Luis de Góngora y Argote – El Greco

Retrato del poeta y escritor español Luis de Góngora y Argote (1561-1627). 1622. Museo de Bellas Artes de Boston.

Luis de Góngora y Argote, poète baroque et figure emblématique du cultisme, naît le 11 juillet 1641 à Cordoue de Francisco de Argote, juge des biens confisqués par l’Inquisition, et de Leonor de Góngora. Il fait son éducation au collège des Jésuites de la ville, puis étudie le droit à l’Université de Salamanque (1576-1581). Il commence à écrire et compose des letrillas. Son premier poème est publié en 1580.

Il reçoit les ordres mineurs (1575), puis les ordres majeurs (1580) pour profiter des bénéfices et des rentes ecclésiastiques que lui a légués son oncle maternel, Francisco de Góngora, prébendier de la Cathédrale de Cordoue. Il devient un membre influent du Chapitre de la Cathédrale de Cordoue (1587).

Il séjourne à la Cour, installée à Valladolid (1603-1604), puis à Madrid (1609-1610). Il se retire ensuite à la campagne, dans une propriété appartenant au chapitre de la Cathédrale de Cordoue, la Huerta de San Marcos (1612-1614). C’est là qu’il compose la fable de Polyphème et Galatée (Fábula de Polifemo y Galatea: 63 octaves) et les Solitudes (Soledades: deux mille vers environ), recueil à l’origine divisé en quatre longs poèmes. Il n’en écrira que deux qui constituent le sommet de son œuvre. Il est célèbre en son temps bien qu’il ne se donne guère la peine de publier ses poèmes. Il les envoie à ses amis. Miguel de Cervantes fait son éloge dès 1580 dans La Galatea, Diego Velázquez fait son portrait en 1622 cinq ans avant sa mort.

Partisans du cultisme (ou cultéranisme) et partisans du conceptisme s’opposent violemment. Ses ennemis les plus virulents sont Lope de Vega, et surtout Francisco de Quevedo qui raille et parodie le «jargóngora».

En avril 1617, de nouveau à la Cour à Madrid, il obtient, grâce au duc de Lerma, une charge de chapelain du Roi. Il reçoit alors l’ordination sacerdotale (1618), mais sa situation financière reste précaire. En 1625, il est poursuivi pour dettes. Quevedo, dont l’inimitié ne cesse pas, aurait acheté la maison de Góngora et l’aurait fait expulser. Quevedo publie son célèbre pamphlet: La aguja de navegar cultos con la receta para hacer Soledades en un día.

En 1626, il souffre d’une attaque d’apoplexie et reste partiellement paralysé. Il décède le 23 mai 1627 dans la maison de sa sœur. Il est enterré dans la chapelle Saint-Barthélémy de la Mosquée-Cathédrale de Cordoue.

Les XVIII ème et XIX ème siècles le frappent d’ostracisme. Son importance commence à être reconnue par les poètes symbolistes. Verlaine, par exemple, le place, sans bien le connaître, dans sa galerie des «poètes maudits» et le cite en épigraphe de Lassitude (Poèmes saturniens): «A batallas de amor campo de pluma.» «Á batailles d’amour, champ de plume.»

La réhabilitation du Greco offre plus d’une analogie avec celle de Góngora.

Il faudra l’enthousiasme et l’attention critique de l’extraordinaire génération de poètes du XX ème siècle (Federico García Lorca (Soledad insegura), Jorge Guillén, Dámaso Alonso, Pedro Salinas, Gerardo Diego, Rafael Alberti (Soledad tercera, dans le recueil Cal y canto, 1927), Luis Cernuda) pour exhumer de l’oubli les vers du poète cordouan, et lui rendre sa place dans les lettres espagnoles. L’Ateneo de Séville organise les 16 et 17 décembre 1927 une commémoration du troisième centenaire de la mort du poète dans les locaux de la Sociedad Económica de Amigos del País en présence de la plupart des écrivains que l’on regroupe depuis sous le terme de Génération de 1927.

Góngora est si moderne que García Lorca en fait l’argument de sa conférence La imagen poética de Don Luis de Góngora: «C’est un problème de compréhension: Góngora, il ne faut pas le lire, mais l’étudier». («Es un problema de comprensión. A Góngora no hay que leerlo, sino estudiarlo. Góngora no viene a buscamos como otros poetas para ponemos melancólicos, sino que hay que perseguirlo razonablemente. A Góngora no se puede entender de ninguna manera en la primera lectura.») .

https://federicogarcialorca.net/obras_lorca/la_imagen_poetica_gongora.html

En 1947, Picasso recopie à la plume des sonnets de Góngora et se met à dessiner dans leurs marges. Pablo Picasso, Vingt poèmes de Góngora, Les Grands Peintres Modernes et le Livre, Paris, 1948. Textes en espagnol suivis de la traduction française par Zdzislaw Milner.

Miguel de Cervantes, La Galatea:

«En don Luis de Góngora os ofrezco
un vivo raro ingenio sin segundo;
con sus obras me alegro y me enriquezco
no sólo yo, más todo el ancho mundo.»

Inscripción para el sepulcro de Domínico Greco (Luis de Góngora y Argote)

Esta en forma elegante, oh peregrino,
de pórfido luciente dura llave,
el pincel niega al mundo más süave,
que dio espíritu a leño, vida a lino.

Su nombre, aun de mayor aliento digno
que en los clarines de la Fama cabe,
el campo ilustra de ese mármol grave:
venéralo y prosigue tu camino.

Yace el Griego. Heredó Naturaleza
Arte, y el Arte, estudio; Iris, colores;
Febo, luces – si no sombras, Morfeo. –

Tanta urna, a pesar de su dureza,
lágrimas beba, y cuantos suda olores
corteza funeral de árbol sabeo.

