Deux poèmes relus ce matin un peu par hasard et qui n’ont pas grand chose à voir. Deux traductions en français d’une qualité inégale. Ils m’aident pourtant à commencer la journée malgré la fatigue et les maux.
Medialuz (César Vallejo)
He soñado una fuga. Y he soñado tus encajes dispersos en la alcoba. A lo largo de un muelle, alguna madre; y sus quince años dando el seno a una hora.
He soñado una fuga. Un “para siempre” suspirado en la escala de una proa; he soñado una madre; unas frescas matitas de verdura, y el ajuar constelado de una aurora.
A lo largo de un muelle… Y a lo largo de un cuello que se ahoga!
Los heraldos negros, 1918.
Demijour
J’ai revé d’une fugue. Et j’ai revé de tes dentelles éparses dans l’alcôve. Tout au long d’un quai, une mère ; et ses quinze ans allaitant l’heure.
J’ai revé d’une fugue. D’un “ pour toujours ” soupiré sur l’échelle d’une proue ; j’ai rêvé d’une mère ; de fraîches petites touffes vertes, et du trousseau constellé d’une aurore;
Tout au long d’un quai… et tout au long d’un cou qui se noie !
Les hérauts noirs. In Poésie complète. Traduction Gérard de Constanze. Flammarion, 1983.
Lo perdido ( Jorge Luis Borges )
¿Dónde estará mi vida, la que pudo haber sido y no fue, la venturosa o la de triste horror, esa otra cosa que pudo ser la espada o el escudo
y que no fue? ¿Dónde estará el perdido antepasado persa o el noruego, dónde el azar de no quedarme ciego, dónde el ancla y el mar, dónde el olvido
de ser quien soy? ¿Dónde estará la pura noche que al rudo labrador confía el iletrado y laborioso día,
según lo quiere la literatura? Pienso también en esa compañera que me esperaba, y que tal vez me espera.
El oro de los tigres, 1972.
Ce qui est perdu
Où est-elle ma vie, celle qui put Avoir été et ne fut pas, la chanceuse Ou celle de l’horreur triste, cette autre chose Qui aurait pu être l’épée ou l’écu
Et ne fut pas ? Où est-il l’ancêtre Perdu perse ou le norvégien Où le hasard de ne pas devenir aveugle, Où l’ancre et la mer, où l’oubli
D’être qui je suis ? Où est-elle la pure Nuit qui au rude laboureur confie Le jour illettré et laborieux
Selon le vœu de la littérature ? Je pense aussi à cette compagne Qui m’attendait, et qui peut-être m’attend.
L’or des tigres, 1972. Gallimard, 2014. Traduction Silvia Baron Supervielle.
Gabriel Boric, 36 ans, est devenu hier officiellement le plus jeune président de l’histoire du Chili. L’ancien leader étudiant, héritier de la révolte sociale de 2019, a fait de sa cérémonie d’investiture à Valparaíso, siège du Parlement, un symbole de son projet de changement en profondeur. Il a rendu hommage à l’ancien président Salvador Allende : « Comme l’avait prédit Salvador Allende il y a presque cinquante ans, nous voici de nouveau, chers compatriotes, en train d’ouvrir de grandes avenues où passeront l’homme et la femme libres pour construire une société meilleure. Vive le Chili ! » Son gouvernement est majoritairement composé de femmes (14 sur 24), notamment aux postes régaliens de l’intérieur, la défense ou des affaires étrangères. La moyenne d’âge est de 42 ans. La tâche est immense et très difficile.
Le 11 septembre 1973, jour du coup d’état militaire, à 10h15, Salvador Allende fit à Radio Magallanes son dernier discours à la nation chilienne:
«Sigan ustedes sabiendo que, mucho más temprano que tarde, se abrirán las grandes alamedas por donde pase el hombre libre para construir una sociedad. ¡Viva Chile, viva el pueblo, vivan los trabajadores!»
Gabriel Boric a cité dans son discours un vers du grand poète chilien, Vicente Huidobro (1893-1948) , un des quatre grands de la poésie chilienne du XX ème siècle (avec Pablo Neruda, Gabriela Mistral et Pablo de Rokha), le fondateur du “Créationnisme”: ” el adjetivo, cuando no da vida, mata.”
Arte poética (Vicente Huidobro)
Que el verso sea como una llave que abra mil puertas. Una hoja cae; algo pasa volando; cuanto miren los ojos creado sea, y el alma del oyente quede temblando.
Inventa mundos nuevos y cuida tu palabra; el adjetivo, cuando no da vida, mata. Estamos en el ciclo de los nervios. El músculo cuelga, como recuerdo, en los museos; mas no por eso tenemos menos fuerza : el vigor verdadero reside en la cabeza.
Por qué cantáis la rosa, ¡ oh Poetas ! hacedla florecer en el poema; sólo para nosotros viven todas las cosas bajo el Sol.
Carlos Álvarez Cruz est né le 27 décembre 1933 à Jérez de la Frontera (Cádiz). Son père, capitaine des Gardes d’Assaut, fut fusillé à Séville sur l’ordre du général rebelle Gonzalo Queipo de Llano (1875-1951). Celui-ci, responsable de l’exécution de 3 000 à 6 000 personnes après la prise de la ville par les franquistes, est encore enterré aujourd’hui dans la basilique de la Macarena à Séville. En 1941, Carlos Álvarez s’installe avec sa famille à Madrid. Il fait des études secondaires, puis devient employé de banque. Militant du PCE (Partido Comunista de España), il est arrêté en avril 1957. Mis au secret et jugé pour propagande illégale, il bénéficie d’un non-lieu. Victime de la censure d’état, ses poèmes ne sont édités qu’au Danemark et en France. Arrêté à nouveau en 1963 pour avoir publié dans la presse étrangère une lettre de protestation contre l’exécution du dirigeant communiste Julián Grimau, il est condamné en 1964, puis amnistié en 1965. Son premier livre paraît en Espagne en 1969. Le 20 novembre 1975, à la mort du général Franco, il purge à la prison de Carabanchel une condamnation de quatre ans et deux mois pour s’être montré solidaire avec les dirigeants du syndicat Comisiones Obreras, condamnés lors du procès 1001. Il était rédacteur publicitaire. La maison d’édition Adeshoras a publié en 2016 Los sueños, el amor, las intenciones, son œuvre poétique complète en deux tomes. Il est décédé à Madrid le 27 février 2022.
