( Une parenthèse d’un bon mois. Lassitude. Voyage en Espagne. Hiver. ) Ce poème souvent étudié avec les élèves me trottait dans la tête.
Baladilla de los tres ríos
A Salvador Quintero
El río Guadalquivir va entre naranjos y olivos. Los dos ríos de Granada bajan de la nieve al trigo.
¡Ay, amor que se fue y no vino!
El río Guadalquivir tiene las barbas granates. Los dos ríos de Granada uno llanto y otro sangre.
¡Ay, amor que se fue por el aire!
Para los barcos de vela, Sevilla tiene un camino; por el agua de Granada sólo reman los suspiros.
¡Ay, amor que se fue y no vino!
Guadalquivir, alta torre y viento en los naranjales. Dauro y Genil, torrecillas muertas sobre los estanques,
¡Ay, amor que se fue por el aire!
¡Quién dirá que el agua lleva un fuego fatuo de gritos!
¡Ay, amor que se fue y no vino!
Lleva azahar, lleva olivas, Andalucía, a tus mares.
¡Ay, amor que se fue por el aire!
1922.
Poema del cante jondo. Écrit entre 1921 et 1924. Publié en 1931.
Petite ballade des trois rivières
A Salvador Quintero
Le fleuve Guadalquivir va d’orangers en oliviers. Les deux rivières de Grenade coulent de la neige au blé.
Ah, l’amour qui s’en fut sans retour !
Le fleuve Guadalquivir porte une barbe grenat. Les deux rivières de Grenade, l’une du sang, l’autre des larmes.
Ah, l’amour qui s’en fut dans les airs !
Pour les navires à voile Séville ouvre des chemins. Mais sur les flots de Grenade ne rament que les soupirs.
Ah, l’amour qui s’en fut sans retour !
Guadalquivir, haute tour, vent dans les orangeraies. Dauro et Genil, tourelles mortes sur les bassins.
Ah, l’amour qui s’en fut dans les airs !
Qui dira que l’eau entraîne un feu follet de cris !
Ah, l’amour qui s’en fut sans retour !
Porte tes fleurs d’orange, tes olives, Andalousie, jusqu’à tes mers.
Ah, l’amour qui s’en fut dans les airs !
Poème du cante jondo. Gallimard, 1981. Traduction André Belamich.
Séville, joyeuse, active, ouverte sur le monde. Grenade, rêveuse, tournée vers le passé.
Granada Paraíso cerrado para muchos. 1926.
“Todo lo contrario que Sevilla. Sevilla es el hombre y su complejo sensual y sentimental. Es la intriga política y el arco de triunfo. Don Pedro y Don Juan. Está llena de elemento humano, y su voz arranca lágrimas, porque todos la entienden. Granada es como la narración de lo que ya pasó en Sevilla.”
” Tout le contraire de Séville. Séville, c’est l’homme et son complexe sensuel et sentimental. c’est l’intrigue politique et l’arc de triomphe. Don Pedro et don Juan. Elle est gorgée d’humanité et sa voix arrache des larmes, parce que tout le monde la comprend. Grenade, c’est comme le récit de ce qui se passa jadis à Séville. ” Federico García Lorca. Oeuvres complètes I. Bibliothèque de la Pléiade. Page 872.
¡Esa esponja gris! Ese marinero recién degollado. Ese río grande. Esa brisa de límites oscuros. Ese filo, amor, ese filo. Estaban los cuatro marineros luchando con el mundo. Con el mundo de aristas que ven todos los ojos. Con el mundo que no se puede recorrer sin caballos. Estaban uno, cien, mil marineros luchando con el mundo de las agudas velocidades, sin enterarse de que el mundo estaba solo por el cielo.
El mundo solo por el cielo solo. Son las colinas de martillos y el triunfo de la hierba espesa. Son los vivísimos hormigueros y las monedas en el fango. El mundo solo por el cielo solo y el aire a la salida de todas las aldeas.
Cantaba la lombriz el terror de la rueda y el marinero degollado cantaba al oso de agua que lo había de estrechar y todos cantaban aleluya, aleluya. Cielo desierto. Es lo mismo, ¡lo mismo!, aleluya.
He pasado toda la noche en los andamios de los arrabales dejándome la sangre por la escayola de los proyectos, ayudando a los marineros a recoger las velas desgarradas. Y estoy con las manos vacías en el rumor de la desembocadura. No importa que cada minuto un niño nuevo agite sus ramitos de venas ni que el parto de la víbora, desatado bajo las ramas, calme la sed de sangre de los que miran el desnudo. Lo que importa es esto: hueco. Mundo solo. Desembocadura. Alba no. Fábula inerte. Sólo esto: desembocadura. ¡Oh esponja mía gris! ¡Oh cuello mío recién degollado! ¡Oh río grande mío! ¡Oh brisa mía de límites que no son míos! ¡Oh filo de mi amor, oh hiriente filo!
New York, 27 de diciembre de 1929.
Poeta en Nueva York, 1929-30. Publié en 1940.
Noël sur l’Hudson
Cette éponge grise ! Ce marin que l’on vient d’égorger. Ce grand fleuve. Cette brise aux limites obscures. Ce tranchant, amour, ce tranchant. Les quatre marins luttaient contre le monde, contre le monde d’arêtes vives que voient tous les yeux, contre le monde que l’on ne peut parcourir sans chevaux. Ils étaient là, un, cent, mille marins, en lutte contre le monde de la vitesse aiguë, sans remarquer que le monde était seul dans le ciel.
Le monde seul dans le ciel seul. Ce sont les collines de marteaux et le triomphe de l’herbe épaisse. Ce sont les fourmilières trépidantes et les pièces de monnaie dans la fange. Le monde seul dans le ciel seul et le vent à la sortie de tous les villages.
Le ver de terre chantait la terreur de la roue et le marin égorgé chantait l’ours de l’eau qui allait l’étreindre ; et tous chantaient alléluia, alléluia. Ciel désert. C’est pareil, pareil ! alléluia.
J’ai passé toute la nuit sur les échafaudages des faubourgs à perdre mon sang sur le plâtre des projets, à aider les marins à replier les voiles déchirées. Et me voici les mains vides dans la rumeur de l’embouchure. Peu importe qu’à chaque minute un nouvel enfant agite ses fines ramures de veines, ni que la portée de la vipère, dénouée sous les branches, calme la soif de ceux qui regardent la nudité. Seul importe ceci : le creux. Monde seul. Embouchure. L’aube ? non. Fable inerte. Seulement ceci : Embouchure. Ô mon éponge grise ! Ô mon cou que l’on vient d’égorger! Ô mon grand fleuve ! Ô ma brise aux limites qui ne sont pas à moi ! Ô tranchant de mon amour, ô dur tranchant !
New York, 27 décembre 1929
Poète à Nueva York. Gallimard. Bibliothèque de la Pléiade. NRF. 1981. Traduction André Belamich.
Je lis le deuxième tome du journal du romancier Rafael Chirbes, publié par Anagrama en octobre 2022 : Diarios. A ratos perdidos 3 y 4. Le journal El País l’a placé le 17 décembre dernier en tête des 50 meilleurs livres écrits en espagnol en 2022.
La tonalité du journal de Rafael Chirbes est souvent amère. Il ne montre aucune indulgence envers lui-même ni envers certains de ses confrères. Il est décédé le 15 août 2015 à 66 ans d’un cancer du poumon. C’était un des écrivains réalistes les plus lucides sur la période de la transition démocratique et sur l’état de l’Espagne depuis la mort du dictateur.
Son éditrice chez Rivages, Nathalie Zberro, disait : « Si je devais trouver une formule, je dirais qu’il est l’écrivain des ombres . Par exemple, Franco en lui-même ne l’intéresse pas. C’est l’ombre qu’il a continué à projeter sur son pays qui devient un sujet pour Chirbes. Quelle est la portée intime de l’événement ? Que signifie vivre, aimer ou rire après la dictature ? Quelles sont les implications profondes, humaines, dans la conscience de chacun ? »
On peut lire en français :
Tableau de chasse [ Los disparos del cazador ]. Traduction de Denise Laroutis, Paris, Éditions Payot & Rivages, collection « littérature étrangère », 1998, 134 pages. Rivage Poche n°316.
