Je viens de lire sur le blog de Pierre Assouline, La République des Livres, la traduction récente que Line Amsellem vient de publier chez Allia du plus célèbre poème des Sonnets de l’amour obscur.
Tengo miedo a perder la maravilla de tus ojos de estatua y el acento que de noche me pone en la mejilla la solitaria rosa de tu aliento.
Tengo pena de ser en esta orilla tronco sin ramas, y lo que más siento es no tener la flor, pulpa o arcilla, para el gusano de mi sufrimiento.
Si tú eres el tesoro oculto mío, si eres mi cruz y mi dolor mojado, si soy el perro de tu señorío,
no me dejes perder lo que he ganado y decora las aguas de tu río con hojas de mi otoño enajenado.
Sonetos del amor oscuro. Publié dans la revue Cancionero. Valladolid. 1943.
Sonnet de la douce plainte
J’ai la crainte de perdre le prodige de tes yeux de statue, et cette touche que me met sur la joue pendant la nuit la solitaire rose de ton souffle.
Je suis triste d’être sur cette rive un tronc sans branche, et plus encor me coûte de n’avoir pas la fleur, pulpe ou argile, pour le ver rongeur par lequel je souffre.
Si tu es mon bien caché, mon trésor, si tu es ma croix, ma douleur mouillée, et si je suis le chien de ta couronne,
fais que je garde ce que j’ai gagné et de ta rivière les eaux décore de feuilles de mon automne emporté.
Sonnets de l’amour obscur. Traduction Line Amselem. Éditions Allia, 2024.
il est intéressant de la comparer avec celles d’André Belamich et d’Yves Véquaud.
Line Amsellem, agrégée d’espagnol, maître de conférences à l’université polytechnique Hauts-de-France, a publié chez Allia d’autres traductions de Federico García Lorca.
Jeu et théorie du duende, Paris, Allia, 2008,
Las Nanas infantiles, Paris, Allia, 2009. Réédité sous le titre Les Berceuses, Paris, Allia, 2018
Il me faut relire quelques poèmes d’Antonio Machado el Bueno. Il doit se promener quelque part, peut-être Parque del Oeste à Madrid, près du Paseo del Pintor Rosales. Il attend de voir Guiomar…
” He andado muchos caminos. J’ai connu beaucoup de chemins. “
Je n’aime pas trop la traduction de ce poème.
II. He andado muchos caminos
He andado muchos caminos he abierto muchas veredas ; he navegado en cien mares y atracado en cien riberas.
En todas partes he visto caravanas de tristeza, soberbios y melancólicos borrachos de sombra negra.
Y pedantones al paño que miran, callan y piensan que saben, porque no beben el vino de las tabernas.
Mala gente que camina y va apestando la tierra…
Y en todas partes he visto gentes que danzan o juegan, cuando pueden, y laboran sus cuatro palmos de tierra.
Nunca, si llegan a un sitio preguntan a dónde llegan. Cuando caminan, cabalgan a lomos de mula vieja.
Y no conocen la prisa ni aun en los días de fiesta. Donde hay vino, beben vino, donde no hay vino, agua fresca.
Son buenas gentes que viven, laboran, pasan y sueñan, y un día como tantos, descansan bajo la tierra.
Soledades, 1907.
J’ai connu beaucoup de chemins
J’ai connu beaucoup de chemins, j’ai tracé beaucoup de sentiers, navigué sur cent océans, et accosté à cent rivages.
Partout j’ai vu des caravanes de tristesse, de fiers et mélancoliques ivrognes à l’ombre noire.
et des cuistres, dans les coulisses, qui regardent, se taisent et se croient savants, car ils ne boivent pas le vin des tavernes.
Sale engeance qui va cheminant et empeste la terre…
Et partout j’ai vu des gens qui dansent ou qui jouent, quand ils le peuvent, et qui labourent leurs quatre empans de terre.
Arrivent-ils quelque part, jamais ne demandent où ils sont. Quand ils vont cheminant, ils vont sur le dos d’une vieille mule,
ils ne connaissent point la hâte, pas même quand c’est jour de fête. S’il y a du vin, ils en boivent, sinon ils boivent de l’eau fraîche.
Ce sont de braves gens qui vivent, qui travaillent, passent et rêvent, et qui un jour comme tant d’autres reposent sous la terre.
Champs de Castille précédé de Solitudes, Galeries et autres poèmes et suivi des Poésies de la guerre. 1981. Traduction de Sylvie Léger et Bernard Sesé. NRF Poésie/ Gallimard n°144.
PS. Manuel propose ” mauvaises gens ” plutôt que sale engeance qui a une connotation presque raciste. je suis d’accord avec lui… Je ne retrouve pas dans la traduction française la simplicité, la sagesse populaire qu’exprime Machado.
