Le premier recueil de poèmes de Federico García Lorca (Libro de Poemas) a été publié à Madrid en 1921, il y a un peu plus de cent ans. Il comprend 67 poèmes, écrits alors qu’il sortait de l’adolescence. Le poète andalou évoque un paradis perdu, la crise de l’âge adulte, le désenchantement. Il dialogue avec le paysage de son enfance (La Vega de Granada) et exprime une tension évidente. Les éléments naturels (animaux, plantes, rivières, fontaines) ont une forte charge symbolique. On y trouve aussi l’influence du folklore populaire, des chansons enfantines, de la religiosité populaire. Les poètes modernistes (Juan Ramón Jiménez, Antonio Machado) l’ont marqué, mais certaines images annoncent déjà une poésie d’avant-garde.
La sombra de mi alma
Diciembre de 1919
(Madrid)
La sombra de mi alma huye por un ocaso de alfabetos, niebla de libros y palabras.
¡La sombra de mi alma!
He llegado a la línea donde cesa la nostalgia, y la gota de llanto se transforma alabastro de espíritu.
(¡La sombra de mi alma!)
El copo del dolor se acaba, pero queda la razón y la sustancia de mi viejo mediodía de labios, de mi viejo mediodía de miradas.
Un turbio laberinto de estrellas ahumadas enreda mi ilusión casi marchita.
¡La sombra de mi alma!
Y una alucinación me ordeña las miradas. Veo la palabra amor desmoronada.
¡Ruiseñor mío! ¡Ruiseñor! ¿Aún cantas?
Libro de poemas. 1921.
L’ombre de mon âme
Décembre 1919
(Madrid)
L’ombre de mon âme s’enfuit dans un couchant d’alphabets, Brouillard de livres Et de paroles.
L’ombre de mon âme!
J’ai atteint la ligne où cesse La nostalgie, Où se fige la goutte des larmes, Albâtre de l’esprit. (L’ombre de mon âme!)
Le flocon de la peine S’efface, Mais en moi demeure, substance et motif, Un ancien midi de lèvres, Un ancien midi De regards.
Un trouble labyrinthe D’étoiles obscurcies S’enlace à mes regrets Presque fanés.
L’ombre de mon âme!
Une hallucination Aspire mes regards. Je vois le mot amour Qui se délabre.
Rossignol! Mon rossignol! Chantes-tu toujours?
Poésies I. (Livre de poèmes. Mon village). Traduction : André Belamich, Claude Couffon.
Rubén Darío est né le 18 janvier 1867 à Metapa (aujourd’hui Ciudad Darío). Il est mort le 6 février 1916 à León au Nicaragua . Il avait 49 ans. Ce poète est le père du modernisme littéraire en langue espagnole. Il a eu une grande influence tout au long du XX ème siècle. On l’a surnommé «príncipe de las letras castellanas». Il a été marqué par Victor Hugo, les poètes symbolistes français et Walt Whitman. Il a eu une grande influence sur Juan Ramón Jiménez, Ramón del Valle Inclán et Antonio Machado. On la retrouve aussi chez Federico García Lorca et Pablo Neruda.
Lo fatal A René Pérez
Dichoso el árbol, que es apenas sensitivo, y más la piedra dura, porque ésa ya no siente, pues no hay dolor más grande que el dolor de ser vivo ni mayor pesadumbre que la vida consciente.
Ser, y no saber nada, y ser sin rumbo cierto, y el temor de haber sido y un futuro terror… ¡Y el espanto seguro de estar mañana muerto, y sufrir por la vida y por la sombra y por
lo que no conocemos y apenas sospechamos, y la carne que tienta con sus frescos racimos, y la tumba que aguarda con sus fúnebres ramos, ¡y no saber adónde vamos, ni de dónde venimos!…
Cantos de vida yesperanza, 1905.
Fatalité A René Pérez
Heureux l’arbre presque insensible, et plus encor la pierre qui elle ne sent rien, car il n’est douleur plus grande que celle d’exister ni plus pesant fardeau que la vie consciente.
Être, et ne rien savoir, aller sans but certain, la peur d’avoir été, la terreur à venir… La certitude horrible de mourir demain, et souffrir pour la vie, pour les ténèbres et pour
l’inconnu, ce que nous pressentons à peine, et puis la chair qui tente avec ses fraîches grappes et la tombe béante aux funèbres rameaux, et ne savoir où nous allons, ni d’où nous sommes venus…
Chants de vie et d’espérance. Traduction Lionel Igersheim. Paris, éditions Sillage, 2012.
Juan Rulfo (Juan Nepomuceno Carlos Pérez Rulfo Vizcaíno) est né à Apulco, district de Sayula ( état de Jalisco), le 16 mai 1917.
Enfant, il a assisté à la très violente Guerre des Cristeros (Cristiada, 1926-1929). Son père fut assassiné en juin 1923 et sa mère est morte peu après, en novembre 1927. Il se retrouve orphelin à 10 ans.
