María Victoria Atencia est née le 28 novembre 1931 à Málaga où elle réside toujours. Elle a une passion pour sa région d’origine, l’Andalousie, et la mer est un des éléments constants de sa poésie. San Juan de la Cruz, Santa Teresa de Jesús, Luis de Góngora, Juan Ramón Jiménez, Rainer Maria Rilke, Constantin Cavafis ont marqué sa jeunesse. Elle commence à publier en 1953, encouragée par Rafael León (1931-2011), poète et éditeur. Elle se marie avec lui en 1955 et ils ont quatre enfants. Elle publie dans la revue littéraire de Málaga, Caracola (1952-1961), dont le secrétaire est Bernabé Fernández-Canivell (1907-1990), ami des poètes de la Génération de 1927. Grâce à lui, elle fait la connaissance des poètes Vicente Aleixandre (Prix Nobel de littérature 1977), Jorge Guillén, Dámaso Alonso. Elle a possédé le brevet de pilote d’avion.
Epitafio para una muchacha ( María Victoria Atencia )
Porque te fue negado el tiempo de la dicha tu corazón descansa tan ajeno a las rosas. Tu sangre y carne fueron tu vestido más rico y la tierra no supo lo firme de tu paso.
Aquí empieza tu siembra y acaba juntamente – tal se entierra a un vencido al final del combate -, donde el agua en noviembre calará tu ternura y el ladrido de un perro tenga voz de presagio.
Quieta tu vida toda al tacto de la muerte, que a las semillas puede y cercena los brotes, te quedaste en capullo sin abrir, y ya nunca sabrás el estallido floral de primavera.
Cañada de los Ingleses. Málaga. El Guadalhorce, Cuadernos de María Cristina. 1961.
Ce poème est particulier. Elle affirme : “Es el único poema mío que incluso me sé de memoria, absolutamente el único…pero no sé por qué lo escribí”. Elle visitait fréquemment le cimetière anglais de Málaga, le premier cimetière non-catholique d’Espagne (1831). Conçu comme un jardin botanique, il est installé face à la mer, assez près du centre-ville. On peut le visiter ainsi que la capilla de San Jorge (1850). María Victoria Atencia fut impressionnée par l’inscription sur la tombe de Violette Pautard (24-XII-1958 – 23-I-1959), une enfant morte très jeune. On peut y lire en français : « Ce que vivent les violettes. » Elle fit visiter ce cimetière à Jorge Guillén qui voulut y être enterré. Ce poème figure depuis 1960 sur une pierre tombale placée contre un des murs du fond du cimetière. Pendant quinze ans, de 1961 à 1976, elle ne publie rien. Dans ce cimetière, on trouve les tombes de nombreuses personnalités des communautés anglaise, espagnole, ainsi que d’autres nationalités établies ou de passage en Andalousie et en particulier, de la Costa del Sol (parmi elles celles du militaire irlandais libéral Robert Boyd 1805-1831, de Jorge Guillén 1893-1984, ou de l’écrivain britannique Gerald Brenan 1894-1987, ami de Leonard et Virginia Woolf).
De 1928 à 1939, l’écrivain cubain Alejo Carpentier vit en France et Robert Desnos est un de ses meilleurs amis.
Le 21 février 1928, Robert Desnos part à Cuba. Il a réussi à se faire engager comme représentant de La Razón, un journal argentin, au Congrès de la presse latine, qui se tient à La Havane. Il arrive le 6 mars et rencontre Miguel Ángel Asturias, Corpus Barga entre autres. Il se rend compte de l’énergie incroyable que dégage cette ville. Lors de son séjour (du 5 au 16 mars 1928), il découvre la musique cubaine, les ” sons ”, la rumba et fréquente les jeunes révolutionnaires cubains qu’il fera connaître en France à son retour.
Le 16 mars 1928, Il ramène clandestinement avec lui, sur le paquebot Espagne, Alejo Carpentier qui fuit la dictature du général Gerardo Machado. Le futur romancier du Siècle des Lumières avait été incarcéré pendant sept mois pour avoir signé el Manifiesto Minorista, publié le 6 mai 1927, et se trouvait en liberté conditionnelle. Á Paris, ils travailleront ensemble dans les années 30 pour la radio et se verront presque tous les jours.
Paul Deharme ( 1898-1934 ) fonde en 1932 et dirige les studios Foniric, un service de production radiophonique, qui fournit notamment à Radio-Paris et Radio Luxembourg des campagnes publicitaires et des programmes de radio très élaborés, sponsorisés par des marques. Il organise un laboratoire de recherche au sein de Foniric et fait appel à des artistes divers ( Robert Desnos, Armand Salacrou, Jacques Prévert, Léon-Paul Fargue Alejo Carpentier, Antonin Artaud, Kurt Weill ). Foniric comme son nom l’indique associe le phonique et l’onirique, le son et le rêve. C’est l’idée que se fait Deharme de la TSF : faire rêver l’auditeur.
Le 3 novembre 1933, Radio-Paris à 20h15, Radio-Luxembourg et cinq postes régionaux à 21 heures, diffusent La Grande Complainte de Fantômas, suite dramatique en douze tableaux de Robert Desnos sur une mélodie de Kurt Weill, direction dramatique d’Antonin Artaud, direction musicale d’Alejo Carpentier. Il s’agit de faire de la publicité pour Si c’était Fantômas ?, un grand roman d’aventures inédites de Marcel Allain, publié en feuilleton à partir du 3 novembre dans Le Petit Journal.