L’écrivain chilien Antonio Skármeta est mort mardi 15 octobre à l’âge de 83 ans. il est né le 7 novembre 1940 à Antofagasta, dans le nord du Chili. Il a étudié la philosophie à l’université du Chili, où il a travaillé des années plus tard comme professeur à la faculté de philosophie et comme metteur en scène de théâtre. Après le coup d’Etat militaire d’Augusto Pinochet en 1973, il s’est exilé en Argentine puis en Allemagne, où il a été ambassadeur du Chili dans les années 2000. Il a aussi animé un programme culturel à la télévision chilienne, El show de los libros, de 1992 à 2002. Il est surtout connu comme auteur de Ardiente paciencia (1985) (Une ardente patience, Le Seuil 1985. Traduction de François Maspero) Ce roman a été adapté au cinéma en 1994 sous le titre Le Facteur (Il postino) par Michael Radford avec Massimmo Troisi et Philippe Noiret, dans le rôle de Pablo Neruda. Skármeta avait réalisé lui-même en 1983 une première version de cette histoire. Sa pièce de théâtre, El plebiscito, a été le point de départ du film de Pablo Larraín No (2012) qui évoque la participation d’un jeune publicitaire à la campagne en faveur du « non » lors du référendum chilien de 1988. Celui-ci a marqué la fin de la dictature militaire d’Augusto Pinochet et a ouvert la voie à la transition démocratique chilienne.
Le titre Ardiente paciencia rappelle le poème de Rimbaud que Neruda avait évoqué lorsqu’il avait reçu le Prix Nobel de Littérature en 1971 :
” Hace hoy cien años exactos, un pobre y espléndido poeta, el más atroz de los desesperados, escribió esta profecía: A l’aurore, armés d’une ardente patience, nous entrerons aux splendides Villes. (Al amanecer, armados de una ardiente paciencia entraremos en las espléndidas ciudades.)
Yo creo en esa profecía de Rimbaud, el vidente. Yo vengo de una oscura provincia, de un país separado de todos los otros por la tajante geografía. Fui el más abandonado de los poetas y mi poesía fue regional, dolorosa y lluviosa. Pero tuve siempre confianza en el hombre. No perdí jamás la esperanza. Por eso tal vez he llegado hasta aquí con mi poesía, y también con mi bandera.
En conclusión, debo decir a los hombres de buena voluntad, a los trabajadores, a los poetas, que el entero porvenir fue expresado en esa frase de Rimbaud: solo con una ardiente paciencia conquistaremos la espléndida ciudad que dará luz, justicia y dignidad a todos los hombres.
Así la poesía no habrá cantado en vano. “
Adieu ¯¯¯¯¯¯¯¯
L’automne, déjà ! – Mais pourquoi regretter un éternel soleil, si nous sommes engagés à la découverte de la clarté divine, – loin des gens qui meurent sur les saisons.
L’automne. Notre barque élevée dans les brumes immobiles tourne vers le port de la misère, la cité énorme au ciel taché de feu et de boue. Ah ! les haillons pourris, le pain trempé de pluie, l’ivresse, les mille amours qui m’ont crucifié ! Elle ne finira donc point cette goule reine de millions d’âmes et de corps morts et qui seront jugés ! Je me revois la peau rongée par la boue et la peste, des vers plein les cheveux et les aisselles et encore de plus gros vers dans le coeur, étendu parmi les inconnus sans âge, sans sentiment… J’aurais pu y mourir… L’affreuse évocation ! J’exècre la misère.
Et je redoute l’hiver parce que c’est la saison du comfort !
Quelquefois je vois au ciel des plages sans fin couvertes de blanches nations en joie. Un grand vaisseau d’or, au-dessus de moi, agite ses pavillons multicolores sous les brises du matin. J’ai créé toutes les fêtes, tous les triomphes, tous les drames. J’ai essayé d’inventer de nouvelles fleurs, de nouveaux astres, de nouvelles chairs, de nouvelles langues. J’ai cru acquérir des pouvoirs surnaturels. Eh bien ! je dois enterrer mon imagination et mes souvenirs ! Une belle gloire d’artiste et de conteur emportée !
Moi ! moi qui me suis dit mage ou ange, dispensé de toute morale, je suis rendu au sol, avec un devoir à chercher, et la réalité rugueuse à étreindre ! Paysan !
Suis-je trompé ? la charité serait-elle soeur de la mort, pour moi ?
Enfin, je demanderai pardon pour m’être nourri de mensonge. Et allons.
Mais pas une main amie ! et où puiser le secours ?