Cet écrivain mexicain est célèbre pour son recueil de nouvelles El Llano en llamas (1953) et son roman Pedro Páramo (1955). Son influence a été essentielle sur les écrivains latino-américains du XX ème siècle.
Jorge Luis Borges a dit : ” Pedro Páramo es una de las mejores novelas de las literaturas de lengua hispánica, y aun de toda la literatura. ” Gabriel García Márquez a raconté ainsi sa découverte de cet auteur : « Álvaro Mutis subió a grandes zancadas los siete pisos de mi casa con un paquete de libros, separó del montón el más pequeño y corto, y me dijo muerto de risa: ¡Lea esa vaina, carajo, para que aprenda! Era Pedro Páramo. Aquella noche no pude dormir mientras no terminé la segunda lectura. Nunca, desde la noche tremenda en que leí la Metamorfosis de Kafka en una lúgubre pensión de estudiantes de Bogotá —casi diez años atrás— había sufrido una conmoción semejante. Al día siguiente leí El llano en llamas, y el asombro permaneció intacto. » (Breves nostalgias sobre Juan Rulfo in Juan Rulfo. Toda la obra. Archivos, CSIC, Madrid, 1992.)
C’était aussi un excellent photographe. Il a également été scénariste et adaptateur pour le cinéma et la télévision. À partir de 1962 il a travaillé à l’Instituto indigenista de Mexico, organisation au service des communautés primitives indiennes dont il a dirigé ensuite le département éditorial.
Il est mort à Mexico le 8 janvier 1986.
Juan Rulfo, Pedro Páramo.
“No lo sé, Juan Preciado. Hacía tantos años que no alzaba la cara, que se me olvidó el cielo. Y aunque lo hubiera hecho, ¿qué habría ganado? El cielo está tan alto, y mis ojos tan sin mirada, que vivía contenta con saber dónde quedaba la tierra. ”
« Je n’en sais rien, Juan Preciado ; je n’ai plus levé la tête depuis tant d’années que j’ai oublié le ciel. D’ailleurs, si je l’avais fait, qu’y aurais-je gagné ? Le ciel était si haut et ma vue si basse que je m’estimais déjà heureuse de savoir où se trouvait la terre. »
Juan Ramírez de Lucas (Albacete, 1917-Madrid, 2010) aurait été à l’origine des Sonnets de l’amour obscur. Celui que Federico surnommait “El rubio de Albacete” avait alors 19 ans. Il était étudiant et apprenti-acteur dans le Club théâtral Anfistora. Il fut plus tard critique d’art et d’architecture pour les revues Arquitectura de Madrid et Arte y Cemento de Bilbao et le journal ABC.
La famille du poète n’a autorisé la publication en espagnol de ces onze sonnets que le 17 mars 1984 dans le journal conservateur ABC. En 1981, André Belamich avait publié en deux tomes les oeuvres complètes de Federico García Lorca dans la Bibliothèque de La Pléiade. Dans cette édition française figuraient les Sonnets de l’amour obscur.
Noche del amor insomne
Noche arriba los dos con luna llena, yo me puse a llorar y tú reías. Tu desdén era un dios, las quejas mías momentos y palomas en cadena.
Noche abajo los dos. Cristal de pena, llorabas tú por hondas lejanías. Mi dolor era un grupo de agonías sobre tu débil corazón de arena.
La aurora nos unió sobre la cama, las bocas puestas sobre el chorro helado de una sangre sin fin que se derrama.
Y el sol entró por el balcón cerrado y el coral de la vida abrió su rama sobre mi corazón amortajado.
Sonetos del amor oscuro. Écrits entre 1935 et 1936. Recueil inachevé et inédit jusqu’en 1984.
Nuit de l’amour insomnieux
Nous remontions tous deux la nuit de pleine lune. Je me mis à pleurer, et toi à rire. Ton dédain me semblait un dieu, et mes soupirs des colombes et des moments en chaîne.
Nous descendions tous deux la nuit. Cristal de peine, toi, tu pleurais des lointains infinis et ma douleur groupait des agonies parmi le sable de ton cœur trop faible.
L’aurore nous unit sur le lit, toute blanche, bouche appuyée contre le jet glacé d’un sang interminable qui s’épanche.
Et le soleil entra par les volets fermés, et le corail de vie ouvrit ses branches sur le linceul de mon coeur consumé.
Poésies IV. Suites. Sonnets de l’amour obscur. Collection Poésie/Gallimard n°185, 1984. Traduction Albert Belamich.
La poétesse péruvienne Blanca Varela est une des grandes figures de la poésie latino-américaine.
Elle s’installe à Paris en 1949. Octavio Paz l’introduit à la vie artistique et littéraire parisienne. Elle se lie d’amitié avec Jean-Paul Sartre, Simone de Beauvoir, Henri Michaux, Fernand Léger, Alberto Giacometti.