Inscription pour le sépulcre de Domínico Greco

Cette en forme élégante, ô voyageur,
de porphyre brillant dure clé
le pinceau refuse au monde le plus suave,
qui donna esprit au bois, vie au lin.

Son nom, de plus grand souffle digne même
que n’en contiennent les clairons de la Renommée,
le champ illustre de ce marbre grave.
Vénère-le, et poursuis ton chemin.

Gît le Grec, Hérita nature
d’art, et l’Art, d’étude; Iris, de couleurs;
Phébus, de lumières – sinon d’ombres, Morphée.-

Qu’une telle urne, malgré sa dureté,
les larmes boive et autant de senteurs qu’exsude
l’écorce funéraire de l’arbre de Saba.

Sonnets. La Délirante 1991. Traduction Frédéric Magne.

Vista de Toledo(El Greco). v 1596–1600. Nueva York, Metropolitan Museum of Art.

Federico García Lorca – Tica

Retrato de Federico García Lorca en la Huerta de San Vicente (Gregorio Toledo) 1932.

Un poème peu connu de Federico García Lorca…

Cautiva

Por las ramas
indecisas
iba una doncella
que era la vida.
Por las ramas
indecisas.
Con un espejito
reflejaba el día
que era un resplandor
de su frente limpia.
Por las ramas
indecisas.
Sobre las tinieblas
andaba perdida,
llorando rocío,
del tiempo cautiva.
Por las ramas
indecisas.

(Poème isolé)

Captive

Par les branches
indécises
allait une demoiselle
qui était la vie.
Par les branches
Indécises.
À son petit miroir
se reflétait le jour
qui était la splendeur
de son front pur.
Par les branches
indécises.
Sur les ténèbres
elle allait perdue,
versant des pleurs de rosée,
captive du temps.
Par les branches
indécises.

Poésies IV. Suites. Sonnets de l’amour obscur. Gallimard, 1984. Traduction André Belamich.

Vicenta (Tica) Fernández-Montesinos .

Vicenta (TICA) FERNÁNDEZ-MONTESINOS GARCÍA est née à Grenade en décembre 1930. Elle vient d’avoir 90 ans il y a quelques jours.

C’est la fille aînée de Manuel Fernández-Montesinos Lustau, médecin et maire socialiste de Grenade en 1935, fusillé le 16 août 1936 contre les murs du cimetière de Grenade, et de Concha García Lorca, la sœur de Federico García Lorca.

Elle eut une petite enfance heureuse dans la maison de campagne de la famille, la Huerta de San Vicente. Mais, elle souffrit d’une très forte otite qui la laissa partiellement sourde. Son l’oncle Federico l’adorait. Il la faisait rire, lui apprit à chanter et à danser. «Fui para tío Federico la hija que no tendría.» dit-elle.

Le mois d’août 1936 bouleversa la vie de cette famille aisée de la Vega de Grenade. Elle avait cinq ans et sept mois quand les fascistes assassinèrent son père et son oncle.

Ses grands-parents et sa mère durent s’exiler à New York. Ils y arrivèrent le 30 juillet 1940. Quand il partit de Bilbao à bord du Marqués de Comillas, son grand-père Federico García Rodríguez dit: “No quiero volver a ver este jodío país en mi vida”. Il mourut le 15 septembre 1945 à 86 ans.

Tica fit des études de philologie anglaise dans de prestigieux établissements libéraux des États-Unis et revint en 1952 à Madrid. Elle travailla pour la maison d’édition Aguilar qui employaient de nombreux anciens républicains. Elle se maria avec le peintre de Séville Antonio de Casas puis divorça, eut deux fils (Miguel, Claudio) et sept petits-enfants.

En 2011, elle a publié ses souvenirs Notas deshilvanadas de una niña que perdió la guerra (Comares) et en 2017 la suite El sonido del agua en las acequias (Dauro) .

Vicente Aleixandre

Velintonia, 3. Madrid.

Á Madrid (Velintonia, 3), se trouve la maison de Vicente Aleixandre. Elle n’est plus habitée depuis la mort de Concepción Aleixandre, la sœur du poète en 1986. C’est pourtant un des lieux essentiels de la littérature espagnole du vingtième siècle. Nombreux étaient ceux qui venaient rendre visite au Prix Nobel de Littérature 1977, de santé fragile: Federico García Lorca qui jouait du piano ou lui lisait les Sonnets de l’amour obscur, Rafael Alberti, Luis Cernuda, Pablo Neruda, Miguel Hernández, d’autres encore…

Après la Guerre civile, les jeunes écrivains venaient aussi consulter leur aîné. Il servit de pont entre les poètes de la génération de 1950 qui habitaient Barcelone (Carlos Barral, Jaime Gil de Biedma ou Luis Agustín Goytisolo) et ceux de Madrid (Carlos Bousoño, José Hierro, Ángel González Claudio Rodríguez ou Francisco Brines qui a reçu récemment le Prix Cervantès).

La photo montre bien le peu d’intérêt porté à la culture par les différents partis politiques espagnols, et particulièrement les conservateurs qui contrôlent la mairie et le gouvernement régional.

La Asociación de Amigos de Vicente Aleixandre souhaiterait que cette maison devienne la Maison de la Poésie.

“Ser leal a sí mismo es el único modo de llegar a ser leal a los demás.” (Vicente Aleixandre)

Vicente Aleixandre considérait En la plaza comme le meilleur poème de son oeuvre. Je l’avais déjà publié ici le 23 novembre 2020. J’ajoute aujourd’hui sa traduction en français.

http://www.lesvraisvoyageurs.com/2020/11/23/vicente-aleixandre/

Sur la place

Qu’il est beau, merveilleusement humble et rassurant, vivifiant et profond,
de se sentir sous le soleil, parmi les autres poussé,
porté, conduit, mêlé, bruyamment entraîné.