¯¯¯¯¯¯¯¯
Oui l’heure nouvelle est au moins très-sévère.
Car je puis dire que la victoire m’est acquise : les grincements de dents, les sifflements de feu, les soupirs empestés se modèrent. Tous les souvenirs immondes s’effacent. Mes derniers regrets détalent, – des jalousies pour les mendiants, les brigands, les amis de la mort, les arriérés de toutes sortes. – Damnés, si je me vengeais !
Il faut être absolument moderne.
Point de cantiques : tenir le pas gagné. Dure nuit ! le sang séché fume sur ma face, et je n’ai rien derrière moi, que cet horrible arbrisseau !… Le combat spirituel est aussi brutal que la bataille d’hommes ; mais la vision de la justice est le plaisir de Dieu seul.
Cependant c’est la veille. Recevons tous les influx de vigueur et de tendresse réelle. Et à l’aurore, armés d’une ardente patience, nous entrerons aux splendides villes.
Que parlais-je de main amie ! Un bel avantage, c’est que je puis rire des vieilles amours mensongères, et frapper de honte ces couples menteurs, – j’ai vu l’enfer des femmes là-bas ; – et il me sera loisible de posséder la vérité dans une âme et un corps.
Miguel Hernández Gilabert est né le 30 octobre 1910 à Orihuela (province d’Alicante).
Il fait partie d’une famille de sept enfants, dont trois meurent en bas âge. Il passe son enfance et son adolescence entre l’école et le troupeau de chèvres de son père. Il doit abandonner ses études à 14 ans, mais passe de longs moments à la bibliothèque où il lit avec passion tous les auteurs du Siècle d’or espagnol.
Il commence par publier ses poèmes dans la presse locale et régionale dès 1929. Il se rend par deux fois à Madrid. Lors du deuxième voyage, Vicente Aleixandre et Pablo Neruda, qui obtiendront plus tard tous les deux le Prix Nobel de Littérature, deviennent ses grands amis. En 1936, il s’engage dans l’armée républicaine. Le 9 mars 1937, il épouse Josefina Manresa. Il aura deux fils. L’aîné, Manuel Ramón, né en décembre 1937, meurt à l’automne 1938. Á la fin de la guerre, il essaie de se rendre au Portugal, mais il est arrêté à la frontière par la police portugaise et remis à la Garde civile.
Le 18 janvier 1940, un Conseil de Guerre le condamne à mort l’accusant du délit d’adhésion à la rébellion dans une parodie de procès (Sumarios 21001 y 4407). La sentence est commuée en 30 ans d’emprisonnement le 9 juillet 1940. Miguel Hernández connaît les prisons de Madrid, Palencia, Ocaña, Alicante. Les conditions déplorables de détention ont raison de sa santé. Atteint de tuberculose, il meurt le 28 mars 1942 dans la prison Reformatorio de Alicante par manque de soins. Josefina Manresa et son second fils, Manuel Miguel (1939-1984) vivront ensuite à Elche dans une grande pauvreté.
Aujourd’hui l’aéroport d’ Alicante-Elche porte le nom du poète ainsi que l’Université d’Elche. Mais sa condamnation n’avait toujours pas été annulée par le Tribunal Suprême.
La famille, représentée par sa belle-fille, Lucía Izquierdo, et ses enfants a enfin obtenu la semaine dernière que le gouvernement annule ce jugement. Le ministre de Política Territorial y Memoria Democrática, Miguel Ángel Torres, a signé 29 déclarations d’annulation de jugements contre des personnes condamnées par la régime franquiste. Miguel Hernández en fait partie.
Une cérémonie officielle aura lieu le 31 octobre 2024 à Madrid en présence de la famille.
Un long processus va enfin de terminer. En effet, la famille avait obtenu préalablement, non sans difficultés, le soutien de la mairie d’Elche, de la Diputación de Alicante et de la Generalidad Valenciana. Mais une motion dans le même sens avait été rejetée le 26 septembre par la municipalité de sa ville natale, Orihuela, dirigée par le Partido Popular et Vox.
Las cárceles
I
Las cárceles se arrastran por la humedad del mundo, van por la tenebrosa vía de los juzgados: buscan a un hombre, buscan a un pueblo, lo persiguen, lo absorben, se lo tragan.
J’ai reçu hier le magnifique livre de Juan Ramón Jiménez (1881-1958), Guerra en España: Prosa y verso (1936-1954). Athenaica Ediciones. 2024. 1065 pages.
