Leopoldo Alas dit Clarín 1852 – 1901

Oviedo. Campo de San Francisco. Monument à Clarín (Víctor Hevia et Manuel Álvarez Laviada) 1931.

Leopoldo Alas (Leopoldo Enrique García-Alas y Ureña) est né le 25 avril 1852 à Zamora. Il publie sous le pseudonyme de Clarín des articles de presse (plus de deux mille), des critiques littéraires, des récits courts (une centaine de contes ou de nouvelles) et deux romans (La Regenta, 1884-1885 – Su único hijo, 1890). C’est le grand romancier espagnol du XIX ème siècle avec Benito Pérez Galdós. Il fait des études de droit à Oviedo (Licence en droit civil et canonique en 1871), puis à Madrid (Docteur en droit en 1878 ; titre de sa thèse : El Derecho y la Moralidad- Le Droit et la Moralité). Il suit les cours des professeurs krausistes de l’université de Madrid, Nicolás Salmerón et Francisco Giner de los Ríos. Leurs idées progressistes font naître en lui le doute et le scepticisme philosophique et religieux. Francisco Giner de los Ríos, fondateur en 1876 et directeur de l’Institution libre d’enseignement (Institución Libre de Enseñanza), sera le directeur de sa thèse. Leopoldo Alas obtient une chaire d’Économie Politique et de Statistique à Saragosse en 1882, puis de Droit Romain à Oviedo en 1883. Il enseignera à dans cette ville pendant dix-huit ans.

La Regenta est un long roman qu’il publie en deux tomes en 1884 et 1885. L’action se déroule à Vetusta, une ville de province imaginaire qui ressemble beaucoup à Oviedo. Ana Ozores, à l’âme noble et au coeur pur, échoue là après avoir épousé le vieux Victor Quintanar, président du tribunal territorial (El Regente). Elle s’ennuie terriblement dans cette société bourgeoise et provinciale aux allures vertueuses. Désespérée par le vide et la monotonie de sa vie, en quête d’absolu, elle choisit de s’échapper de la réalité de deux façons, le mysticisme et une passion amoureuse effrénée, ce qui déclenche le scandale. Lors de sa publication, l’évêque d’Oviedo, Ramón Martínez Vigil, accuse l’écrivain de brigandage moral. Il dénonce « un roman saturé d’érotisme, et outrageant pour les pratiques chrétiennes. » Clarín fait une acerbe critique de la société de la Restauration de la Monarchie d’Alfonso XII (1874), de la corruption politique, de l’inculture sociale et une féroce dénonciation des mœurs cléricales. Il meurt le 13 juin 1901 d’une tuberculose intestinale à 49 ans.

Monument à la mémoire de Leopoldo Alas Argüelles près du lieu où il a été fusillé.

Son fils aîné, Leopoldo Alas Argüelles (Leopoldo García-Alas García-Argüelles), naît à Oviedo le 12 novembre 1883. Il obtient sa licence de droit en 1904. Il voyage en Allemagne pour améliorer sa formation et préparer sa thèse: Las fuentes del Derecho y el Código Civil alemán. Le déclenchement de la Première Guerre Mondiale le fait rentrer en Espagne. En 1920, il obtient la chaire de Droit civil de l’université d’Oviedo. Il est membre du Parti Socialiste (PSOE), puis du Partido Republicano Radical Socialista, et enfin d’ Izquierda Republicana, le parti de Manuel Azaña. Á l’avènement de la République, il est élu député en juin 1931 (Coalition entre républicains et socialistes). Il sera aussi sous-secrétaire du Ministère de la Justice. Il est recteur de l’université d’Oviedo de mai 1931 à 1936. Lors de la révolution d’octobre 1934 aux Asturies, l’Université et la Bibliothèque d’Oviedo sont détruites. Il s’emploie à les reconstruire : “Sin libros no hay Universidad”. Il est arrêté le 29 juillet 1936. Un conseil de guerre le condamne à mort le 21 janvier 1937. Il est fusillé le 20 février 1937 dans la prison d’Oviedo. La haine de certains secteurs, particulièrement les secteurs ecclésiastiques contre son père ne sont pas étrangers à cette vengeance même si Clarín est mort depuis plus de trente ans. « Matan en mí la memoria de mi padre. », aurait-il dit en prison à un ami.

Clarín connaissait sa ville à fond. Les lecteurs reconnaissaient parfaitement certaines familles, les lieux de pouvoir (la cathédrale, l’hôtel de ville, l’université) dans ce roman à clefs. Le pivot de la vie à Vetusta reste toujours la noblesse, représentée par la maison du marquis de Vegallana.

Ricardo Labra vient de publier El caso Alas «Clarín». La memoria y el canon literario.(Colección Luna de abajo Alterna n°7.)

Leopoldo Alas, Clarín. La Regenta.Incipit.

“La heroica ciudad dormía la siesta. El viento sur, caliente y perezoso, empujaba las nubes blanquecinas que se rasgaban al correr hacia el norte.En las calles no había más ruido que el rumor estridente de los remolinos de polvo, trapos, pajas y papeles, que iban de arroyo en arroyo, de acera en acera, de esquina en esquina, revolando y persiguiéndose, como mariposas que se buscan y huyen y que el aire envuelve en sus pliegues invisibles. Cual turbas de pilluelos, aquellas migajas de la basura, aquellas sobras de todo, se juntaban en un montón, parábanse como dormidas un momento y brincaban de nuevo sobresaltadas, dispersándose, trepando unas por las paredes hasta los cristales temblorosos de los faroles, otras hasta los carteles de papel mal pegados a las esquinas, y había pluma que llegaba a un tercer piso, y arenilla que se incrustaba para días, o para años, en la vidriera de un escaparate, agarrada a un plomo.
Vetusta, la muy noble y leal ciudad, corte en lejano siglo, hacia la digestión del cocido y de la olla podrida, y descansaba oyendo entre sueños el monótono y familiar zumbido de la campana del coro, que retumbaba allá en lo alto de la esbelta torre en la Santa Basílica. La torre de la catedral, poema romántico de piedra, delicado himno, de dulces líneas de belleza muda y perenne, era obra del siglo diez y seis, aunque antes comenzada, de estilo gótico, pero, cabe decir, moderado por un instinto de prudencia y armonía que modificaba las vulgares exageraciones de esta arquitectura. La vista no se fatigaba contemplando horas y horas aquel índice de piedra que señalaba al cielo; no era una de esas torres cuya aguja se quiebra de sutil, más flacas que esbeltas, amaneradas, como señoritas cursis que aprietan demasiado el corsé; era maciza sin perder nada de su espiritual grandeza, y hasta sus segundos corredores, elegante balaustrada, subía como fuerte castillo, lanzándose desde allí en pirámide de ángulo gracioso, inimitable en sus medidas y proporciones. Como haz de músculos y nervios la piedra enroscándose en la piedra trepaba a la altura, haciendo equilibrios de acróbata en el aire; y como prodigio de juegos malabares, en una punta de caliza se mantenía, cual imantada, una bola grande de bronce dorado, y encima otra más pequeña, y sobre esta una cruz de hierro que acababa en pararrayos.

La Régente. Fayard, 1987. Traduction : Albert Belot, Claude Bleton, Jean-François Botrel. Robert Jammes, Yvan Lissorgues (coordinateur). Incipit.