Alejo Carpentier publie régulièrement dans son pays des articles sur l’Europe dans le Diario de la Marina et dans des revues comme La gaceta musical, Social ou Carteles. Le 19 mai 1939, il quitte l’Europe depuis Rotterdam. Il s’installera à Caracas jusqu’à la révolution cubaine (1959)
Après la mort du typhus du poète résistant à Terezín le 8 juin 1945, le romancier cubain a souvent rappelé la mémoire de son ami.
Le Monde, 26/01/1979
Portrait de Robert Desnos (Alejo Carpentier)
Lorsqu’il m’arrive d’évoquer le groupe d’écrivains, de peintres, de musiciens qui s’assemblaient chaque fin d’après-midi autour d’une très longue table – toujours la même – au café des Deux Magots, j’en demeure tout ébloui. De 1930 à 1934, on pouvait rencontrer là, liés par une amitié inébranlable qui valait bien mieux qu’un ” esprit d’école “, des hommes tels que Roger Vitrac, Michel Leiris, Georges Bataille, Georges Ribemont-Dessaignes, Pierre et Jacques Prévert, Antonin Artaud – aussi fidèle au rendez-vous que les autres, – Raymond Queneau, André Masson, Balthus, Robert Desnos. Côté musique : Edgar Varèse et son jeune disciple André Jolivet. Côté cinéma-théâtre : Jean-Louis Barrault, Etienne Decroux, Gaston Modot, Sylvia Bataille, Luis Bunuel. Comme visiteurs occasionnels : Léon-Paul Fargue et Saint-Exupéry, toujours bien accueillis. Et, à une table attenante à la nôtre, l’équipe du Grand Jeu :
René Daumal, Gilbert-Lecomte, le peintre Sima… S’il n’y eut jamais parmi nous un ” esprit d’école “, il y régnait, par contre, un ” esprit de génération “, nourri des mêmes ferveurs, marqué par les mêmes antipathies, qui transformait tout naturellement les initiatives particulières en un travail collectif, et cela uniquement pour des raisons d’âge, de fidélité à certaines idées, à certaines prises de position vis-à-vis des événements de l’époque. Tous, nous collaborions aux revues Bifur,Documents, Iman – dont j’assurais la publication à Paris, en langue espagnole.
D’autre part, des projets qui exigeaient un travail d’équipe sortaient de nos réunions quotidiennes : un opéra pour Varèse, dont j’écrivis le livret avec Artaud, Desnos et Ribemont ; un Pantoum des pantoums, sorte de mystère lyrique, conçu par Gilbert-Lecomte sur des poèmes de René Ghil, dont la participation orchestrale devait être de Ribemont-Dessaignes et de moi-même. Enfin l’esprit de notre groupe se manifesta encore lors des représentations de Numance, monté par Jean-Louis Barrault en 1937, grâce au soutien financier de Desnos, avec des décors et des costumes d’André Masson, sur une musique que j’avais écrite.
Et quand Desnos fit son entrée à la radio, grâce au remarquable pionnier des mass media que fut Paul Deharme, il y entraîna aussitôt ses amis. Ce qui nous valut, très vite, des réalisations telles que La Grande Complainte de Fantômas (Artaud-Desnos-Kurt Weill) dont j’assurai la mise en ondes ; Salut au monde, inspiré de Walt Whitman (Desnos, Jean-Louis Barrault) ; Histoire de baleines (Desnos-Prévert), etc. (1).
Plusieurs Robert Desnos en Robert Desnos Il est extrêmement difficile de fixer des souvenirs, lorsqu’on parle de Robert Desnos, car sa personnalité présentait des côtés si divers, si contradictoires en apparence, que tout effort d’assemblage, par les moyens de la mémoire, ne nous donne jamais qu’une image fuyante qui est plutôt le reflet d’un curieux caractère que la réalité profonde d’un homme qui mena une expérience poétique à ses possibilités extrêmes. Car il y avait plusieurs Robert Desnos en Robert Desnos, tous tellement nécessaires à ses raisons d’exister que seule une somme, à peu près impossible à établir, étant donnée sa complexité, nous donnerait un portrait véridique de celui qui, pourtant, était notre camarade de tous les jours.
Très secret, souvent distant, souvent replié sur son monde intérieur, sur la constante disponibilité créatrice de son génie, il sortait tout à coup de ses longs silences, passant brusquement à une sorte d’éclatement de lui-même qui se traduisait en de fulgurants monologues, rythmés, scandés, qu’il pouvait déclamer à tue-tête, en marchant au long d’une rue, surtout la nuit. Et quand il revenait de cette sorte de délire lucide, on retrouvait le charme d’un ami gouailleur, insouciant, porté à la blague, à la mystification, à la ” mise en boîte ” de n’importe qui, sachant jongler avec les mots d’une façon déroutante. Il avait le sens de l’éloge qui pouvait vous être le plus encourageant, comme il avait le génie de l’engueulade efficace, du scandale à froid, de la phrase terrible qui allait droit au but. Fier d’avoir grandi dans le quartier de Saint-Merri, il empruntait volontiers un parler populaire, faubourien, qui contrastait curieusement avec ses habitudes de correction vestimentaire – correction poussée jusqu’au souci de porter des costumes du meilleur style ” deuil en vingt-quatre heures “, chaque fois qu’il avait à déplorer la mort d’un parent.