Guernica
Hoy ha llovido abril sobre mi sangre… la guerra dicen que terminó hace muchos años, el paisaje es aquí diferente: tiene sujeto a la maleza el sombrío color de los mineros, pero es verde el metal; pasan los ríos cansados del trabajo, vestidos con el traje común de las faenas; nada sugiere la tarjeta postal para el disfrute del que paga con marcos, libras, dólares… Y porque ocurre que el lunes era día veintiséis, hoy miro al cielo, escucho si vuelven los aviones de Guernica, si proyecta la cruz gamada el sol sobre los campos, sobre este campo herido… busco, descubro en mis raíces, encuentro que también en Euzkadi está mi patria… que también en Guernica está mi sangre…
Guernica
Aujourd’hui avril retentit dans mon sang… On dit que la guerre est finie depuis longtemps, et le paysage d’ici est différent. Dans ces broussailles il a gardé la couleur sombre des mineurs, car le métal est vert. Passent les rivières fatiguées par le travail et revêtues des vêtements anonymes de l’effort. Rien ne suggère la carte postale des vacances de celui qui paie en marks, en livres, ou en dollars… Tout est motivé par la date anniversaire, un jeudi, le 26, aussi, je regarde le ciel, j’écoute si les avions reviennent sur Guernica, et si l’ombre de la croix gammée ne plane pas sur les campagnes, sur cette terre blessée… Je cherche et je découvre au plus profond de moi, au fond de mes racines, que ma patrie se nomme aussi Euzkadi, et que mon sang est aussi à Guernica…
Ana Merino (Madrid, 1971) vient de publier son deuxième roman, Amigo. Le premier, El mapa de los afectos, avait obtenu le Prix Nadal en 2020.
Il y a deux ans, Ana Merino, professeure à l’Université de Iowa, est invitée à consulter les archives de Joaquín Amigo, conservées par sa petite fille María à Madrid. Cet écrivain participa avec son ami Federico García Lorca et Manuel de Falla aux réunions de El Rinconcillo, un cercle littéraire qui se réunissait au Café Alameda de Grenade au début des années 20. Il fut aussi un des animateurs avec Federico de la revue littéraire, gallo, qui publia deux numéros en février et en avril 1928. Il assista aussi avec d’autres amis à la lecture que fit Federico García Lorca de sa pièce, Yerma, à la Huerta de San Vicente, la maison de campagne de la famille du poète, à l’été 1934. Celui-ci lui dédia le poème Dosmarinos en la orilla de Canciones 1921-1924.
Joaquín Amigo Aguado (Grenade 1899 – Ronda, 1936) avait suivi les cours de José Ortega y Gasset. Catholique pratiquant et d’idéologie conservatrice, il était professeur de philosophie au lycée Giner de los Ríos de Ronda. Au cours de la Guerre Civile, des miliciens des comités révolutionnaires de la ville pour se venger de la répression nationaliste l’arrêtèrent le 24 août et le jetèrent du Puente Nuevo (98 mètres au-dessus des gorges du Guadalevín) le 27 août 1936, neuf jours après l’assassinat de son ami Federico García Lorca à Viznar. On n’a jamais retrouvé les corps des deux amis.
Ana Merino a pu étudier les archives de Joaquín Amigo à partir du 25 juin 2020. Elle a trouvé des lettres inédites de Federico García Lorca, des cartes postales de Federico et de Salvador Dalí, envoyées de Cadaqués. Elle a tiré de ses recherches un roman qui met en valeur l’amitié entre les deux hommes. Dans une des lettres retrouvées, García Lorca dit à Joaquín Amigo : «Saluda a los amigos, ya sean ingratos o sean amigos míos de verdad. Basta que sean de Granada para que yo los quiera. No hay nada en el mundo como Granada» Le roman fait revivre aussi le poète Luis Rosales (1910 – 1992). Federico García Lorca se réfugia dans la maison familiale de celui-ci, calle Angulo à Grenade, entre le 9 et le 16 août avant d’être arrêté et assassiné. Le poète et critique Felix Grande (1937 – 2014), de famille et de convictions républicaines, publia en 1987 La calumnia. De cómo a Luis Rosales, por defender a Federico García Lorca, lo persiguieron hasta la muerte (Mondadori). Il défendait Luis Rosales, poète et phalangiste comme ses frères, accusé à tort par certains exilés républicains d’avoir livré son ami aux bourreaux.
Dos marinos en la orilla
A Joaquín Amigo
I
Se trajo en el corazón un pez del Mar de la China.
A veces se ve cruzar diminuto por sus ojos.
Olvida siendo marino los bares y las naranjas.
Mira al agua.
II
Tenía la lengua de jabón. Lavó sus palabras y se calló.
Mundo plano, mar rizado, cien estrellas y su barco.
Vio los balcones del Papa y los pechos dorados de las cubanas.
Mira al agua.
Canciones 1921-1924.
Deux marins au bord de l’eau.
I
Il rapportait en son cœur un poisson des Mers de Chine.
Parfois on le voit passer minuscule dans ses yeux.
Il oublie la Marine et les bars et les oranges.
Il regarde l’eau.
II
D’une langue de savon il lava ses mots et se tut.
Monde uni, mer frisée cent étoiles, son navire.
Il a vu les balcons du Pape et les seins dorés des Cubaines.
Il regarde l’eau.
Poésies, tome II. Collection Poésie/Gallimard n° 2. 1966. Traduction : André Belamich et Pierre Darmangeat.
Recuérdalo tú y recuérdalo a otros, Cuando asqueados de la bajeza humana, Cuando iracundos de la dureza humana: Este hombre solo, este acto solo, esta fe sola. Recuérdalo tú y recúerdalo a otros.
En 1961 y en ciudad extraña, Más de un cuarto de siglo Después. Trivial la circunstancia, Forzado tú a pública lectura, Por ella con aquel hombre conversaste: Un antiguo soldado En la Brigada Lincoln.
Veinticinco años hace, este hombre, Sin conocer tu tierra, para él lejana Y extraña toda, escogió ir a ella Y en ella, si la ocasión llegaba, decidió apostar su vida, Juzgando que la causa allá puesta al tablero Entonces, digna era de luchar por la fe que su vida llenaba.
Que aquella causa aparezca perdida, Nada importa; Que tantos otros, pretendiendo fe en ella Sólo atendieran a ellos mismos, Importa menos. Lo que importa y nos basta es la fe de uno.
Por eso otra vez hoy la causa te aparece Como en aquellos días: Noble y tan digna de luchar por ella. Y su fe, la fe aquella, él la ha mantenido A tráves de los años, la derrota, Cuando todo parece traicionarla. Mas esa fe, te dices, es lo que sólo importa.
Gracias, Compañero, gracias Por el ejemplo. Gracias porque me dices que el hombre es noble. Nada importa que tan pocos lo sean: Uno, uno tan sólo basta Como testigo irrefutable de toda la nobleza humana.
Desolación de la químera. Joaquín Mortiz, México, 1962.
Luis Cernuda séjourne à San Francisco en 1961-1962. Il donne des cours à l’Université de Californie et récite ses poèmes en public. Á la fin d’une de ces séances au San Francisco State College, un ancien brigadiste est venu le saluer.
Il a commencé à écrire ce poème à San Francisco en décembre 1961 et il le termine en avril 1962. Fatigué et triste, il meurt le 5 novembre 1963 (à 61 ans) à Mexico.
La Brigade Abraham Lincoln ou XVe Brigade internationale a été constituée par des volontaires des États-Unis qui ont servi dans la guerre civile espagnole dans les Brigades internationales.
