Ossip Mandelstam

Ossip Mandelstam photographié à la Loubianka (Moscou) lors de sa première arrestation, le 17 mai 1934.

(Transmis par Manuel. Gracias, hijo)

Prends dans mes paumes, pour ta joie,
Un peu de soleil et un peu de miel,
Les abeilles de Perséphone nous l’enjoignent.

On ne peut détacher la barque non amarrée,
Ni entendre l’ombre chaussée de fourrure,
Ni vaincre , dans la vie épaisse , la peur.

Il ne nous reste plus que ces baisers
Velus comme les petites abeilles
Qui meurent à la porte de la ruche.

Elles bruissent dans les fourrés limpides de la nuit .
Leur patrie est l’épaisse forêt du Taygète,
Leur aliment : le temps , la bourrache , la menthe.

Prends pour ta joie mon sauvage présent,
Ce pauvre collier sec d’abeilles mortes
Qui ont transformé le miel en soleil .

Tristia, novembre 1920.
Traduction de Philippe Jaccottet. Simple promesse, choix de poèmes 1908-1937, traduits par Philippe Jaccottet, Louis Martinez et Jean-Claude Schneider, La Dogana.

Le XX ème siècle et ses poètes…

Ossip Mandelsatam est né à Varsovie le 3 janvier 1891, dans une famille juive originaire de Lettonie. Peu après sa naissance, ses parents s’installent à Saint-Pétersbourg. Son père est gantier et marchand de peaux, sa mère professeur de musique. Entre 1907 et 1910, il passe environ deux ans à l’étranger. Il est en effet interdit d’entrée à l’université de Saint-Petersbourg en raison des quotas limitant les inscriptions d’ étudiants juifs. Il suit pendant un semestre (octobre 1907-mai 1908) à Paris des études médiévales et romanes à la Sorbonne et au collège de France (Cours de Joseph Bédier et d’Henri Bergson). De retour en Russie, il ne termine pas ses études, mais fait la connaissance de Nikolaï Goumeliev, d’Anna Akhmatova, Marina Tsvetaïeva. Il devient un poète célèbre. Á partir de 1925, sa situation devient de plus en plus précaire en URSS. Sa poésie est publiée grâce à l’appui de Nikolaï Boukharine. Il écrit à l’automne 1933 une Épigramme contre Staline, Le Montagnard du Kremlin, “corrupteur des âmes et équarisseur des payasans”. Il est arrêté à Moscou le 16 mai 1934, les autorités ayant eu connaissance de ce texte. Il est emprisonné, puis libéré au bout d’une quinzaine de jours, grâce à l’intervention de Nikolaï Boukharine, d’ Anna Akhmatova et de Boris Pasternak. Il est condamné et assigné à résidence pour trois ans à Tcherdyn, dans la région de Perm (Oural). Il obtient de résider à Voronèje, dans la région des Terres noires, en Russie centrale, à six cents kilomètres au sud de Moscou, jusqu’en avril 1937. Il revient à Moscou, mais est arrêté une nouvelle fois le 28 avril 1938 et condamné à cinq ans de travaux forcés. Il meurt à 47 ans de froid et d’épuisement le 27 décembre 1938 dans le camp de transit 3/10 de la gare de transit Vtoraïa Retchka près de Vladivostok. Son corps est jeté dans une fosse commune.

Varlam Chalamov, Cherry-Brandy, 1958 (Récits de la Kolyma, Verdier 2003. Pages 101-108)

« Il mourut vers le soir. Mais on ne le raya des listes que deux jours plus tard. Pendant deux jours, ses ingénieux voisins parvinrent à toucher la ration du mort lors de la distribution quotidienne de pain : le mort levait le bras comme une marionnette. C’est ainsi qu’il mourut avant la date de sa mort, détail de la plus haute importance pour ses futurs biographes. »

Возьми на радость из моих ладоней
Немного солнца и немного меда,
Как нам велели пчелы Персефоны.

Не отвязать неприкрепленной лодки,
Не услыхать в меха обутой тени,
Не превозмочь в дремучей жизни страха.

Нам остаются только поцелуи,
Мохнатые, как маленькие пчелы,
Что умирают, вылетев из улья.

Они шуршат в прозрачных дебрях ночи,
Их родина – дремучий лес Тайгета,
Их пища – время, медуница, мята.

Возьми ж на радость дикий мой подарок,
Невзрачное сухое ожерелье
Из мертвых пчел, мед превративших в солнце.

Plaque en hommage à Ossip Mandelstam. 12 rue de la Sorbonne (Paris, V), où il vécut en 1907 -1908.

António Lobo Antunes

António Lobo Antunes. 2010.