Après un long séjour en France, elle vit ensuite à Florence puis à Washington où elle travaille sur des traductions et écrit des articles pour les journaux. En 1962, elle revient à Lima.
Blanca Varela est la première femme qui ait obtenu le Prix international de Poésie Federico Garcia Lorca de la Ville de Grenade en 2006. Elle a aussi reçu le Prix de Poésie ibéroaméricaine Reina Sofía en 2007.
Elle a été mariée à Fernando de Szyszlo (1925 – 2017), un des peintres péruviens contemporains les plus importants.
Elle est décédée le 12 mars 2009 à Lima à 82 ans. Son corps a été incinérée et ses cendres ont été dispersées dans la baie de Paracas.
Curriculum vitae
digamos que ganaste la carrera y que el premio era otra carrera que no bebiste el vino de la victoria sino tu propia sal que jamás escuchaste vítores sino ladridos de perros y que tu sombra tu propia sombra fue tu única y desleal competidora.
Canto villano. Lima, Ediciones Arybalo, 1978.
Curriculum Vitae
Disons que tu as gagné la course et que le prix était une autre course que tu n’as pas bu le vin de la victoire mais ton propre sel que tu n’as jamais écouté de vivats mais des aboiements de chiens et que ton ombre ta propre ombre fut ta seule et déloyale concurrente.
Traduction : Stéphane Chaumet.
Hundo la mano en la arena y encuentro la vértebra perdida. La extravío al instante. Sombra de marfil, desgranada. Mi padre sonríe. De este lado del mar la espuma es oscura. Huele a fiera me dice la pequeña amiga. El mar huele a vida y a muerte le respondo, supongamos que es así. La salud aferrada a la roca. Piedra sensible a la luz. El cazador carece de manos y pies. Es ciego y desea. Y su deseo es el bosque bajo el agua, poblado de sexos en flor o de flores maestras que horadan el silencio con sus grandes picos rojos y lentos.
El libro de barro. Madrid, Ediciones del Tapir, 1993.
J’enfonce la main dans le sable et je trouve la vertèbre perdue. Je l’égare aussitôt. Ombre d’ivoire, exsangue. Mon père sourit. De ce côté-ci de la mer l’écume est noire. Elle sent le fauve me dit la petite amie. La mer sent la vie et la mort je lui réponds. Supposons que ce soit vrai.
La santé aggrippée à la roche. Pierre sensible à la lumière. Mains et pieds font défaut au chasseur. Il est aveugle et en proie au désir. Et son désir c’est la forêt sous l’eau, peuplée de sexes en fleur ou de maîtresses fleurs qui percent le silence de leurs grands becs rouges et lents.
Le livre d’argile. Indigo, 2008. Traduction Claude Couffon.
¿Qué dice ese cuerpo inmóvil en su movimiento? Está solo. Lo otro es aire alrededor de la isla que danza.
Digo isla y pienso en mar. Digo mar y pienso en isla. ¿Son lo mismo?
Se suceden vacío continuo y plenitud sin nombre,
El libro de barro. Madrid, Ediciones del Tapir, 1993.
Que dit le corps immobile dans son mouvement ? Il est seul. L’air environnant l’île qui danse est ce qui est autre.
Je dis l’île et je pense : la mer. Je dis la mer et je pense : l’île. Sont-elles une seule et même chose ?
Vide continuel et plénitude sans nom se succèdent.
Le livre d’argile. Indigo, 2008. Traduction Claude Couffon.
Cristina Piña et Patricia Venti ont publié cette année chez Lumen une biographie : Alejandra Pizarnik, biografía de un mito que je suis en train de lire. Cette poétesse argentine est née le 29 avril 1936 à Avellaneda (Argentine) au sein d’une famille d’immigrants juifs ukrainiens. Elle a séjourné à Paris de 1960 à 1964, puis brièvement en 1968. Elle s’est suicidée à l’aube du 25 septembre 1972 à l’âge de 36 ans. Elle est très célèbre dans son pays, moins en France. La maison d’édition Ypsilon a traduit ces derniers temps plusieurs de ses livres, la plupart traduits par le grand Jacques Ancet. La biographie est très décevante et manque de rigueur, à mon avis. Néanmoins, elle note l’influence de Gérard de Nerval, qu’Alejandra Pizarnik a lu et étudié avec attention, dans son oeuvre. La poétesse argentine admirait particulièrement Aurelia. Elle avait choisi comme épigraphe d’un roman qu’elle ne put jamais terminer ces vers de Nerval:
” Quoi, toujours ? Entre moi sans cesse et le bonheur !”
Le point noir
Quiconque a regardé le soleil fixement Croit voir devant ses yeux voler obstinément Autour de lui, dans l’air, une tache livide.
Ainsi, tout jeune encore et plus audacieux, Sur la gloire un instant j’osai fixer les yeux : Un point noir est resté dans mon regard avide.
Depuis, mêlée à tout comme un signe de deuil, Partout, sur quelque endroit que s’arrête mon oeil, Je la vois se poser aussi, la tache noire !