Il n’est pas bon
de rester sur la rive
tels la jetée ou le mollusque qui veut calcairement imiter le rocher.
Mais qu’il est pur, serein, de se fondre dans le bonheur
de couler, de se perdre,
de se trouver dans le mouvement qui fait palpiter, dilaté,
le noble coeur des hommes.

Comme celui qui vit là, j’ignore à quel étage,
et que j’ai vu descendre des escaliers,
se fondre vaillamment dans la foule et se perdre.
La grande masse passait. Mais le minuscule coeur accouru était reconnaissable.
Là-bas, qui le reconnaîtrait? Là-bas, avec espoir, résolution ou foi, avec un courage craintif,
avec une humilité silencieuse, là-bas lui aussi passerait.

C’était une grand-place ouverte, et il y régnait une odeur de vie.
Odeur de grand soleil à nu, de vent qui le ridait,
un grand vent qui sur les têtes passait sa main,
sa grande main qui frôlait les fronts unis et les réconfortait.

Et le tourbillon serpentait
comme un seul être, je ne sais si abandonné ou puissant,
mais bien vivant et perceptible, mais recouvrant la terre.

Là chacun peut se regarder, se réjouir et se reconnaître.
Quand , par les chaudes soirées, seul dans ton bureau,
les yeux étranges et l’interrogation à la bouche,
tu voudrais demander quelque chose à ton image,

ne te cherche pas dans la glace,
dans un dialogue éteint où tu ne t’entends pas.
Descends, descends avec lenteur et cherche-toi parmi les autres.
Ils sont tous là, toi parmi eux.
Oh! dépouille-toi, fonds-toi, reconnais-toi.

Entre lentement comme le baigneur qui, avec beaucoup d’amour et craignant l’eau,
plonge d’abord ses pieds dans l’écume,
et sent l’eau qui le gagne, et maintenant il ose, et maintenant il se décide presque.
L’eau lui arrive à la ceinture, mais il n’a pas confiance encore.
Pourtant il étend les bras, il les ouvre enfin et se donne tout entier.
Et là fort il se reconnaît, il grandit, il se lance
et avance, faisant jaillir l’écume, il saute, plein de confiance,
et fend les eaux vivantes, respire, et chante, et il est jeune.

Ainsi, entre pieds nus. Pénètre dans l’effervescence de la place.
Entre dans le torrent qui te réclame et sois-y toi-même.
Ô petit, tout petit coeur, coeur qui veut battre
pour être lui aussi le coeur unanime qui le comprend!

Poésie totale. Gallimard, 1977. Traduction: Roger Noël-Mayer.

Pablo Neruda – Vicente Aleixandre

Madrid depuis la terrasse du Cercle des Beaux-Arts.

Le poète chilien Pablo Neruda (1904-1973. Prix Nobel de littérature 1971) devient diplomate en 1927. Il occupe successivement des postes de consul à Rangoun (Birmanie), Colombo (Sri Lanka), Batavia (aujourd’hui Jakarta en Indonésie), Calcutta (Inde), puis Buenos Aires. Á partir de 1935, il est consul en Espagne, d’abord à Barcelone, puis à Madrid.

Son séjour à Madrid sera une expérience décisive dans sa vie et dans son oeuvre. Témoin des premières batailles et des bombardements meurtriers lors de la guerre civile, il est évacué vers la France en 1937. Il fonde alors le Comité hispano-américain pour le soutien à l’Espagne avec César Vallejo et l’Alliance des intellectuels chiliens pour la défense de la culture. En 1939, mandaté par le président chilien Pedro Aguirre Cerda, il organise le départ de 2400 réfugiés espagnols à bord du cargo Winnipeg.

Il découvre son attachement à l’Espagne, à sa culture. Cette expérience inoubliable devient pour lui vitale. La perte de ses amis Federico García Lorca y Miguel Hernández le déchire totalement.

Le souvenir de la ville perdue grandit avec le temps. Le poète souffre d’un véritable exil. Dans Memorial de Isla Negra (1964), l’impossibilité de revoir Madrid à cause de la dictature franquiste responsable de la mort de ses amis, est une souffrance. Il évoque le paysage, la ville, les rues, les boutiques des artisans et leurs produits, les tavernes, le bruit des enfants, l’odeur du pain qui sort des boulangeries, les chariots et l’ami poète, jamais revu, Vicente Aleixandre. Ce paradis perdu est toujours présent dans son esprit.

¡Ay! mi ciudad perdida

Me gustaba Madrid y ya no puedo
verlo, no más, ya nunca más, amarga
es la desesperada certidumbre
como de haberse muerto uno también al tiempo
que morían los míos, como si se me hubiera
ido a la tumba la mitad del alma,
y allí yaciere entre llanuras secas,
prisiones y presidios,
aquel tiempo anterior cuando aún no tenía
sangre la flor, coágulos la luna.
Me gustaba Madrid por arrabales,
por calles que caían a Castilla
como pequeños ríos de ojos negros:
era el final de un día
calles de cordeleros y toneles,
trenzas de esparto como cabelleras,
duelas arqueadas desde
donde
algún día
iba a volar el vino a un ronco reino,
calles de los carbones,
de las madererías,
calles de las tabernas anegadas
por el caudal
del duro Valdepeñas
y calles solas, secas, de silencio
compacto como adobe,
e ir y saltar los pies sin alfabeto,
sin guía, ni buscar, ni hallar, viviendo
aquello que vivía
callando con aquellos
terrones, ardiendo
con las piedras
y al fin callado el grito de una ventana, el canto
de un pozo, el sello
de una gran carcajada
que rompía
con vidrios
el crepúsculo, y aún
más acá,
en la garganta
de la ciudad tardía,
caballos polvorientos,
carros de ruedas rojas,
y el aroma
de las panaderías al cerrarse
la corola nocturna
mientras enderezaba mi vaga dirección
hacia Cuatro Caminos, al número
3
de la calle Wellingtonia
en donde me esperaba
bajo dos ojos con chispas azules
la sonrisa que nunca he vuelto a ver
en el rostro
– plenilunio rosado –
de Vicente Aleixandre
que dejé allí a vivir con sus ausentes.