« L’héroïque cité faisait la sieste. Chaud et paresseux, le vent du sud poussait de pâles nuages qui se déchiraient dans leur course vers le nord. Dans les rues, point d’autre bruit que la rumeur stridente des tourbillons de poussière, de chiffons, de brins de paille et de papiers qui allaient de caniveau en caniveau, de trottoir en trottoir, d’un coin de rue à l’autre, voltigeant et se poursuivant comme des papillons qui se cherchent et se fuient et que l’air enveloppe dans ses plis invisibles. Tels des bandes de gosses, ces débris d’ordures, ces restes de n’importe-quoi s’amassaient, s’arrêtaient un moment, comme endormis, et, réveillés en sursaut, bondissaient à nouveau et se dispersaient, les uns grimpant le long des murs jusqu’aux carreaux branlants des réverbères, d’autres jusqu’aux affiches de papier mal collés au coin des rues et telle plume atteignait même un troisième étage, et tel grain de sable s’incrustait pour des jours, voire pour des années, dans la vitrine d’une devanture, accroché à un plomb.
Vetusta, la très noble et très loyale cité, ville de cour en un siècle lointain, digérait son pot-au-feu et son bouilli et se reposait en écoutant dans un demi-sommeil le tintement monotone et familier de la cloche du chapitre qui résonnait là-haut au sommet de la tour élancée, dans la Sainte Basilique. La tour de la cathédrale, romantique poème de pierre, hymne délicat, aux douces lignes d’une beauté muette et pérenne, ouvrage du seizième siècle, bien que commencé plus tôt, était de style gothique, mais modéré, si l’on peut dire, par un instinct de prudence et d’harmonie qui tempérait les outrances les plus vulgaires de cette architecture. Le regard ne se lassait pas de contempler, des heures durant, cet index de pierre, pointé vers le ciel ; ce n’était pas une de ces tours dont la flèche s’amenuise au point de se briser, une de ces tours plus grêles qu’élancées, maniérées, comme des mijaurées serrant trop leur corset ; elle était massive sans rien perdre de sa grandeur spirituelle et s’élevait comme une forteresse jusqu’aux deuxièmes galeries, élégantes balustrades, et de là, s’élançait en une pyramide à la pente gracieuse, aux mesures et proportions inimitables. Tel un faisceau de muscles et de nerfs, la pierre enlacée à la pierre s’élevait vers les hauteurs en des prouesses dignes d’équilibristes et, tour de force prodigieux, sur une pointe de calcaire se maintenait, comme aimantée, une grosse boule de bronze doré, avec au-dessus une autre boule plus petite, elle-même surmontée d’une croix de fer qui s’achevait en paratonnerre. »

La Regenta. Excipit.

« Celedonio sintió un deseo miserable, una perversión de la perversión de su lascivia: y por gozar un placer extraño, o por probar si lo gozaba, inclinó el rostro asqueroso sobre el de la Regenta y le besó los labios.
Ana volvió a la vida rasgando las nieblas de un delirio que le causaba náuseas.
Había creído sentir sobre la boca el vientre viscoso y frío de un sapo. »

La Régente. Excipit.

« Celedonio éprouva un désir ignoble, une perversion de sa perversion lascive: pour jouir d’un plaisir nouveau ou pour voir s’il en tirerait jouissance, il pencha son visage répugnant sur celui de la régente et baisa ses lèvres.
Ana revint à la vie, déchirant les brumes d’un délire qui lui donnait la nausée.
Elle avait cru sentir sur sa bouche le ventre froid et visqueux d’un crapaud. »

Federico García Lorca

Fuentevaqueros (Granada). Museo-Casa natal de Federico García Lorca. (El Niño de las Pinturas – Raúl Ruiz)

Lluvia

Enero de 1919
(Granada)

La lluvia tiene un vago secreto de ternura,
algo de soñolencia resignada y amable,
una música humilde se despierta con ella
que hace vibrar el alma dormida del paisaje.

Es un besar azul que recibe la Tierra,
el mito primitivo que vuelve a realizarse.
El contacto ya frío de cielo y tierra viejos
con una mansedumbre de atardecer constante.

Es la aurora del fruto. La que nos trae las flores
y nos unge de espíritu santo de los mares.
La que derrama vida sobre las sementeras
y en el alma tristeza de lo que no se sabe.

La nostalgia terrible de una vida perdida,
el fatal sentimiento de haber nacido tarde,
o la ilusión inquieta de un mañana imposible
con la inquietud cercana del color de la carne.

El amor se despierta en el gris de su ritmo,
nuestro cielo interior tiene un triunfo de sangre,
pero nuestro optimismo se convierte en tristeza
al contemplar las gotas muertas en los cristales.

Y son las gotas: ojos de infinito que miran
al infinito blanco que les sirvió de madre.

Cada gota de lluvia tiembla en el cristal turbio
y le dejan divinas heridas de diamante.
Son poetas del agua que han visto y que meditan
lo que la muchedumbre de los ríos no sabe.

¡Oh lluvia silenciosa, sin tormentas ni vientos,
lluvia mansa y serena de esquila y luz suave,
lluvia buena y pacífica que eres la verdadera,
la que amorosa y triste sobre las cosas caes!

¡Oh lluvia franciscana que llevas a tus gotas
almas de fuentes claras y humildes manantiales!
Cuando sobre los campos desciendes lentamente
las rosas de mi pecho con tus sonidos abres.

El canto primitivo que dices al silencio
y la historia sonora que cuentas al ramaje
los comenta llorando mi corazón desierto
en un negro y profundo pentágrama sin clave.

Mi alma tiene tristeza de la lluvia serena,
tristeza resignada de cosa irrealizable,
tengo en el horizonte un lucero encendido
y el corazón me impide que corra a contemplarte.

¡Oh lluvia silenciosa que los árboles aman
y eres sobre el piano dulzura emocionante;
das al alma las mismas nieblas y resonancias
que pones en el alma dormida del paisaje!

Libro de poemas, 1921.

Fuentevaqueros (Granada). Museo – Casa natal de Federico García Lorca. Busto del poeta.

Pluie

Janvier 1919
(Grenade)

La pluie a comme un vague secret de tendresse,
Plein de résignation, de somnolence aimable.
Discrète, une musique avec elle s’éveille
Qui fait vibrer l’âme lente du paysage.

C’est un baiser d’azur que la Terre reçoit,
Le mythe primitif accompli de nouveau,
Le contact d’une terre et d’un ciel déjà froids
Dans la douceur d’un soir qui n’en finit jamais.

C’est l’aurore du fruit, la porteuse de fleurs,
La purification du Saint-Esprit des mers.
C’est elle qui répand la vie sur les semailles
Et dans nos cœurs le sentiment de l’inconnu.

La nostalgie terrible d’une vie perdue,
Le sentiment fatal d’être arrivé trop tard,
L’espérance inquiète d’un futur impossible,
Et l’inquiétude, sœur des douleurs de la chair.

Elle éveille l’amour dans le gris de ses rythmes.
Notre ciel intérieur s’empourpre de triomphe;
mais bientôt nos espoirs en tristesse se changent
A contempler sur les carreaux ses gouttes mortes.

Ses gouttes sont les yeux de l’infini qui voient
Le blanc de l’infini qui leur donna naissance.

Chaque goutte de pluie en tremblant sur la vitre
Y fait, divine, une blessure de diamant,
Poétesses de l’eau qui a vu et médite
Ce qu’ignore la foule des ruisseaux et des fleuves

Sans orages ni vents, ô pluie silencieuse,
Douceur sereine de sonnaille et de lumière,
Pacifique bonté, la seule véritable,
Qui, amoureuse et triste, sur toute chose tombes,

Ô pluie franciscaine où chaque goutte porte
Une âme claire de fontaine et d’humble source,
Quand lentement sur la campagne tu descends,
Les roses de mon cœur à ta musique s’ouvrent.
Le psaume primitif que tu dis au silence,
Le conte mélodieux que tu dis aux ramées,
Mon cœur dans son désert le répète en pleurant
Sur les cinq lignes noires d’une portée sans clé.