Quoi, toujours ? Entre moi sans cesse et le bonheur ! Oh ! c’est que l’aigle seul – malheur à nous, malheur ! Contemple impunément le Soleil et la Gloire.
Odelettes, 1853.
Alejandra Pizarnik
31 Es un cerrar los ojos y jurar no abrirlos. En tanto afuera se alimenten de relojes y de flores nacidas de la astucia. Pero con los ojos cerrados y un sufrimiento en verdad demasiado grande pulsamos los espejos hasta que las palabras olvidadas suenan mágicamente.
32 Zona de plagas donde la dormida come lentamente su corazón de medianoche.
33 alguna vez alguna vez tal vez me iré sin quedarme me iré como quien se va
A Ester Singer
34 la pequeña viajera moría explicando su muerte
sabios animales nostálgicos visitaban su cuerpo caliente
35 Vida, mi vida, déjate caer, déjate doler, mi vida, déjate enlazar de fuego, de silencio ingenuo, de piedras verdes en la casa de la noche, déjate caer y doler, mi vida.
36 en la jaula del tiempo la dormida mira sus ojos solos
el viento le trae la tenue respuesta de las hojas
37 más allá de cualquier zona prohibida hay un espejo para nuestra triste transparencia
Árbol de Diana (1962)
31 C’est fermer les yeux et jurer de ne pas les ouvrir. Tandis qu’au-dehors ils se nourriront d’horloges et de fleurs nées de la ruse. Mais, les yeux fermés et une souffrance trop grande en vérité nous jouons des miroirs jusqu’à ce que les paroles oubliées résonnent magiquement.
32 Zone de fléaux où la dormeuse mange lentement son cœur de minuit.
33 Un jour un jour peut-être je m’en irai sans reste je m’en irai comme qui s’en va
À Ester Singer
34 La petite voyageuse mourait en expliquant sa mort
de sages animaux nostalgiques visitaient la chaleur de son corps
35 vie, oh ma vie, laisse-toi tomber, laisse-toi souffrir, ma vie, laisse-toi envelopper de feu, de silence ingénu, de pierres vertes dans la maison de la nuit, laisse-toi tomber et souffrir, oh ma vie.
36 dans la cage du temps la dormeuse regarde ses yeux seuls
le vent lui apporte ténue la réponse des feuilles
37 par-delà toute zone interdite il y a un miroir pour notre triste transparence
Arbre de Diane. Traduction Jacques Ancet. Ypsilon éditeur, 2014. Pages 43-49.
Somos el tiempo. Somos la famosa parábola de Heráclito el Oscuro. Somos el agua, no el diamante duro, la que se pierde, no la que reposa.
Somos el río y somos aquel griego que se mira en el río. Su reflejo cambia en el agua del cambiante espejo, en el cristal que cambia como el fuego.
Somos el vano río prefijado, rumbo a su mar. La sombra lo ha cercado. Todo nos dijo adiós, todo se aleja.
La memoria no acuña su moneda. Y sin embargo hay algo que se queda y sin embargo hay algo que se queja.
Los conjurados, 1985.
Les fleuves
Nous sommes temps. Nous sommes la fameuse parabole d’Héraclite l’Obscur, nous sommes l’eau, non pas le diamant dur, l’eau qui se perd et non pas l’eau dormeuse.
Nous sommes fleuve et nous sommes les yeux du grec qui vient dans le fleuve se voir. Son reflet change en ce changeant miroir, dans le cristal changeant comme le feu.
Nous sommes le vain fleuve tout tracé, droit vers sa mer. L’ombre l’a enlacé. Tout nous a dit adieu et tout s’enfuit.
La mémoire ne trace aucun sillon. Et cependant quelque chose tient bon. Et cependant quelque chose gémit.
Le Seuil (Collection La Librairie du XXI ème siècle) a publié en novembre 2021 Á chacun sonciel, une anthologie bilingue de l’oeuvre du poète mexicain Fabio Morábito. La traduction de Fabienne Bradu a été supervisée par l’auteur lui-même. Olivier Barbarant a publié dans la revue Europe de mars 2022 une intéressante critique de ce recueil (Les quatre vents de la poésie. Tremplins pour la pensée. Fabio Morábito. Pages 299-304)
Fabio Morábito est né le 21 février 1955 à Alexandrie (Égypte) de parents italiens. Il a vécu à Milan jusqu’à l’âge de quatorze ans. Sa famille a émigré en 1969 à México. Adulte, il a commencé à écrire dans une langue différente de sa langue maternelle. Dans son introduction, Jacques Rueff affirme : « Si c’est en traduisant la poésie italienne que Fabio Morábito est devenu écrivain, c’est en traduisant Montale qu’il est devenu poète. » Il vit à México où il est chercheur à l’Université autonome.