Anarchiste en apparence, il était néanmoins d’une rigidité à toute épreuve en ce qui concernait certains engagements idéologiques ou politiques qu’il tenait pour nécessaires ; appartenant à la génération de ceux qui criaient : ” Famille, je vous hais ! “, il adorait son père, mandataire aux Halles, et jamais il ne manquait le déjeuner familial du dimanche ; auteur de La Liberté ou l’Amour !, il fut d’une incroyable fidélité aux femmes qu’il aima ; désordonné et fantasque durant les heures de la nuit, il s’imposait, de jour, une discipline ponctuelle et presque tatillonne aux studios de la rue Bayard, où nous avons travaillé ensemble pendant six années (de 1933 à 1939).
Le monde hispanique Mais, parmi les aspects les moins connus de Robert Desnos, il y en a un qu’ignorent de nombreux écrivains qui se sont penchés sur sa vie et sur son œuvre : ses relations avec le monde hispanique, et surtout latino-américain, à la suite de l’étonnant voyage qu’il fit à Cuba en 1928, au cours duquel il me détourna du projet de m’établir au Mexique – car l’atmosphère politique de La Havane m’était devenue irrespirable – pour m’amener à Paris, où je devais rester onze ans.
A partir de ce moment sa maison fut, en quelque sorte, un foyer permanent d’activités ayant un rapport avec les événements de l’Amérique latine et de l’Espagne : on y conspira contre le dictateur Machado ; on y rédigea des tracts et des manifestes ; on y vit défiler, selon les époques et les jours, Cesar Vallejo, Miguel Angel Asturias, Nicolas Guillen, Cardoza y Aragon, Neruda, Arturo Uslar Pietri, le compositeur Silvestre Revueltas, avec qui il commença à écrire une cantate en éloge de la nationalisation des pétroles mexicains. Il fit les esquisses d’un livret d’opérette, L’Etoile de La Havane, pour le compositeur cubain Eliseo Grenet… Puis, après deux voyages en Espagne, ce fut – on l’ignore trop – son amitié avec Federico Garcia Lorca. Et lorsque le poète de Noces de sang fut abattu par les fascistes et que la guerre civile se déchaîna, il y eut chez lui des réunions presque quotidiennes d’hommes tels que José Bergamin, Rafael Alberti, Joan Miro, Miguel Hernandez – qui devait mourir dans les geôles de Franco – et de tant d’autres qui se trouvent encore parmi nous, toujours fidèles à leurs idées d’alors.
Robert Desnos, poète essentiellement français, par l’œuvre et par le caractère, fut néanmoins un des esprits les plus universels d’entre les deux guerres. Puisse-t-il servir d’exemple à certains de nos contemporains trop souvent limités, en leurs vues du monde, par leur incapacité de regarder au-delà des frontières factices qu’ils se sont inutilement créées !…
Robert était un poète aimé de tous, par le fait même que, en véritable homme de son temps, sans cesser pour cela d’être foncièrement français, il se sentait espagnol à Madrid, cubain à La Havane, péruvien avec Vallejo – discutant même, en toute connaissance de causes, des faiblesses et des bévues de l’ american way of life avec son ami Hemingway, qui, bien des années plus tard, en 1945, me parlait avec admiration de l’auteur de Corps et Biens (” Je suis certain qu’il est dans la résistance “, me disait-il…) alors que nous ignorions, tous deux, qu’il venait de mourir des suites de sa captivité dans un camp de concentration allemand.
(1) Réalisations malheureusement perdues, car elles étaient enregistrées avec les moyens de l’époque, sur disques d’une vie limitée à quelques mois, dont l’enduit cellulosique se détachait au bout d’un certain nombre d’auditions.
1) Chronologie Federico García Lorca (Oeuvres complètes I, Bibliothèque de La Pléiade, NRF Gallimard, 1981. Édition établie par André Belamich.) Septembre-octobre 1935.
2) Chronologie Desnos Oeuvres. Édition établie par Marie-Claire Dumas. Quarto Gallimard. 1999.
En septembre 1932, Robert Desnos fait un premier séjour avec sa compagne, Youki (Lucie Badoud 1903-1966), en Espagne. Il y séjourne à nouveau du 20 octobre au 15 novembre 1935, toujours avec Youki. Federico García Lorca collabore à la revue Cheval vert pour la Poésie, fondée en octobre 1935 par Pablo Neruda, et se lie d’une vive amitié avec Robert Desnos par l’intermédiaire du poète chilien. Cette rencontre n’a été mentionnée jusqu’à présent que par Alejo Carpentier. Le 21 janvier 1937, à la Maison de la Culture (Salle Poissonnière, 8 rue du Faubourg Poissonnière, Paris), Pablo Neruda et César Vallejo rendent hommage à Federico García Lorca, assassiné le 18 août 1936 par les Franquistes. Jean Cassou et Robert Desnos prennent aussi la parole Robert Desnos présente le 18 juillet 1937 le gala qui clôt le Deuxième Congrès international des écrivains pour la défense de la culture qui s’est tenu successivement à Valence, Barcelone, Madrid et Paris. Le 7 novembre 1937 reprenant le cri de lutte des républicains espagnols « No pasarán ! Pasaremos nosotros », Desnos écrit un chant en l’honneur des Républicains ainsi qu’une cantate pour la mort de García Lorca. « Savez-vous la nouvelle ? García Lorca va mourir ».