La Belle Écriture [ La buena letra. 1992 ]. Traduction de Denise Laroutis, Paris, Éditions Payot & Rivages, collection « littérature étrangère », 2000, 157 pages. Rivage Poche n°451.
La Longue Marche [ La larga marcha. 1996 ] . Traduction de Denise Laroutis, Paris, Éditions Payot & Rivages, collection « littérature étrangère », 2001, 374 p.
La Chute de Madrid [ La caída de Madrid. 2000 ] Traduction de Denise Laroutis, Paris, Éditions Payot & Rivages, collection « littérature étrangère », 2003, 291 p. Rivage Poche n°528.
Sur le rivage [ En la orilla. 2013 ]. Traduction de Denise Laroutis, Paris, Éditions Payot & Rivages, collection « littérature étrangère », 2015, 509 p.
Le passage où il parle de Corps du roi de Pierre Michon (Verdier, 2002) a particulièrement attiré mon attention. Je le traduis ici en français.
Rafael Chirbes. Diarios. A ratos perdidos 3 y 4. Anagrama 2022. Páginas 331-332.
« Brillantísimo. Cuerpos del rey de Pierre Michon, texto sobre textos, es verdad, bestiario literario: Beckett, Faulkner, Balzac. No sé si es necesario un libro así, pero bienvenido sea. A lo mejor, la angustia que me provoca no tiene que ver con que sea un libro inútil, sino un libro imposible de alcanzar. Me imagino a Vila-Matas leyéndolo como le gustaría leerse a sí mismo, esas historias de escritores que se relacionan con sus libros y entre sí. Los libros de Michon suenan como un eco del tañido de la campana que anuncia el final de la literatura, pero qué hermosura de sonido, qué envidiable escritura. Escribo lo que acabo de escribir, y me pregunto qué es lo que digo, qué quiero decir con esas palabras. Quiero decir que Michon me gusta y me disgusta. O que lo admiro y, sin embargo, me disgustan las razones por las que merece ser querido. Todo suena tan bien, está tan limpiamente expuesto, tan bien armado el artilugio y afinado el instrumento. Pero, al fondo, el sonido de la campana. No basta con nombrar a Faulkner y al gordo Balzac para convertirlos en personaje de la narración, ni a ellos, ni los retazos cogidos de sus personajes. No basta con que tú mismo te pongas como personaje que envidia la Comedia humana, que enmudece ante ella y solo puede emborracharse como un perro. Está la Comedia humana de Balzac y está Victor Hugo. Está su obra, esa obra a la que Michon a la vez homenajea y niega. Reconóceme que aquello fue otra cosa, y que tampoco aquellos tiempos carecían de tentaciones para acabar escribiendo de refilón. Pero ellos miraron de frente el toro de la literatura. Se atrevieron con él, sin tener que utilizar intermediarios, sin protegerse a la sombra de otros. Porque detrás de la admiración hay cierta pedantería, por ejemplo en el trato a Balzac. Como si tú, Michon, supieras más que él. Como si fueras David, capaz de tumbar a Goliat de una pedrada: convertir el murallón de libros de Balzac en escombros, de lo que se recogen algunos débris para uso doméstico. A Balzac no se le puede mirar a ratos desde abajo, a ratos desde arriba. Está ahí, ciclópeo, imbatible. Soporta tu mirada desde la imponente altura de sus obras. ¿Qué haces tú jugando con el muñeco gordinflón que te fabricas? Ese no es Balzac. Escribo esto, y entre tanto me dejo emborrachar por ese Michon que baila sobre la tumba de Faulkner, participo de su borrachera, escucho la voz, la voz de la literatura «que habla a través de su cuerpo, médium esta noche entre un desolado autor que, a sus cincuenta y siete años, aún no ha llegado al incipit y la oscura voz que se escucha debajo de la lápida. Habla de una parra de la que penden dulces racimos de uva». ¡Salud, Michon! Dale mis recuerdos a Faulkner cuando vuelvas a verlo. Y gracias por tu libro extraordinario, con el que no puedo estar de acuerdo.
Journaux. A mes moments perdus 3 et 4. 2022.
« Brillantissime. Corps du roi de Pierre Michon, un texte sur des textes, c’est vrai, un bestiaire littéraire : Beckett, Faulkner, Balzac. Je ne sais si un tel livre est nécessaire, mais il est le bienvenu. Peut-être mon angoisse ne veut pas dire que je le considère comme un livre inutile, mais plutôt comme un livre impossible à saisir. J’imagine Vila-Matas le lisant comme il aimerait se lire, ces histoires d’écrivains qui entretiennent des rapports entre eux, mais aussi à travers leurs livres. Les livres de Michon résonnent comme un écho du tintement de la cloche qui annonce la fin de la littérature, mais que le son est beau, que l’écriture est enviable. J’écris ce que je viens d’écrire et me demande ce que je dis, ce que je veux dire avec ces mots. Je veux dire que Michon me plaît et me déplaît à la fois. Ou bien que je l’admire et que, cependant, les raisons pour lesquelles il mérite d’être aimé me déplaisent. Tout cela sonne si bien, c’est exposé si habilement, la machine est si bien agencée, l’instrument si bien accordé. Mais, au fond, on entend le son de la cloche. Il ne suffit pas de nommer Faulkner et le gros Balzac pour qu’ils deviennent des personnages de la narration, eux ou les bribes de leurs personnages. Il ne suffit pas que tu te présentes comme un personnage qui envie La Comédie humaine, qui reste sans voix face à elle et qui ne peut que s’enivrer comme un cochon. La Comédie humaine est là, Victor Hugo aussi. Leur œuvre est là, cette œuvre à laquelle Michon rend hommage et qu’il nie en même temps. Reconnais quand même que c’était autre chose, que ces époques-là ne manquaient pas non plus de tentations qui faisaient qu’on finissait par écrire vite fait. Mais ils ont regardé le taureau de la littérature dans les yeux. Ils lui ont fait face, sans utiliser d’ intermédiaires, sans s’abriter à l’ombre des autres. Car derrière l’admiration il y a une certaine pédanterie, par exemple dans la relation à Balzac. Comme si toi, Michon, tu en savais plus que lui. Comme si tu étais David, capable d’abattre Goliath d’un jet de pierre : de transformer la muraille de livres de Balzac en décombres dont on ramasse quelques débris pour un usage domestique. On ne peut regarder Balzac tantôt d’en bas, tantôt d’en haut. Il est là, cyclopéen, imbattable. Fixe ton regard depuis l’imposante hauteur de ses œuvres. Qu’as-tu à jouer avec le pantin rondouillard que tu fabriques ? Ce n’est pas Balzac. J’écris ceci, et pendant ce temps, je me laisse enivrer par ce Michon qui danse sur la tombe de Faulkner, je participe à son ivresse, j’écoute la voix, la voix de la littérature « qui parle à travers son corps, médium cette nuit entre un auteur dévasté qui, à cinquante-sept ans, n’est pas arrivé encore à l’incipit et à la voix sombre que l’on entend sous la pierre tombale. Il parle d’une treille d’où pendent des grappes de raisins ». Salut, Michon ! Fais mes amitiés à Faulkner quand tu le reverras. Et merci pour ton livre extraordinaire avec lequel je ne peux être d’accord. »
Je ne comprends pas pourquoi Gallimard ne republie pas la poésie de Vicente Aleixandre (1898-1984). C’est un grand poète espagnol de la génération de 1927. Il est méconnu en France bien qu’il ait obtenu le Prix Nobel de littérature en 1977. La Asociación de Amigos de Vicente Aleixandre (Madrid, Velintonia 3) essaie depuis plus de 25 ans de sauver de la destruction sa maison, située près de la Cité Universitaire et d’y créer une Maison de la Poésie. Celle-ci n’est plus habitée depuis 1986 et la mort de Concepción Aleixandre, la sœur du poète. C’est pourtant un des lieux essentiels de la littérature espagnole du vingtième siècle. Nombreux étaient ceux qui venaient rendre visite à Vicente Aleixandre qui était de santé fragile : Federico García Lorca jouait du piano ou lisait les Sonnets de l’amour obscur, Rafael Alberti, Luis Cernuda, Pablo Neruda, Miguel Hernández, d’autres encore… C’était aussi un homme très généreux qui a beaucoup aidé la famille de Miguel Hernández, mort de tuberculose le 28 mars 1942 dans la prison Reformatorio d’ Alicante. Il suffit de lire De Nobel a Novel. epistolario de Vicente Aleixandre a Miguel Hernández y Josefina Manresa (2015). Après la Guerre civile, il resta en Espagne. Les jeunes poètes espagnols de l’après-guerre de Barcelone ou de Madrid venaient le voir et le considéraient comme un maître. (Carlos Barral, Jaime Gil de Biedma, Luis Agustín Goytisolo, Carlos Bousoño, José Hierro, Ángel González José Ángel Valente, Claudio Rodríguez, Francisco Brines).