Luis García Montero évoque aujourd’hui ce poème dans un article de Infolibre: Buen momento para volver a ver Maixabel.
Le deuxième recueil de poèmes de César Vallejo, Trilce, a été publié en octobre 1922, il y a cent ans (Talleres Tipográficos de la Penitenciaria). Il a été tiré à deux cents exemplaires. 121 pages de textes et un prologue d’Antenor Orrego (1892-1960), ami du poète. Les 77 poèmes ne portent pas de titre. Ils sont dénombrés de I à LXXVII. La poésie dépasse toute anecdote.
Le premier livre de César Vallejo, Los heraldos negros, date de 1919. On sent encore dans ces poèmes, rédigés entre 1915 et 1918, l’influence du modernisme.
Le mot Trilce est un mot inconnu. On demanda un jour à Vallejo ce qu’il signifiait. Il répondit :« Ah, mais ça ne veut rien dire. Je ne trouvais aucun mot qui ait la dignité d’un titre, alors je l’ai inventé : Trilce. Ce n’est pas un joli mot ? » («Ah, pues Trilce no quiere decir nada. No encontraba, en mi afán, ninguna palabra con dignidad de título, y entonces la inventé: Trilce. ¿No es una palabra hermosa? ») D’autres explications ont été données. En espagnol, on entend d’abord deux états : Triste, Dulce. Triste et Doux.
Ces textes furent écrits pendant une période particulièrement dramatique de la vie du poète. Sa mère meurt en août 1918. Il connaît une rupture amoureuse douloureuse (avec la très jeune Otilia Villanueva) en mai 1919. Son ami, l’écrivain Abraham Valdelomar ,(1888-1919) meurt le 3 novembre 1919 après une chute accidentelle. Il perd son poste d’enseignant à la fin de 1919. Il est emprisonné à Trujillo pendant 112 jours (du 6 novembre 1920 au 26 février 1921), sous l’accusation d’être un agitateur et d’avoir incendié une maison à Santiago de Chuco, sa ville natale. Il s’exilera en France le 17 juin 1923 et arrivera à Paris le 13 juillet.
César Vallejo a commencé à écrire Trilce en 1918. La plupart des poèmes datent de 1919 et les deux derniers de 1922. Il s’agit du sommet de l’oeuvre du poète péruvien. Il est en avance sur toutes les avant-gardes. On remarque une rupture avec Los heraldos negros. Ses poèmes sont toujours marqués par le pessimisme, mais l’angoisse et la désolation apparaissent avec un nouveau langage poétique, loin de toute influence moderniste. La langue se désarticule. La syntaxe disparaît parfois. Ce livre donne l’impression d’un monde chaotique et angoissant. Il deviendra l’un des plus importants de la poésie en langue espagnole du XX ème siècle.
«El libro ha nacido en el mayor vacío. Soy responsable de él. Asumo toda la responsabilidad de su estética. Hoy, y más que nunca quizás, siento gravitar sobre mí una hasta ahora desconocida obligación sacratísima, de hombre y de artista: ¡la de ser libre! Si no he de ser hoy libre, no lo seré jamás. Siento que gana el arco de mi frente con su más imperativa curva de heroicidad. Me doy en la forma más libre que puedo y ésta es mi mayor cosecha artística. ¡Dios sabe hasta dónde es cierta y verdadera mi libertad! ¡Dios sabe cuánto he sufrido para que el ritmo no traspasara esa libertad y cayera en libertinaje! ¡Dios sabe hasta qué bordes espeluznantes me he asomado, colmado de miedo, temeroso de que todo se vaya a morir a fondo para que mi pobre ánima viva!» (Carta enviada a Antenor Orrego y citada por su amigo José Carlos Mariátegui. Siete ensayos de interpretación de la realidad peruana. En El proceso de la literatura. Lima, 1928.)
En 1930, il fut publié en Espagne (Compañia Ibero-Americana de Publicaciones) avec un prologue de José Bergamín et un poème de Gerardo Diego.
III
Las personas mayores ¿a qué hora volverán? Da las seis el ciego Santiago, y ya está muy oscuro.
Madre dijo que no demoraría.
Aguedita, Nativa, Miguel, cuidado con ir por ahí, por donde acaban de pasar gangueando sus memorias dobladoras penas, hacia el silencioso corral, y por donde las gallinas que se están acostando todavía, se han espantado tanto. Mejor estemos aquí no más. Madre dijo que no demoraría.
Ya no tengamos pena. Vamos viendo los barcos ¡el mío es más bonito de todos! con los cuales jugamos todo el santo día, sin pelearnos, como debe de ser: han quedado en el pozo de agua, listos, fletados de dulces para mañana.
Aguardemos así, obedientes y sin más remedio, la vuelta, el desagravio de los mayores siempre delanteros dejándonos en casa a los pequeños, como si también nosotros no pudiésemos partir.
Aguedita, Nativa, Miguel? Llamo, busco al tanteo en la oscuridad. No me vayan a haber dejado solo, y el único recluso sea yo.
Trilce, 1922.
III
Les grandes personnes à quelle heure reviendront-elles ? L’aveugle Santiago sonne six heures et il fait déjà très sombre.
Mère a dit qu’elle ne tarderait pas.
Aguedita, Nativa, Miguel, attention à ne pas aller par là, par où viennent de passer en nasillant leurs souvenirs d’accablantes âmes en peine, vers la basse-cour silencieuse, et par où les poules qui, en sont encore à se coucher, se sont tant effrayées. Il vaut mieux que nous restions ici simplement. Mère a dit qu’elle ne tarderait pas.
N’ayons plus de peine. Allons voir les bateaux, le mien est le plus beau de tous ! Ceux avec quoi nous jouons toute la sainte journée, sans nous disputer, comme il se doit : ils sont restés dans le bassin, tout prêts, chargés de sucreries pour demain.
Attendons ici, obéissants et soumis le retour, le dédommagement des adultes qui toujours vont devant nous laissant à la maison, nous les petits, comme si nous ne pouvions partir aussi.
Aguedita, Nativa, Miguel ? J’appelle, je cherche à tâtons dans l’obscurité. Pourvu qu’ils ne m’aient pas abandonné et que le seul reclus ce soit moi.
Conversations à Buenos Aires de Jorge Luis Borges et Ernesto Sabato. Propos recueillis par Orlando Barone, traduit de l’espagnol (Argentine) par Michel Bibard, 10/18 n°3734, 2004. 184 p., 7,30 €.
Jorge Luis Borges y Ernesto Sabato, Diálogos Borges-Sabato, Compaginados por Orlando Barone. Emecé Editores. Buenos Aires, 1976, 178 pp. Réédition, août 1996.
On peut remarquer la différence entre la couverture de l’édition de poche française et celle de l’édition argentine qui me semble plus satisfaisante.