J’ai la tristesse en moi de la pluie sereine,
Tristesse résignée de l’irréalisable
Je vois à l’horizon une étoile allumée
Mais mon cœur m’interdit de courir pour la voir.

Tu mets sur le piano une douceur troublante,
Ô pluie silencieuse, ô toi qu’aiment les arbres.
Tu donnes à mon cœur les vagues résonances
Qui vibrent dans l’âme lente du paysage.

Livre de poèmes. Gallimard, 1954.
Traduction André Belamich.

José Hierro 1922-2002

Retrato de José Hierro (Rafael Cidoncha). 1998. Biblioteca Nacional de España.

Le poète espagnol José Hierro aurait eu 100 ans hier. Il est né le 3 avril 1922 à Madrid, mais a passé son enfance et son adolescence à Santander. Il a toujours eu la passion de la mer et a gardé un lien très fort avec sa région d’origine, Cantabria. Il doit abandonner ses études au début de la Guerre Civile. Son père, Joaquín Hierro, fonctionnaire du télégraphe, est emprisonné de 1937 à 1941. Lui-même se retrouve en prison pour avoir donné son appui à une organisation d’aide aux prisonniers politiques. Il est jugé deux fois et condamné à douze ans et un jour de réclusion. Il connaîtra les prisons de Madrid (Comendadoras, Torrijos, Porlier), Palencia, Santander, Segovia et Alcalá de Henares.

Son expérience poétique part de l’expérience extrême de l’après-guerre civile et de la prison. Ses maîtres sont Lope de Vega, San Juan de la Cruz, Rubén Darío et Juan Ramón Jiménez. Il donnera le prénom de ce dernier à un de ses fils. Il a aussi beaucoup lu les poètes de la Génération de 1927 ainsi que Baudelaire, Mallarmé et Paul Valéry.

Á sa sortie de prison le premier janvier 1944, José Hierro occupe de nombreux emplois alimentaires. Il épouse en 1949 María de los Ángeles Torres (décédée le 17 juin 2020). Ils auront quatre enfants.

Il obtient en Espagne les plus importants prix littéraires :
1947 Premio Adonáis (Alegría).
1981 Premio Príncipe de Asturias de las Letras.
1995 Premio Reina Sofía de Poesía Iberoamericana
1998 Premio Cervantes, le plus prestigieux de la littérature hispanique.

Il devient membre de la Real Academia Española en 1999.

Son recueil Cuaderno de Nueva York (Le Cahier de New York), publié en 1998 et qui regroupe trente trois poèmes, devient en Espagne un véritable best-seller.

Il meurt le 21 décembre 2002 dans un hôpital madrilène à l’âge de 80 ans d’une insuffisance respiratoire.

La critique espagnole lui rend un hommage unanime.

L’oeuvre de José Hierro est peu traduite en français.

1951 Poèmes (Pierre Seghers). Traduction Roger Noël-Mayer
2014 Tout ce que je sais de moi (Circé). Traduction Emmanuel Le Vagueresse.

Je me souviens d’avoir croisé le vieux poète au visage buriné à Madrid, Paseo de Recoletos, dans les années 1990-2000. Il marchait encore avec une grande vitalité.

El encuentro (José Hierro)

A Rafael Alberti

Diré un día: bienvenido
a la casa. Esta es tu lumbre.
Bebe en tu copa de vino,
mira el cielo, parte el pan.
Cuánto has tardado. Anduviste
bajo las constelaciones
del Sur, navegaste ríos
de son diferente. Cuánto
duró tu viaje. Te noto
cansado. No me preguntes.
Da de comer a tus perros,
oye la canción del álamo.
No me preguntes por nada,
no me preguntes.

Si hablase,
llorarías. Si enfrentases
tus espectros al espejo,
seguro que no verías
imágenes reflejadas.
Lo vivo lejano ha muerto:
lo mató el tiempo. Tú solo
puedes enterrarlo. Dale
tierra mañana, después de
descansar. Bienvenido
a tu casa. No preguntes
nada. Mañana hablaremos.

Libro de las alucinaciones, 1964.

La Rencontre

A Rafael Alberti

Un jour je dirai : bienvenue
à la maison. Voici ton feu.
Bois ton vin dans ton verre,
Regarde le ciel, romps le pain.
Comme tu as été long. Tu as erré
sous les constellations
du Sud, navigué sur les fleuves
aux sonorités multiples. Que
ton voyage a été long. Je te trouve
fatigué. Ne me demande rien.
Donne à manger à tes chiens,
entends la chanson du peuplier.
Ne me pose aucune question,
ne me demande rien.

Si je parlais,
tu pleurerais. Si tu mettais
tes spectres face au miroir,
tu ne verrais sans doute
aucune image reflétée.
La vie lointaine est morte :
le temps l’a tuée. Toi seul
peux l’enterrer. Jettes-y
de la terre demain, quand
tu te seras reposé. Bienvenue
chez toi. Ne demande
rien. Demain nous parlerons.

Traduit de l’espagnol par Claude de Frayssinet. Poésie espagnole. Anthologie 1945 – 1990. Actes Sud / Editions Unesco, 1995.

Lamentación

Hemos tenido tantas cosas
que decir, y no se dijeron!

Prodigiosas palabras jóvenes
para herir los oídos viejos.
Maravillosas melodías,
cantos inéditos.
Hemos cantado todos juntos
y hemos llorado en el silencio.
Aprendimos muy dura ciencia
a costa de los propios sueños.

¡Hemos tenido tantas cosas
que decir, y no se dijeron!
¡Hemos salvado tan alegres
los sombríos presentimientos!
Hemos amado cada tallo,
cada frío harapo de invierno,
cada gota de madrugada
con tan loca avidez, sabiendo
que éramos carne de una fábula
que alguien vivía en el misterio!
Tan hermosas canciones! Ráfagas
tan ardientes que nos hirieron.

Música de astros interiores
que nacían en nuestro reino.
Flautas tañidas, en la tarde,
por las manos vagas del sueño.
¡Y tantas limpias hermosuras
como cayeron!
Y girar sin fin en el alba
con la oscura palabra dentro,
con el cantar a flor de vida
ignorando el remoto término.

¡Hemos tenido tantas cosas
que decir, y no se dijeron!
Y miramos cómo en el aire
vuela la música sin dueño,
sin que podamos apresarla
con nuestros torpes instrumentos.

Alegría. Adonáis, 1947.

Lamentation

Nous avons eu tant de choses
à dire, qui n’ont pas été dites !

Prodigieuses paroles jeunes
pour heurter les ouïes vieilles.
Merveilleuses mélodies,
chants inédits.
Nous avons chanté tous ensemble
et nous avons pleuré dans le silence.
Nous avons appris une dure science
au détriment de nos propres rêves.

Nous avons eu tant de choses
à dire, qui n’ont pas été dites !
Nous avons évité si gaiement
les sombres pressentiments !
Nous avons aimé chaque pousse,
chaque froide guenille d’hiver,
chaque goutte de petit matin
avec une avidité si folle, conscients
que nous étions la chair d’une fable
vécue par quelqu’un dans le mystère !
Tant de belles chansons ! des rafales
si ardentes qu’elles nous ont blessés

Musiques d’astres intérieurs
qui naissaient dans notre royaume.
Flûtes jouées, le soir venu,
par les mains vagues du rêve.
Et tant de beautés si limpides
qui sont tombées!
Et tourner sans fin dans l’aube
avec la sombre parole au-dedans,
avec le chant à fleur de vie,
ignorants de la fin lointaine.