Une première édition de cet ouvrage fut élaborée et éditée par le poète Ángel Crespo (1926-1995) en 1985. Il faut rappeler qu’il s’agit du traducteur en espagnol du Livro do Desassossego de Fernando Pessoa pour Seix Barral (1984). Cette édition fut reprise par Soledad González Ródenas en 2009. Celle d’avril 2024 est encore plus complète. Elle a travaillé comme Ángel Crespo sur les archives du poète conservées à Puerto Rico.
De son vivant, Juan Ramón Jiménez avait commencé à réunir des aphorismes, des poèmes, des traductions, des articles, des conférences, des manifestes, des critiques, des lettres, des entretiens, des brouillons, des notes, des photos, des articles de journaux. Dans son idée, cet énorme collage sur la guerre et l’exil permettrait de transmettre son expérience du conflit et sa lutte incessante contre ses ennemis.
On oublie trop souvent que le Prix Nobel de Littérature 1956 fut un poète engagé aux côtés de La République, contre la Guerre et contre le Franquisme.
“Todo cambia… Las cosas y las personas, pero hay algo que es permanente: la vocación de libertad. Jamás he sido político en el mezquino sentido de simple afiliación a partidos. Me he educado con Cossío, con Giner, con aquellos grandes hombres de la Institución Libre de Enseñanza y al espíritu de los maestros le sigo siendo fiel…Lo demás, no importa…Lo esencial es vivir con decencia entre personas honradas y en un régimen de libertad.”
Pour le moment, je n’ai pu que le feuilleter. J’y ai trouvé une belle traduction du poème de Baudelaire La musique.
La Musique
La musique souvent me prend comme une mer ! Vers ma pâle étoile, Sous un plafond de brume ou dans un vaste éther, Je mets à la voile ;
La poitrine en avant et les poumons gonflés Comme de la toile, J’escalade le dos des flots amoncelés Que la nuit me voile ;
Je sens vibrer en moi toutes les passions D’un vaisseau qui souffre ; Le bon vent, la tempête et ses convulsions
Sur l’immense gouffre Me bercent. D’autres fois, calme plat, grand miroir De mon désespoir !
Les Fleurs du mal. 1861.
La música
La música me coje a veces como la mar! A mi pálida estrella, bajo un techo de bruma o en una vasta atmósfera yo me hago a la vela.
El pecho adelantado y llenos los pulmones lo mismo que la lona, escalo el lomo de la ola amontonada que la noche me borra.
Siento vibrar en mí la pasión multiforme de un navío que sufre; la bonanza, la tempestad y sus convulsiones
sobre la inmensa cava me mecen. ¡ Y otra vez calma plena, ancho espejo, de mi desesperanza!
Traduction : Juan Ramón Jiménez.
Juan Ramón Jiménez a traduit tout au long de sa vie des poètes comme Ibsen, Verlaine, Moréas, Pierre Louÿs, Leopardi, Shelley, Shakespeare, Trelawny. Robert Frost, Yeats, Synge, Mallarmé, Blake, Eliot, Goethe, Baudelaire, Santayana, Ezra Pound et Edgar A. Poe, entre autres.
J’ai trouvé hier à la bibliothèque une formidable anthologie de poètes européens du XX ème siècle choisis par Philippe Jaccottet. Je relis quelques poèmes à la nuit tombée dont celui si célèbre d’Antonio Machado. Coup de blues du mois de septembre.
Philippe Jaccottet. D’autres astres, plus loin, épars. Poètes européens du XX ème siècle. Domaine étranger. La Dogana, Genève, octobre 2005.
CXXVI. A José Maria Palacio
Palacio, buen amigo, ¿está la primavera vistiendo ya las ramas de los chopos del río y los caminos? En la estepa del alto Duero, primavera tarda, ¡pero es tan bella y dulce cuando llega!… ¿Tienen los viejos olmos algunas hojas nuevas? Aún las acacias estarán desnudas y nevados los montes de las sierras. ¡Oh mole del Moncayo blanca y rosa, allá, en el cielo de Aragón, tan bella! ¿Hay zarzas florecidas entre las grises peñas, y blancas margaritas entre la fina hierba? Por esos campanarios ya habrán ido llegando las cigüeñas. Habrá trigales verdes, y mulas pardas en las sementeras, y labriegos que siembran los tardíos con las lluvias de abril. Ya las abejas libarán del tomillo y el romero. ¿Hay ciruelos en flor? ¿Quedan violetas? Furtivos cazadores, los reclamos de la perdiz bajo las capas luengas, no faltarán. Palacio, buen amigo, ¿tienen ya ruiseñores las riberas? Con los primeros lirios y las primeras rosas de las huertas, en una tarde azul, sube al Espino, al alto Espino donde está su tierra…
Baeza, 29 de abril de 1913
Campos de Castilla. 1907-1917.