Ernesto Sabato et Jorge Luis Borges se rencontrent dans les années 40 chez Adolfo Bioy Casares et Silvina Ocampo qui s’étaient mariés le 15 janvier 1940. Les deux écrivains argentins se brouillent en 1956 pour des raisons politiques. Tous les deux sont antipéronistes, mais Sabato était de gauche et Borges très conservateur.
Ernesto Sabato : El rostro del peronismo. Carta abierta a Mario Amadeo (Imprenta López, 1956). Réponse de Borges : Una efusión de Martínez Estrada (n°242 Revue Sur septembre-octobre 1956). Réponse de Sabato : Una efusión de Jorge Luis Borges (n°4 Revista Ficción noviembre-diciembre de 1956).
En 1963, Sabato publie Tango, discusión y clave (Losada, 1963. Réédition 1997). Le prologue est dédié à Jorge Luis Borges.
« Las vueltas que da el mundo, Borges: cuando yo era muchacho, en años que ya me parecen pertenecer a una especie de sueño, versos suyos me ayudaron a descubrir melancólicas bellezas de Buenos Aires: en viejas calles de barrio, en rejas y aljibes, hasta en la modesta magia que a la tardecita puede contemplarse en algún charco de las afueras. Luego, cuando lo conocí personalmente, supimos conversar de esos temas porteños ya directamente, ya con el pretexto de Schopenhauer o Heráclito de Efeso. Luego, años más tarde, el rencor político nos alejó; y así como Aristóteles dice que las cosas se diferencian en lo que se parecen, quizá podríamos decir que los hombres se separan por lo mismo que quieren. Y ahora, alejados como estamos (fíjese lo que son las cosas), yo quisiera convidarlo con estas páginas que se me han ocurrido sobre el tango, Y mucho me gustaría que no le disgustasen. Creameló. »
Le 7 octobre 1974, ils se retrouvent à la librairie La Ciudad, à Buenos Aires, presqu’en face d’où habite Borges depuis 1946 (Maipu 994, appartement B, 6 ème étage). Ils sont convaincus par Orlando Barone de se retrouver pour participer à des dialogues qui pourraient se transformer en livre. Ils décident de ne pas aborder la situation politique et de ne pas parler de péronisme ou d’antipéronisme.
Les deux écrivains se réunissent et parlent six fois chez une amie peintre (Renée Noetinger qui habite le même étage que Borges) et une fois dans un café bruyant (Bar de Maipú y Córdoba). Les réunions durent deux ou trois heures le samedi.
Il y a en tout 7 séances : 14 décembre 1974, 21 décembre 1974, 11 janvier 1975, 15 février 1975, 1 mars 1975, 8 mars 1975, 15 mars 1975.
Borges et Sabato commencent par rendre hommage à la littérature “gauchesque”, puis évoquent de nombreux écrivains : Voltaire, Baudelaire, Flaubert, Dostoïevski, Hölderlin, Coleridge, Poe, Stevenson, Melville, Wells, Twain, Shaw, Wilde, Chesterton, Conrad. Tous deux mettent en garde la littérature non seulement contre le réalisme, mais contre toute forme d’intention édifiante ou de moralisme. Borges cite Kipling : “Il est permis à un écrivain d’inventer une fable, mais pas sa moralité”. Les thèmes abordés sont la création artistique, le rêve, le temps, la poésie, la célébrité, la théologie, la folie, la mémoire, la traduction. Ils répondent aussi à quelques questions d’Orlando Barone qui se fait nénamoins le plus discret possible.
La mère de Borges, doña Leonor Acevedo de Borges, 99 ans, malade et presque paralysée, décède peu après le 8 juillet 1975.
Le 24 mars 1976, le général Videla destitue la présidente María Estela Domínguez de Perón (Isabelita). Á la tête d’une junte militaire, il instaure une dictature qui réprime l’opposition de gauche. Au moins 9 000 personnes sont victimes de disparitions forcées, 5 centres clandestins de détention et de torture sont créés. Environ 500 000 personnes sont contraintes à l’exil. Jorge Luis Borges apporte son soutien à la dictature ainsi qu’à celle du général Pinochet au Chili le 21 juillet 1976. Il n’aura jamais le Prix Nobel.
Le pathétisme du roman. Dialogue entre Juan José Saer et Jorge Luis Borges. Le Magazine Littéraire n° 376. mai 1999.
« J.J.S. Cela peut-il s’apparenter à certains de vos premiers essais sur la littérature du bonheur ? Vous souvenez-vous d’un essai à propos de Fray Luis de León ? J.L.B. Á vrai dire, la littérature du bonheur est très rare. J.J.S. C’était exactement la thèse de ces essais. J.L.B. Au point qu’une des causes de mon admiration pour Jorge Guillén est qu’il est un poète du bonheur ; par exemple quand il écrit : « Tout dans l’air est oiseau » … En réalité le bonheur se chante avec le sens de « Tout temps révolu était meilleur. »
Cima de la delicia ( Jorge Guillén )
¡Cima de la delicia! Todo en el aire es pájaro. Se cierne lo inmediato Resuelto en lejanía.
¡Hueste de esbeltas fuerzas! ¡Qué alacridad de mozo En el espacio airoso, Henchido de presencia!
El mundo tiene cándida Profundidad de espejo. Las más claras distancias Sueñan lo verdadero.
¡Dulzura de los años Irreparables! ¡Bodas Tardías con la historia Que desamé a diario!
Más, todavía más. Hacia el sol, en volandas La plenitud se escapa. ¡Ya sólo sé cantar!
Cántico (1919-1950). 1. Al aire de tu vuelo. III
Cime de nos délices
Cime de nos délices ! Dans l’air tout est oiseau. L’immédiat se dévoile Unique en un lointain.
Bataillons, forces légères ! Quel enjouement de gamin Sur l’espace désinvolte, Fou de présence, comblé !
Le monde a la profondeur Naïve de quelque miroir. Les distances les plus claires Rêvent d’une vérité.
Ô les années irréparables, Et leur douceur ! Et plus tard, les noces avec l’histoire, Jour après jour détestée !
Encore, encore plus, encore ! Vers le soleil, en envol, La plénitude s’échappe. Je ne sais plus que chanter !
Cantique. NRF Gallimard, 1977. Traduction: Claude Esteban.
Material compilado por Jorge Conti. Revista Crisis 1988.