Poésie totale. Traduction et préface : Roger Noël-Mayer. Collection Du monde entier, Gallimard. 1977 Ombre du Paradis (1939-1943) [Sombra del paraíso]. Traduction : Claude Couffon et Roger Noël-Mayer. Introduction : Roger Noël-Mayer. Collection Du monde entier, Gallimard. 1980;
Jacques Ancet a aussi traduit La destruction ou l’amour chez Fédérop en 1975.
Tormento del amor
Te amé, te amé, por tus ojos, tus labios, tu garganta, tu voz, tu corazón encendido en violencia. Te amé como a mi furia, mi destino furioso, mi cerrazón sin alba, mi luna machacada.
Eras hermosa. Tenías ojos grandes. Palomas grandes, veloces garras, altas águilas potentísimas… Tenías esa plenitud por un cielo rutilante donde el fragor de los mundos no es un beso en tu boca.
Pero te amé como la luna ama la sangre, como la luna busca la sangre de las venas, como la luna suplanta a la sangre y recorre furiosa las venas encendidas de amarillas pasiones.
No sé lo que es la muerte, si se besa la boca. No sé lo que es morir. Yo no muero. Yo canto. Canto muerto y podrido como un hueso brillante, radiante ante la luna como un cristal purísimo.
Canto como la carne, como la dura piedra. Canto tus dientes feroces sin palabras. Canto su sola sombra, su tristísima sombra sobre la dulce tierra donde un césped se amansa.
Nadie llora. No mires este rostro donde las lágrimas no viven, no respiran. No mires esta piedra, esta llama de hierro, este cuerpo que resuena como una torre metálica.
Tenías cabellera, dulces rizos, miradas y mejillas. Tenías brazos, y no ríos sin límite. Tenías tu forma, tu frontera preciosa, tu dulce margen de carne estremecida. Era tu corazón como alada bandera.
¡Pero tu sangre no, tu vida no, tu maldad no! ¿Quién soy yo que suplica a la luna mi muerte? ¿Quién soy yo que resiste los vientos, que siente las heridas de sus frenéticos cuchillos, que le mojen su dibujo de mármol como una dura estatua ensangrentada por la tormenta?
¿Quién soy yo que no escucho entre los truenos, ni mi brazo de hueso con signo de relámpago, ni la lluvia sangrienta que tiñe la yerba que ha nacido entre mis pies mordidos por un río de dientes?
¿Quién soy, quién eres, quién te sabe? ¿A quién amo, oh tú, hermosa mortal, amante reluciente, pecho radiante; ¿a quién o a quién amo, a qué sombra, a qué carne, a qué podridos huesos que como flores me embriagan?
Mundo a solas (1934-1936)
Tourment de l’amour
Je t’ai aimée, je t’ai aimée, pour tes yeux, tes lèvres, ta gorge, ta voix, ton coeur enflammée de violence. Je t’ai aimée comme ma furie, mon destin furieux, mes ténèbres sans aube, ma lune broyée.
Tu étais belle. Tu avais de grands yeux. Grandes colombes, agiles griffes, hauts aigles tout-puissants. Tu avais cette plénitude en un ciel rutilant où le fracas des mondes n’est pas un baiser dans ta bouche.
Mais je t’aimais comme la lune aime le sang, comme la lune cherche le sang des veines, comme la lune supplante le sang et furieuse parcourt les veines allumées de jaunes passions.
Je ne sais pas ce qu’est la mort, si l’on baise sa bouche. Je ne sais pas ce qu’est mourir. Je ne meurs pas. Je chante. Je chante mort et pourri comme un oc brillant, resplendissant sous la lune comme un cristal très pur.
Je chante comme la chair, comme la pierre dure, je chante tes dents féroces sans paroles. Je chante leur ombre seule, leur ombre si triste sur la douce terre où le gazon s’attendrit.
Nul ne pleure. Ne regarde pas ce visage où les larmes ne vivent ni respirent. Ne regarde pas cette pierre, cette flamme de fer, ce corps qui résonne comme une tour de métal.
Tu avais des cheveux, de douces boucles, des regards et des joues. Tu avais des bras, et non des fleuves sans limites. Tu avais ta forme, ta frontière exquise, ton doux contour de chair frissonnante. Ton coeur était comme un drapeau ailé.
Mais ton sang non, ta vie, non, ta méchanceté non ! Qui suis-je moi pour implorer ma mort de la lune ? Qui suis-je moi pour résister aux vents, pour sentir les blessures de leurs couteaux frénétiques, pour laisser mouiller son dessin de marbre comme une dure statue ensanglantée par la tourmente ?
Qui suis-je pour ne pas écouter ma voix dans l’éclat du tonnerre ni mon bras osseux et marqué du signe de l’éclair, ni la pluie sanglante qui teint l’herbe née entre mes pieds mordus par un fleuve de dents ?
Qui suis-je, qui es-tu, qui te connaît ? Qui aimé-je, ô toi, belle mortelle, amante lumineuse, seins resplendissants ; qui, qui aimé-je, quelle ombre, quelle chair ? Quels os pourris qui m’enivrent comme des fleurs ?
Monde solitaire (1934-1936) in Poésie totale. Gallimard, 1977. Pages 123-124. Traduction: Roger-Noël Mayer.