No pasarán (Robert Desnos)
Nuits, Jours et nuits sombres ! Feu, Sang et décombres ! Sang clair des libres Espagnols ! Oui pour l’Espagne et la liberté Un sang pur coule sur notre sol Pour l’humanité No ! No pasarán !
Feu, rougis la forge Ceux qui nous égorgent Par ce fer nous crèv’rons leur cœur Ceux qui ont mis le feu aux maisons Ceux qui ont tué nos frères, nos sœurs Jamais ne nous vaincront No ! No pasarán !
Qui traîne des chaînes ? Qui sème la haine ? Le fascisme et tous ses banquiers Ils ont de l’or, ils ont des canons Mais nous luttons pour le monde entier Nous les briserons No ! No pasarán !
Il nous faut des armes C’est un cri d’alarme Il faut des ball’s et des fusils Aux lueurs du feu, aux sons du tocsin Nous combattons avec nos outils Tous ces assassins ! No ! No pasarán !
Par toute la terre Viennent des volontaires Pour lutter à côté de nous ! Gloire aux amis qui nous ont rejoints Au sanglant et glorieux rendez-vous Ils tendent le poing No ! No pasarán !
Morts des barricades Morts nos camarades Le jour vient, vous serez vengés Le jour se lève au feu des combats Dans la mort des soudards insurgés Nous sonnons leur glas No ! No pasarán !
Que le jour se lève Sur ce mauvais rêve Pour les hommes de l’univers Pour les travaux de paix et d’amour Nous peinerons été comme hiver Ah ! Vienne ce jour Si pasaremos !
Les Voix intérieures, Éditions du petit Véhicule. Nantes, 1987.
Savez-vous la nouvelle ? García Lorca va mourir (Robert Desnos)
FEMME Savez-vous la nouvelle ?
CHOEUR DE FEMMES Après le soir vient la nuit L’eau chante à la fontaine La lune se baigne au puits.
FEMME Savez-vous la nouvelle ?
CHOEUR DE FEMMES L’amour la nuit l’air le vent Jours, nuits et c’est la vie La danse au tambour au mois d’août.
FEMME Savez-vous la nouvelle ?
CHOEUR DE FEMMES Le linge est blanc sous nos doigts Viens donc avec les filles Aimer et chanter et danser.
FEMME Savez-vous la nouvelle ?
CHOEUR DE FEMMES L’été l’hiver l’eau le vin Viens, viens voici la danse Les fruits et l’amour dans les bois.
FEMME Savez-vous la nouvelle ? García Lorca va mourir
CHOEUR DE FEMMES Ah Ah Ah Ah Ah Ah Ah
L’annonce aux hommes
CHOEUR Les champs sont gorgés de soleil Les fleuves sont secs La terre les a bus Les moissons dorment dans les greniers Qu’il fera bon rêver tout l’été En buvant le vin des outres
SOLO Alerte ! La rouge moisson des libertés s’apprête Alerte ! Demain, cette nuit, aujourd’hui Alerte ! García Lorca est déjà mort.
CHOEUR L’usine ce soir au soleil Est comme un château Dormir loin du travail Sous le ciel car nous sommes très las Qu’il fera bon rêver tout l’été en buvant le vin des outres.
SOLO Alerte ! La rouge moisson des libertés s’apprête Alerte ! Demain, cette nuit, aujourd’hui Alerte ! García Lorca est déjà mort.
CHOEUR La mer elle chante et ses flots Sont pleins de reflets D’éclairs des grands poissons Les courants porteront nos bateaux Parmi les vents plus chauds et calmes Au-dessus des fonds propices.
CHOEUR Alerte ! La rouge moisson des libertés s’apprête Alerte ! Demain, cette nuit, aujourd’hui Alerte ! García Lorca est déjà mort.
CHOEUR Qui est-ce García Lorca ? Nous ne le connaissons pas Qui est-ce García Lorca ?
SOLO C’est vous-mêmes.
Les Voix intérieures, Éditions du petit Véhicule. Nantes, 1987.
Hoy siento en el corazón un vago temblor de estrellas, pero mi senda se pierde en el alma de la niebla. La luz me troncha las alas y el dolor de mi tristeza va mojando los recuerdos en la fuente de la idea.
Todas las rosas son blancas, tan blancas como mi pena, y no son las rosas blancas, que ha nevado sobre ellas. Antes tuvieron el iris. También sobre el alma nieva. La nieve del alma tiene copos de besos y escenas que se hundieron en la sombra o en la luz del que las piensa.
La nieve cae de las rosas, pero la del alma queda, y la garra de los años hace un sudario con ellas.
¿Se deshelará la nieve cuando la muerte nos lleva? ¿O después habrá otra nieve y otras rosas más perfectas?
¿Será la paz con nosotros como Cristo nos enseña? ¿O nunca será posible la solución del problema?
¿Y si el amor nos engaña? ¿Quién la vida nos alienta si el crepúsculo nos hunde en la verdadera ciencia del Bien que quizá no exista, y del Mal que late cerca?
¿Si la esperanza se apaga y la Babel se comienza, qué antorcha iluminará los caminos en la Tierra?