En la tarde del 15 de junio de 1968 se encontraron Juan José Saer y Jorge Luis Borges en Santa Fe. Esa noche, Borges hablaría sobre el Ulises de Joyce. Durante un par de horas conversaron ante un grabador. A veinte años de aquel diálogo —inédito hasta hoy— puede verse a Saer indagando en el pensamiento borgiano o a Borges comentando los problemas que Saer se planteaba en torno de la literatura. Ambos hablaron de sí mismos y del otro. Los años nos depararon otra repuesta: la obra del indagador. —Yo he sido un devoto de Baudelaire. Podría citar indefinida y casi infinitamente Les fleurs du mal. Y luego me he apartado de él porque he sentido —quizá mi ascendencia protestante tenga algo que ver— que era un escritor que me hacía mal, que era un escritor muy preocupado de su destino personal, de su ventura o desventura personal. Y esa es la razón de que yo me aparte de la novela. Creo que los lectores de novelas tienden a identificarse con los protagonistas y finalmente se ven a sí mismos como héroes de novela. En una novela es muy importante que el héroe sea amado, que ame sin ser amado, que su amor sea correspondido… y quizá si suprimiéramos esas circunstancias, desaparecería buena parte de las buenas novelas del mundo. Y creo que para vivir —no diré con felicidad porque eso es bastante difícil— sino con cierta serenidad, conviene pensar lo menos posible en las circunstancias personales. Y en el caso de Baudelaire —como en el de Poe, su maestro— son escritores que realmente perjudican; en el sentido en que el lector tiende a parecerse a ellos, a verse como personaje patético. Y no creo que convenga verse como personaje patético. Lo que convendría en la vida —desde luego yo no lo he logrado del todo— es verse más bien… bueno, como decía Pitágoras, como un personaje lateral ¿no?, como un espectador. Y no creo que la lectura de Les fleurs du mal, de las poesías de Poe o, en general, los poetas y novelistas románticos, pueda ayudarnos en ese sentido. Creo en lo que decía Stevenson: un escritor gana poco, puede no ser célebre —generalmente no lo es— pero tiene el privilegio de influir en muchas personas. Y yo trato de influir de un modo que sea benéfico. —¿Esto puede entroncar con aquellos primeros ensayos suyos acerca de la literatura de la felicidad? ¿Se acuerda del ensayo sobre Fray Luis de León? —La verdad es que la literatura de la felicidad es muy rara. —Exactamente esa es la tesis de aquellos ensayos. —Tanto que una de las razones de mi admiración a Jorge Guillen es que él es un poeta de la felicidad. Cuando escribe, por ejemplo, “todo en el aire es pájaro”… Realmente, la felicidad se canta en el sentido de “todo tiempo pasado fue mejor”. En cambio, una de las virtudes de Walt Whitman es que se siente a veces una felicidad presente, aunque haya quizás una insistencia un poco sospechosa, se ve que él se impuso el deber de ser feliz. Pero creo que es mejor imponerse el deber de ser feliz, que imponerse el deber de ser desdichado o interesante ¿no?, y digno de lástima, porque me parece muy triste que le tengan lástima a uno ¿no?… aunque uno la merezca. —Entonces, ese rechazo hacia Poe y Baudelaire podría ser… —Dictado por un prejuicio, por un afán ético. Y posiblemente de origen protestante ¿no? Usted ha visto que en los países protestantes es muy importante la ética. Entre nosotros se entiende que alguien es o no un caballero, pero en general aquí no se discuten escrúpulos éticos. Desde ya, no creo que sean moralmente superiores en los Estados Unidos, pero creo que al mismo tiempo lo primero que alguien se pregunta sobre algo es si es éticamente justificable. Desde luego, esta pregunta puede llevar a un sofisma o a justificaciones interesadas, pero no importa, es lo primero que surge en una discusión cualquiera ¿no? —Pero eso no tiene nada que ver con el valor estético de las obras. Usted cree que Baudelaire es un gran poeta y Poe un gran narrador… —Desde luego. Aunque yo creo que para sentir la grandeza de Poe uno tiene que recordarlo. Es decir que uno tiene que verlo en conjunto. Que es un poco lo que ocurre con Lugones. Si uno piensa en toda su obra, es un gran escritor. Pero si uno lo considera página por página o —peor aún— línea por línea, uno encuentra muchas mediocridades. Pero quizá lo más importante en la obra de un escritor es la imagen final que él deja. —¿Y de Dostoievsky, Borges? ¿Cuál es la imagen que usted tiene? —Yo lo creí alguna vez el único. Y releí muchas veces Crimen y castigo y Los poseídos. Luego, en medio de mi entusiasmo, comprendí que me costaba mucho distinguir un personaje de otro. Que todos se parecían bastante a Dostoievsky y que eran personas que parecían gozar en la desventura ¿no?, y eso me desagrada. Entonces dejé de leerlo y no me sentí desmejorado por esa ausencia. —¿Y no habrá allí, de su parte, una elección inconsciente acerca de lo que debe ser la tarea de un escritor en el momento en que escribe? Es decir que en este país… —No. No. Yo creo que hay otra cosa, que no comprendí entonces y que comprendo ahora. Y es que de los diversos sabores de la literatura, el sabor que yo siento más profundamente es el sabor épico. Cuando pienso en el cinematógrafo, por ejemplo, instintivamente pienso en algún “western”. Cuando pienso en la poesía, pienso en momentos épicos: ahora estoy estudiando la antigua poesía de los sajones. Lo que más me conmueve es lo épico. Hay una frase de Lugones —una frase que yo daría mucho por haberla escrito, pero la he leído, lo cual también es una virtud ¿no?—que dice un personaje de una novela bastante mediocre, La guerra gaucha, dice: “…y lloró de gloria”. Yo siento eso muy profundamente. Cuando yo he llorado por un motivo estético ha sido no porque me refirieran una desventura, sino por estar ante una frase que significara coraje. Claro, puede influir también una ascendencia militar, el hecho de sentir nostalgia de esa vida que me ha sido prohibida, y eso quizá sea típico de los hombres de letras, el pensar que otro estilo de vida es superior al que les tocó en suerte; y posiblemente, ese sabor épico no lo sienten los héroes de la epopeya sino los escritores ¿no? —Pero esa apoteosis del coraje que hay en sus obras —y usted lo dijo en otros momentos— ¿no es más bien un sentimiento estético? Quiero decir que detrás de la violencia y el coraje hay un caos humano y un dolor muy terribles… —Si, creo que hay eso y que —además— lo épico está en el hecho de que un hombre, por una causa cualquiera —no importa si es justa o injusta porque a la larga todas las causas son justas o injustas— se olvide de su destino personal —Borges hay un artículo suyo, El arte narrativo y la magia, en el cual… —Lo recuerdo muy vagamente. —Yo también en este momento, pero su tesis es que… —Ah, sí. Ya sé. La tesis de ese artículo es que —de igual modo que la magia ejecuta actos que influyen en la realidad— así en el arte narrativo hay circunstancias más o menos imperceptibles que luego prefiguran lo que sucede después ¿no? —Sí. Y hay una teoría acerca del nominalismo y