CXXVI. Á José María Palacio
Palacio, mon ami, le printemps déjà revêt-il les branches des peupliers de la rivière et des chemins ? Sur la steppe du haut Douro, le printemps est tardif, mais il est si beau, si doux quand il arrive !… Les vieux ormes ont-ils quelques feuilles nouvelles ? Les acacias encore doivent être nus et enneigés les monts des sierras; Oh! masse du Moncayo, blanche et rose, là-bas, sur le ciel d’Aragon, si belle ! Y-a-t-il des broussailles fleuries entre les rochers gris, de blanches pâquerettes dans l’herbe fine ? Sur vos clochers les cigognes déjà sont sans doute arrivées. Il doit y avoir des champs de blé verdis et des mules grises parmi les semailles, et des paysans semant les plantes tardives avec les pluies d’avril. Les abeilles déjà butineront le thym et le romarin. Y a-t-il des pruniers en fleur ? Reste-t-il des violettes ? Il y a sans doute des chasseurs furtifs dissimulant sous leurs longues capes l’appeau des perdrix. Palacio, mon ami, est-ce que sur les rives chantent les rossignols ? Dès les premiers iris et les premières roses des jardins, par un après-midi d’azur, monte à l’Espino, Là-haut sur l’Espino où se trouve sa terre…
Baeza, 29 avril 1913.
Champs de Castille précédé de Solitudes, Galeries et autres poèmes et suivi des Poésies de la guerre. 2004. Traduction de Sylvie Léger et Bernard Sesé. NRF Poésie/ Gallimard n°144.
Antonio Machado (1875-1939) obtient en 1907 une place de professeur de français à Soria. Il y rencontre Leonor Izquierdo Cuevas, avec laquelle il se marie le 30 juillet 1909. Il a 34 ans, Leonor 15 seulement. Elle meurt de tuberculose le 1 août 1912. Très affecté, le poète quitte Soria pour ne jamais y retourner. Il obtient sa mutation à Baeza, dans la province de Jaén (Andalousie), où il reste jusqu’en 1919. Entre 1919 et 1932, il est professeur de français à Ségovie, près de Madrid. Á partir de 1932, il réside à Madrid. Lorsqu’éclate la Guerre civile en juillet 1936, Antonio Machado est à Madrid. Il met sa plume au service de la République. En novembre 1936, il est évacué avec sa mère, Ana Ruiz, et deux de ses frères, Joaquín et José, à Valence, puis en 1938 à Barcelone. Le 22 janvier 1939, ils sont contraints de fuir vers la France. Arrivé à Collioure, à quelques kilomètres de la frontière, Antonio Machado meurt épuisé le 22 février 1939, trois jours avant sa mère. Il est enterré à Collioure, tandis que la tombe de Leonor se trouve à Soria (Cementerio del Espino).
On célèbre en Espagne le centenaire de la naissance du grand poète valencien
Vicent Andrés Estellés est né le 4 septembre 1924 à Burjassot (Communauté de Valence). Il est issu d’un milieu modeste. Ses parents sont boulangers. Son père, analphabète, veut que son fils étudie. Vicent Andrés Estellés fera des études de journalisme dans le Madrid de l’après-guerre. Á partir de 1948, il collabore au journal Las Provincias, dont il deviendra le rédacteur en chef. Il est mort à Valence à 68 ans le 27 mars 1993 après une longue maladie dégénérative. Ce poète espagnol, d’expression valencienne, a été chanté par Ovidi Montllor, Maria del Mar Bonet, Raimon entre autres. D’après Joan Fuster, c’est « le meilleur poète valencien des trois derniers siècles, un nouvel Ausiàs March du XXe siècle ».