Les posts de Léon-Marc Lévy et du Club de La Cause Littéraire m’ont incité à relire La lluvia amarilla de Julio Llamazares (Seix Barral 1988 ; La pluie jaune. Verdier, 1990 et Verdier/poche 2009, Traduction : Michèle Planel). Julio Llamazares est né en 1955 à Vegamián (province de León). La construction du barrage et du réservoir du Porma, oeuvre de l’ingénieur-écrivain Juan Benet (1927-1993), a englouti le village natal de l’auteur. Son père était l’instituteur du village. Les habitants ont dû l’abandonner en 1968. Julio Llamazares a passé son enfance à Olleros de Sabero (province de León). Le premier roman de ce poète et romancier espagnol fut Luna de lobos (Seix Barral, 1988 ; Lune de loups. Verdier, 1988 et Verdier/poche 2009, Traduction : Raphaël Carrasco et Claire Decaëns ). On pourrait le qualifier de roman historique puisqu’il évoque la vie de quelques anciens soldats républicains qui continuent de lutter contre les franquistes dans les montagnes des Asturies, supportant la vie rude et isolée des maquisards. Dans La lluvia amarilla, la dictature franquiste n’apparaît qu’en arrière-plan. Le narrateur n’en parle pas. Les données historiques sont évoquées de manière implicite. Il s’agit du monologue intérieur du dernier habitant d’Ainielle, village réel qui se trouve dans les Pyrénées aragonaises (province de Huesca). Le dernier habitant (José de Casa Rufo) en est parti en 1971. Le narrateur du livre, Andrés de Casa Sosas, raconte sa vie et celle de sa famille. Seul dans le village, il attend la mort. On est dans les années 1970. Peu de dates sont indiquées. La première est le dernier jour de 1961 (” Je me souviens qu’entrant dans la cuisine, je regardai le calendrier malgré moi, après tout ce temps. si ma mémoire était fidèle, c’était la dernière nuit de 1961 qui prenait fin. ” 3, page 40). Sabina, l’épouse du narrateur, s’est pendue peu de temps auparavant dans le moulin du village. Andrés de Casa Sosas a revu une photographie de sa femme prise “il y avait maintenant vingt-trois ans” (3, page 36) quand ils ont fait leurs adieux à leur fils Camilo en gare de Huesca. On peut situer ce moment en 1938. Camilo n’est jamais revenu de la guerre. C’est une des nombreuses personnes disparues au cours de ce conflit. “…Il est difficile de s’accoutumer à habiter avec un fantôme. il est difficile d’effacer de la mémoire les marques du passé quand le doute alimente le désir et sur du vide amasse des espérances.” (6, page 55). Andrés, l’autre fils du couple a émigré en Allemagne “un jour de février 1949, un jour gris et froid…” (6, page 53) Sara, leur fille, est morte à quatre ans, vingt ans avant le suicide de Sabina. C’est à dire vers 1941. Ces quatre dates ne sont pas sûres puisqu’elles reposent sur la mémoire défaillante du narrateur. L’écriture de Llamazares rappelle celle du chef d’oeuvre de Juan Rulfo, PedroPáramo (1955. Gallimard, 1959. Traduction: Roger Lescot; nouvelle traduction: Gabriel Iaculli 2005. En collection Folio n°4872, 2009). Ainielle comme le Comala de Juan Rulfo est un cimetière peuplé de fantômes. L’État, l’administration sont totalement absents de la vie de ces paysans pauvres qui vivent dans une région isolée, marginalisée. La pluie jaune est la métaphore essentielle du livre. Elle fait d’abord référence à un phénomène naturel, la chute des feuilles des arbres en automne. C’est le cycle naturel de la vie de la flore. Cette pluie jaune obsède le narrateur et change peu à peu sa perception de la nature. Il se réfère aussi à l’eau et au ciel jaunes, au cercle jaune de la lune et à la fin le monde entier est jaune comme une photographie ancienne. La pluie jaune est également associée au personnage qui la perçoit. Elle est liée à l’oubli, à l’impossibilité d’effacer l’expérience traumatique du suicide de Sabina, à l’écoulement du temps. C’est la perception d’un vaincu qui vit dans la mélancolie et la douleur et qui s’affaiblit peu à peu. La mémoire est source de douleur, de souffrance. L’évolution psychique du narrateur pose problème. Pouvons-nous croire qu’il est sain d’esprit ? Le personnage tient un peu de don Quichotte : “Mais moi, Andrés de Casa Sosas, le dernier d’Ainielle, je ne suis pas fou, pas plus que je ne me sens condamné. Sauf si c’est folie de rester fidèle jusqu’à la mort à sa mémoire, à sa maison, sauf si on peut considérer comme une véritable condamnation l’oubli où ils m’ont tenu eux-mêmes. ” (17, page 132) La structure du roman est circulaire. Le chapitre final n° 20 renvoie au n° 1. La dernière phrase est magique: ” Et que la nuit aille à la nuit.” ( “La noche queda para quien es.”). Cette phrase ambiguë, mélange de castillan et de galicien (“A noite queda para quien es”) fut prononcée par une femme, María Brañas Vidal (María de Ruidelamas, hameau qui se trouve dans les montagnes séparant León et la Galice). L’auteur l’avait rencontrée lors d’un reportage de commande sur la vie dans les villages du centre de l’Espagne, isolés par les tempêtes de neige. Elle est décédée il y a peu, à plus de 101 ans. (“¿Para quién queda la noche: para los lobos, para el diablo, para los ladrones, para las almas en pena?”). L’écriture de l’ensemble du livre est très belle. N’oublions pas que Julio Llamazares s’est d’abord fait connaître par ses deux recueils de poèmes : La lentitud de los bueyes (Hiperión, 1979) et Memoria de la nieve (Hiperón, 1982). Ils ont été traduits en français par Bernard Lesfargues : La Lenteur des bœufs (suivi de) Mémoire de la neige, édition bilingue, Église-Neuve d’Issac, Fédérop, 1995.
Julio Llamazares écrit régulièrement dans la presse espagnole, particulièrement dans le journal El País.
La memoria histórica de un país es su literatura (El País, 14/02/2015)
“Saber que España es después de Camboya el país con más muertos en las cunetas debería hacernos pensar. Memoria histórica es una redundancia. La memoria histórica de un país es su literatura, y su arte. Se ha reducido a la Guerra Civil, pero memoria histórica también son los pantanos, la expulsión de los judíos… Estar en contra de la memoria es como estar en contra de pensar o de soñar. Te pueden obligar a todo menos a no recordar, o a recordar. La vida se resume en una lucha entre memoria y olvido, y el trabajo de los escritores es recuperar todo lo que puedas del peso del olvido.”
Je lis toujours la correspondance de Federico García Lorca. On n’y trouve qu’une seule lettre adressée à Miguel Hernández. Les deux grands poètes espagnols, qui moururent si tragiquement, se connaissaient, mais ne s’appréciaient guère. Perito en lunas, le premier recueil de Miguel Hernández, imprimé le 20 janvier 1933, connut un succès limité. Federico et Miguel se rencontrèrent pour la première fois à Murcie le 2 janvier 1933 chez Raimundo de los Reyes, éditeur et directeur du journal La Verdad de Murcia (Calle de la Merced número 2). Federico, déjà très célèbre, était alors en tournée dans cette région avec la troupe universitaire de LaBarraca. Il apprécia certains poèmes de Perito en lunas. Les deux poètes échangèrent leurs adresses. Miguel Hernández écrivit une première lettre, le 10 avril 1933, se plaignant du manque d’écho que recevait son recueil. Federico lui répondit probablement à la fin du mois. C’est la seule lettre que nous connaissions de Federico à Miguel. Il lui promit son aide, mais émettait aussi certaines réserves. Il lui demanda d’être plus patient. Miguel lui répondit le 30 mai 1933. Il lui écrivit à nouveau en décembre 1934 et le 1 février 1935. Il lui faisait part de ses difficultés économiques. Federico ne l’aimait pas. Il ne répondit à aucune de ces lettres. Par la suite, il évitait de le rencontrer. En revanche, Vicente Aleixandre et Pablo Neruda établirent avec le poète d’Orihuela une très forte amitié. María Zambrano dans un chapitre de son livre, Andalucía, sueño y realidad, affirme: “Toda aquella pléyade de poetas lo acogió como mejor podía, con excepción de un poeta prometido al sacrificio en modo fulgurante, que experimentaba una especie de alergia por su presencia personal. Y de ello poco supe, pues Miguel acusaba la tristeza, mas no la causa.” On peut dire qu’aussi bien Federico García Lorca que Luis Cernuda, poètes raffinés et d’origine bourgeoise, supportaient mal la rudesse de Miguel Hernández, d’origine paysanne, portant toujours un pantalon de velours et des espadrilles. En 1937, néanmoins, dans Viento del pueblo, ce dernier publia un hommage au poète de Grenade : Elegíaprimera (A Federico García Lorca, poeta).
Federico García Lorca a Miguel Hernández
[abril de 1933]
Mi querido poeta: No te he olvidado. Pero vivo mucho y la pluma de las cartas se me va de las manos. Me acuerdo mucho de ti porque sé que sufres con esas gentes puercas que te rodean y me apeno de ver tu fuerza vital y luminosa encerrada en el corral y dándose topetazos por las paredes. Pero así aprendes. Así aprenderás a superarte, en ese terrible aprendizaje que te está dando la vida. Tu libro está en el silencio, como todos los primeros libros, como mi primer libro, que tanto encanto y tanta fuerza tenía. Escribe, lee, estudia. ¡LUCHA! No seas vanidoso de tu obra. Tu libro es fuerte, tiene muchas cosas de interés y revela a los buenos ojos pasión de hombre, pero no tiene más cojones, como tú dices, que los de casi todos los poetas consagrados. Cálmate. Hoy se hace en España la más hermosa poesía de Europa. Pero por otra parte la gente es injusta. No se merece Perito en Lunas ese silencio estúpido, no. Merece la atención y el estímulo y el amor de los buenos. Ése lo tienes y lo tendrás porque tienes la sangre de poeta, y hasta cuando en tu carta protestas tienes en medio de cosas brutales (que me gustan) la ternura de tu luminoso y atormentado corazón. Yo quisiera que pudieras superarte de la obsesión de esa obsesión de poeta incomprendido por otra obsesión más generosa política y poética. Escríbeme. Yo quiero hablar con algunos amigos para ver si se ocupan de Perito en lunas. Los libros de versos, querido Miguel, caminan muy lentamente. Yo te comprendo perfectamente y te mando un abrazo mío fraternal, lleno de cariño y de camaradería.