¿Si el azul es un ensueño, qué será de la inocencia? ¿Qué será del corazón si el Amor no tiene flechas?
¿Si la muerte es la muerte, qué será de los poetas y de las cosas dormidas que ya nadie las recuerda? ¡Oh sol de las esperanzas! ¡Agua clara! ¡Luna nueva! ¡Corazones de los niños! ¡Almas rudas de las piedras! Hoy siento en el corazón un vago temblor de estrellas y todas las rosas son tan blancas como mi pena.
Libro de Poemas, 1921.
Chanson d’automne
Novembre 1918 Grenade
Aujourd’hui je sens dans mon coeur Un vague frisson d’étoiles, Mais mon sentier se perd Dans l’âme du brouillard. Le jour me tranche les ailes, La douleur et le regret Submergent mes souvenirs Dans la source de l’idée.
Toutes les roses sont blanches Aussi blanches que ma peine ; Ces roses n’étaient pas blanches Mais il a neigé sur elles Qui étaient couleur d’iris. Il neige aussi sur nos âmes. La neige de l’âme a ses Flocons de baisers, d’images Qui s’enfouirent dans l’ombre Ou le jour de la pensée.
La neige tombe des roses, Celle de l’âme demeure, Et la griffe des années La transforme en un linceul.
Fondra-t-elle, cette neige, Quand la mort viendra nous prendre ? Connaîtrons-nous d’autres neiges, D’autres roses plus parfaites ?
Sur nous la paix viendra-t-elle ? Comme Jésus nous l’enseigne ? Ou bien n’aurons-nous jamais La solution du problème ?
L’amour n’est-il qu’illusion ? Qui animera nos vies, Si la pénombre nous plonge Dans la véritable science Du Bien qui n’existe pas, Peut-être, et du Mal tout proche ?
Si l’espérance s’éteint,e s’éteint, Si Babel se recommence, Quelle torche éclairera Nos chemins sur cette terre ?
Si l’azur n’est qu’un mirage, Que deviendra l’innocence ? Que deviendra notre cœur Si l’Amour n’a pas de flèches ?
Si la mort est bien la mort, Que deviendront les poètes Et les choses endormies Dont personne ne se souvient ? Ô soleil des espérances ! Eau claire ! Lune nouvelle ! Fraîcheur des petits enfants ! Âme rude de la pierre ! Aujourd’hui je sens dans mon cœur Un vague frisson d’étoiles Et toutes les roses sont Aussi blanches que ma peine.
Livre de poèmes, Éditions Gallimard, 1954.
Oeuvres complètes I. Bibliothèque de la Pléiade. NRF. Gallimard. 1981. Traduction André Belamich.
Por el cinco de enero, cada enero ponía mi calzado cabrero a la ventana fría.
Y encontraba los días que derriban las puertas, mis abarcas vacías, mis abarcas desiertas.
Nunca tuve zapatos, ni trajes, ni palabras: siempre tuve regatos, siempre penas y cabras.
Me visitó la pobreza, me lamió el cuerpo el río y del pie a la cabeza pasto fui del rocío.
Por el cinco de enero, para el seis, yo quería que fuera el mundo entero una juguetería.
Y al andar la alborada removiendo las huertas, mis abarcas sin nada, mis abarcas desiertas.
Ningún rey coronado tuvo pie, tuvo gana para ver el calzado de mi pobre ventana.
Toda gente de trono, toda gente de botas se rió con encono de mis abarcas rotas.
Rabié de llanto, hasta cubrir de sal mi piel, por un mundo de pasta y unos hombres de miel.
Por el cinco de enero de la majada mía mi calzado cabrero a la escarcha salía.
Y hacia el seis, mis miradas hallaban en sus puertas mis abarcas heladas, mis abarcas desiertas.
Il a été publié d’abord dans la revue Ayuda, Semanario de la solidaridad, numero 36, Madrid, 2 janvier 1937 et ensuite dans le célèbre recueil Viento del Pueblo.
Viento del pueblo. Valencia, Socorro Rojo Internacional, 1937 (Prólogo de Tomás Navarro Tomás).
Les galoches désertes
Le cinq du mois de janvier, chaque année je mettais mes souliers de berger à la fenêtre froide
et trouvais en ces jours qui font tomber les portes, mes galoches vides, mes galoches désertes.
Jamais eu de chaussures ni costumes, ni mots, toujours des ruisselets, des peines et des chèvres,
vêtu de pauvreté léché par la rivière, je fus des pieds à la tête prairie pour la rosée.
Le cinq du mois de janvier, je souhaitais pour le six que le monde entier fût un magasin de jouets
et en allant dès l’aube retourner le jardin mes galoches sans rien, mes galoches désertes.
Aucun roi couronné n’eut l’idée, n’eut l’envie d’aller voir les souliers de ma pauvre fenêtre.
Tous ces gens bien assis, tous ces gens dans leurs bottes, bien méchamment ont ri de mes vieilles galoches.
Le cinq du mois de janvier de notre bergerie, mes souliers de berger je sortais dans le givre,
jusqu’au six mon regard pouvait voir à la porte mes galoches gelées, mes galoches désertes.
Traduction : Vicente Pradal.
Joan Manuel Serrat a adapté de nombreux textes du poète de Orihuela.