(Merci à Colette Weibel et à Léon-Marc Lévy)

http://www.lacauselitteraire.fr/le-cul-de-judas-antonio-lobo-antunes-par-leon-marc-levy?fbclid=IwAR0cGLIlED3Io_GczgEweASEmFgYWfokCIQG_Crdle2LhMGfHmh_Qo_ezzo

António Lobo Antunes est né le 1 septembre 1942 à Lisbonne, dans le quartier de Benfica. Il est issu d’une famille de la grande bourgeoisie portugaise. Son père était neurologue. Il avait cinq frères. Il fait des études de médecine et participe en tant que médecin militaire à la guerre d’Angola de janvier 1971 à avril 1973. Cette expérience est centrale dans ses trois premiers romans : Mémoire d’éléphant (1979), Le Cul de Judas (1979) et Connaissance de l’enfer (1980) . Á son retour d’Angola, il se spécialise en psychiatrie. Il exerce à l’hôpital Miguel Lombarda de Lisbonne jusqu’en 1985. Il obtient le prix Camões en 2007. En France, il est publié chez Christian Bourgois et aux Éditions Métailié.

J’ai lu, il y a longtemps, le livre d’entretiens de Maria Luisa Blanco, Conversation avec António Lobo Antunes (Christian Bourgois éditeur, 2004). Je suis allé le rechercher dans ma bibliothèque ainsi que Le cul de Judas.

Quelques citations:

“En ce qui concerne les livres , c’est ceux qui sont les plus simples en apparence qui s’avèrent être les plus difficiles, comme le Quichotte, par exemple. Cervantes est un des écrivains qui me transportent le plus, qui me laissent toujours bouche bée. Sterne, avec son Tristam Shandy, ce roman extraordinaire, est de ceux-là également.” “Les personnages de mes livres me poursuivent, c’est comme si je vivais entouré de fantômes.”

“Les personnages de mes livres me poursuivent, c’est comme si je vivais entouré de fantômes.”

“Quand j’écris, je dois prendre du valium.”

“Je me souviens de l’écrivain Thomas Wolfe: quand il a fait paraître son premier roman, qui était autobiographique, on lui a demandé comment il pouvait présenter ses parents d’une façon aussi brutale. Il a été déconcerté parce qu’il disait qu’à ses yeux c’étaient des gens de valeur, que c’était ce qu’il s’était efforcé de transmettre, et qu’il ne comprenait pas pourquoi les autres l’avaient interprété autrement. Il était réellement déconcerté. C’est un peu la même chose qui se passe pour moi.”

“Pour moi, la guerre a signifié une très grande souffrance, mais elle m’a beaucoup apporté.”

“Vivre, c’est comme écrire, mais sans pouvoir corriger.”

“Dans mon roman Le Cul de Judas, je raconte beaucoup de choses de ma vie en Afrique. je parle d’un missionnaire basque qui s’est présenté en disant: “Je suis basque, et je suis un ami intime de ce salaud de Francisco Franco” et j’ai reproduit la phrase exactement comme il l’avait dite. Il passait son temps à compiler des proverbes et des poèmes oraux qui étaient d’une beauté extraordinaire, et la police politique l’a tué. il appartenait à un ordre missionnaire, et moi j’ai été impressionné, parce que c’était la première fois que j’entendais un curé dire “salaud”. Cet homme était seulement venu pour tenter d’évangéliser les gens de là-bas.”

“Je me sens terriblement orphelin…”

“Je sens que je ne suis de nulle part…”

“…Quand l’inspiration est très abondante, on ne peut pas tout mettre dans un petit récit. et quand on a lu Tchékhov, Cortázar, Katherine Mansfield, qu’est-ce qu’on peut écrire après avoir lu ce qu’ils ont fait ? Ils ont la concision qu’il me manque.”

“Écrire c’est une drogue dure.”

“…mais le lyrisme ibérique est très difficile à traduire. il est très dionysiaque. Comment traduire Lorca ? et certains poèmes de Machado ? il y a de très bons poètes en langue espagnole. Quevedo, par exemple, saint Jean de la Croix. Quels grand poètes ! Il nous laissent sans voix. Moi, au fond, j’aimerais écrire des romans qui soient comme leurs poèmes.”

“Je continue à aller dans les librairies et à en ressortir chargé de livres parce que j’aime tous les livres, même les mauvais. Je lis tout ce qui est imprimé. C’est une boulimie qui m’a accompagné toute ma vie et qui me tient encore.”

Os Cus de Judas est une phrase toute faite qui pourrait se traduire par quelque chose comme “au diable-vauvert”

“Le suicide est une présence constante. Je suis conscient qu’il existe en moi une dimension autodestructrice.”