Il a publié cinq recueils de poésie : 1985 Lotes Baldios. México, Fondo de Cultura Económica. (Terrains vagues. Québec, Écrits des Forges, 2001. Traduction Fabienne Bradu.) 1991 De lunes todo el año. México, Joaquín Mortiz. 2002 Alguien de lava. México, Era. 2011 Delante de un prado una vaca. México, Era. Madrid, Visor Libros, 2014. 2019 A cada cual su cielo.
Trois livres en prose ont aussi été traduits en français : Les mots croisés ( 15 nouvelles). Éditions José Corti. 2009. Traduction Marianne Million. Emilio, los chistes y la muerte, Editorial Anagrama 2009. (Emilio, les blagues et la mort. Éditions José Corti. 2010). Traduction Marianne Million. El lector a domicilio. Editorial Sexto Piso. 2018. Le lecteur à domicile. Éditions José Corti. Ibériques. 2019. Traduction Marianne Million.
J’ai choisi trois poèmes de cet auteur :
¿Y si ya no diera de sí la fruta?
¿Y si ya no diera de sí la fruta? ¿Si dejara de colgar de los árboles y de madurar en el suelo? ¿Si ya no hubiera cítricos, ni siquiera nueces? ¿Qué sería de nuestros brazos, de nuestros célebres pulgares, nacidos para arrancarla? Todas las distancias nacieron de la fruta, que debimos recoger en la rama de al lado, en el árbol de junto, en el bosque contiguo, en la tribu al otro lado del río. Nos impulsó la fruta, nos dispersó desde el principio. Detrás de cada lujo, de cada anhelo, de cada viaje, su dulzura. La carne misma la comemos como fruta y no como carne, la arrancamos de un rebaño de carne como se arranca la fruta más madura, todo lo suculento cae a nuestra boca como descolgado de una rama, como tú, que arranco cada día de tu árbol, de tu tribu y te traigo a este lado del río y te como y te muerdo y te guardo y tengo miedo que te pudras.
A cada cual su cielo, 2019.
Et s’il n’ y avait plus de fruits ?
Et s’il n’ y avait plus de fruits ? S’ils cessaient de pendre aux arbres et de mûrir au sol ? S’il n’y avait plus de citrons, ni même de noix ? Qu’adviendrait-il de nos bras, de nos fameux pouces, nés pour les arracher ? Toutes les distances sont nés des fruits, que l’on dut cueillir sur la branche d’à côté, sur l’arbre voisin, dans la tribu sur l’autre rive du fleuve. Les fruits nous ont impulsés nous ont dispersés, depuis le commencement. Sous chaque luxe, chaque désir, chaque voyage,leur douceur. La chair même nous la mangeons comme un fruit et non pas comme une chair, nous l’arrachons d’un troupeau de chair comme on arrache le fruit la plus mûr, tout ce qui nous enchante finit dans la bouche comme si nous le détachions d’une branche, comme toi, que j’arrache chaque jour à ton arbre, à ta tribu et que j’amène sur cette rive du fleuve et je te mange et je te mords et je te garde et j’ai peur que tu pourrisses.
Á chacun son ciel. Éditions du Seuil, 2021. Traduction : Fabienne Bradu.
El maestro pasa lista
El maestro pasa lista sin mirarnos. Después de cada nombre se escucha “presente”. Cada tanto un silencio: alguien no vino. El maestro levanta la vista para cerciorarse. Hubo una vez uno que guardó silencio al oír su nombre, el maestro levantó la vista, no lo vio y puso la cruz de la falta. El otro permaneció impasible y lo miramos con envidia. Tenía una cruz y estaba entre nosotros. No se quitó la cruz en toda la mañana. Sin percatarse del engaño, el maestro le pidió que leyera en voz alta y en el salón estalló la risa. ¿Por qué se ríen?, y todos bajamos la vista, incluido el ausente, que leyó con voz de ausente, o así me pareció. Al otro día no vino, tampoco al otro día y pocos días después, pasando lista, el maestro se saltó su nombre, después lo tachó con la pluma y yo olvidé su nombre, su rostro y su cruz.
Delante del prado una vaca, 2011.
Le maître fait l’appel
Le maître fait l’appel sans nous regarder. Après chaque nom on entend « présent ». Parfois un silence : quelqu’un n’est pas venu. Le maître lève les yeux pour vérifier. Une fois il y en eut un qui ne répondit pas en écoutant son nom, le maître leva les yeux, ne le vit pas et marqua la croix de l’absence. L’autre demeura impassible et nous le regardions avec envie. Il n’a pas renié sa croix de toute la matinée. Sans remarquer la ruse le maître lui demanda de lire à voix haute et toute la classe éclata de rire. Pourquoi riez-vous ?, nous baissâmes la tête, y compris l’absent, qui lut d’une voix d’absent, ou ainsi me sembla-t-il. Le lendemain il ne vint pas, pas plus que le surlendemain, et quelques jours plus tard, en faisant l’appel, le maître sauta son nom, puis le raya d’un trait de plume et j’ai oublié son nom, son visage et sa croix.