L’ album Hijo de la luz y de la sombra comprend 13 chansons adaptées des poèmes de Miguel Hernández. Il a été produit par Sony Music et est sorti en 2010 à l’occasion du centenaire du poète. Il a été présenté le 23 avril 2010 à Elche (Alicante). (Arrangements et direction musicale : Joan Albert Amargós.)
Abril de 1939: Joaquín de Entrambasaguas (1904-1995), filólogo que presidía la comisión depuradora franquista ordenó la destrucción de los 50.000 ejemplares de El Hombre Acecha de Miguel Hernández imprimidos en la Tipografía moderna (Valencia, calle de Avellanas, 9). Dos ejemplares ocultos permitieron su reedición en 1981. Antonio Rodríguez-Moñino (1910-1970) salvó uno de ellos. Había protegido la Biblioteca Nacional durante la guerra. Fue depurado, despojado de su cátedra e inhabilitado para la enseñanza durante veinte años.
Le Monde, 8 août 1970
L’érudit Antonio Rodriguez-Moñino vient de mourir à Madrid, à l’âge de soixante ans, des suites d’une longue maladie. (Robert Marrast)
Avec lui disparaît une des plus grandes figures de l’hispanisme contemporain. Né en 1910, en Estrémadoure, il avait publié son premier article à quinze ans, et, depuis, n’avait cessé de collaborer aux plus éminentes revues du monde entier. Professeur, membre de la Bibliographical Society de Londres et de la Cambridge Bibliographical Society, il enseigna depuis 1960 à Berkeley (Californie) et donna des conférences aux États-Unis et dans plusieurs pays d’Europe. Docteur ” honoris causa ” de l’université de Bordeaux, il avait été élu récemment membre de la Real Academia Española.
Sa compétence s’étendait à tous les domaines, particulièrement à ceux de la bibliographie hispanique et du ” romancero ” ; il dirigea plusieurs collections de textes et d’études, et réalisa des éditions définitives et des publications en fac-similé de ” romanceros ” et de ” cancioneros ” dont certains sont uniques au monde. C’est également sur l’étude des ” romances ” que portait la thèse de doctorat qu’il soutint naguère à Salamanque. Il avait créé, voici deux ans, une remarquable collection de classiques espagnols aux éditions Castalia ; en 1965, il publiait, en collaboration avec sa femme, Maria Brey, elle-même hispaniste de valeur, un monumental catalogue des manuscrits de poésie espagnole de la Hispanic Society of America, dont il était le vice-président.
Celui que Marcel Bataillon appelait ” le prince des bibliophiles espagnols ” avait cette qualité rare : il ouvrait largement aux chercheurs venus à lui de partout les inestimables trésors de ses collections de manuscrits et de sa très riche bibliothèque. Les hispanistes de tous les pays se retrouvaient l’après-midi à sa ” tertulia “, au café Lyon de Madrid. Il les accueillait tous, jeunes ou chevronnés, avec bienveillance et courtoisie. Il n’est pas une thèse, un ouvrage d’érudition, un catalogue bibliographique du domaine hispanique des vingt dernières années qui ne lui doivent quelque chose, et souvent beaucoup. Pour tous, Don Antonio était le symbole même de la rigueur intellectuelle et son exemple, autant que celui de son œuvre brutalement interrompue, demeureront longtemps présents auprès des hispanistes et des bibliophiles du monde entier.
Je lis Salvo el crepúsculo de Julio Cortázar. J’ai trouvé ce livre d’occasion chez Gibert, il y a quelques semaines. L’auteur argentin n’est pas un très grand poète, mais ses textes me touchent encore comme dans les années 70-80.
Julio Cortazár, Crépuscule d’automne. Éditions José Corti. Collection Ibériques, 2010. Traduit par Silvia Baron Supervielle.
« Je ne sais pas ce qui rend un livre inoubliable mais je sais que, depuis que je découvris Salvo el crepúsculo, dans la première édition mexicaine, je n’ai jamais pu l’oublier. C’était en 1984, année de la mort de Cortázar. Une nouvelle édition est sortie récemment aux éditions Alfaguara, elle inclut de légères retouches faites par l’auteur sur des épreuves retrouvées. Mais il n’a rien supprimé, ni changé, ni désavoué de cet ensemble de textes d’époques diverses de sa vie, choisis et spécialement réunis par ses soins. De quelle manière ce livre est arrivé entre mes mains, je ne saurais le dire. J’en suis tombée amoureuse et ensuite il s’est de lui-même enraciné dans mon souvenir. Car peu de temps après, je me suis mise sans succès à le chercher sur mes étagères. Depuis lors, à intervalles réguliers, je n’ai pas cessé d’essayer de le retrouver en vain. Il me semblait impossible de l’avoir perdu ou prêté à quelqu’un ; il avait disparu et je ne me consolais pas. Il m’était cher, il enfermait une signification particulière, une musique, une indépendance, une nostalgie qui trouvaient en moi une résonance pleine. Après qu’il eut publié Rayuela (Marelle) en Argentine, Cortázar adressa une lettre à son ami Fredi Guthman, où il dit : “Maintenant les philologues, les rhétoriciens, les versés en classifications et en expertises se déchaîneront, mais nous sommes de l’autre côté, dans ce territoire libre et sauvage et délicat où la poésie est possible et arrive jusqu’à nous comme une flèche d’abeilles.… ». (Silvia Baron Supervielle).