Nous avons eu tant de choses
à dire, qui n’ont pas été dites !
Et nous regardons dans l’air
voler la musique sans maître,
sans que nous puissions la saisir
avec nos instruments maladroits.

Traduction Claude de Frayssinet. Poésie espagnole. Anthologie 1945-1990. Actes Sud / Editions Unesco, 1995.

Las nubes

Inútilmente interrogas.
Tus ojos miran al cielo.
Buscas, detrás de las nubes,
huellas que se llevó el viento.

Buscas las manos calientes,
los rostros de los que se fueron,
el círculo donde yerran
tocando sus instrumentos.

Nubes que eran ritmo, canto
sin final y sin comienzo,
campanas de espumas pálidas
volteando su secreto,

palmas de mármol, criaturas
girando al compás del tiempo,
imitándole a la vida
su perpetuo movimiento.
Inútilmente interrogas
desde tus párpados ciegos.
¿Qué haces mirando a las nubes,
José Hierro?

Cuanto sé de mí. Ágora, 1957.

La Bibliothèque Nationale à Madrid, dans le cadre de son centenaire, organisera du 20 octobre 2022 au 22 février 1923, une exposition intitulée: Cuanto sé de mí. José Hierro en su centenario (1922-2022). On y découvrira aussi son talent méconnu de dessinateur.

Luis Cernuda – Paco Ibáñez

Á 87 ans, le chanteur Paco Ibáñez va commencer une nouvelle tournée en Espagne et en France. Elle s’appellera : «¡Nos queda la palabra!». Elle commencera au Teatro Coliseum de Madrid le 4 avril. Il chantera aussi à Barcelone, où il vit actuellement, à Valence, où il est né le 20 novembre 1934, à Palma de Mallorca au mois de juin et dans quatre villes françaises. Il chantera en castillan, catalan, galicien, français et italien.  Il sera accompagné par Mario Mas à la guitare, Joxan Goikoetxea à l’ accordéon et César Stroscio au bandonéon.

«Me apetecen mucho todos estos conciertos que hemos programado porque, en este momento tan negro que estamos viviendo, es reconfortante reencontrarme con otras almas que, como la mía, necesitan alimento».

«Porque al alma también hay que alimentarla y yo ofrezco mi repertorio a la gente para que les ayude a vivir entre tanta miseria moral y cultural».

” La palabra no sólo reconforta, también te recuerda tus valores, te da criterio, te da voluntad y te ayuda a decir ‘no, por aquí no paso’».

«Las canciones tienen que apuntar a la eternidad. Las que no saben volar no valen la pena. Si haces una canción es para que dure toda la vida».

https://www.youtube.com/watch?v=B-q1BoBV2QU

En prime, un poème peu connu du grand Luis Cernuda :

Vientres sentados (Luis Cernuda)

Con satisfacción
Como quienes saben
Como quienes tienen en su puño la verdad
Bien apresada para que no escape
Y con orgullo
Como vigilantes de vosotros mismos
Domináis a lo largo a lo ancho de la tierra
Vosotros vientres sentados.

No hay gas
No hay plomo
Que tanto levante que tanto lastre proporcione
Como vuestra seguridad deletérea
Esa seguridad de sentir vuestro saco
Bien resguardado por vuestro trasero.

Miráis a un lado y a otro
Sonreís rasgando maliciosamente la hedionda boca
Y desde allí emitís como el antiguo oráculo
Henchidas necedades
Dictámenes que se escurren entre las rendijas como ratas

Alado el pie vigoroso
El pie juvenil y vigoroso
Que derrumbará bien pronto
Ese saco henchido de fango de maldad de injusticia
Arrastrando consigo vuestro trasero y vientre
Vuestra triste persona que mancha el aire
El aire limpio y justo
Donde hoy nos levantamos
Contra vosotros todos
Contra vuestra moral contra vuestras leyes
Contra vuestra sociedad contra vuestro dios
Contra vosotros mismos vientres sentados
Con una firme espiga
A quien su propia fuerza empuja desde la tierra
Para que se abra al sol
Para que dé su fruto
Fruto de odio y de alegría
Fruto de lucha y de reposo.

La verdad está en lucha y en ella os aguardamos
Vientres sentados
Vientres tendidos
Vientres muertos.

Otros Poemas publicados e inéditos – V. Poesía completa– Volumen I.

Luis Cernuda. Séville, La Torre del Oro au bord du Guadalquivir.

Miguel Hernández

Miguel Hernández (1910-1942)

Le poète Miguel Hernández est mort de tuberculose le 28 mars 1942 dans la prison Reformatorio de Alicante, il y a 80 ans. Aujourd’hui, l’aéroport d’Alicante-Elche porte son nom, ainsi que l’Université d’Elche et la récente gare TGV (AVE) d’Orihuela, sa ville natale. Le maire conservateur de Madrid, José Luis Martínez-Almeida (Partido Popular), lui, n’a rien trouvé de mieux que de détruire le monument qui, au cimetière de La Almudena, rappelait qu’entre 1939 et 1945 plus de 2500 personnes condamnées à mort par les tribunaux militaires furent fusillées là. On pouvait aussi y lire des vers du poète.

V. A Miguel Hernández, asesinado en los presidios de España (Pablo Neruda)

Llegaste a mí directamente del Levante. Me traías,
pastor de cabras, tu inocencia arrugada,
la escolástica de viejas páginas, un olor
a Fray Luis, a azahares, al estiércol quemado
sobre los montes, y en tu máscara
la aspereza cereal de la avena segada
y una miel que medía la tierra con tus ojos.

También el ruiseñor en tu boca traías.
Un ruiseñor manchado de naranjas, un hilo
de incorruptible canto, de fuerza deshojada.
Ay, muchacho, en la luz sobrevino la pólvora
y tú, con ruiseñor y con fusil, andando
bajo la luna y bajo el sol de la batalla.

Ya sabes, hijo mío, cuánto no pude hacer, ya sabes
que para mí, de toda la poesía, tú eras el fuego azul.
Hoy sobre la tierra pongo mi rostro y te escucho,
te escucho, sangre, música, panal agonizante.

No he visto deslumbradora raza como la tuya,
ni raíces tan duras, ni manos de soldado,
ni he visto nada vivo como tu corazón
quemándose en la púrpura de mi propia bandera.

Joven eterno, vives, comunero de antaño,
inundado por gérmenes de trigo y primavera,
arrugado y oscuro como el metal innato,
esperando el minuto que eleve tu armadura.

No estoy solo desde que has muerto. Estoy con los que te buscan.
Estoy con los que un día llegarán a vengarte.
Tú reconocerás mis pasos entre aquellos
que se despeñarán sobre el pecho de España
aplastando a Caín para que nos devuelva
los rostros enterrados. (…)

Primera publicación: Cultura y democracia (París). Febrero de 1950.
Canto general, XII, Los ríos del canto. 1950.

V. A Miguel Hernández, assassiné dans les prisons d’Espagne

Tu vins à moi. Tu arrivais droit du Levant. Tu m’apportais,
ô chevrier, ton innocence pleine de rides,
la scolastique de vieilles pages, un doux relent
de Fray Luis, d’orangers en fleur, de fumier
brûlé sur les collines, et sur ton masque
la céréale aspérité de l’avoine fauchée,
un miel qui mesurait la terre avec les yeux.

Et ta bouche apportait aussi le rossignol.
Un rossignol taché d’oranges, le filet
d’un chant incorruptible, d’une force effeuillée.
Hélas ! dans la clarté on vit surgir la poudre et
l’on te vit porter rossignol et fusil
sous la lune et sous le soleil de la bataille.