Federico
(Escríbeme) T/C/ Alcalá, 102.
Federico García Lorca a Miguel Hernández
[Première moitié de 1933]
Mon cher poète,
Je ne t’ai pas oublié. Mais je vis intensément et devant une feuille la plume me tombe des mains. Je pense beaucoup à toi parce que je sais que tu souffres à cause des dégoûtants personnages qui t’entourent et je suis navré de voir ta lumineuse force vitale tenue captive et qui se cogne la tête aux murs. Mais ainsi tu apprends. Tu apprends à te dépasser, dans ce terrible apprentissage que la vie t’impose. Ton livre est dans le silence, comme mon premier livre qui avait tant de charme et tant de force. Écris, lis, étudie. Lutte ! Ne sois pas vaniteux de ton œuvre. Ton livre est fort, intéressant en bien des endroits, et révèle aux yeux avertis une passion d’homme (des couilles, comme tu dis) mais pas plus que la majorité des poètes consacrés. Calme-toi. Aujourd’hui on écrit en Espagne la plus belle poésie d’Europe. Mais d’autre part les gens sont injustes. Ton Perito de Lunas ne mérite pas ce silence stupide, non. Il mérite l’attention, les encouragements et l’amour des meilleurs. Tu les as et tu les auras parce que tu es poète dans le sang, et même lorsque tu protestes dans ta lettre avec une brutalité – qui me plaît – on sent la tendresse de ton coeur lumineux et tourmenté. J’aimerais que tu puisses dominer cette obsession de poète incompris au moyen d’une autre obsession plus généreuse, politique ou poétique. Écris-moi. Je vais demander à quelques amis de s’occuper de ton recueil. Les livres de vers, mon cher Miguel, font leur chemin bien lentement. Je te comprends parfaitement et t’envoie une accolade fraternelle pleine d’affection et de camaraderie.
Je continue ma lecture de la correspondance de Federico García Lorca. Elle a été publiée chez Cátedra en 1997 par Christopher Maurer et Andrew A.Anderson. André Belamich a présenté une sélection de lettres dans le tome I des Oeuvres complètes du poète andalou dans la Bibliothèque de la Pléiade en 1981. Je ne trouve pas la traduction excellente. Le biographe Ian Gibson se plaint de la perte des lettres de García Lorca à Lorenzo Martínez Fuset, Emilio Aladrén et José María García Carrillo, qui ont peut-être été détruites par leurs familles respectives. C’est le cas aussi de la plus grande partie des lettres de Federico à Rafael Rodríguez Rapún et Adolfo Salazar ainsi que presque toutes celles qu’il a envoyées à Salvador Dalí. Les destructions de la guerre civile et l’exil des républicains sont aussi responsables de cet état de fait. Néanmoins, il en reste beaucoup et certaines sont très belles. je prendrai comme exemple celle que le chanteur de flamenco Miguel Poveda a chanté : Carta A Regino Sainz De La Maza (Adaptación).
Carta de Federico García Lorca a Regino Sáinz de la Maza
[¿fragmento ?]
[Membrete:] Centro Artístico
Granada, 16 [¿septiembre? ¿1922?]
Por pereza y nada más que por pereza no he contestado a tu carta; soy, pues, un sinvergüenza y un mal amigo. Yo me levantaba todas las mañanas muy triste y me iba a dar un paseo por esta maravillosa Granada, volvía a comer, me ponía a estudiar y así me sorprendía la tarde. ¿Quién escribe a los amigos por la tarde…? Yo creo que esta disculpa es suficiente para un artista como tú pero ten la completa seguridad que te recuerdo con mucha alegría y tu fantasma va ligado a tres cosas absurdas, pero que yo me explico subconscientemente: una minúscula, unos tufos débiles, y unos bacilos de Koch en caricatura. Otro día te explicaré esto. Ahora he descubierto una cosa terrible (no se lo digas a nadie) Yo no he nacido todavía. El otro día observaba atentamente mi pasado (estaba sentado en la poltrona de mi abuelo) y ninguna de las horas muertas me pertenecían porque no era yo el que las había vivido, ni las horas de amor, ni las horas de odio, ni las horas de inspiración. Había mil Federicos Garcías Lorcas, tendidos para siempre en el desván del tiempo; y en el almacén del porvenir, contemplé otros mil Federicos Garcías Lorcas muy planchaditos, unos sobre otros, esperando que los llenasen de gas para volar sin dirección. Fue en ese momento un momento terrible de miedo, mi mamá Doña Muerte me había dado la llave del tiempo, y por un instante lo comprendí todo. Yo vivo de prestado, lo que tengo dentro no es mío, veremos a ver si nazco. Mi alma está absolutamente sin abrir. ¡Con razón creo algunas veces que tengo el corazón de lata! En resumen, querido Regino, ahora estoy muy triste y aburrido de mi interior postizo. Yo espero carta tuya enseguida y sin retintines, no te creo vengativo.
Un abrazo efusivo y enorme.
Federico.
Alcalde me dice ahora mismo que recibió carta tuya despidiéndote de los amigos ; a mí m da mucha tristeza el ver que no me nombras. Perdóname que no te haya escrito, pero te aseguro que te llevo tendido dentro de mi corazón. Contéstame, pues. No seas vengativo, te vuelvo a repetir. ¡Si vieras cómo está la sierra! Toda roja, y la vega que se divisa dsede estos balcones toda en sombra. Que estudies mucho y que no té estés donde la piltra.
Mi hermano te da sus cinco dedos de hombre fuerte desde aquí. Adiós, guitarrista. Acuérdate de mí.
Epistolario completo, Cátedra, 1997.
Regino Sáinz de la Maza (1896-1981) est un guitariste et musicien espagnol. il est né à Burgos et a connu García Lorca à la Residencia de Estudiantes de Madrid en 1920. La même année, le poète consacre au guitariste son premier “hommage” (Oeuvres complètes p. 803-805). Il lui dédie les “six caprices ” du Poema del cante jondo (p.161-163). Ils passent quelque temps ensemble à Cadaqués chez Salvador Dalí pendant l’été 1927. Plus tard, ils sont voisins à Madrid. Federico et son frère Francisco fréquentent régulièrement le domicile du musicien et de sa femme Josefina de la Serna y Espina, fille de la romancière Concha Espina (1869-1955), calle Ayala. Le musicien collabore avec de nombreux compositeurs comme Manuel de Falla et Joaquín Rodrigo. Celui-ci lui dédie son célèbre Concierto de Aranjuez que Regino Sáinz de la Maza créé avec grand succès à Barcelone le 9 novembre 1940 puis à Madrid quelques jours plus tard (11 décembre 1940). C’est encore lui qui en grave le premier enregistrement en 1948 sous la direction du chef d’orchestre Ataúlfo Argenta.
A Regino Sáinz de la Maza
Centro Artístico
[Grenade, été 1921?]
C’est la paresse et rien que la paresse qui m’a retenu de répondre à ta lettre ; je suis donc une canaille et un mauvais ami. Je me levais chaque matin tout triste, j’allais faire un tour dans cette merveilleuse Grenade, je rentrais manger, je me mettais à étudier et le soir me surprenait ainsi. Or qui écrit à ses amis le soir ?… Je crois que cette excuse est suffisante pour un artiste comme toi, mais sois bien assuré que je me souviens de toi avec beaucoup de joie : ton fantôme est associé à trois choses absurdes, mais que je m’explique inconsciemment, une minuscule, de faibles exhalaisons et des bacilles de Koch en caricature. Un autre jour je t’expliquerai ça. J’ai découvert une chose terrible ( ne le dis à personne ). Je ne suis pas encore né. L’autre jour j’observais attentivement mon passé ( j’étais assis dans le fauteuil de mon grand-père ) et aucune des heures mortes ne m’appartenait parce que ce n’était pas Moi qui les avait vécues, ni les heures d’amour, ni les heures de haine, ni les heures d’inspiration. Il y avait mille Federico García Lorca étendus pour toujours dans le grenier du temps et l’entrepôt de l’avenir, je contemplai mille autres Federico García Lorca tout repassés, les uns sur les autres et qui attendaient qu’on les emplit de gaz pour s’envoler sans direction. Ce fut alors un moment terrible de peur, ma maman Madame la Mort m’avait donné la clé du temps et durant un instant je compris tout. Je vis par procuration, ce que j’ai en moi n’est pas à moi, nous verrons bien si je nais. Mon âme est absolument inéclose. J’ai raison de croire parfois que j’ai un coeur de fer-blanc ! En résumé, cher Regino, à présent je suis triste et ennuyé de mon intérieur postiche. J’attends ta lettre tout de suite et sans sous-entendus, je ne crois pas vindicatif.