Memorial de Isla Negra, 1964.

Aïe! Ma ville perdue

J’aimais Madrid et maintenant je ne peux plus
le voir, non, plus jamais, plus jamais plus, ô certitude
désespérée aussi amère
que d’être mort moi-même au moment où mouraient
les miens ou que d’avoir porté en terre
la moitié de mon âme,
comme si là-bas dans les plaines sèches,
les prisons et les bagnes,
gisait ce temps d’avant, ce temps
où la fleur n’avait pas de sang ni de caillots la lune.
J’aimais Madrid pour ses faubourgs,
pour ses rues qui allaient se jeter en Castille
comme de minces rivières aux yeux noirs:
c’était par un jour finissant:
des rues de cordiers, de tonneaux
et de tresses d’alfa comme des chevelures,
de douves arquées
d’où
un jour
le vin s’envolerait vers un rauque royaume,
rues du charbon,
rues des chantiers vendeurs de bois,
rues des tavernes inondées
par le flot
du dur valdepeñas,
rues solitaires, sèches, au silence compact
de brique crue,
et les pieds qui vont et qui sautent, sans alphabet,
sans guide, sans chercher ni trouver, vivant
cela qui vivait bouche close
avec
ces mottes, brûlant
avec les pierres
et enfin, quand se taisait le cri d’une fenêtre, le chantier d’un puits, le sceau
d’un grand éclat de rire
qui brisait
de ses vitres
le crépuscule, et encore
plus avant,
dans la gorge
de la ville tardive,
des chevaux couverts de poussière,
des voitures aux roues écarlates,
et le parfum
des boulangeries quand se refermait
la corolle nocturne
tandis que je modifiais mon vague chemin
vers Cuatro Caminos, vers ce
3,
rue Wellingtonia
où m’attendait
sous deux yeux d’étincelles bleues
le sourire que je n’ai plus jamais revu
sur le visage
– rose lune pleine –
de Vicente Aleixandre
que j’ai laissé là-bas vivre avec ses absents.

Mémorial de l’Île Noire, 1970. Gallimard. Traduction: Claude Couffon.

Vicente Aleixandre

Je viens de terminer le recueil des lettres envoyées par le Prix Nobel de littérature 1977 à son ami Miguel Hernández, puis ensuite à sa veuve, Josefina Manresa. Il a été publié en 2015, puis en 2018 en poche (Collection Austral), sous le titre De Nobel a Novel. epistolario de Vicente Aleixandre a Miguel Hernández y Josefina Manresa.

Ce n’est pas le poète le plus connu de la Génération de 1927, mais c’était une homme bon. Toute sa vie, il a aidé la veuve et le fils de Miguel Hernández qui vivaient dans des conditions très difficiles après la guerre civile. Il le faisait avec une grande délicatesse. Il a beaucoup fait pour la publication des oeuvres du poète d’Orihuela en Espagne et dans le monde. Il donnait des conseils judicieux à Josefina Manresa pour cela, veillant particulièrement aux intérêts économiques de cette famille.

Il est né à Séville le 26 avril 1898, mais a été élevé à Málaga (voir le poème Ciudad del paraíso )

http://www.lesvraisvoyageurs.com/2020/03/23/vicente-aleixandre-1898-1984/

Il a suivi ensuite des études de droit et de commerce à Madrid. Mais il a souffert toute sa vie des conséquences d’une néphrite tuberculeuse. En 1932, il subit une extraction du rein droit. Il devait se reposer et ne sortait que rarement de sa maison de Velingtonia, 3 (aujourd’hui, Vicente Aleixandre).

Rafael Alberti, Federico García Lorca, Luis Cernuda, Pablo Neruda, Dámaso Alonso, Gerardo Diego, Manuel Altolaguirre, Miguel Hernández, José Antonio Muñoz Rojas venaient lui rendre visite avant la guerre. Néanmoins, il passait avec sa soeur Concha tous ses étés à Miraflores de la Sierra afin d’éviter la chaleur de Madrid. Après la guerre civile, il est resté en Espagne. Il a fortement influencé les jeunes écrivains de cette époque qu’il recevait généreusement et régulièrement dans sa maison. Membre de l’Académie royale espagnole à partir de 1949, il a obtenu le Prix Nobel de littérature en 1977.

Il est mort le 13 décembre 1984 à Madrid à l’âge de 86 ans. On disait de lui qu’il avait “une mauvaise santé de fer” (una mala salud de hierro).

En 1927, il a planté un cèdre dans son jardin. Il est encore là, protégé, ce qui n’est pas le cas de sa maison qui est en ruines. La municipalité actuelle de Madrid ne s’intéresse guère à la culture.

Oeuvres

Ámbito (1928)
Espadas como labios (1932)
La destruccion o el amor (1933). La destruction ou l’amour. Traduction française de Jacques Ancet. Federop, 1975 &1977.
Sombra del paraíso (1939-1943, publié à Madrid en 1944, Ombre du paradis, traduction française de Roger Noël-Mayer et Claude Couffon, avec une introduction de Roger Noël-Mayer, Gallimard, 1980.
Historia del corazón (1954)
Los encuentros (1958) en prose.
En un vasto dominio (1962)
Poemas de la consumación (1968)
Sonido de la guerra (1972)
Diálogos del conocimiento (1974)
En gran noche (1991)

Gallimard, après le Prix Nobel en 1977, a publié une anthologie de son oeuvre intitulée Poésie totale (Traduction Roger Noël-Mayer)

Vicente Aleixandre considérait En la plaza comme le meilleur poème de son oeuvre.

