, todo era verdad. Yo comprendía todas las cosas como se comprende un fruto con la boca, una luz con los ojos.
Exentos I in Edad (Poesia 1947-1986). Cátedra, Madrid. 1987.
Il existait tes mains…
Il existait tes mains.
Un jour le monde devint silencieux ; les arbres, là-haut, étaient profonds et majestueux, et nous sentions sous notre peau le mouvement de la terre.
Tes mains furent douces dans les miennes et j’ai senti en même temps la gravité et la lumière, et que tu vivais dans mon cœur.
Tout était vérité sous les arbres, tout était vérité. Je comprenais toutes choses comme on comprend un fruit avec la bouche, une lumière avec les yeux.
Poésie espagnole, Anthologie 1945 – 1990. Actes Sud /Editions Unesco, 1995. Traduction Claude de Frayssinet.
Sur Twitter, on peut lire trois publications du journaliste culturel du quotidien La Razón, Víctor Fernández :
” Un día como hoy de 1936, el personaje de esta foto, Ramón Ruiz Alonso, se enteraba del lugar en el que Lorca estaba escondido. Por la tarde, redactaba la denuncia contra él y al día siguiente, con el visto bueno del Gobierno Civil de Granada, detenía al poeta. “
“Le 15 août 1936, ce personnage, Ramón Ruiz Alonso, apprenait où était caché Lorca. L’après-midi, il rédigeait une lettre de dénonciation et le lendemain, avec l’accord de la Préfecture de Grenade, il arrêtait le poète.”
« Un día como hoy de 1936, Lorca fue detenido por los fascistas de Granada. Fue llevado al Gobierno Civil donde lo torturaron. Pocas horas después fue llevado a un paraje entre Víznar y Alfacar donde fue asesinado con otras tres víctimas. »
« Le 16 août 1936, Federico García Lorca fut arrêté par les fascistes de Grenade et emmené à la préfecture où il fut torturé. Peu de temps après il fut transféré dans un endroit entre Víznar et Alfacar où il fut assassiné avec trois autres victimes. »
« Éste es José Valdés Guzmán, el hombre que ordenó el asesinato de Lorca y de centenares de granadinos. Una urbanización lleva hoy su nombre en Granada. »
« Voici José Valdés Guzmán, l’homme qui a ordonné l’assassinat de Lorca et de centaines d’habitants de Grenade. Une zone résidentielle porte aujourd’hui son nom à Grenade. »
Federico García Lorca fut probablement fusillé le 18 août 1936 vers 4h 45 du matin. Son corps n’a jamais été retrouvé. Il fut exécuté et enterré dans une fosse commune avec un instituteur, Dióscoro Galindo, et deux banderilleros anarchistes, Francisco Galadí et Joaquín Arcollas. José Valdés Guzmán demanda son avis à Gonzalo Queipo de Llano, général putchiste surnommé le vice-roi d’Andalousie. De Séville, celui-ci lui aurait répondu : «Dale café, mucho café». “El crimen fue en Granada”, il y a 87 ans. Le poète fait partie des 130.000 républicains disparus pendant la Guerre Civile et la répression qui suivit la fin du conflit.