Une énorme accolade pleine d’effusion.
Federico.
Alcalde me dit à l’instant qu’il a reçu une lettre de toi où tu salues les amis; je suis très triste de voir que tu ne me nommes pas. Pardonne-moi de ne t’avoir pas écrit, mais je t’assure que tu as une place dans mon coeur. Réponds-moi donc. Ne sois pas vindicatif, je te répète. Si tu voyais comme la montagne est belle ! Toute rouge et la Véga que l’on distingue de ces balcons toute dans l’ombre. Étudie beaucoup, ne reste pas au plumard – Grenade le 16. – Mon frère te donne ses cinq doigts d’homme fort. Au revoir, guitariste. Souviens-toi de moi.
Œuvres complètes I. Bibliothèque de la Pléiade. NRF Gallimard. Traduction André Belamich.
Federico García Lorca resta à Cuba 3 mois, du 7 mars au 12 juin 1930, 98 jours exactement. Sa vie dans l’île fut si intense qu’il n’envoya à sa famille que deux lettres et une carte. Son séjour marqua un vrai tournant dans sa vie d’homme et d’écrivain. Il embarqua pour Cadix le 12 juin 2022. il dit alors à ses amis: “Yo hago falta en España” (On a besoin de moi en Espagne).
Federico García Lorca. Epistolario completo, Cátedra, 1997.
A su familia
[Membrete :] Hotel La Unión de Francisco Suárez y Ca. Habana.
La Habana, 8 de marzo 1930
Queridísimos padres: Como veréis por mis cables, ya me encuentro en La Habana dispuesto para actuar de conferenciante. Últimamente he trabajado mucho y me he descuidado unos días en escribiros. Pero ahora ya gracias a Dios lo hago con la gana y la alegría de siempre. La llegada a La Habana ha sido un acontecimiento, ya que esta gente es exagerada como pocas. Pero La Habana es una maravilla, tanto la vieja como la moderna. Es una mezcla de Málaga y Cádiz, pero mucho más animada y relajada por el trópico. El ritmo de la ciudad es acariciador, suave, sensualísimo, y lleno de un encanto que es absolutamente español, mejor dicho, andaluz. Habana es fundamentalmente española, pero de lo más característico y más profundo de nuestra civilización. Yo naturalmente me encuentro como en mi casa. Ya vosotros sabéis lo que a mí me gusta Málaga, y esto es mucho más rico y variado. Por ahora no sé deciros más. A cada momento tengo la impresión de encontrarme a los amigos detrás de la esquina y a cada momento tengo que pensar que estoy en el mar Caribe, en las hermosísimas Antillas, para no hacerme en Vélez o en Motril. El mar es prodigioso de colores y luz. Se parece al Mediterráneo aunque es más violento de matices. Yo he hecho el viaje por tren, y así que he atravesado los Estados Unidos, Norte y Sur Carolina, Georgia, Charleston y Florida. En Florida me he detenido un día con mi migo [Fernando] Belaúnde-[Terry], importante desterrado político del Perú que vive en Miami, y con un pianista Julián Decrey (?) americano y gran intérprete y especialista en Bach. Miami es un esfuerzo del hombre que solamente los americanos pueden conseguir. La playa es la más grande del mundo, naturalmente, y funciona principalmente en invierno, ya que la temperatura es siempre 20 grados. Ahora está llena de millonarios y el espectáculo de la playa llena de sombrillas de colores, automóviles y mujeres desnudas es una de las cosas de más lujo que se pueden ver. Al lado está ¡ Coral Gables !, la que conoceréis a través del imbécil [Haro] Molina que creo vive aquí. Yo me reía lo grande de pensar que estaba en Coral Gables, Córal Gueibls que pronuncian los americanos. Esta ciudad es una ciudad jardín que ha sido un desastre económico para su fundador, ya que está un poco alejada del mar y junto a Miami, que lo tiene todo. Yo comí en Coral con unos americanos. Miami es de un clima insospechado, sobre todo viniendo de New York ; del esfuerzo que aquí han hecho los americanos basta deciros que han construido 40 islas artificiales magníficas para hacer en ellas sus palacios, todas cruzadas de canales por donde corren yates blancos con las banderitas americanas. A mi paso por Miami me vino a ver el presidente de la Universidad, y tuve por la tarde que dar una pequeña charla improvisada a los alumnos de español, donde no sé qué cosas dije, pero en Norteamérica da lo mismo decir una cosa que otra, ya que con ligeras excepciones son algo tontos. En este momento he tenido en el cuarto del hotel una visita. Ya se ha ido y al sentarme recibo vuestro cable. Me ha producido una alegría muy grande saber que estáis buenos, gracias a Dios. Así se hace. Muy bien. ¡Son tantas las cosas que tengo que contaros! Mañana es mi primera conferencia, en el teatro de la Comedia. Será el público más numeroso de mi vida seguramente hasta ahora, pero estoy seguro de mi actuación. Mañana escribiré anunciando cómo ha ido y mandando periódicos. Estoy muy bien de salud. Yo espero que vosotros también. Recibid besos y abrazos de vuestro hijo.
Federico (otra visita)
No tuve tiempo de escribiros desde New York, contando las noticias de mi recepción de Columbia University. Resultó admirablemente. Onís hizo un discurso y fue en suma muy agradable. Yo pronuncié una conferenecia de las que tengo y cumplí mi cometido. Os envío para que las guardáis dos invitaciones y el recorte del periódico de New York, La Prensa, que dirige el hermano de Zenobia [Camprubí] la de Juan Ramón [Jiménez]. Aunque algo retrasadas más vale tarde que nunca, y casi no quería enviaros esto por el retrato. El retrato está hecho por un fotógrafo amigo mío el día antes y es cosa pésima. Aparezco más feo de lo que soy en realidad. Ya veis : dos días antes de venirme de New York dio Sánchez Mejías una preciosa confrencia de toros y yo le presenté. Una señora (« vieja naturalmente », en New York no hay más que viejas) me dijo : «¡Qué guapo estaba usted, estaba vestido de smokin!, y en el retrato que os mando estoy feísimo…y no soy…soy algo…pero no demasiado. También el día antes de venirme fui el padrino del hijo de Onís a quien bautizamos yo de compadre y la Argentinita de comadre. Una comadre graciosísima que iba con mantilla negra que era una monería. El niño a quien bautizamos tiene dos años y medio, y cuando le echaron la sal dijo « está muy buena » y se relamía. Es un niño hermosísimo a quien le he puesto Juan Federico por mí y por su padre. Yo como es costumbre pagué el bautizo y ahora le compraré una medalla a mi nuevo ahijado. La salida de New York ha sido sentida por mí porque ya tengo una sociedad de amigos verdaderamente encantadora. En La Habana me he encontrado a [José María] Chacón y [Calvo] que, como sabéis, pertenece a una de las más linajudas familias de Cuba. Fue él quien me hizo poner el cable «que estaba con él», «para que tus padres sepan que estás aquí con viejas y verdaderas amistades.» Abrazos, besos.
Federico
A su familia
[Membrete :] Hotel La Unión de Francisco Suárez y Ca. Habana.