En la plaza

Hermoso es, hermosamente humilde y confiante, vivificador y profundo,
sentirse bajo el sol, entre los demás, impelido,
llevado, conducido, mezclado, rumorosamente arrastrado.

No es bueno
quedarse en la orilla
como el malecón o como el molusco que quiere calcáreamente imitar a la roca.
Sino que es puro y sereno arrasarse en la dicha
de fluir y perderse,
encontrándose en el movimiento con que el gran corazón de los hombres palpita extendido.

Como ese que vive ahí, ignoro en qué piso,
y le he visto bajar por unas escaleras
y adentrarse valientemente entre la multitud y perderse.
La gran masa pasaba. Pero era reconocible el diminuto corazón afluido.
Allí, ¿quién lo reconocería? Allí con esperanza, con resolución o con fe, con temeroso denuedo,
con silenciosa humildad, allí él también
transcurría.

Era una gran plaza abierta, y había olor de existencia.
Un olor a gran sol descubierto, a viento rizándolo,
un gran viento que sobre las cabezas pasaba su mano,
su gran mano que rozaba las frentes unidas y las reconfortaba.

Y era el serpear que se movía
como un único ser, no sé si desvalido, no sé si poderoso,
pero existente y perceptible, pero cubridor de la tierra.

Allí cada uno puede mirarse y puede alegrarse y puede reconocerse.
Cuando, en la tarde caldeada, solo en tu gabinete,
con los ojos extraños y la interrogación en la boca,
quisieras algo preguntar a tu imagen,
no te busques en el espejo,
en un extinto diálogo en que no te oyes.
Baja, baja despacio y búscate entre los otros.
Allí están todos, y tú entre ellos.
Oh, desnúdate y fúndete, y reconócete.

Entra despacio, como el bañista que, temeroso, con mucho amor y recelo al agua,
introduce primero sus pies en la espuma,
y siente el agua subirle, y ya se atreve, y casi ya se decide.
Y ahora con el agua en la cintura todavía no se confía.
Pero él extiende sus brazos, abre al fin sus dos brazos y se entrega completo.
Y allí fuerte se reconoce, y se crece y se lanza,
y avanza y levanta espumas, y salta y confía,
y hiende y late en las aguas vivas, y canta, y es joven.

Así, entra con pies desnudos. Entra en el hervor, en la plaza.
Entra en el torrente que te reclama y allí sé tú mismo.
¡Oh pequeño corazón diminuto, corazón que quiere latir
para ser él también el unánime corazón que le alcanza!

Historia del corazón, Espasa Calpe 1954

Vicente Aleixandre (Zamorano).

Miguel Hernández

Cancionero y romancero de ausencias (1938-1941). Publication posthume à Buenos Aires en 1958.

Miguel Hernández, après son arrestation à la frontière portugaise (Rosal de la Frontera) le 29 avril 1939, fut livré à la Guardia civil et emprisonné ensuite dans la prison madrilène de Torrijos du 15 mai au 15 septembre 1939.

Cette prison provinciale se trouvait au numéro 65 de la rue de Torrijos (aujourd’hui calle Conde de Peñalver n°53). 3000 personnes y étaient entassées alors.
Miguel Hernández se trouvait dans la quatrième galerie, première salle.

Il écrivit à sa femme, Josefina Manresa, le 12 septembre 1939:
“También paso mis buenos ratos espulgándome, que familia menuda no me falta nunca, y a veces la crío robusta y grande como el garbanzo. Todo se acabará a fuerza de uña y paciencia, o ellos, los piojos, acabarán conmigo. Pero son demasiada poca cosa para mí, tan valiente como siempre, y aunque fueran como elefantes esos bichos que quieren llevarse mi sangre, los haría desaparecer del mapa de mi cuerpo. ¡Pobre cuerpo! Entre sarna, piojos, chinches y toda clase de animales, sin libertad, sin ti, Josefina, y sin ti, Manolillo de mi alma, no sabe a ratos qué postura tomar, y al fin toma la de la esperanza que no se pierde nunca.”

Les punitions pleuvaient: interdiction de lire, interdiction de jouer aux échecs, interdiction de se doucher. Le poète fut puni plusieurs fois. On lui rasa les cheveux. Il dut balayer la galerie et la cour pendant une semaine parce qu’il n’avait pas chanté correctement l’hymne franquiste, le Cara al sol, ce que les prisonniers devaient faire trois fois par jour.

Pendant cette période, il dessinait la nuit et écrivit de nombreux poèmes: par exemple Nanas de la cebolla et Ascensión de la escoba.

Ascensión de la escoba

Coronada la escoba de laurel, mirto, rosa,
es el héroe entre aquellos que afrontan la basura.
Para librar del polvo sin vuelo cada cosa
bajó, porque era palma y azul, desde la altura.

Su ardor de espada joven y alegre no reposa.
Delgada de ansiedad, pureza, sol, bravura,
azucena que barre sobre la misma fosa,
es cada vez más alta, más cálida, más pura.

¡Nunca! La escoba nunca será crucificada
porque la juventud propaga su esqueleto
que es una sola flauta, muda, pero sonora.

Es una sola lengua, sublime y acordada.
Y ante su aliento raudo se ausenta el polvo quieto,
y asciende una palmera, columna hacia la aurora.

Cárcel de Torrijos. Septiembre de 1939.

Cancionero y romancero de ausencias (1938-1941)

Ascension du balai

Le balai couronné de laurier, myrte, roses
Parmi tous les héros qui affrontent l’ordure
Pour libérer de la poussière toute chose
Est descendu de la hauteur, palme et azur.

Jeune épée guerroyant, jamais ne se repose,
Finesse, ardeur, innocence, soleil, bravoure,
Il est comme le lys et il nettoie la fosse,
Toujours plus élevé, plus chaleureux, plus pur.