Tu sais, Miguel, tout ce que j’ai pu faire, tu sais bien
que de toute la poésie tu étais pour moi le feu bleu.
Aujourd’hui contre terre je colle mon visage et j’écoute,
je t’écoute, musique, sang, rayon de ruche agonisant.

Je n’ai vu race plus éblouissante que la tienne,
ni racines plus dures, ni mains plus dures de soldat,
je n’ai rien vu de plus vivant que ton coeur quand
il brûla dans la pourpre de mon propre drapeau.

Jeune éternel, tu vis, comunero d’antan,
inondé de germes de blé et de printemps,
plissé, obscur comme le métal né,
en attendant l’instant de lever ton armure.

Non, je ne suis pas seul depuis que tu es mort.
Je suis avec ceux qui te cherchent.
Avec ceux qui un jour arriveront pour te venger.
Tu reconnaîtras mes pas au milieu des pas
qui, déferlant sur la poitrine de l’Espagne,
écraseront Caïn pour qu’il nous rende les visages enterrés. (…)

Chant général. XII, Les Fleuves du Chant.
Gallimard, 1977. Traduction Claude Couffon.

Mar Campelo Moreno, la petite-fille de la soeur du poète, Elvira, a publié le 26 mars une belle lettre à sa grand-mère dans le journal d’information numérique, Público.

Miguel Hernández en la memoria

A Elvira Hernández Gilabert, mi abuela

Querida abuela:

Hace más de 25 años que te fuiste y hoy se cumplen 80 de la última vez que viste a tu hermano Miguel con vida, pero no he olvidado las anécdotas que me contaste una y otra vez desde que era una niña hasta que la maldita enfermedad se llevó tus recuerdos; aunque, incluso cuando habías perdido la capacidad de expresarte, abrías los ojos y algo se removía dentro de ti si veías una foto de tu hermano.

Cómo te reías cuando me contabas las regañinas que le echabas cada vez que “se le iba el santo al cielo” en sus excursiones a la sierra de Orihuela para leer o escribir y tenías que justificarlo con cualquier excusa, o cuando clavaste las contraventanas para que no las abriera en las horas de calor.

También se reía él cuando leías sus poemas y le hacías que te explicara lo que se escondía en cada juego retórico, no descansabas hasta que lo entendías todo. Y cuando lo reprendías por sus expresiones subidas de tono. Siempre sonreías cuando hablabas de vuestra niñez y juventud, se te iluminaban los ojos reviviéndolo y dibujabas la imagen de un muchacho alegre, espontáneo, cariñoso y vital, con una enorme empatía con el sufrimiento ajeno.

Fuisteis compañeros de juegos y siempre cómplices, amigos. Te hablaba de sus lecturas, de su pasión creadora –fuiste la primera lectora de muchos de sus poemas-, de su deseo vehemente de ir a Madrid, pero también de sus vivencias, de sus amigos, de las mujeres a las que amó… Con esa atención al detalle que tenías que reprimir entre risas pudorosas: “Miguel, no me cuentes esas cosas”.

Con esa sonrisa tuya de medio lado, me contabas que tu madre y tú ordeñabais las cabras por segunda vez para sacar unas perricas que le enviabais a Miguel para que sobreviviera en Madrid.

Te casaste y te fuiste a Madrid con tu marido y tu hija (mi madre); el tío Miguel volvió a Madrid en esa misma época y, aunque vivía en una pensión, iba casi a diario a tu casa a comer y a que le lavaras la ropa.

Cuando leíste la elegía que le escribió a su amigo Manolo, que había muerto ahogado, le pediste que no la publicara porque causaría más dolor y te la regaló para que hicieras con ella lo que quisieras. Tú la guardaste en tu carpeta de los tesoros, la que contenía todos los recortes de prensa en los que se hablaba de él; esa carpeta que fue creciendo durante el resto de tu vida con cada carta suya, cada foto, cada publicación, cada referencia a tu hermano por mínima que fuera.

¿Por qué tuvo que volver a Orihuela cuando acabó la guerra? ¿Por qué no escuchó a vuestro padre cuando le dijo “vete, Miguel, que ahora viene el exterminio”? Porque quería abrazar a su familia y se sabía inocente. Y lo encarcelaron en el Seminario, en esa sierra en la que le gustaba perderse para escribir, para leer, para empaparse de naturaleza.

Sus cartas desde la cárcel trataban de transmitir esperanza, incluso se permitía alguna broma; os ocultó que lo habían condenado a muerte hasta que le conmutaron la pena por cadena perpetua. Esas cartas que llegaban censuradas o escondidas en el borde de las lecheras, escritas en papel higiénico. Y tú escribías o visitabas a cualquiera que pudiera interceder para su excarcelación.

Ya vivías en Alicante cuando lo trasladaron al Reformatorio de Adultos, la que sería su última cárcel. Caminabas hasta allí cada vez que se permitía una “comunicación” y le llevabas los alimentos que enviaban tus padres desde Orihuela y los que podías conseguir a través del estraperlo; esas lecheras que tanto costaba llenar y que los carceleros dejaban caer.

El día de las Mercedes los niños podían visitar a los presos y entraban su hijo y los tres tuyos. Mi madre, con siete años, era la mayor y le hacías memorizar los mensajes que querías transmitirle. Cuando salían, la interpelabas para que repitiera cada palabra de tu hermano.

Me hablabas de aquel día que fuiste a verlo con Josefina: no tenía fuerzas para caminar y se apoyaba en dos compañeros. Cuando os vio, se irguió, hinchó el pecho y sonrió:

  • Miguel, qué bien te veo, ¿estás mejor?
  • Han venido a ofrecerme dinero y la libertad si me retracto de todo lo que he escrito y pongo mi pluma al servicio del régimen.
  • ¡Habrás dicho que sí!
  • He dicho que no.

“Ése era mi hermano”, concluías.

Su salud empeoraba. Recorrías Alicante de punta a punta sin descanso buscando una recomendación que traspasara el bloqueo para que lo visitara un médico, hasta que lo conseguiste. Lo ayudó a respirar mejor aunque, sin los medios suficientes, no podía hacer más. Lo ideal era trasladarlo al sanatorio para tuberculosos de Porta Coeli, donde, fuera de la insalubridad de la prisión, se recuperaría. Pero mientras tu hermano no accediera a volver al seno de la iglesia, era imposible.

Se te rompía el corazón cuando entrabas a visitarlo a la enfermería y lo encontrabas ahogándose entre suciedad. Lo lavabas, lo vestías con ropa limpia y le extraías el líquido de los pulmones como te había enseñado el médico.

Consciente de que se acercaba el final, accedió a casarse por la iglesia, postrado en la cama, para proteger a su familia (los matrimonios civiles habían quedado invalidados). Pocos días después se aprobó el traslado a Porta Coeli, pero ya era tarde.

La noche del 27 de marzo fuiste a visitarlo con Josefina, se te quebraba la voz cuando me contabas que lo aseaste y lo ayudaste a respirar por última vez. Murió esa madrugada.

Y llegaron los años del silencio, del miedo a pronunciar su nombre, de la hipocresía, de los libros de Losada llegados misteriosamente desde Argentina, de las conversaciones a media voz. Te indignaba la injusticia, el odio y las mentiras, siempre las mentiras. Me hablabas del tío Miguel entre murmullos y me pedías que bajara la voz cuando te pedía detalles: “No cuentes nada”, “no te signifiques”. Pues ahora lo estoy contando, abuela, mi memoria es tu memoria.