La Habana, 5 abril 1930
Queridísimos padres: Mis conferencias se están desarrollando con un éxito muy grande para mí. Mañana doy la del cante jondo con ilsutraciones de discos de gramófono. La de las canciones de cuna resultó un éxito enorme. Yo toqué el piano, y cantó de modo admirable la joven actriz española María Tubau, sobrina de la antigua de mismo nombre. Para la del cante jondo hay mucha expectación. Mucha gente se ha hecho socia, y los que no, me han pedido invitaciones que me es imposible atender. He dado invitaciones a dos muchachos marineros nacidos en Sevilla que vinieron al hotel, y a una vendedora de lotería de Córdoba, vieja y antigua cantante de café. Yo he escrito une nueva conferencia sobre este tema que creo es muy sugestiva y muy polémica. Yo he estado en dos pueblos de la isla, Sagua [la Grande] y Caibarién, donde asistí a una cacería de cocodrilos. Os estoy viendo con los ojos abiertos de par en par. Pero es así. Y pasé uno de los ratos mejores de mi vida…y un miedo bastante confortable, porque de todos modos la cosa tiene peligro. Vi cocodrilos de cuatro y seis metros de largo en cantidades fabulosas. La ciénaga de Zapata es un sitio cubierto por esta clase de animalitos. Hay fábricas de pieles y una industria del cocodrilo. Fue una excursión divertida y emocionante…emocionante porque si la barca se vira no lo contamos más. De todas formas, yo estuve muy bien y mis acompañantes elogiaron lo que ellos llamaban mi sangre fría. Yo, siguiendo mi costumbre, no intervine en la cacería, sino que estuve de espectador. Y hubo un momento precioso cuando vi a cuarenta o cincuenta monstruos echarse asustados en el agua. Una bonita experiencia. Ya os mandaré los periódicos, pero sólo el recortar las cosas que se han escrito y se están escribiendo tardaría tres o cuatro horas. Algunas cosas muy bien, y todas demasiado cariñosas. La prueba del éxito que he tenido es que hoy voy a dar más conferencias que lo que pensé. Anteayer me ofrecieron un té las damas distinguidas de La Habana en un Lyceum Club. Allí vi las mujeres más hermosas del mundo. Esta isla tiene más bellezas femeninas de tipo original, debido a las gotas de sangre negra que llevan todos los cubanos. Y cuanto más negro, mejor. La mulata es la mujer superior aquí en belleza y en distinción y en delicadeza.
Esta isla es un paraíso. Cuba. Si yo me pierdo, que me busquen en Andalucía o en Cuba. El otro día entré en un gran patio colonial barroco, lleno de azulejos y fuentes, y me puse a conversar con unos niños negros muy pobres, a los que di monedas ; cuando me iba a retirar, la madre de estos niños, una negraza inmensa y bondadosa, me ofreció una taza de café que hube de aceptar y que bebí rodeado por toda la negrería. Ya supondréis lo agasajado que estoy siendo, pero yo dejo muchas veces a todos y me voy solo por La Habana hablando con la gente y viendo la vida de la ciudad. [José María] Chacón [y Calvo] se porta estupendamente conmigo. Él y dos amigos más me han acompañado a Sagua, y en Caibarién fue Chacón quien me presentó al público. No olvidéis vosotros que en América ser poeta es algo más que ser príncipe en Europa. Sigo muy bien. Abrazos a todos. Besos a todos. Y para vosotros, besos también de vuestro hijo y hermano.
Federico
A su familia
[al dorso de una fotografía]
[Cuba, primavera 1930]
Con este fondo admirable de caña bravas estoy ya, como dicen los periódicos de Cuba, «aplatanado». Mañana me dedicaré a recortar con tijeras los artículos para enviaros y las revistas. Todos los días leo la situación de España con gran interés. Aquello es un volcán. Estuve en casa del músico [Eduardo] Sánchez de Fuentes, que es autor de la habanera «Tú», que me cantabais de niño, «La palma que en el bosque se mece gentil», y dedicó un ejemplar para mamá. Conservarse buenos. Yo lo estoy. Abrazos y besos de vuestro hijo y hermano.
Federico
¡Besos y abrazos a Manolo [Fernández-Montesinos].
Á sa famille
[Cuba, printemps 1930].
Sur ce fond admirable de cannes sauvages me voici, comme disent les journaux de Cuba, « créolisé ». Demain je m’emploierai à découper avec des ciseaux les articles pour vous les envoyer ainsi que les revues. Tous les jours je lis la situation de l’Espagne avec un grand intérêt. C’est un volcan. J’ai été chez le musicien Sánchez de Fuentes, qui est l’auteur de la habanera « Toi » que vous me chantiez quand j’étais petit : « La palme qui dans le bois se berce doucement », et il en a dédié un exemplaire pour maman. Conservez-vous en bonne santé. Moi je vais bien. Accolades et baisers de votre fils et frère, Federico.
Baisers et accolades à Manolo.
Œuvres complètes I. Bibliothèque de la Pléiade. NRF Gallimard. Traduction André Belamich.
Le poète Rafael Cadenas a obtenu le Prix Cervantès 2022. Il s’agit de la plus prestigieuse récompense littéraire en langue espagnole. C’est la première fois qu’un écrivain vénézuelien est primé.
Rafael Cadenas, poète, essayiste et professeur, est né le 8 avril 1930 à Barquisimeto (État de Lara – Vénezuela). Militant du Parti Communiste du Vénézuela, il a connu la prison à l’époque de la dictature de Marcos Pérez Jiménez (1952-1958). Il a dû s’exiler à Trinidad de 1952 à 1957. Il a fait partie du groupe politique et culturel Tabla Redonda au début des années 60. Il a été professeur à l’Université Centrale du Venezuela. Ses recueils Cuadernosdel destierro (1960) et Falsas maniobras (1966) ont été marquants dans son pays et en Amérique Latine. Dans le second figure son poème le plus célèbre, Derrota, écrit en 1963. C’est le portrait de toute une génération d’intellectuels latino-américains engagés à gauche. Ses œuvres complètes (Obra entera: Poesia y prosa, 1958-1995 ) ont été publiées en 2000 au Mexique par El Fondo de Cultura Económica et en Espagne en 2007 par Pre-textos. Il s’est toujours montré critique face au régime instauré dans son pays par Hugo Chávez (1999-2013) et son successeur Nicolás Maduro. C’est un symbole vivant pour la société vénézuelienne démocratique. Cinq millions de vénézueliens ont choisi l’exil. Le poète est resté et vit toujours à Caracas. Il a toujours manifesté contre la répression du régime, en particulier en 2014 .
Prix national de littérature de son pays (1985) Prix FIL des langues romanes de Guadalajara (Mexique) (2009) Prix International de Poésie Ville de Grenade Federico García Lorca en Espagne (2015). Prix Reina Sofía de Poesie Ibéroamericaine (2018)
Fracaso
Cuanto he tomado por victoria es sólo humo.
Fracaso, lenguaje del fondo, pista de otro espacio más exigente, difícil de entreleer es tu letra.
Cuando ponías tu marca en mi frente, jamás pensé en el mensaje que traías, más precioso que todos los triunfos. Tu llameante rostro me ha perseguido y yo no supe que era para salvarme. Por mi bien me has relegado a los rincones, me negaste fáciles éxitos, me has quitado salidas. Era a mí a quien querías defender no otorgándome brillo. De puro amor por mí has manejado el vacío que tantas noches me ha hecho hablar afiebrado a una ausente. Por protegerme cediste el paso a otros, has hecho que una mujer prefiera a alguien más resuelto, me desplazaste de oficios suicidas.
Tú siempre has venido al quite.
Sí, tu cuerpo, escupido, odioso, me ha recibido en mi más pura forma para entregarme a la nitidez del desierto. Por locura te maldije, te he maltratado, blasfemé contra ti.
Tú no existes. Has sido inventado por la delirante soberbia. ¡Cuánto te debo! Me levantaste a un nuevo rango limpiándome con una esponja áspera, lanzándome a mi verdadero campo de batalla, cediéndome las armas que el triunfo abandona. Me has conducido de la mano a la única agua que me refleja. Por ti yo no conozco la angustia de representar un papel, mantenerme a la fuerza en un escalón, trepar con esfuerzos propios, reñir por jerarquías, inflarme hasta reventar. Me has hecho humilde, silencioso y rebelde. Yo no te canto por lo que eres, sino por lo que no me has dejado ser. Por no darme otra vida. Por haberme ceñido.
Me has brindado sólo desnudez.
Cierto que me enseñaste con dureza ¡y tú mismo traías el cauterio!, pero también me diste la alegría de no temerte.