el realismo. —Yo no recuerdo eso. Usted recuerda mi obra mejor que yo. —Creo que es uno de los artículos más interesantes que usted ha escrito, Borges, o por lo menos de los que a mí más me gustan. —Yo recuerdo muy vagamente esa nota. Quería decir que lo que sucede en una obra narrativa tiene que estar preparado. Y entonces, esas circunstancias vendrían a ser como pequeñas operaciones mágicas ¿no? Creo que así era… —¿Usted no recuerda que habla de una traducción de Chaucer sobre un asesinato, en la que se habla de clavar un cuchillo, y hace un análisis de un modo indirecto de expresión que Chaucer traduce de una manera más directa…? —No. Ahora recuerdo. Yo digo que hay un momento en el que se pasó de la alegoría a la novela. Es decir, del realismo al nominalismo. Y que si quisiéramos fijar una fecha, deberíamos buscarla en aquel momento en el que Chaucer traduce esa línea que dice “con los hierros ocultos, las traiciones” como “el que sonríe con el cuchillo bajo la capa”. Y que podríamos fijar ese momento ideal —desde luego— como el momento en que se pasa de la alegoría, en que lo real son las ficciones, a la novela, en que lo real es, por ejemplo, no el asesinato o el crimen, sino Raskolnikov. —Claro. Yo quería empezar por ahí para referirme a la estructura de la novela, de la novela moderna sobre todo. Usted que es un gran traductor de Faulkner, que conoce tan a fondo el Ulises de Joyce, Proust y toda la narrativa moderna… —Yo creo poder plagiar —o deber plagiar— a Shaw, cuando dijo de O’Neill que no había nada nuevo en él salvo sus novedades. Creo que en el caso de Faulkner —y quizás en el caso de Proust, aunque yo hablo con más respeto de él que de Faulkner, respetándolos a los dos— esos artificios acabarán por cansar. Creo que volveremos a: “En un lugar de la Mancha, de cuyo nombre no quiero acordarme..”. Y creo además que un joven escritor debiera empezar por la sencillez y no por la complejidad. —¿No piensa que esto se parece un poco a aquello que decía Valéry, acerca de que Baudelaire decidió ser clásico porque debía oponerse a un romanticismo anterior? Es decir, que todas estas innovaciones son necesarias para que después aparezca un nuevo clasicismo en la novela, que hay una dialéctica atenta —valga la expresión— de la historia de la literatura… —Bueno, pero llevando esto a una “reductio de absurdum”, significaría que Faulkner, Virgina Woolf y Proust estarían sacrificándose para que haya escritores mejores… No, estoy bromeando, lo que usted quiere decir es que este proceso es necesario, que es un poco como una suerte de flujo y reflujo y que no podemos sustraernos a él y que —desde luego— pueden ejercerse con mayor o menor felicidad. Por ejemplo, Virginia Woolf en Orlando lo hizo muy bien y en otros libros lo hizo con menor felicidad. Y en cuanto a Faulkner, creo que llegó a perderse en sus propios laberintos. Hay una novela suya en la que—para mayor mortificación del lector— hay dos personajes con el mismo nombre, por ejemplo… —En Luz de agosto . —Bueno, yo no recuerdo porque no penetré muy profundamente en ese laberinto ya que me desagradó ¿no? —Uno de los personajes se llama Lucas Banch y el otro Byron Burch. Y hay con ellos una confusión. Pero tiene que ver con la trama de la novela. —Una vez me propusieron hacer un film con mi cuento La muerte y la brújula. Y ahí, misteriosamente, el asesino y el asesinado se confunden hasta en los nombres —porque uno se llama Roth y el otro Scharlach, rojo y escarlata— así que yo pensé que si llevábamos eso al cinematógrafo, convenía que un actor hiciera los dos papeles, para que se notara que en cierto modo había no sólo un asesinato sino un suicidio ¿no? —Además, en La espera, Alejandro Villari tiene el mismo nombre de su asesino. —Es cierto. Pero ahora ya espero portarme bien y no jugar más con esas cosas. —Pero esos juegos tiene algún sentido ¿verdad? —Sí. Y en todo caso, yo no los hice “pour épater les bourgois”. Además, el burgués ha sido “epatado” tantas veces que ya bosteza cuando quieren asombrarlo. Está curado de espanto, para usar una buena frase española. —Me parece, Borges, que en toda su obra hay líneas o tendencias expuestas discursivamente y que el objetivismo francés ha desarrollado. Que usted ha planteado problemas que ellos han desarrollado después en sus novelas a un nivel estructural. —Bueno, vamos a suponer que haya algo nuevo en mi obra ¿no?. Vamos a admitir eso como una hipótesis. En general, cuando un escritor llega a cierto punto piensa que ha llegado al último término. Y cuando otros desarrollan ese término, él se indigna ¿no? Porque piensa que él ha llegado ya a ese límite. Recuerdo el caso de Xul Solar, pintor muy audaz a quien le indignaba todo lo que ahora llamamos arte abstracto, porque le parecía que él había llevado eso hasta donde podía llevarse. De modo que si yo desapruebo lo que se hace ahora, quiere decir que he dado un paso, siquiera mínimo. Y que me enoja que otros vayan más allá. Pero ese es un proceso que no depende de mi voluntad. Han ocurrido cosas raras con mis libros: yo estaba en Texas y una chica me preguntó si al escribir el poema El Golem yo había ensayado una variación sobre el cuento Las ruinas circulares, escrito mucho antes. Yo reflexioné un momento, le agradecí su observación y le dije que nunca había pensado en eso, pero que realmente el cuento y el poema eran en esencia el mismo. —Uno de los libros de crítica más interesantes que se han escrito sobre su obra es el de Ana María Barrenechea. ¿Qué piensa usted? —Sí, ha sido traducido al inglés con el título de El hacedor de laberintos o El arquitecto de laberintos. Creo que es un libro muy estimable. Yo no lo he leído porque el tema me interesa poco ¿no?. Me siento muy incómodo cuando leo algo sobre mí. Pero creo que es el mejor libro, en todo caso fue juzgado digno de una traducción y me ha ayudado muchísimo. —En ese libro, Borges, Ana María Barrenechea, en la parte final, alude al debatido problema de su posición política. —Bueno, creo que es muy sencilla. Yo me he afiliado al Partido Conservador. He explicado que ser conservador, en la República Argentina, es una forma de escepticismo. Y que es equidistar del comunismo y del fascismo, es un partido medio. Creo que las épocas en las que han predominado los conservadores corresponden a épocas de dignidad y, por qué no decirlo, de prosperidad. Yo era radical. Pero era radical por una razón que me avergüenza confesar: porque un abuelo mío, Isidoro Acevedo, era íntimo amigo de Leandro Alem. Yo no creo que esas razones de tipo genealógico tengan valor. Entonces, unos días antes de las útlimas elecciones, yo fui a hablar con Hardoy y le dije que quería afiliarme al Partido Conservador. Y él me dijo: “Pero usted está completamente loco, vamos a perder las elecciones”. Entonces yo hice una frase, así, sonriendo. Le dije: “A un caballero sólo le interesan las causas perdidas”. Y él me contestó: “Bueno, si busca una causa perdida no dé un paso más, aquí está”. Y me recibió con los brazos abiertos. A lo