Jamais le balai ne sera crucifié
car la jeunesse va, prodigue de ses os,
Flûte unanime de silence et de musique.

Langue sublime d’harmonie, souffle puissant,
Devant eux toute boue retourne à son néant
Et le balai s’envole, colonne, vers l’aurore.

Prison de Torrijos, septembre 1939.

Traduction Marie Chevallier.

Madrid, Fundación Fausta Elorz (Daniel Zavala Álvarez) . 1910-14. Antigua cárcel de Torrijos. Calle del Conde de Peñalver n°53.

Paul Éluard – Luis Cernuda

Portrait de Paul Éluard (Man Ray). 1936.

Luis Cernuda (1902-1963) a traduit 6 poèmes de L’amour la poésie de Paul Éluard (Éditions Gallimard, 1929) alors qu’il se trouvait à Toulouse comme lecteur d’Espagnol de l’École Normale.
Il s’agissait d’une commande de José María Hinojosa pour la revue de Málaga Litoral, créée en 1926 par Manuel Altolaguirre et Emilio Prados. Ces traductions seront publiées dans le numéro du 9 juillet 1929. Cette revue fut essentielle pour le rayonnement des poètes de la Génération de 1927.

Premièrement (Paul Eluard)

VIII.
Mon amour pour avoir figuré mes désirs
Mis tes lèvres au ciel de tes mots comme un astre
Tes baisers dans la nuit vivante
Et le sillage des tes bras autour de moi
Comme une flamme en signe de conquête
Mes rêves sont au monde
Clairs et perpétuels.

Et quand tu n’es pas là
Je rêve que je dors je rêve que je rêve.

°°°

Para figurar mis deseos mi amor
De tus palabras en el cielo
Puso tus labios como un astro
En la noche vivaz tus besos
Y alrededor de mí la estela de tus brazos
Como una llama en signo de conquista
Mis sueños en el mundo
Son claros y perpetuos

Y cuando allí no estás
Sueño que duermo sueño que sueño.

XV.
Elle se penche sur moi
Le cœur ignorant
Pour voir si je l’aime
Elle a confiance elle oublie
Sous les nuages de ses paupières
Sa tête s’endort dans mes mains
Où sommes-nous
Ensemble inséparables
Vivants vivants
Vivant vivante
Et ma tête roule en ses rêves.

°°°

Sobre mí se inclina
Cozazón ignorante
Por ver si la amo
Confía y olvida
Sus párpados son nubes encima
De su cabeza dormida en mis manos
Estamos en dónde
Mezcla inseparable
Vivaces vivaces
Yo vivo ella viva
Mi cabeza rodando en sus sueños

XXII.
Le front aux vitres comme font les veilleurs de chagrin
Ciel dont j’ai dépassé la nuit
Plaines toutes petites dans mes mains ouvertes
Dans leur double horizon inerte indifférent
Le front aux vitres comme font les veilleurs de chagrin
Je te cherche par delà l’attente
Par delà moi même
Et je ne sais plus tant je t’aime
Lequel de nous deux est absent.

°°°
Como quien vela disgustos la frente al cristal
Cielo cuya noche transpuse
Llanuras pequeñísimas en mis manos abiertas
Inerte indiferente en su doble horizonte
Como quien vela disgustos la frente al cristal
Más allá de la espera te busco
Más allá de mí mismo
Y no sé ya tanto amor te tengo
Cuál de los dos está ausente

Seconde nature

II.
Toutes les larmes sans raison
Toute la nuit dans ton miroir
La vie du plancher au plafond
Tu doutes de la terre et de ta tête
Dehors tout est mortel
Pourtant tout est dehors
Tu vivras de la vie d’ici
Et de l’espace misérable
Qui répond à tes gestes
Qui placarde tes mots
Sur un mur incompréhensible

Et qui donc pense à ton visage?

°°°
Lágrimas todas sin razón
En tu espejo la noche entera
La vida del suelo en el techo
Dudas de la tierra y tu cabeza
Afuera todo es mortal
Aunque todo se halla fuera
Vivirás la vida de aquí
Y del miserable espacio
A tus gestos ¿quién responde?
Tus palabras ¿quién las guarda
En un muro incomprensible?

¿Y quién piensa en tu semblante?

IX.
Les yeux brûlés du bois
Le masque inconnu papillon d’aventure
Dans les prisons absurdes
Les diamants du cœur
Collier du crime.

Des menaces montrent les dents
Mordent le rire
Arrachent les plumes du vent
Les feuilles mortes de la fuite.

La faim couverte d’immondices
Étreint le fantôme du blé
La peur en loques perce les murs
Des plaines pâles miment le froid.

Seule la douleur prend feu.

°°°
Ojos quemados del bosque
Máscara incógnita mariposa de aventura
En prisiones absurdas
Diamantes del corazón
Collar del crimen

Las amenazas muestran los dientes
Muerden la risa
Arrancan las plumas del viento
Las hojas muertas de la fuga

El hambre cubierta de inmundicias
Abraza el fantasma del trigo
El miedo en girones atraviesa lo muros
Pálidas llanuras representan el frío.

Sólo el dolor se incendia.

XVI.
Ni crime de plomb
Ni justice de plume
Ni vivante d’amour
Ni morte de désir.

Elle est tranquille indifférente
Elle est fière d’être facile
Les grimaces sont dans les yeux
Des autres ceux qui la remuent.

Elle ne peut pas être seule
Elle se couronne d’oubli
Et sa beauté couvre les heures
Qu’il faut pour n’être plus personne.
Elle va partout fredonnant
Chanson monotone inutile
La forme de son visage.

°°°
Ni crimen de plomo
Ni justicia de pluma
Ni de amor viviendo
Ni muerta de deseo.