Ya en democracia, ibas a todos los actos y accedías a casi cualquier entrevista. Te quedabas exhausta, pero era tu “deber” homenajear y propagar el nombre y la obra de tu hermano. Esa fue la labor de toda tu vida.

Te habría encantado saber que 2017 fue el “Año de Miguel Hernández”, a ti que te preocupaba tanto que lo hicieran desaparecer. Que de vez en cuando doy una charla sobre ese legado de recuerdos que me regalaste. Que publiqué la elegía a Manolo, como tú querías. Que la cama de tu hermano (que te acompañó a todos los lugares donde viviste) está ahora en su cuarto, en la casa de la calle de Arriba, que ahora se llama de Miguel Hernández, y que es su casa-museo. No lo han olvidado, abuela, hasta la estación de tren lleva su nombre, y un aeropuerto, y una universidad, y colegios, y centros culturales.

Descansa en paz, abuela, la poesía de tu hermano resuena en todo el mundo; su nombre está marcado a fuego; y yo seguiré compartiendo este legado que me transmitiste hasta dejarlo grabado en mi memoria. Miguel Hernández es, indiscutiblemente, un gran poeta; pero para mí siempre será el tío Miguel.

Elvira Hernández, la soeur du poète (1908-1996), fleurit la tombe du poète.

Federico García Lorca

Federico García Lorca entrevistado por el periodista de La Voz, Felipe Morales. 7 de abril de 1936.

«La poésie, c’est quelque chose qui marche par les rues. Qui se meut, qui passe à côté de nous. Toutes les choses ont leur mystère, et la poésie, c’est le mystère de toutes les choses. On passe près d’un homme, on regarde une femme, on remarque l’allure oblique d’un chien, et c’est en chacun de ces objets humains que réside la poésie. »

« Le jour où, sur Terre, la famine sera enrayée, il se produira la plus grande explosion spirituelle que le monde ait jamais connue. L’humanité ne peut imaginer la joie qui éclatera dans le monde le jour de cette grande révolution. »

Entrevista de Felipe Morales a Federico García Lorca. La Voz de Madrid, 7 de Abril de 1936.

Qué es la poesía y el teatro

En la calle, la lluvia, y el cristal, en la ventana. Mañana de abril. Sol y barro. Federico García Lorca se asoma a un paisaje de chimeneas muertas y de nubes paralizadas. Es un cuarto piso de la calle de Alcalá, donde no llegan los gritos de vendedores ni la emoción de las aventuras.

Federico, ¿qué es la poesía?
(La habitación es pequeña. En un rincón se muere sin remedio una maceta de flores rojas.)
La poesía es algo que anda por las calles. Que se mueve, que pasa a nuestro lado. Todas las cosas tienen su misterio, y la poesía es el misterio que tienen todas las cosas. Se pasa junto a un hombre, se mira a una mujer, se adivina la marcha oblicua de un perro, y en cada uno de estos objetos humanos está la poesía.

“La poesía es algo que anda por las calles…”
(El poeta se ha metido más dentro de sí mismo. Sus ojos, vistos por mí en el espejo de la pared de enfrente, miran sin mirada.)
Por eso yo no concibo la poesía como abstracción, sino como cosa real existente, que ha pasado junto a mí. Todas las personas de mis poemas han sido. Lo principal es dar con la llave de la poesía. Cuando más tranquilo se está, entonces, ¡zas!, se abre la llave, y el poema acude con su forma brillante. No se puede hablar de si el hombre es un objeto más sugeridor que la mujer. Con ello respondo a tu pregunta. No, no se puede hablar.

Naturalmente que en la poesía vive un problema sexual, si el poema es de amor, o un problema cósmico, si el poema busca la batalla con los abismos. La poesía no tiene límites. Nos puede esperar sentada en el quicio de la puerta en las madrugadas frías, cuando se vuelve con los pies cansados y el cuello del abrigo subido. Puede estar esperándonos en el agua de una fuente, subida en la flor de un olivo, puesta a secar en la tela blanca de una azotea. Lo que no puede hacerse es proponerse una poesía con la rigurosidad matemática del que va a comprar litro y medio de aceite.

Casa de Federico García Lorca. Madrid, Calle de Alcalá n°96. Séptimo piso.

El teatro fue siempre mi vocación. He dado al teatro muchas horas de mi vida. Tengo un concepto del teatro en cierta forma personal y resistente. El teatro es la poesía que se levanta del libro y se necesita que los personajes que aparezcan en la escena lleven un traje de poesía y al mismo tiempo que se les vean los huesos, la sangre. Han de ser tan humanos, tan horrorosamente trágicos y ligados  a la vida y al día con una fuerza tal, que muestren sus traiciones, que se aprecien sus olores y que salga a los labios toda la valentía de sus palabras llenas de amor o de ascos. Lo que no puede continuar es la supervivencia de los personajes dramáticos que hoy suben a los escenarios llevados de la mano de sus autores. Son personajes huecos, vacíos totalmente, a los que sólo es posible ver a través del chaleco un reloj parado, un hueso falso o una caca de gato de esas que hay en los desvanes.

Hoy en España, la generalidad de los autores y de los actores ocupan una zona apenas intermedia. Se escribe en el teatro para el piso principal y se quedan sin satisfacer la parte de butacas y los pisos del paraíso. Escribir para el piso principal es lo más triste del mundo. El público que va a ver cosas queda defraudado. Y el público virgen, el público ingenuo, que es el pueblo, no comprende cómo se le habla de problemas despreciados por él en los patios de la vecindad. En parte tienen la culpa los actores.

No es que sean malas personas, pero… “Oiga, Fulanito -aquí un nombre de autor- , quiero que me haga usted una comedia en la que yo… haga de yo. Sí, sí; yo quiero hacer esto y lo otro. Quiero estrenar un traje de primavera. Me gusta tener veintitrés años. No lo olvide.” Y así no se puede hacer teatro. Así lo que se hace es perpetuar una dama joven a través de los tiempos y un galán a despecho de la arteriosclerosis.

¿Y tu teatro?
Yo en el teatro he seguido una trayectoria definida. Mis primeras comedias son irrepresentables. Ahora creo que una de ellas, Así que pasen cinco años, va a ser representada por el Club Anfistora. En estas comedias imposibles está mi verdadero propósito. Pero para demostrar una personalidad y tener derecho al respeto he dado otras cosas. Escribo cuando me place. No soy de los autores al uso que siguen la teoría de una obrita todos los años.

Mi última comedia, Doña Rosita o el lenguaje de las flores, la concebí en el año mil novecientos veinticuatro. Mi amigo Moreno Villa me dijo: “Había una vez una rosa…” Y cuando acabó el cuento maravilloso de la rosa, yo tenía hecha mi comedia. Se me apareció terminada, única, imposible de reformar. Y sin embargo, no la he escrito hasta mil novecientos treinta y seis. Han sido los años los que han bordado las escenas y han puesto versos a la historia de la flor.

Ahora estoy trabajando en una nueva comedia. Ya no será como las anteriores. Ahora es una obra en la que no puedo escribir nada, ni una línea, porque se han desatado y andan por los aires la verdad y la mentira, el hambre y la poesía. Se me ha escapado de las páginas. La verdad de la comedia es un problema religioso y económico-social. El mundo está detenido ante el hambre que asola a los pueblos.

Mientras haya desequilibrio económico, el mundo no piensa. Yo lo tengo visto. Van dos hombes por la orilla de un río. Uno es rico, otro es pobre. Uno lleva la barriga llena, y el otro pone sucio al aire con sus bostezos. Y el rico dice: “¡Oh, qué barca más linda se ve por el agua! Mire, mire usted, el lirio que florece en la orilla.” Y el pobre reza: “Tengo hambre, no veo nada. Tengo hambre, mucha hambre.” Natural. El día que el hambre desaparezca, va a producirse en el mundo la explosión espiritual más grande que jamás conoció la Humanidad. Nunca jamás se podrán figurar los hombres la alegría que estallará el día de la Gran revolución. ¿Verdad que te estoy hablando en socialista puro?