mejor estoy hablando con cierta frivolidad de cosas muy importantes. Pero creo que las opiniones de un escritor son lo menos importante que tiene. Las opiniones en general son poco importantes. Una opinión, o pertenecer a un partido político o lo que se llama “literatura comprometida”, pueden llevarnos a obras admirables, mediocres o deleznables. No es tan fácil la literatura. No depende de nuestras opiniones, es algo que no se hace con las opiniones. Creo que la literatura es mucho más profunda que nuestras opiniones, que estas pueden cambiar y nuestra literatura no ser distinta por eso ¿no? —Usted lo dijo muchas veces respecto de Kipling. —Es cierto. Él dijo que a un escritor le está permitido urdir una fábula, pero no le está permitido saber cuál es la moraleja. De eso se encargarán otros, después. Y él lo dijo con cierta tristeza, porque él había sido un escritor comprometido, había dedicado su obra a la difusión o a la justificación del imperio inglés y -al final de su vida-comprendió que había hecho otra cosa, que había escrito algunos poemas y cuentos admirables y que el propósito político posiblemente había fracasado. —En cuanto a usted, Borges, parece comprensible que su actitud ante el peronismo sea verdaderamente hostil. —Creo que la palabra hostil es un poco débil. Yo siento repugnancia. Y creo poder decir lo mismo de un lejano pariente mío, llamado Juan Manuel de Rosas, un personaje abominable. Pero, en fin… —Sin embargo, leyendo en El Hacedor, se descubre un pequeño relato, casi un poema en prosa, El simulacro ¿lo recuerda? —Sí, eso se lo oí contar a un señor en Corrientes y a otro en Resistencia. Y como esas personas no estaban políticamente de acuerdo, supongo que el hecho era real. Pero si ese cuento es una defensa del peronismo, entonces —para usar una frase no muy original— me cortaría la mano con la que lo he escrito. —No, yo no creo que ese cuento sea una defensa del peronismo. Pero es una explicación muy sensible de circunstancias particulares y de un episodio que estaban sucediendo en el país. Porque el cuento termina con una frase que para mí es muy significativa. Dice: “el crédulo amor de los arrabales…”. —Sí, es cierto. Pero no creo que el crédulo amor de los arrabales justifique la complicidad del centro. Creo que es otra cosa. Yo puedo respetar el crédulo amor de los arrabales, pero no tengo por qué respetar a un señor que se hizo peronista porque le convenía y además hacía continuamente bromas sobre Perón para que no creyeran que era un imbécil. —Lo curioso es que el cuento logra dar una imagen real del peronismo, sin ningún tipo de hostilidad, y rescata cosas que en el peronismo eran verdaderamente positivas. —Bueno, lo siento mucho, pero si he escrito el cuento, quién soy yo para interpretarlo. Pero nunca había pensado en eso. Al escribirlo pensé que era una anécdota muy curiosa y que además era cierta, y que en el caso de que no hubiera sido cierta merecería ser inventada ¿no? Pero, habiendo tantos temas en el mundo ¿por qué hablamos de política, que es el tema que menos domino y en el cual me dejo llevar por pasiones? Y que yo veo, además, como un problema ético. Usted ha visto que yo tengo una preocupación ética. Cuando estuvimos hablando sobre Baudelaire, Dostoievsky, Poe… —Lo que pasa, Borges, es que interesa su pensamiento por su obra, que tiene gran importancia. —Bueno, pero si tiene esa importancia no creo tener mayor derecho a elucidarla. El escritor debe ser esencialmente inocente y espontáneo, de modo que lo que yo diga sobre mi obra tiene menos valor que lo que diga Ana María Barrenechea o cualquiera. Yo he escrito mis cuentos una sola vez. Ustedes los han leído muchas. Son más de ustedes que míos. Yo he tratado de que mis opiniones no intervengan en mi obra. De modo que cuando me dicen que estoy encerrado en una torre de marfil, digo que esa imagen tomada del ajedrez es falsa, puesto que nadie ha tenido ninguna duda sobre lo que yo he pensado. Pero no creo que lo que yo piense en materia política o en materia religiosa —lo cual es mucho más importante— influye en lo que escribo. Alguien me dijo alguna vez que yo creía que la historia es cíclica, porque en cierto cuento mío hay formas que se repiten. Pero lo que yo he hecho es aprovechar las posiblidades estéticas de la doctrina de los ciclos. Pero eso no quiere decir que yo crea en ella, ni que descrea tampoco. Yo soy ante todo un hombre de letras que basándose en inquietudes propias ha tratado de aprovechar las posibilidades literarias de la filosofía, de la metafísica y de las matemáticas, pero desde luego no tengo ninguna autoridad para hablar como filósofo, ni como hombre de ciencia, ni como matemático. —Pero su obra tiene una importancia fundamental, Borges… —No, no, no creo. Yo me he propuesto distraer y quizás inquietar. Pero creo que la gente se va a cansar muy pronto de lo que yo he escrito. —Sin embargo, admita que es un paso decisivo para consolidar un lenguaje que —entre otras cosas— no sea un lenguaje costumbrista. —Ah, bueno, eso sí. Pero yo, precisamente, he llegado a eso cometiendo todos los errores posibles. Cuando empecé a escribir yo quería ser un clásico español humanista, del siglo XVII. Luego adquirí un diccionario de argentinismos. Y me propuse ser un escritor criollo. Y acumulé tantas palabras criollas que yo mismo ya no me entendía sin recurrir al diccionario que luego presté para no ceder a la tentación. Y creo que ahora escribo, digamos… como un argentino normal, escribo normalmente en argentino. Es decir, ni trato de ser español porque eso sería disfrazarme, ni trato de ser argentino porque eso también sería disfrazarme. Creo haber llegado a escribir con cierta inocencia. No creo en el costumbrismo, ni tampoco en el lunfardo que es una ficción literaria asaz pobre ¿no? Una convención literaria, mejor dicho. Últimamente he escrito milongas y me he cuidado mucho de no intercalar ninguna palabra del lunfardo, porque me he dado cuenta de que si cedía a esa tentación se falseaba todo, ya se vería al escritor con su diccionario, tratando de ser orillero… y yo creo que el orillero está más bien en la entonación.
On retrouve ce texte traduit en français dans le Magazine Littéraire n° 376 (Voir lien ci-dessous) ainsi qu’un dialogue sur Borges entre Juan José Saer et Gérard de Cortanze.
Le pathétisme du roman. Dialogue entre Juan José Saer et Jorge Luis Borges. Traduction : Philippe Bataillon. Le Magazine Littéraire n° 376. Mai 1999.
Juan José Saer : « La modernité de Borges, c’est son style » Le Magazine Littéraire n° 376. Mai 1999.
Samedi, visite hebdomadaire chez Gibert Jeune. Je trouve d’occasion, dans le rayon Livres en langues étrangères, Ancia de Blas de Otero (Visor Libros). Je relis dimanche ces poèmes.
Blas de Otero est né le 15 mars 1916 à Bilbao. Il y passe une partie de son enfance. Il perd très jeune un frère et son père. Pendant la guerre civile, il doit combattre d’abord avec les gudaris au Pays Basque, puis avec les troupes franquistes lors de la campagne de Valence.