Ley del poema (Julio Cortázar)
Amargo precio del poema, las nueve sílabas del verso; una de más o una de menos lo alzan al aire o lo condenan.
Somos el ajedrez de un río, el naipe siempre entre dos lumbres; caen las caras y las cruces a cada curva del camino.
Cae en el verso la palabra, en el recuerdo llueve el llanto, cae la noche, cae el pájaro, todo es caída amortiguada.
¡Oh libertad de no ser libre, golpe de dados que desata la sigilosa telaraña de encrucijadas y deslindes!
Como tu boca a la manzana, como mis manos a tus senos, irá la mariposa al fuego para danzar su última danza.
Salvo el crepúsculo. Alfaguara, 1984.
Loi du poème
Amer est le prix du poème, les neuf syllabes de chaque vers ; l’une superflue, l’autre manquante le font voler ou le condamnent.
Nous sommes l’échiquier d’un cours d’eau la carte à jouer entre deux feux ; tombent les faces tombent les piles chaque fois que tourne le chemin
Tombe le rythme dans les vers, pleuvent les larmes dans le souvenir, tombe la nuit, tombe l’oiseau tout est chute lente sans bruit.
Ô liberté de la prison, coup de dés qui lance et détache l’énigmatique toile d’araignée des murs et des démarcations !
Comme ta bouche découvre la pomme comme mes mains découvrent tes seins, le papillon suivra le feu pour sa dernière danse danser.
Crépuscule d’automne. Éditions José Corti. Collection Ibériques. 2010. Traduction de Silvia Baron Supervielle.
El interrogador
No pregunto por las glorias ni las nieves, quiero saber dónde se van juntando las golondrinas muertas, adónde van las cajas de fósforos usadas. Por grande que sea el mundo hay los recortes de uñas, las pelusas, los sobres fatigados, las pestañas que caen. ¿Adonde van las nieblas, la borra del café, los almanaques de otro tiempo?
Pregunto por la nada que nos mueve; en esos cementerios conjeturo que crece poco a poco el miedo, y que allí empolla el Roc.
Salvo el crepúsculo. Alfaguara, 1984.
L’interrogateur
Je ne questionne pas sur les gloires ni les neiges, je veux savoir où se retrouvent les hirondelles mortes, où vont les boîtes d’allumettes usées. Aussi grand que soit le monde il y a les ongles à couper, les effiloches, les enveloppes fatiguées, les cils qui tombent. Où vont les brumes, le dépôt du café, les almanachs d’un autre temps ?
Je questionne sur le vide qui nous anime ; je présume que dans ces cimetières la peur pousse peu à peu et que c’est là où couve le Rokh.
Crépuscule d’automne. Éditions José Corti. Collection Ibériques. 2010. Traduction de Silvia Baron Supervielle.
Gracias a la Fundación Española Antonio Machado. Soria – Madrid. ¡Feliz Navidad!
XCVI. Sol de invierno (Antonio Machado)
Es mediodía. Un parque. Invierno. Blancas sendas; simétricos montículos y ramas esqueléticas.
Bajo el invernadero, naranjos en maceta, y en su tonel, pintado de verde, la palmera.
Un viejecillo dice, para su capa vieja: «¡El sol, esta hermosura de sol!…» Los niños juegan.
El agua de la fuente resbala, corre y sueña lamiendo, casi muda, la verdinosa piedra.
Soledades. Galerías. Otros poemas. VI Varia. 1907.
XCVI. Soleil d’hiver
Il est midi. Un parc. L’hiver. De blancs sentiers ; des monticules symétriques, des branches squelettiques.
Dans la serre chaude, des orangers en pot, et dans son tonneau, peint en vert, le palmier.
Un petit vieillard dit à son vieux manteau : «Le soleil, quel splendeur ce soleil !… » Les enfants jouent.
L’eau de la fontaine coule, glisse et rêve, léchant, quasi muette, la pierre vert-de-gris.
Champs de Castille, Solitudes, Galeries et autres poèmes et Poésies de la guerre. Traduction : Sylvie Léger et Bernard Sesé. Paris, Gallimard, 1973; Paris, collection Poésie/ Gallimard, 1981 (n°144).
Mardi 14 décembre, dans l’exposition Picasso l’étranger au Musée de l’Histoire de l’immigration (4 novembre 2021 – 13 février 2022) (Commissariat: Annie Cohen-Solal, assistée d’Elsa Rigaux.), j’ai remarqué une lettre manuscrite d’Henri Laugier du 1 janvier 1961 envoyée à Pablo Picasso et accompagnée d’une copie manuscrite d’un texte de Paul Valéry (Paris, Musée national Picasso), Fortune selon l’esprit. Henri Laugier (1888-1973) est un physiologiste et haut fonctionnaire, très lié à Marie Cuttoli (1879-1973), collectionneuse, gérante de l’atelier de tapis d’art Myrbor et amie de Picasso qu’elle reçoit avant-guerre dans sa villa Shady Rock d’Antibes.