Gracias por quitarme espesor a cambio de una letra gruesa. Gracias a ti que me has privado de hinchazones. Gracias por la riqueza a que me has obligado. Gracias por construir con barro mi morada. Gracias por apartarme. Gracias.
Falsas maniobras 1966.
Échec
Tout ce que j’ai cru victoire n’est que fumée.
Échec, langue de fond, piste d’un autre espace plus exigeant, difficile de lire entre tes lignes.
Quand tu mettais ta marque sur mon front, jamais je n’aurais imaginé que tu m’apportais un message plus précieux que tous les triomphes. Ta face flamboyante m’a poursuivi et moi je n’ai pas su que c’était pour me sauver. Pour mon bien tu m’as remisé dans les coins, refusé les succès faciles, fermé les issues. C’est moi que tu voulais défendre en m’empêchant de briller. Par pur amour pour moi tu as modelé le vide qui, durant des nuits enfiévrées, m’a fait parler à une absente. Si tu as toujours donné priorité aux autres, si tu t’es arrangé pour qu’une femme me préfère un homme plus décidé, si tu m’as licencié de postes suicidaires, c’était pour me protéger.
Tu es toujours intervenu à temps.
Qui, ton corps couvert de plaies, de crachats, ton corps odieux m’a reçu dans ma plus simple forme pour me livrer à la transparence du désert. C’est folie de t’avoir maudit, maltraité, de t’avoir blasphémé.
Tu n’existes pas. Un orgueil délirant t’a inventé. Je te dois tant ! En me nettoyant avec une éponge rêche, en me lançant sur mon vrai champ de bataille, en me donnant les armes que le triomphe dédaigne, tu m’as levé au dessus de la mêlée. Tu m’as pris par la main et conduit à la seule eau qui puisse me refléter. Grace à toi je ne connais pas l’angoisse de jouer un rôle, de m’accrocher à tout prix à un échelon, de me faire pistonner à la force du poignet, de me battre pour arriver plus haut, de me gonfler jusqu’à éclater. Tu m’as fait humble, silencieux, rebelle. Je ne te chante pas pour ce que tu es, mais pour ce que tu ne m’ as pas laissé être. Pour ne m’avoir donné que cette vie-là. Pour m’ avoir restreint.
Tu m’as seulement offert la nudité.
Tu m’as élevé à la dure, c’est vrai. Mais toi-même apportais le cautère. Et le bonheur de ne pas te craindre.
Merci de m’ enlever de l’ épaisseur en l’ échangeant contre des caractères gras. Merci à toi de m’avoir privé d’enflures. Merci pour la richesse à laquelle tu m’as contraint. Merci d’avoir construit ma demeure avec de la boue. Merci de m’écarter. Merci.
( Je remercie la Fundación Española Antonio Machado Soria-Madrid)
Antonio Machado, professeur de français à Baeza (Andalousie) écrit le 21 février 1915 ce poème. Son maître, Francisco Giner de los Ríos, fondateur de l’Institution libre d’enseignement ( LaInstitución Libre de Enseñanza ) vient de mourir à Madrid le 17 février. Le poète a toujours été passionnée par la pédagogie comme on peut le voir dans Juan de Mairena, Sentencias, donaires, apuntes y recuerdos de un profesor apócrifo, publié en 1936 (Juan de Mairena, Sentences, Mots d’esprit, Notes et souvenirs d’un profeseur apocryphe. Gallimard, 1955). L’auteur du livre est censé être un professeur, Juan de Mairena, disciple d’un philosophe, Abel Martín. Il s’adresse à des étudiants qui tantôt écoutent, tantôt participent, avec plus ou moins de maladresse. Juan de Mairena, Abel Martín, sont des personnages imaginaires, des hétéronymes d’Antonio Machado. Cela permet à l’auteur de traiter de sujets divers avec humour et scepticisme. Le combat contre l’ignorance a toujours été une des priorités de sa vie.
Francisco Giner de los Ríos (1839-1915) a, lui, consacré toute sa vie à mettre en pratique les principes pédagogiques de LaInstitución Libre de Enseñanza qu’il a créée en 1876 : formation d’hommes utiles à la société, mais surtout d’hommes capables d’avoir un idéal ; éducation et reconnaissance explicite de la femme sur un pied d’égalité avec l’homme ; rationalisme, liberté d’éducation et de recherche, liberté de textes et suppression des examens ne supposant qu’un travail de mémorisation. Une école active, neutre et non dogmatique, reposant sur la méthode scientifique et visant à la formation d’hommes complets, ouverts à tous les domaines du savoir humain. Il a dû s’opposer à l’Église et à tous les conservatismes. La dictature franquiste s’est acharnée contre ses disciples.
ADon Francisco Giner de los Ríos ( Antonio Machado )
Como se fue el maestro, la luz de esta mañana me dijo: Van tres días que mi hermano Francisco no trabaja. ¿Murió? . . . Sólo sabemos que se nos fue por una senda clara, diciéndonos: Hacedme un duelo de labores y esperanzas. Sed buenos y no más, sed lo que he sido entre vosotros: alma. Vivid, la vida sigue, los muertos mueren y las sombras pasan; lleva quien deja y vive el que ha vivido. ¡Yunques, sonad; enmudeced, campanas!
Y hacia otra luz más pura partió el hermano de la luz del alba, del sol de los talleres, el viejo alegre de la vida santa. . . . Oh, sí, llevad, amigos, su cuerpo a la montaña, a los azules montes del ancho Guadarrama. Allí hay barrancos hondos de pinos verdes donde el viento canta. Su corazón repose bajo una encina casta, en tierra de tomillos, donde juegan mariposas doradas . . . Allí el maestro un día soñaba un nuevo florecer de España.
Baeza, 21 febrero 1915
Campos de Castilla.
A Don Francisco Giner de los Ríos
Comme le maître s’en est allé, la lumière de ce matin m’a dit : voici trois jours que mon frère François ne travaille plus. Est-il mort ?…Nous savons seulement qu’il nous a quittés par un clair sentier, en nous disant : menez pour moi un deuil de labeurs et d’espoirs. Soyez bons, et c’est tout, soyez ce que je fus parmi vous : une âme. Vivez, la vie continue, les morts se meurent et les ombres passent ; qui laisse emporte et vit qui a vécu. Enclumes, résonnez ; cloches, faites silence !
Et vers une autre lumière plus pure est parti le frère de la lumière de l’aube, du soleil des ateliers, le vieillard joyeux à la sainte vie. … Oh ! Oui, portez, mes amis, son corps sur la montagne, sur les monts bleus du large Guadarrama. Il y a là de profonds ravins emplis de pins verts où chante le vent. Que son coeur repose sous un chaste chêne-vert, parmi les champs de thym, où folâtrent des papillons dorés… c’est là qu’un jour le maître rêvait d’un nouvel essor de l’Espagne.
Champs de Castille précédé de Solitudes, Galeries et autres poèmes et suivi des Poésiesde la guerre. 2004. Traduction de Sylvie Léger et Bernard Sesé. NRF Poésie/ Gallimard n°144.
La sierra de Guadarrama, massif montagneux entre Ségovie et Madrid, est longue d’environ 80 kilomètres. Elle sert de division naturelle entre les deux plateaux qui constituent le centre de la péninsule Ibérique (la Meseta central). Le pic de Peñalara s’élève à 2 430 mètres.
Le directeur de La Institución Libre de Enseñanza, Francisco Giner de los Ríos, et ses disciples Constancio Bernaldo de Quirós et Manuel Bartolomé Cossío ont contribué à la découverte de la sierra et à sa protection. En 1880 est fondée la Sociedad para el Estudio del Guadarrama. En 1883 commencent les premières excursions pédagogiques de l’Institution libre d’enseignement. En 1913 Constancio Bernaldo de Quirós fonde la société des amis de Peñalara et publie de nombreux livres sur ces montagnes. C’est ainsi que s’est développée chez les intellectuels espagnols de l’époque l’amour des montagnes. Antonio Machado consacre de nombreux poèmes à cette sierra de Guadarrama ainsi que Vicente Aleixandre, Rafael Alberti ou Leopoldo María Panero. Le parc national de la Sierra de Guadarrama a été créé en juin 2013. Il a une superficie de 339 km².