Cant de Vicent (Vicent Andrés Estellés)
…a unes tres milles de la mar, a la banda occidental del riu Guadalaviar, sobre el qual hi ha cinc ponts…
Sir John Talbot Dillon
Pense que ha arribat l’hora del teu cant a València. Temies el moment. Confessa-t’ho: temies. Temies el moment del teu cant a València. La volies cantar sense solemnitat, sense Mediterrani, sense grecs ni llatins, sense picapedrers i sense obra de moro. Lavolies cantar d’una manera humil, amb castedat diríem. Veies el cant: creixia. Lentament el miraves créixer com un crepuscle. Arribava la nit , no escrivies el cant. Més avant, altre dia, potser quan m’haja mort. Potser en el moment de la Ressurecció de la Carn. Tot pot ser. Més avant, si de cas. I el tema de València tornava, i se n’anava entre les teues coses, entre les teues síl·labes, aquells moments d’amor i aquells moments de pena, tota la teua vida — sinó tota la vida, allò que tu saps de fonamental en ella — anava per València, pels carrers de València. Modestaments diries el nom d’algun carrer, Pelayo, Gil i Morte…Amb quina intensitat els dius, els anomenes, els escrius! Un poc més, i ja tindries tota València. Per a tu, València és molt poc més. Tan íntima i calenta, tan crescuda i dolguda, i estimada també! Els carrers que creuava una lenta parella, els llargs itineraris d’aquells duies sense un cèntim a la butxaca, algun antic café, aquella lleteria de Sant Vicent de fora… La casa que estrenàveu en estrenar la vida definitivament, l’alegre veïnat. l metge que buscàveu una nit a deshora, la farmàcia de guàrdia. Ah, València, València! El naixement d’un fill, el poal ple de sang. aquell sol matiner, les Torres dels Serrans amb aquell breu color inicial de geranis. Veus, des del menjador, per la finestra oberta, Benimaclet ací, enllà veus Alboraia, escoltes des del llit les sirenes del port. De bon matí arribaven els lents carros de l’horta. Els xiquets van a l’escola. S’escolta la campana veïna de l’església. El treball, el tenaç amor a les paraules que ara escrius i has dit sempre, des que et varen parir un dia a Burjassot: com mamares la llet vares mamar l’idioma, dit siga castament i amb perdó de la taula. Ah, València, València! Podria dir ben bé: Ah, tu, Val`ncia meua! Perquè evoque la meua València. O evoque la València de tots, de tots els vius i els morts, de tots els valenciants? Deixa-ho anar. No et poses solemne. Deixa l’èmfasi. L’èmfasi ens ha perdut freqüentment els indígines. Més avant escriuràs el teu cant a València.
El profesor (Puan. 2023). Réalisation et scénario : María Alché et Benjamín Naishtat. Photographie : Hélène Louvart. Musque : Santiago Dolan. 1h50.
Interprètes : Marcelo Subiotto. Leonardo Sbaraglia. Julieta Zylberberg. Alejandra Flechner. Andrea Frigerio. Mara Bestelli. Valentinz Posleman.
Professeur mélancolique, maladroit et introverti, Marcelo Pena enseigne depuis des années la philosophie à l’Université de Buenos Aires ( qu’on surnomme Puan, du nom de la rue où se trouve la Faculté de Philosophie et de Littérature de Buenos Aires). Comme tous les autres professeurs, il peine à gagner sa vie. Son ami et mentor Caselli meurt au début du film en faisant du footing. Pena est pressenti pour reprendre sa chaire. Mais un autre candidat débarque, Rafael Sujarchuk. Il est séduisant et charismatique. Cette ancienne connaissance de Marcelo, spécialiste de Heidegerr et fiancé à une jeune actrice à la mode, est décidé lui aussi à briguer le poste. Pena défend son université, se remet en question et surmonte peut-être sa crise existentielle en Bolivie.
Les différentes mésaventures de Marcelo sont toujours clôturées par une fermeture à l’iris comme dans les vieux films. Un des mérites du film c’est qu’il n’y a pas un seul point de vue. Le discours n’est pas fermé. Le spectateur reste libre.
Ce film reflète aussi les luttes actuelles en Argentine pour la défense des services publics et de l’éducation. En effet, sa sortie a précédé d’un mois et demi l’élection à la présidence, le 19 novembre 2023, de Javier Milei, ultralibéral d’extrême-droite qui considère les universités publiques comme des centres d’endoctrinement de gauche. El Profesor a anticipé la mobilisation actuelle des étudiants (Voir Le Monde du 19 mars 2024. En Argentine, les universités et les instituts de recherche au bord de l’effondrement ). Javier Milei menace aussi d’annuler tous les fonds destinés au cinéma et à la culture en général.
A la fin du film, Marcelo Pena chante un célèbre tango de 1937, Niebla del Riachuelo de Juan Carlos Cobián et d’Enrique Cadícamo. Il avait été d’abord écrit pour le film de Luis Saslavky (1903-1995), La fuga (1937), et interprété par l’actrice Tita Merello (1904-2002)
Il a été repris par la suite par les plus grands chanteurs de tango. La version la plus célèbre reste celle de Roberto Goyeneche, El Polaco (1926-1994).
Niebla del Riachuelo
Turbio fondeadero donde van a recalar, Barcos que en el muelle para siempre han de quedar, Sombras que se alargan en la noche del dolor, Náufragos del mundo que han perdido el corazón, Puentes y cordajes donde el viento viene a aullar, Barcos carboneros que jamás han de zarpar, Torvo cementerio de las naves que al morir, Sueñan, sin embargo, que hacia el mar han de partir.
Niebla del Riachuelo! Amarrado al recuerdo Yo sigo esperando. Niebla del Riachuelo! De ese amor, para siempre Me vas alejando.