Á chacun son ciel. Éditions du Seuil, 2021. Traduction : Fabienne Bradu.
Los columpios
Los columpios no son noticia, son simples como un hueso o como un horizonte, funcionan con un cuerpo y su manutención estriba en una mano de pintura cada tanto, cada generación los pinta de un color distinto (para realzar su infancia) pero los deja como son, no se investigan nuevas formas de columpios, no hay competencias de columpios, no se dan clases de columpio, nadie se roba los columpios, la radio no transmite rechinidos de columpios, cada generación los pinta de un color distinto para acordarse de ellos, ellos que inician a los niños en los paréntesis, en la melancolía, en la inutilidad de los esfuerzos para ser distintos, donde los niños queman sus reservas de imposible, sus últimas metamorfosis, hasta que un día, sin una gota de humedad, se bajan del columpio hacia sí mismos, hacia su nombre propio y verdadero, hacia su muerte todavía lejana.
De lunes todo el año, 1991.
Les balançoires
Les balançoires ne sont pas une nouveauté, elles sont simples comme un os ou un horizon. Un corps les fait marcher et leur entretien consiste en une couche de peinture de temps en temps, chaque génération les peinture d’une couleur différente (pour donner du lustre à son enfance) mais les laisse tels qu’elles sont, on ne cherche pas de nouvelles formes de balançoires, il n’y a pas de compétition de balançoires, pas de leçons de balançoires, personne ne vole les balançoires, la radio ne transmet pas des grincements de balançoires, chaque génération les peint d’une couleur différente pour se souvenir d’elles, qui initient les enfants aux parenthèses, à la mélancolie, à l’inutilité des efforts pour être différents, où les enfants brûlent leurs réserves d’impossible, leurs dernières métamorphoses, jusqu’au jour où, sans un reste d’humidité, ils descendent de la balançoire vers eux-mêmes, vers leur nom propre et véritable, vers leur mort encore lointaine.
Á chacun son ciel. Éditions du Seuil, 2021. Traduction : Fabienne Bradu.
“La poesía no es sinónimo de lentitud, como muchos creen. Es el atajo lingüístico por excelencia. Por eso los poemas suelen ser breves, un acelerador de partículas que permite saltar sobre muchas cosas e ir directos al grano. El poeta es un velocista. »
« La poésie n’est pas synonyme de lenteur. C’est un raccourci linguistique par excellence. Les poèmes sont généralement courts ; ils constituent un accélérateur de particules qui permet de sauter beaucoup de choses et d’aller droit à l’essentiel. Le poète est un champion de la vitesse. »
« La poesía tiene el prestigio que tiene toda actividad secreta, inútil e incomprensible. Si no fuera tan incomprensible para la mayoría, no tendría prestigio y los poetas no viajaríamos como viajamos. »
« La poésie a le prestige de toute activité secrète, inutile et incompréhensible. Si elle n’était pas aussi incompréhensible, elle n’aurait pas ce prestige. Et nous, poètes, ne voyagerions pas comme nous le faisons. »
« Il y a une veine spéculative dans ma poésie, qui en accompagne une autre, plus vécue, souvent autobiographique. J’aspire à une poésie qui, sans perdre ses racines dans le quotidien, ne se limite pas à l’anecdote. À partir d’une expérience particulière, la poésie parvient à illuminer une zone profonde de l’esprit. »
« No me interesa ser poeta en absoluto. Lo que me interesa es escribir un libro de poemas. Se es poeta sólo cuando se escribe poesía, después deja de serlo. Ser poeta no se convierte jamás en profesión. »
« Être poète ne m’intéresse pas le moins du monde. Ce qui m’importe, c’est écrire un livre de poèmes. On n’est poète que lorsqu’on écrit de la poésie. Ensuite on cesse de l’être. Être poète n’est jamais une profession. »
Discurso de Federico García Lorca en la inauguración de la biblioteca de su pueblo, Fuentevaqueros (septiembre de 1931).
” Cuando alguien va al teatro, a un concierto o a una fiesta de cualquier índole que sea, si la fiesta es de su agrado, recuerda inmediatamente y lamenta que las personas que él quiere no se encuentren allí. «Lo que le gustaría esto a mi hermana, a mi padre», piensa, y no goza ya del espectáculo sino a través de una leve melancolía. Ésta es la melancolía que yo siento, no por la gente de mi casa, que sería pequeño y ruin, sino por todas las criaturas que por falta de medios y por desgracia suya no gozan del supremo bien de la belleza que es vida y es bondad y es serenidad y es pasión.
Por eso no tengo nunca un libro, porque regalo cuantos compro, que son infinitos, y por eso estoy aquí honrado y contento de inaugurar esta biblioteca del pueblo, la primera seguramente en toda la provincia de Granada.