Fortune selon l’esprit (Paul Valéry)
Je ne demanderai à la fortune que les conditions physiques et chimiques de la liberté de l’esprit – le tiède, le frais, le calme, l’espace, le temps, le mouvement – selon le besoin. Un robinet que l’on ouvre ou que l’on ferme, et d’où coulent la solitude ou le monde, les montagnes ou les forêts, la mer ou bien la femme. Et des instruments de travail. Le luxe m’est indifférent. Je ne regarde pas les « belles choses ». C’est en faire qui m’intéresse, en imaginer, en réaliser. Une fois faites, ce sont des déchets. Nourrissez-vous de nos déchets. Transformer le désordre en ordre. Mais une fois l’ordre créé, mon rôle est terminé. Vixi. L’œuvre d’art me donne des idées, des enseignements, pas de plaisir. Car mon plaisir est de faire, non de subir. Mais l’ouvrage qui m’impose du plaisir, son bon plaisir, m’inspire vénération, terreur, sentiment d’une force supérieure.
Mélange, Gallimard, 1941.
La recherche de ce texte m’a mis sur la piste de Mathilde Pomés (1886-1977), hispaniste et traductrice, dont je connaissais les contacts avec les écrivains espagnols de la Génération de 1898, mais aussi avec ceux de la Génération de 1927. Amie d’Henry de Montherlant et de Paul Valéry, c’est la première femme à obtenir l’agrégation masculine d’espagnol (major en 1916). Elle publie Poètes espagnols d’aujourd’hui aux éditions Labor de Bruxelles en 1934 et chez Stock en 1957 une Anthologie de la Poésie Espagnole. Un hommage lui est rendu par de nombreux écrivains espagnols au restaurant Buenavista de Madrid le 10 avril 1931. Vicente Aleixandre, Prix Nobel de Littérature en 1977, considérait Mathilde Pomés comme “el verdadero cónsul de la poesía española en Europa”
Elle a légué un millier de lettres de 160 correspondants à ses amis Manuel Sito Alba, directeur de la Biblioteca española de París, et Elisa Ruiz García, son épouse, catedrática emérita de la Facultad de Geografía e Historia de la Universidad Complutense de Madrid. Ceux-ci les ont données à la Bibliothèque Nationale de Madrid qui a organisé une exposition du 30 septembre 2016 au 8 janvier 2017 : Cartas a una mujer: Mathilde Pomès (1886-1977).
Elle décrit ainsi la visite de Paul Valéry à Madrid au printemps 1924.
Paul Valéry et l’Espagne (Mathilde Pomés)
Le voyage, au temps de la jeunesse de Paul Valéry, n’était point article forfaitaire. C’était une entreprise individuelle, avec ses risque et ses profits singuliers. Uni à l’Italie pas des liens de famille, Valéry se déplace volontiers de sa Sète natale à Gênes, dont il a tracé de prestes, chatesques, odorants croquis. Marié, il se rend en voyage de noces en Belgique et à Cologne. Puis commence cette longue période de silence, de travail, de constitution de trésor qui durera jusqu’à l’après-guerre ; période simplement coupée de quelques déplacements intérieurs, que l’on peut dire sédentaire. Tout à coup la gloire se lève, envahit sa vie, l’écartèle. Valéry ne se possède plus ; on se dispute sa présence, on se l’arrache. C’est avant le plus fort de cette ruée qu’il reçoit son baptême espagnol. Venant d’Italie par Toulon et Montpellier, il passe pour la première fois les Pyrénées le 16 Mai 1924. La société de Cours et Conférences, que préside le duc d’Albe, lui a demandé deux conférences. Á Madrid le conférencier loge à la Residencia de Estudiantes, rue del Pinar, sur cette douce colline que le grand poète Juan Ramón Jiménez quand, en 1915, avant son mariage, il y résidait lui-même, avait baptisée « la colline des peupliers ». Valéry y parle les 17 et 20 mai, sur « Baudelaire et sa postérité » (dans l’intervalle, à l’Institut français, sur « Ronsard et l’esprit de la Pléiade ») La jeunesse intellectuelle se presse autour de lui. La courtoisie, l’empressement de ses hôtes ne le laissent pas seul. Il ne court pas la ville, ne flâne pas ; il ne visite même pas à son gré le Prado. On ne lui fait grâce ni de l’Escorial, ni de Tolède, ni d’Aranjuez. Après quoi, il faut prolonger chaque soirée jusqu’à quatre ou cinq heures du matin, c’est à dire jusqu’au moment où, d’habitude, Valéry se lève. Il revient étourdi de veilles, de questions, de remarques, de vivacité, d’esprit. Il n’a retenu que des hommes. Quels êtres que ces Espagnols ! Toujours tendus, à la pointe d’eux-mêmes, vibrants, nerveux, prêts à voler ! Les fameux frondeurs d’Annibal, c’est eux-mêmes qu’ils lançaient.
– Qu’avez-vous vu à Madrid ?
– Ortega, Marichalar, Morente, Jiménez Fraud…
– Et la poésie ? Et Juan Ramón Jiménez !
– Sous les espèces de roses…
– Vous dites ?
– Que je n’ai vu ce grand poète que sous la plus belle apparence qu’il pût prendre, celle des merveilleuses roses qu’il m’a envoyées…
Á cette rencontre manquée, Valéry supplée par un compliment en vers :
À Juan Ramón Jiménez (Paul Valéry)
que me envió tan preciosas rosas…
…Voici la porte refermée Prison des roses de quelqu’un ?… La surprise avec le parfum Me font une chambre charmée…
Seul et non seul, entre ces murs, Dans l’air les présents les plus purs Font douceur et gloire muette – J’y respire un autre poète.