Nunca más volvió. Nunca más la vi. Nunca más su voz nombró mi nombre junto a mí Esa misma voz que dijo: Adiós!
Sueña marinero, con tu viejo bergantín. Bebe tus nostalgias en el sordo cafetín. Llueve sobre el puerto, mientras tanto mi canción Llueve lentamente sobre tu desolación.
Anclas que ya nunca, nunca más han de levar, Bordas de lanchones sin amarras que soltar, Triste caravana sin destino ni ilusión, Como un barco preso en la botella del figón.
Niebla del Riachuelo! Amarrado al recuerdo Yo sigo esperando Niebla del Riachuelo! De ese amor, para siempre Me vas alejando. Nunca más volvió. Nunca más la vi. Nunca más su voz nombró mi nombre junto a mí. Esa misma voz que dijo: Adiós!
Brouillard du Riachuelo
Sombre mouillage où s’échouent Des bateaux qui pour toujours resteront à quai, Ombres qui grandissent dans la nuit des douleurs, Naufragés d’un monde qui ont perdu leur âme, Ponts et cordages où le vent vient hurler Navires charbonniers qui jamais ne lèveront l’ancre, Sinistre cimetière de bateaux qui en mourant, Rêvent encore qu’ils prennent la mer.
Brouillard du Riachuelo ! Ancré dans ma mémoire Je continue d’attendre. Brouillard du Riachuelo ! De cet amour, pour toujours Tu m’éloignes.
Elle n’est jamais revenue, Jamais je ne l’ai revue : Plus jamais sa voix n’a murmuré mon nom près de moi, Cette même voix qui m’a dit : adieu.
Rêve, marin, de ton vieux brigantin, Bois tes regrets dans ton bistrot silencieux, Il pleut sur le port, alors que ma chanson Pleut lentement sur ton désespoir.
Ancres qui jamais, jamais plus ne seront levées Plats-bords des bacs sans plus d’amarres à larguer. Triste caravane sans destin ni illusion, Comme un bateau enfermé dans une bouteille de troquet.
Brouillard du Riachuelo ! Ancré dans ma mémoire Je continue d’attendre. Brouillard du Riachuelo ! De cet amour, pour toujours Je m’éloigne. Elle n’est jamais revenue, Jamais je ne l’ai revue. Plus jamais sa voix n’a murmuré mon nom près de moi. Cette même voix qui a dit : Adieu !
Lors de la Révolution de 1868 (appelée la Gloriosa, la Revolución de Septiembre ou la Septembrina), le buste de la reine Isabel II fut traîné dans les rues d’Oviedo avec une corde au cou. On le retrouve aujourd’hui dans un patio fleuri de l’Université d’Oviedo, près d’une plaque où figure un poème d’Ángel González (1925-2008) qui m’a fait sourire.
Empleo de la nostalgia
Amo el campus universitario, sin cabras, con muchachas que pax pacem en latín, que meriendan pas pasa pan con chocolate en griego, que saben lenguas vivas y se dejan besar en el crepúsculo (también en las rodillas) y usan la cocacola como anticonceptivo.
Ah las flores marchitas de los libros de texto finalizando el curso deshojadas cuando la primavera se instala en el culto jardín del rectorado por manos todavía adolescentes y roza con sus rosas manchadas de bolígrafo y de tiza el rostro ciego del poeta transustanciándose en un olor agrio a naranjas
Homero
o semen
Todo eso será un día materia de recuerdo y de nostalgia. Volverá, terca, la memoria una vez y otra vez a estos parajes, lo mismo que una abeja da vueltas al perfume de una flor ya arrancada:
inútilmente.
Pero esa luz no se extinguirá nunca: llamas que aún no consumen …ningún presentimiento puede quebrar ]as risas que iluminan las rosas y ]os cuerpos y cuando el llanto llegue como un halo los escombros la descomposición que los preserva entre las sombras puros no prevalecerán serán más ruina absortos en sí mismos y sólo erguidos quedarán intactos todavía más brillantes ignorantes de sí esos gestos de amor… sin ver más nada.
Procedimientos narrativos, La isla de los ratones, Santander, 1972.
Ángel González Muñiz est né le 6 septembre 1925 à Oviedo.
Son enfance est marquée par la mort de son père, professeur de sciences et de pédagogie à l’école normale d’Oviedo en 1927 alors qu’il n’a que dix-huit mois. Sa situation familiale s’aggrave encore lorsque, pendant la Guerre civile espagnole, son frère Manuel est fusillé par les franquistes en novembre 1936. Son autre frère, Pedro, républicain aussi, doit s’exiler. Sa soeur Maruja ne peut plus exercer son métier d’institutrice.