No sólo de pan vive el hombre. Yo, si tuviera hambre y estuviera desvalido en la calle no pediría un pan; sino que pediría medio pan y un libro. Y yo ataco desde aquí violentamente a los que solamente hablan de reivindicaciones económicas sin nombrar jamás las reivindicaciones culturales que es lo que los pueblos piden a gritos. Bien está que todos los hombres coman, pero que todos los hombres sepan. Que gocen todos los frutos del espíritu humano porque lo contrario es convertirlos en máquinas al servicio de Estado, es convertirlos en esclavos de una terrible organización social.
Yo tengo mucha más lástima de un hombre que quiere saber y no puede, que de un hambriento. Porque un hambriento puede calmar su hambre fácilmente con un pedazo de pan o con unas frutas, pero un hombre que tiene ansia de saber y no tiene medios, sufre una terrible agonía porque son libros, libros, muchos libros los que necesita y ¿dónde están esos libros?
¡Libros! ¡Libros! Hace aquí una palabra mágica que equivale a decir: «amor, amor», y que debían los pueblos pedir como piden pan o como anhelan la lluvia para sus sementeras. Cuando el insigne escritor ruso Fedor Dostoyevsky, padre de la revolución rusa mucho más que Lenin, estaba prisionero en la Siberia, alejado del mundo, entre cuatro paredes y cercado por desoladas llanuras de nieve infinita; y pedía socorro en carta a su lejana familia, sólo decía: «¡Enviadme libros, libros, muchos libros para que mi alma no muera!». Tenía frío y no pedía fuego, tenía terrible sed y no pedía agua: pedía libros, es decir, horizontes, es decir, escaleras para subir la cumbre del espíritu y del corazón. Porque la agonía física, biológica, natural, de un cuerpo por hambre, sed o frío, dura poco, muy poco, pero la agonía del alma insatisfecha dura toda la vida.
Ya ha dicho el gran Menéndez Pidal, uno de los sabios más verdaderos de Europa, que el lema de la República debe ser: «Cultura». Cultura porque sólo a través de ella se pueden resolver los problemas en que hoy se debate el pueblo lleno de fe, pero falto de luz.”
Discours de Federico Garcia Lorca lors de l’inauguration de la bibliothèque de Fuente Vaqueros, sa ville natale. (Septembre 1931)
« Quand quelqu’un va au théâtre, à un concert ou à une fête quelle qu’elle soit, si le spectacle lui plaît il évoque tout de suite ses proches absents et s’en désole : « Comme cela plairait à ma soeur, à mon père ! » pensera-t-il et il ne profitera dès lors du spectacle qu’avec une légère mélancolie. C’est cette mélancolie que je ressens, non pour les membres de ma famille, ce qui serait mesquin, mais pour tous les êtres qui, par manque de moyens et à cause de leur propre malheur ne profitent pas du suprême bien qu’est la beauté, la beauté qui est vie, bonté, sérénité et passion.
C’est pour cela que je n’ai jamais de livres. A peine en ai-je acheté un, que je l’offre. j’en ai donné une infinité. Et c’est pour cela que c’est un honneur pour moi d’être ici, heureux d’inaugurer cette bibliothèque du peuple, la première sûrement de toute la province de Grenade.
L’homme ne vit pas que de pain. Moi si j’avais faim et me trouvais démuni dans la rue, je ne demanderais pas un pain mais un demi-pain et un livre. Et depuis ce lieu où nous sommes, j’attaque violemment ceux qui ne parlent que revendications économiques sans jamais parler de revendications culturelles : ce sont celles-ci que les peuples réclament à grands cris. Que tous les hommes mangent est une bonne chose, mais il faut que tous les hommes accèdent au savoir, qu’ils profitent de tous les fruits de l’esprit humain car le contraire reviendrait à les transformer en machines au service de l’état, à les transformer en esclaves d’une terrible organisation de la société.
J’ai beaucoup plus de peine pour un homme qui veut accéder au savoir et ne le peut pas que pour un homme qui a faim. Parce qu’un homme qui a faim peut calmer facilement sa faim avec un morceau de pain ou des fruits. Mais un homme qui a soif d’apprendre et n’en a pas les moyens souffre d’une terrible agonie parce que c’est de livres, de livres, de beaucoup de livres dont il a besoin, et où sont ces livres ?
Des livres ! Des livres ! Voilà un mot magique qui équivaut à clamer: « Amour, amour », et que devraient demander les peuples tout comme ils demandent du pain ou désirent la pluie pour leur semis. Quand le célèbre écrivain russe Fédor Dostoïevski, père de la révolution russe bien davantage que Lénine, était prisonnier en Sibérie, retranché du monde, entre quatre murs, cerné par les plaines désolées, enneigées, il demandait secours par courrier à sa famille éloignée, ne disant que : « Envoyez-moi des livres, des livres, beaucoup de livres pour que mon âme ne meure pas ! ». Il avait froid ; ne demandait pas le feu, il avait une terrible soif, ne demandait pas d’eau, il demandait des livres, c’est-à-dire des horizons, c’est-à-dire des marches pour gravir la cime de l’esprit et du coeur. Parce que l’agonie physique, biologique, naturelle d’un corps, à cause de la faim, de la soif ou du froid, dure peu, très peu, mais l’agonie de l’âme insatisfaite dure toute la vie.