Il fait des études supérieures de droit et de lettres, mais son rôle de soutien de famille pèse lourd sur ses épaules. Il souffre d’une forte dépression en 1945 et doit faire un séjour au sanatorium d’Usurbil.
Il gagne sa vie en exerçant de nombreux métiers : conseiller juridique dans la métallurgie, mineur, professeur de droit. Il donne des conférences et des récitals de poésie dans toute l’Espagne. Il réside un temps à Paris (une première fois pour dix mois en 1952, puis pour deux courts séjours en 1959 et 1963), ensuite à La Havane (de 1964 à 1968). Il voyage en 1960 en Union Soviétique et en Chine. Il est mort d’une embolie pulmonaire le 29 juin 1979 à Majadahonda, dans la banlieue de Madrid. Il est enterré au cimetière civil de Madrid.
La première étape de son œuvre est marquée par le catholicisme (Cántico espiritual, 1942). Elle renvoie à la poésie religieuse du Siècle d’Or. Il a été membre de la Fédération des étudiants catholiques de Biscaye. La seconde étape exprime l’angoisse existentielle de l’homme. (Ángel fieramente humano, 1950. Redoble de conciencia, 1951. Ces deux recueils sont regroupés en 1958 sous le titre de synthèse de Ancia. Il y a ajouté 38 poèmes) Dans sa troisième étape, il écritpour l’immense majorité, une poésie sociale et politique. Ses livres sont censurés par le régime franquiste. (Pido la paz y la palabra, 1955. En castellano, 1960. Hacia la inmensa mayoría, 1962. Que trata de España, 1964) Il a rejoint le Parti Communiste d’Espagne en 1952.
Les derniers recueils (Hojas de Madrid con La galerna, 1968-2010. Mientras, 1970. Historias fingidas y verdaderas, 1970) témoignent d’un certain retour à des thèmes plus personnels.
Il a beaucoup utilisé les formes classiques, le sonnet par exemple.
On peut reconnaître dans sa poésie l’influence de fray Luis de León, saint Jean de la Croix, Francisco de Quevedo, Miguel de Unamuno, Antonio Machado, Miguel Hernández et César Vallejo.
Lo eterno (La tierra)
Un mundo como un árbol desgajado. Una generación desarraigada. Unos hombres sin más destino que apuntalar las ruinas.
Rompe el mar en el mar, como un himen inmenso, mecen los árboles el silencio verde, las estrellas crepitan, yo las oigo.
Sólo el hombre está sólo. Es que se sabe vivo y mortal. Es que se siente huir – ese río del tiempo hacia la muerte – .
Es que se quiere quedar. Seguir siguiendo, subir, a contra muerte, hasta lo eterno. Le da miedo mirar. Cierra los ojos para dormir el sueño de los vivos.
Pero la muerte, desde dentro, ve. Pero la muerte, desde dentro, vela. Pero la muerte, desde dentro, mata.
…El mar – la mar -, como un himen inmenso, los árboles moviendo el verde aire, la nieve en llamas de luz en vilo…
Ángel fieramente humano, 1950.
L’éternité
Un monde comme un arbre, arraché. Toute une génération déracinée. Des hommes qui n’ont d’autre destin que d’étayer les ruines.
La mer se brise dans la mer, comme un immense hymen, les arbres bercent le silence vert, les étoiles crépitent, moi je les entends.
Seul l’homme est seul. Parce qu’il sait qu’il est vivant et mortel. Parce qu’il sent qu’il part ce fleuve du temps coulant vers la mort
Parce qu’il veut rester. Être, être encore, gagner, à contre-mort, l’éternité. Regarder lui fait peur. Il ferme les yeux pour entrer dans le sommeil des vivants.
Mais la mort, du dedans, le regarde. Mais la mort, du dedans, le guette. Mais la mort, du dedans, le tue.
…La mer – les mers – , comme un immense hymen, les arbres qui soulèvent le vent vert, la neige en flammes d’une lumière en suspens…
Anthologie bilingue de la poésie espagnole. Bibliothèque de la Pléiade, 1995. NRF Gallimard. Traduction : Evelyne Martín-Hernández.
Tierra
“Quia non conclusit ostia ventris” Job III, 10.
Humanamente hablando, es un suplicio ser hombre y soportarlo hasta las heces, saber que somos luz, y sufrir frío, humanamente esclavos de la muerte.
Detrás del hombre viene dando gritos el abismo, delante abre sus hélices el vértigo, y ahogándose en sí mismo, en medio de los dos, el miedo crece.
Humanamente hablando, es lo que digo, no hay forma de morir que no se hiele. La sombra es brava y vivo es el cuchillo. Qué hacer, hombre de Dios, sino caerte.
Humanamente en tierra, es lo que elijo. Caerme horriblemente, para siempre. Caerme, revertir, no haber nacido humanamente nunca en ningún vientre.
Redoble de conciencia, 1951.
Terre
“Quia non conclusit ostia ventris” Job III, 10.
Humainement parlant, c’est supplice d’être homme et de l’être jusqu’à la lie, de nous savoir lumière et d’avoir froid, humainement esclaves de la mort.
Derrière l’homme arrive en hurlant le gouffre, devant s’ouvrent les hélices du vertige, et, sombrant en elle-même entre les deux, la peur qui grandit.
Humainement parlant, je le dis bien, il n’est pas de mort qui ne se glace; L’ombre est féroce et vif est le couteau. Et tu ne peux, homme de Dieu, que tomber.
Humainement sur la terre : c’est mon choix. Tomber horriblement, oui, pour toujours. Tomber, revenir au néant, n’être né jamais, humainement, d’aucun ventre.
Anthologie bilingue de la poésie espagnole. Bibliothèque de la Pléiade, 1995. NRF Gallimard. Traduction : Evelyne Martín-Hernández.
En el principio
Si he perdido la vida, el tiempo, todo lo que tiré, como un anillo, al agua, si he perdido la voz en la maleza, me queda la palabra.
Si he sufrido la sed, el hambre, todo lo que era mío y resultó ser nada, si he cegado las sombras en silencio, me queda la palabra.
Si abrí los labios para ver el rostro puro y terrible de mi patria, si abrí los labios hasta desgarrármelos me queda la palabra.
Pido la paz y la palabra, 1955.
Au commencement
Si j’ai perdu la vie, le temps, tout ce que j’ai jeté, comme une bague, à l’eau, si j’ai perdu la voix dans son jardin de mauvaises herbes, il me reste la parole.
Si j’ai souffert de la soif, de la faim, tout ce qui semblait être moi et finit par n’être rien, si j’ai moissonné les gerbes d’ombre et de silence, il me reste la parole.
Si j’ai ouvert les lèvres pour voir la figure pure et terrible de ma patrie, si je les ai ouvertes jusqu’à me les déchirer, il me reste la parole.
Je demande la paix et la parole. François Maspéro, 1963. Traduction: Claude Couffon.