Y ahora, a Méjico.
Espero un cable de Margarita Xirgu. Será en este mes. Pienso marchar directamente a Nueva York, donde ya estuve viviendo un año. En Nueva York quiero saludar a antiguos amigos, que son yanquis amigos de España. Nueva York es terrible. Algo monstruoso. A mí me gusta andar por las calles, perdido; pero reconozco que Nueva York es la gran mentira del mundo. Los ingleses han llevado allí una civilización sin raíces. Han levantado casas y casas; pero no han ahondado en la tierrra. Se vive para arriba, para arriba… Pero así como en la América de abajo nosotros dejamos a Cervantes, los ingleses en la América de arriba no han dejado su Shakespeare.

(Hay una pausa)
Desde Nueva York voy directamente a Méjico. Cinco días de tren. ¡Que felicidad! En el tren veo cambiar las cosas, sucederse los paisajes y las vacas tristes. Pero nadie me habla. Tú te habrás fijado que en el tren no cabe el diálogo. Te preguntan algo y tú dices: “¡Hum!”, con la cabeza, y ya está. Lo contrario que en el barco, donde siempre te encuentras acodadas en la borda a todas las personas que te son antipáticas.

En Méjico presenciaré mis estrenos y daré una conferencia sobre Quevedo. ¡Ah! ¡Qué gran injusticia se ha cometido con Quevedo! Es el poeta más interesante de España. Mi amistad con Quevedo data de pocos años. Fue un acercamiento melancólico. En un viaje por la Mancha, me detuve en el pueblo de Infantes. La plaza del pueblo, desierta. La Torre de Juan Abad. Y muy cerca, la iglesia oscura, con carátula de los Austrias. En la iglesia sin luz se oían los aullidos de una niña del pueblo que cantaba a los dioses. Entré sobrecogido. Y allí estaba Quevedo, solo, enterrado, perpetuando la injusticia de su muerte. Me parecía que acababa de asistir a su entierro. Sí; yo le había acompañado en una comitiva de golillas y golfainas. Hablaré en Méjico de Quevedo, porque Quevedo es España.

César Vallejo – Jorge Luis Borges

Deux poèmes relus ce matin un peu par hasard et qui n’ont pas grand chose à voir. Deux traductions en français d’une qualité inégale. Ils m’aident pourtant à commencer la journée malgré la fatigue et les maux.

Medialuz (César Vallejo)

He soñado una fuga. Y he soñado
tus encajes dispersos en la alcoba.
A lo largo de un muelle, alguna madre;
y sus quince años dando el seno a una hora.

He soñado una fuga. Un “para siempre”
suspirado en la escala de una proa;
he soñado una madre;
unas frescas matitas de verdura,
y el ajuar constelado de una aurora.

A lo largo de un muelle…
Y a lo largo de un cuello que se ahoga!

Los heraldos negros, 1918.

Demijour

J’ai revé d’une fugue. Et j’ai revé
de tes dentelles éparses dans l’alcôve.
Tout au long d’un quai, une mère ;
et ses quinze ans allaitant l’heure.

J’ai revé d’une fugue. D’un “ pour toujours ”
soupiré sur l’échelle d’une proue ;
j’ai rêvé d’une mère ;
de fraîches petites touffes vertes,
et du trousseau constellé d’une aurore;

Tout au long d’un quai…
et tout au long d’un cou qui se noie !

Les hérauts noirs.
In Poésie complète. Traduction Gérard de Constanze. Flammarion, 1983.

Lo perdido ( Jorge Luis Borges )

¿Dónde estará mi vida, la que pudo
haber sido y no fue, la venturosa
o la de triste horror, esa otra cosa
que pudo ser la espada o el escudo

y que no fue? ¿Dónde estará el perdido
antepasado persa o el noruego,
dónde el azar de no quedarme ciego,
dónde el ancla y el mar, dónde el olvido

de ser quien soy? ¿Dónde estará la pura
noche que al rudo labrador confía
el iletrado y laborioso día,

según lo quiere la literatura?
Pienso también en esa compañera
que me esperaba, y que tal vez me espera.

El oro de los tigres, 1972.

Ce qui est perdu

Où est-elle ma vie, celle qui put
Avoir été et ne fut pas, la chanceuse
Ou celle de l’horreur triste, cette autre chose
Qui aurait pu être l’épée ou l’écu

Et ne fut pas ? Où est-il l’ancêtre
Perdu perse ou le norvégien
Où le hasard de ne pas devenir aveugle,
Où l’ancre et la mer, où l’oubli

D’être qui je suis ? Où est-elle la pure
Nuit qui au rude laboureur confie
Le jour illettré et laborieux

Selon le vœu de la littérature ?
Je pense aussi à cette compagne
Qui m’attendait, et qui peut-être m’attend.

L’or des tigres, 1972. Gallimard, 2014. Traduction Silvia Baron Supervielle.

Gabriel Boric – Vicente Huidobro

Gabriel Boric.

Gabriel Boric, 36 ans, est devenu hier officiellement le plus jeune président de l’histoire du Chili.
L’ancien leader étudiant, héritier de la révolte sociale de 2019, a fait de sa cérémonie d’investiture à Valparaíso, siège du Parlement, un symbole de son projet de changement en profondeur. Il a rendu hommage à l’ancien président Salvador Allende :
« Comme l’avait prédit Salvador Allende il y a presque cinquante ans, nous voici de nouveau, chers compatriotes, en train d’ouvrir de grandes avenues où passeront l’homme et la femme libres pour construire une société meilleure. Vive le Chili ! »
Son gouvernement est majoritairement composé de femmes (14 sur 24), notamment aux postes régaliens de l’intérieur, la défense ou des affaires étrangères. La moyenne d’âge est de 42 ans.
La tâche est immense et très difficile.

Le 11 septembre 1973, jour du coup d’état militaire, à 10h15, Salvador Allende fit à Radio Magallanes son dernier discours à la nation chilienne:

«Sigan ustedes sabiendo que, mucho más temprano que tarde, se abrirán las grandes alamedas por donde pase el hombre libre para construir una sociedad.  ¡Viva Chile, viva el pueblo, vivan los trabajadores!»

Il se suicida quelques heures plus tard.

https://twitter.com/Presidencia_cl/status/1502441779479543808

Gabriel Boric a cité dans son discours un vers du grand poète chilien, Vicente Huidobro (1893-1948) , un des quatre grands de la poésie chilienne du XX ème siècle (avec Pablo Neruda, Gabriela Mistral et Pablo de Rokha), le fondateur du “Créationnisme”: ” el adjetivo, cuando no da vida, mata.”

Vicente Huidobro (Pablo Picasso) 1921. Biblioteca Nacional de Chile.

Arte poética (Vicente Huidobro)

Que el verso sea como una llave
que abra mil puertas.
Una hoja cae; algo pasa volando;
cuanto miren los ojos creado sea,
y el alma del oyente quede temblando.

Inventa mundos nuevos y cuida tu palabra;
el adjetivo, cuando no da vida, mata.
Estamos en el ciclo de los nervios.
El músculo cuelga,
como recuerdo, en los museos;
mas no por eso tenemos menos fuerza :
el vigor verdadero reside en la cabeza.

Por qué cantáis la rosa, ¡ oh Poetas !
hacedla florecer en el poema;
sólo para nosotros
viven todas las cosas bajo el Sol.