Le grand Menéndez Pidal, l’un des véritables plus grands sages d’Europe, , l’a déjà dit : « La devise de la République doit être la culture ». La culture, parce que ce n’est qu’à travers elle que peuvent se résoudre les problèmes auxquels se confronte aujourd’hui le peuple plein de foi mais privé de lumière. N’oubliez pas que l’origine de tout est la lumière. »
Cette semaine, j’ai acheté chez Gibert Joseph la revue Europe du mois de mars (Georges Séféris-Gilles Ortlieb). J’y ai trouvé avec plaisir un cahier de création de dix pages avec les traductions des premiers poèmes d’Antonio Gamoneda. Prix Cervantes 2006, il aura 91 ans le 30 mai. La tierra y los labios a été écrit entre 1947 et 1953. Le poète avait entre 16 et 23 ans. Ces textes ont été publiés pour la première fois par Miguel Casado en 1987 (Edad Poesia 1947-1986. Cátedra, Letras Hispanicas). Edad réunissait les oeuvres composées jusqu’alors par Gamoneda. Depuis, selon son habitude, il a réécrit un peu certains des poèmes pour la publication de Esta luz , Poesía reunida (1947–2004) ( Galaxia Gutenberg/Círculo de Lectores, 2004. Deuxième édition 2019). Ces traductions ont été réalisées par Laurence Breysse-Chanet, Professeur de littérature espagnole contemporaine, et ses étudiants de l’Université de Paris-Sorbonne.
J’en ai choisi cinq :
Te beberé el cabello y cerraré los ojos.
Tú seguirás manando tu cabello turbio de besos.
1947
Je boirai tes cheveux et fermerai les yeux.
Source tu seras toujours de tes cheveux troubles de baisers.
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La tarde, sobre mis hombros, tiene el color de tus brazos.
Yo te traeré las sombras en el hueco de mis manos,
Una corona de sombra me harás sobre tu regazo.
Yo te apagaré la tarde con la nieve de mis labios.
Se hará de noche en tus ojos ; en la oscuridad del llanto.
1947
Dessus mes épaules, le soir a la couleur de tes bras.
Je t’apporterai les ombres dans le creux de mes deux mains,
une couronne d’ombre tu me feras sur ton coeur.
Pour toi j’éteindrai le soir par la neige de mes lèvres.
La nuit viendra sur tes yeux ; dans l’obscurité des pleurs.
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El gran viento de la noche entra, lento, en los trigales.
Deja tu mano en la mía que son nuestros esponsales.
Te tomo porque mi pena tiene el color de tus ojos;
porque mi pan es moreno como tu carne.
1947
Le grand vent de la nuit entre lent dans les blés.
Mets ta main dans la mienne : ce sont nos fiançailles.
Tu es mienne car ma peine a la couleur de tes yeux ;
parce que mon pain est noir comme ta chair.
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Es un hombre. Va solo por el campo. Oye su corazón, cómo golpea, y, de pronto, el hombre se detiene y se pone a llorar sobre la tierra.
Juventud del dolor. Crece la savia verde y amarga de la primavera.
Hacia el ocaso va. Un pájaro triste canta entre las ramas negras.
Ya el hombre apenas llora. Se pregunta por el sabor a muerto en su lengua.
1951
C’est un homme. Il va seul par les champs. Écoute son coeur, comme il bat, et, soudain, l’homme s’interrompt, se met à pleurer sur la terre.
Jeunesse de la douleur. Monte la sève verte et amère du printemps.
Il va vers le crépuscule. Un oiseau triste chante parmi les branches noires.
L’homme a dès lors tari ses larmes. Il pense à ce goût de mort de sa langue.
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A ti, muchacha, que, de pronto, estrenas la juventud caliente de la risa, a ti te estoy diciendo: eres precisa en cierta soledad, en ciertas venas.
Crece la muerte con la vida. Apenas le llega al corazón alguna brisa, pero tú crecerías más deprisa; la alegría que tú desencadenas.
Préstame, amiga, préstame temprano tus ojos y tus pechos. Duramente por la boca te sale mucha vida.
Esta hora es feroz. Dame la mano; alcánzame una muerte sonriente; pon tus labios desnudos en mi herida.
1953
Jeune fille qui étrennes soudain la jeunesse si chaude de ton rire, à toi je le dis : tu es nécessaire à certaine solitude, à ses veines.
La mort grandit avec la vie. Á peine la brise vient-elle toucher le coeur, mais tu grandirais plus rapidement ; par cette joie que tu sais provoquer.
Viens m’offrir, oh mon amie, viens m’offrir tes yeux et tes seins. Je vois tant de vie sortir durement de ta bouche aimée.
L’heure est féroce. Donne-moi la main ; viens me donner une mort souriante ; pose tes lèvres nues sur ma blessure.