Es tranquila indiferente
Orgullosa de ser fácil
Los gestos van a los ojos
De aquellos que la conmueven.

Hallarse no puede sola
Y se corona de olvido
Su beldad cubre las horas
Justas para no ser nadie.

Silbando en todo lugar
Canción monótona inútil
La forma de su semblante.

Premier numéro de la revue Litoral. 1926. Dessin de María Ángeles Ortiz.

Fidelité ou lois du marché

Louise Glück.

La Wylie Agency, fondée en 1980, est une des plus puissantes agences du monde puisqu’elle représente plus de 1 100 artistes (entre autres Albert Camus, Salman Rushdie, Martin Amis, Saul Bellow, Philip Roth, Roberto Bolaño, Jorge Luis Borges, Vladimir Nabokov, John Cheever, Raymond Carver).

Le fondateur de cette maison, Andrew Wylie, est surnommé Le Chacal.

Elle représente maintenant aussi Louise Glück, Prix Nobel 2020.

La maison d’édition espagnole indépendante de Valence Pre-Textos, dirigée par Manuel Borras, a publié depuis 2006 sept des onze recueils de poèmes de Louise Glück, Prix Nobel de Littérature 2020, en édition bilingue.

El iris salvaje 2006 (The Wild Iris 1992)
Ararat 2008. (Ararat 1990)
Las siete edades 2011 (The Seven Ages. 2001)
Averno 2011 (Averno 2006)
Vita nova 2014 (Vita Nova 1999)
Praderas 2017 (Meadowlands 1997)
Una vida de pueblo 2020 (A village life 2009)

Traducteurs: Abraham Gragera López, Eduardo Chirinos Arrieta, Mirta Rosenberg, Andrés Catalán, Adalber Salas Hernández, Mariano Peyrou.

La Wylie Agency a informé Pre-Textos qu’elle devait arrêter la commercialisation des livres publiés, détruire les stocks et éliminer ces titres de son catalogue.

La revue et maison d’édition Buenos Aires Poetry a publié le 16 novembre une lettre-pétition pour soutenir Pre-Textos: “Carta Abierta: Apoyo de escritores, traductores, editores & periodistas a Editorial Pre-Textos”. http://clubdetraductoresliterariosdebaires.blogspot.com/2020/11/carta-abierta-louise-gluck-y-andrew.html?m=1

Marcos Díez. El Diario Montañés.
Andrew Wylie (Eva Becerra). Foire internationale du livre de Guadalajara (Mexique). 2016.

Francisco Brines

Francisco Brines dans sa maison d’ Oliva. 15 juin 2006 (Jesús Císcar)

Le poète Francisco Brines a obtenu hier, 16 novembre 2020, le prix Cervantès, la plus haute distinction de la littérature hispanique.

Il est né le 22 janvier 1932 à Oliva (Communauté valencienne) en 1932. C’est un des derniers représentants de la Génération de 1950 (Jaime Gil de Biedma, José María Caballero Bonald, Carlos Barral, José Ángel Valente, Claudio Rodríguez, Alfonso Costafreda, Ángel González)

Ce fils de propriétaires terriens valenciens a suivi des études de droit et de philosophie et lettres. Il a été professeur de littérature espagnole à Cambridge, puis de langue espagnole à Oxford.

Sa poésie est une célébration de la vie, de la beauté du monde et de la nature. L’oubli, le néant et le temps destructeur sont aussi très présents dans son oeuvre. Il a été influencé par des poètes comme Antonio Machado, Juan Ramón Jiménez, Luis Cernuda ou Constantin Cavafy.

Il a obtenu le Premio Nacional de las Letras Españolas en 1986 et le Premio Reina Sofía de Poesía Iberoamericana en 2010. Il est membre de la Real Academia Española depuis 2001.

Oeuvres principales:

  • Las brasas, Madrid, Colección Adonais, 1959
    • El santo inocente, Madrid, Poesía para todos, 1965.
    • Palabras a la oscuridad, Madrid, Ínsula, 1966.
    • Aún no, Barcelona, Ocnos, 1971.
    • Insistencias en Luzbel, Madrid, Visor, 1977.
    • El otoño de las rosas, Sevilla, Renacimiento, 1987.
    • La última costa, Barcelona, Tusquets, 1995.
    • Ensayo de una despedida (1960-1997). Poesía completa. Barcelone Tusquets , 1997.

Cuando yo aún soy la vida

A Justo Jorge Padrón

La vida me rodea, como en aquellos años
ya perdidos, con el mismo esplendor
de un mundo eterno. La rosa cuchillada
de la mar, las derribadas luces
de los huertos, fragor de las palomas
en el aire, la vida en torno a mí,
cuando yo aún soy la vida.
Con el mismo esplendor, y envejecidos ojos,
y un amor fatigado.

¿Cuál será la esperanza? Vivir aún;
y amar, mientras se agota el corazón,
un mundo fiel, aunque perecedero.
Amar el sueño roto de la vida
y, aunque no pudo ser, no maldecir
aquel antiguo engaño de lo eterno.
Y el pecho se consuela, porque sabe
que el mundo pudo ser una bella verdad.

Aún no, Ocnos, Barcelona, 1971.

Quand je suis encore la vie

A Justo Jorge Padrón

La vie m’entoure, comme durant ces années
maintenant perdues, après la magnificence
d’un monde éternel. La rose estafilade
de la mer, les couleurs estompées
des jardins, le fracas des pigeons
dans l’air, la vie autour de moi,
quand je suis encore la vie.
Avec la magnificence d’autrefois, les yeux vieillis,
et un amour lassé.

Quelle espérance à présent? Vivre;
et aimer, tandis que le cœur s’épuise,
un monde fidèle, bien que périssable.
Aimer le rêve brisé de la vie
et, en dépit de l’échec, ne pas maudire
cette vieille duperie d’éternité.
Et notre cœur se console car il sait
que le monde aurait pu être une belle vérité.