El poeta es un pequeño Dios.

El espejo de agua, 1916.

Vicente Huidobro.

Carlos Álvarez

Carlos Álvarez.

Carlos Álvarez Cruz est né le 27 décembre 1933 à Jérez de la Frontera (Cádiz). Son père, capitaine des Gardes d’Assaut, fut fusillé à Séville sur l’ordre du général rebelle Gonzalo Queipo de Llano (1875-1951). Celui-ci, responsable de l’exécution de 3 000 à 6 000 personnes après la prise de la ville par les franquistes, est encore enterré aujourd’hui dans la basilique de la Macarena à Séville.
En 1941, Carlos Álvarez s’installe avec sa famille à Madrid.
Il fait des études secondaires, puis devient employé de banque.
Militant du PCE (Partido Comunista de España), il est arrêté en avril 1957. Mis au secret et jugé pour propagande illégale, il bénéficie d’un non-lieu. Victime de la censure d’état, ses poèmes ne sont édités qu’au Danemark et en France.
Arrêté à nouveau en 1963 pour avoir publié dans la presse étrangère une lettre de protestation contre l’exécution du dirigeant communiste Julián Grimau, il est condamné en 1964, puis amnistié en 1965. Son premier livre paraît en Espagne en 1969. Le 20 novembre 1975, à la mort du général Franco, il purge à la prison de Carabanchel une condamnation de quatre ans et deux mois pour s’être montré solidaire avec les dirigeants du syndicat Comisiones Obreras, condamnés lors du procès 1001.
Il était rédacteur publicitaire. La maison d’édition Adeshoras a publié en 2016 Los sueños, el amor, las intenciones, son œuvre poétique complète en deux tomes.
Il est décédé à Madrid le 27 février 2022.

Guernica

Hoy ha llovido abril sobre mi sangre…
la guerra
dicen que terminó hace muchos años,
el paisaje
es aquí diferente:
tiene
sujeto a la maleza
el sombrío color de los mineros,
pero es verde el metal;
pasan los ríos
cansados del trabajo,
vestidos
con el traje común de las faenas;
nada
sugiere
la tarjeta postal para el disfrute
del que paga con marcos,
libras,
dólares…
Y porque ocurre
que el lunes era día veintiséis,
hoy miro al cielo,
escucho
si vuelven los aviones de Guernica,
si proyecta la cruz gamada el sol sobre los campos,
sobre este campo herido…
busco,
descubro en mis raíces,
encuentro
que también en Euzkadi está mi patria…
que también en Guernica está mi sangre…

Guernica

Aujourd’hui avril retentit dans mon sang…
On dit que la guerre est finie depuis longtemps,
et le paysage d’ici
est différent.
Dans ces broussailles
il a gardé
la couleur sombre des mineurs,
car le métal est vert.
Passent les rivières
fatiguées par le travail
et revêtues
des vêtements anonymes de l’effort.
Rien
ne suggère
la carte postale des vacances
de celui qui paie en marks,
en livres,
ou en dollars…
Tout est motivé par la date anniversaire,
un jeudi, le 26,
aussi, je regarde le ciel,
j’écoute
si les avions reviennent sur Guernica,
et si l’ombre de la croix gammée
ne plane pas sur les campagnes,
sur cette terre blessée…
Je cherche
et je découvre au plus profond de moi,
au fond de mes racines,
que ma patrie se nomme aussi Euzkadi,
et que mon sang est aussi à Guernica…

Traduction : Jacinto Luis Guereña.

Federico García Lorca – Joaquín Amigo

Ana Merino (Madrid, 1971) vient de publier son deuxième roman, Amigo. Le premier, El mapa de los afectos, avait obtenu le Prix Nadal en 2020.

Il y a deux ans, Ana Merino, professeure à l’Université de Iowa, est invitée à consulter les archives de Joaquín Amigo, conservées par sa petite fille María à Madrid. Cet écrivain participa avec son ami Federico García Lorca et Manuel de Falla aux réunions de El Rinconcillo, un cercle littéraire qui se réunissait au Café Alameda de Grenade au début des années 20. Il fut aussi un des animateurs avec Federico de la revue littéraire, gallo, qui publia deux numéros en février et en avril 1928. Il assista aussi avec d’autres amis à la lecture que fit Federico García Lorca de sa pièce, Yerma, à la Huerta de San Vicente, la maison de campagne de la famille du poète, à l’été 1934. Celui-ci lui dédia le poème Dos marinos en la orilla de Canciones 1921-1924.

Joaquín Amigo Aguado (Grenade 1899 – Ronda, 1936) avait suivi les cours de José Ortega y Gasset. Catholique pratiquant et d’idéologie conservatrice, il était professeur de philosophie au lycée Giner de los Ríos de Ronda. Au cours de la Guerre Civile, des miliciens des comités révolutionnaires de la ville pour se venger de la répression nationaliste l’arrêtèrent le 24 août et le jetèrent du Puente Nuevo (98 mètres au-dessus des gorges du Guadalevín) le 27 août 1936, neuf jours après l’assassinat de son ami Federico García Lorca à Viznar. On n’a jamais retrouvé les corps des deux amis.

Ana Merino a pu étudier les archives de Joaquín Amigo à partir du 25 juin 2020. Elle a trouvé des lettres inédites de Federico García Lorca, des cartes postales de Federico et de Salvador Dalí, envoyées de Cadaqués. Elle a tiré de ses recherches un roman qui met en valeur l’amitié entre les deux hommes. Dans une des lettres retrouvées, García Lorca dit à Joaquín Amigo : «Saluda a los amigos, ya sean ingratos o sean amigos míos de verdad. Basta que sean de Granada para que yo los quiera. No hay nada en el mundo como Granada» Le roman fait revivre aussi le poète Luis Rosales (1910 – 1992). Federico García Lorca se réfugia dans la maison familiale de celui-ci, calle Angulo à Grenade, entre le 9 et le 16 août avant d’être arrêté et assassiné. Le poète et critique Felix Grande (1937 – 2014), de famille et de convictions républicaines, publia en 1987 La calumnia. De cómo a Luis Rosales, por defender a Federico García Lorca, lo persiguieron hasta la muerte (Mondadori). Il défendait Luis Rosales, poète et phalangiste comme ses frères, accusé à tort par certains exilés républicains d’avoir livré son ami aux bourreaux.

Federico García Lorca – Joaquín Amigo.

Dos marinos en la orilla

A Joaquín Amigo

I

Se trajo en el corazón
un pez del Mar de la China.

A veces se ve cruzar
diminuto por sus ojos.

Olvida siendo marino
los bares y las naranjas.

Mira al agua.

II

Tenía la lengua de jabón.
Lavó sus palabras y se calló.

Mundo plano, mar rizado,
cien estrellas y su barco.

Vio los balcones del Papa
y los pechos dorados de las cubanas.

Mira al agua.

Canciones 1921-1924.

Deux marins au bord de l’eau.

I

Il rapportait en son cœur
un poisson des Mers de Chine.

Parfois on le voit passer
minuscule dans ses yeux.

Il oublie la Marine
et les bars et les oranges.

Il regarde l’eau.

II

D’une langue de savon
il lava ses mots et se tut.

Monde uni, mer frisée
cent étoiles, son navire.

Il a vu les balcons du Pape
et les seins dorés des Cubaines.

Il regarde l’eau.

Poésies, tome II. Collection Poésie/Gallimard n° 2. 1966. Traduction : André Belamich et Pierre Darmangeat.

El Rinconcillo. Grenade. Café Alameda, Plaza del Campillo.