La tuberculose l’empêche de terminer ses études de droit. Il devient ensuite fonctionnaire, puis professeur de littérature espagnole contemporaine aux États-Unis.
il fait partie du groupe de poètes appelé « Génération de 50 » ou « Génération du milieu du siècle » qui compte aussi José Ángel Valente, Jaime Gil de Biedma, Carlos Barral, José Agustín Goytisolo, José Manuel Caballero Bonald, Claudio Rodríguez, Francisco Brines…
En 1985, il reçoit le prix Prince des Asturies de littérature. En janvier 1996, il est élu membre de l’Académie royale espagnole. La même année, il obtient le Prix Reina Sofía de Poésie ibéroaméricaine.
Il meurt le 12 janvier 2008 d’une insuffisance respiratoire à l’âge de 82 ans.
Son ami, le poète Luis García Montero, aujourd’hui directeur de l’Institut Cervantes, a publié en 2008 Mañana no será lo que Dios Quiera, une biographie romancée d’Ángel González à partir des conversations qu’il a eues avec lui à la fin de sa vie.
On peut lire en français Automnes et autres lumières (Otoños y otras luces), poèmes, bilingue français – espagnol, traduction et présentation de Bénédicte Mathios. L’Harmattan, 2013.
Leopoldo Alas est le grand romancier espagnol du XIX e siècle avec Benito Pérez Galdós (1843-1920). Son pseudonyme de journaliste et de critique était Clarín. On a retrouvé 2 300 articles de lui dans les journaux de l’époque.
Il est né le 25 avril 1852 à Zamora (Castilla y León) où son père avait été nommé gouverneur civil («Me nacieron en Zamora», disait-il). Leopoldo Alas obtient une chaire d’Économie Politique et de Statistique à Saragosse en 1882, puis de Droit Romain à Oviedo en 1883. Ce professeur progressiste et sceptique enseignera dans cette ville pendant dix-huit ans. Il est mort le 13 juin 1901.
Son œuvre principale, La Regenta, est un gros roman, publié en deux tomes en 1884 et 1885. L’action se déroule à Vetusta, une ville de province imaginaire qui ressemble beaucoup à Oviedo. Clarín y fait une critique acerbe de la société de la Restauration de la Monarchie d’Alfonso XII (1874), de la corruption politique, de l’inculture sociale et une féroce dénonciation des mœurs cléricales. Lors de sa publication, l’évêque d’Oviedo, Ramón Martínez Vigil, dans son bulletin diocésain d’ avril 1985, accuse l’écrivain de brigandage moral. Il dénonce « un roman saturé d’érotisme, et outrageant pour les pratiques chrétiennes. (« un libro saturado de erotismo, de escarnio a las prácticas cristianas»). L’auteur lui répond : « Mi novela es moral porque es sátira de malas costumbres. » De plus, des habitants de la ville se reconnaissent dans certains personnages du livre et y voient un roman à clef.
Est-ce que la ville, qu’on surnomme parfois “la bien novelada”, lui a pardonné aujourd’hui ces critiques ? Je ne pense pas. On trouve bien depuis 1997 une statue en bronze de La Regenta (Ana Ozores) sur la Place de la Cathédrale. Mais la ville d’Oviedo ne célèbre pas comme il le mérite la mémoire de cet auteur.
Clarín est aussi le père de Leopoldo García-Alas Argüelles (1883-1937), professeur de droit civil et recteur de l’ Université d’ Oviedo. Le 20 février 1937, les putschistes franquistes fusillent cet intellectuel républicain après une parodie de conseil de guerre. « Matan en mí la memoria de mi padre. », aurait-il dit en prison à un ami.
Le 4 mai 1931, le ministre de la Seconde République, Álvaro de Albornoz, inaugure un monument en l’honneur de Clarín dans le grand parc de la ville, El Campo de San Francisco, mais à la fin février 1937 les phalangistes de la ville le détruisent.
En 1953, Le maire franquiste d’Oviedo commande au sculpteur Victor Hevia Granda (1885-1957) un nouveau buste de l’écrivain. Il ne sera installé qu’en 1968. Mais la partie arrière du monument n’a jamais été restaurée. C’était une allégorie du sculpteur Manuel Álvarez Laviada (1892-1958) représentant « La Vérité dépourvue de toute hypocrisie (“La Verdad desprovista de toda Hipocresía”). Elle était représentée par une femme à moitié nue.
Ricardo Labra a publié récemment El caso Alas «Clarín». La memoria y el canon literario.(Colección Luna de abajo Alterna n°7.) qui fait le point sur Clarín et Oviedo.