Traduction Claude de Freyssinet. Poésie espagnole. Anthologie 1945 – 1990. Actes Sud / Editions Unesco, 1995.

Epitafio romano

«No fui nada, y ahora nada soy.
Pero tú, que aún existes, bebe, goza
de la vida…, y luego ven.»

Eres un buen amigo.
Ya sé que hablas en serio, porque la amable piedra
la dictaste con vida: no es tuyo el privilegio,
ni de nadie,
poder decir si es bueno o malo
llegar ahí.

Quien lea, debe saber que el tuyo
también es mi epitafio. Valgan tópicas frases
por tópicas cenizas.

Aún no. Ocnos, Barcelone, 1971.

Épitaphe romaine

«Je ne fus rien, et rien ne suis.
Mais toi, qui es vivant, bois, profite
de la vie…et ensuite viens.»

Tu es un bon ami.
Je sais que tu parles sérieusement, car l’aimable inscription
fut dictée de ton vivant; ni toi ni personne
n’a le privilège
de pouvoir dire s’il est bon ou mauvais
d’en arriver là.

Le lecteur doit savoir que ton épitaphe
je la fais mienne. Voilà des phrases toutes faites
pour des cendres toutes faites.

Traduction Claude de Freyssinet. Poésie espagnole. Anthologie 1945 – 1990. Actes Sud / Editions Unesco, 1995.

Bernard Sesé

Bernard Sesé (né le 27 avril 1929) est décédé le 6 novembre 2020 à Paris. C’était un universitaire, essayiste, traducteur et poète français, agrégé d’espagnol.
Il a enseigné la littérature espagnole à l’université Mohammed-V de Rabat, puis à l’université Paris I Panthéon Sorbonne ainsi qu’à l’université de Nanterre.
Il a fondé la collection Ibériques aux éditions José Corti. Il était aussi membre correspondant de l’Académie royale espagnole.
Une grande part de son travail a consisté en de multiples et importantes traductions d’ouvrages espagnols, le plus souvent en éditions bilingues, de grands mystiques comme Thérèse d’Avila à des poètes comme Antonio Machado ou Juan Ramón Jiménez, en passant par le théâtre de Pedro Calderón de la Barca. On lui doit aussi des traductions de textes en portugais de Fernando Pessoa.

Merci, Professeur, pour vos nombreux ouvrages et vos belles traductions.
“Sit tibi terra levis. Que la tierra te sea leve.”

https://www.youtube.com/watch?v=FyoH_LBniMQ

Quelques-unes de ses traductions:
. Antonio Machado, Champs de Castille, précédé de Solitudes, Galeries et autres poèmes, et suivi de Poésies de la guerre, traduction par Sylvie Léger et Bernard Sesé, préface de Claude Esteban, Paris, Gallimard, collection Poésies, 1981.
• Fernando Pessoa, L’Heure du diable, édition bilingue, traduction par Maria Druais et Bernard Sesé, préface de José Augusto Seabra et postface de Teresa Rita Lopes, Paris, José Corti, 1989.
• Fernando Pessoa, Message, édition bilingue, traduction par Bernard Sesé, préface de José Augusto Seabra et bibliographie par José Blanco, Paris, José Corti, 1989.
• Jean de la Croix, Les Dits de lumière et d’ amour, édition bilingue, traduction par Bernard Sesé, préface de Michel de Certeau et introduction de Jean Baruzi, Paris, José Corti, 1990.
• Juan Ramón Jiménez, Pierre et ciel, édition bilingue, préface et traduction par Bernard Sesé, Paris, José Corti, 1990.
• Pedro Calderón de la Barca, Le Prince Constant – El Príncipe Constante, édition bilingue, introduction et traduction par Bernard Sesé, Paris, Aubier, 1992.
• Pedro Calderón de la Barca, Le Magicien prodigieux – El Mágico prodigioso, édition bilingue, présentation et traduction Bernard Sesé, Paris, Aubier, 1992.
• Jean de la Croix, Poésies complètes, édition bilingue, traduction et avant-propos par Bernard Sesé, préface de Pierre Emmanuel, postface de Jorge Guillén, Paris, José Corti, 1993.
La Vie de Lazarillo de Tormès – La vida de Lazarillo de Tormes, édition bilingue, introduction de Marcel Bataillon, traduction par Bernard Sesé, Paris, Garnier-Flammarion, 1993.
• Sainte Thérèse d’Avila, Œuvres complètes, traduction et présentation par Bernard Sesé, 2 tomes, Paris, Cerf, 1995.
• Juan Ramón Jiménez, Été – Estío, édition bilingue, préface et traduction par Bernard Sesé, Paris, José Corti, 1997.
• Pedro Calderón de la Barca, La Vie est un songe – La vida es sueño, édition bilingue, traduction par Bernard Sesé, Paris, Garnier-Flammarion, 1999.
• Fernando Pessoa, Le Marin, édition bilingue, traduction par Bernard Sesé, préface de José Augusto Seabra, Paris, José Corti, 1999.
• Juan Ramón Jiménez, Éternités, édition bilingue, préface et traduction par Bernard Sesé, Paris, José Corti, 2000.
• Juan Ramón Jiménez, Poésies en vers, édition bilingue, préface et traduction par Bernard Sesé, Paris, José Corti, 2002.
• Juan Ramón Jiménez, Beauté, édition bilingue, préface et traduction par Bernard Sesé, Paris, José Corti, 2005.
• Pedro Salinas, La voix qui t’es due. La tête à l’envers. 2012
Ainsi parlait Thérèse d’Avila, édition bilingue, dits et maximes de vie choisis par Anne Pfister, traduction par Bernard Sesé, Paris, Arfuyen, 2015.