“Moi, au fond, je suis un puritain.”

“Je me rappelle quels ont été les vainqueurs du Tour de France d’il y a très longtemps…les équipes de foot. Je me dis parfois que j’emmagasine des choses inutiles, mais c’est bon pour écrire parce que c’est avec la mémoire qu’on écrit.”

“J’envie énormément les poètes. Si j’étais capable d’écrire comme Lorca… Personne n’écrit de romans comme moi, mais je suis un poète raté. J’aime Salinas, Cernuda , j’aime les poètes solaires, lyriques, dionysiaques…Mais surtout Federico García Lorca; il m’émeut: “Cómo canta la noche, cómo canta…/ qué espesura de anémonas levanta…” Vous croyez qu’on peut mieux écrire ? Je n’ai pas la veine poétique. Pour moi, la vie , c’est ça : “Je t’aime tant que l’air me fait mal, et mon coeur, et mon chapeau… ” C’est si vrai, c’est si fort… Il me semble que Lorca est un poète dont on ne reconnaît pas la valeur. Peut-être parce qu’il est trop connu et que nous, les intellectuels, comme vous le savez, nous sommes plus attirés par des poètes plus nobles, plus hermétiques. Mais il y a chez Lorca une pureté, une force… “Sólo el misterio te hace vivir…” J’aurais dû écrire ça, mais je n’ai aucun talent dans ce domaine. Peut-être que les bons romanciers sont des poètes ratés. Je ne sais pas.”

Federico García Lorca – Sophia de Mello Breyner Andresen

Le 18 août 1936, il y a 85 ans, dans le ravin de Viznar, près de Grenade, était assassiné par les franquistes le poète Federico García Lorca.

Túmulo de Lorca (Sophia de Mello Breyner Andresen)

Em ti choramos os outros mortos todos
Os que foram fuzilados em vigílias sem data
Os que se perdem sem nome na sombra das cadeias
Tão ignorados que nem sequer podemos
Perguntar por eles imaginar seu rosto
Choramos sem consolação aqueles que sucumbem
Entre os cornos da raiva sob o peso da força

Não podemos aceitar. O teu sangue não seca
Não repousamos em paz na tua morte
A hora da tua morte continua próxima e veemente
E a terra onde abriram a tua sepultura
É semelhante à ferida que não fecha

O teu sangue não encontrou nem foz nem saída
De Norte a Sul de Leste a Oeste
Estamos vivendo afogados no teu sangue
A lisa cal de cada muro branco
Escreve que tu foste assassinado

Não podemos aceitar. O processo não cessa
Pois nem tu foste poupado à patada da besta
A noite não pode beber nossa tristeza
E por mais que te escondam não ficas sepultado

Geografía, 1967.

Tumba de Lorca

En ti lloramos todos los demás muertos
Los que fueron fusilados en vigilias sin fecha
Los que se pierden sin nombre en la sombra de las prisiones
Tan ignorados que ni siquiera podemos
Preguntar por ellos imaginar sus rostros
Lloramos sin consuelo aquellos que sucumben
Entre los cuernos de rabia bajo el peso de la fuerza

No podemos aceptar. Tu sangre no se seca
No descansamos en paz en tu muerte
La hora de tu muerte continúa cercana y vehemente
Y la tierra donde abrieron tu sepultura
Semeja una herida que no cierra

Tu sangre no halló embocadura ni salida
De norte a sur de este a oeste
Estamos viviendo ahogados en tu sangre
La lisa cal de cada muro blanco
Escribe que tú fuiste asesinado

No podemos aceptarlo. El proceso no cesa
Pues ni tú te libraste de la patada de la bestia
La noche no puede beber nuestra tristeza
Y por más que te escondan aún no estás sepultado

Lo digo para ver, Septiembre 2019. 2019. Editorial: Galaxia Gutemberg. Traducción de Ángel Campos Pámpano.

Sophia de Mello Breyner Andresen.

Sophia de Mello Breyner Andresen est née le 6 novembre 1919 à Porto dans une vieille famille aristocratique .
Elle suit des études de philologie classique à la Faculté des Lettres de Lisbonne.
Elle publie en 1944 un premier recueil, Poesía, publié à compte d’auteur. Elle entame alors une carrière littéraire, encouragée par Miguel Torga.
Engagée politiquement à gauche, elle a joué un rôle de premier plan dans les combats qui ont permis l’instauration de la démocratie au Portugal. Elle est élue à l’Assemblée Constituante en 1975 pour la région de Porto sur une liste du Parti Socialiste Portugais
C’est une des plus importantes poétesses portugaises du XX ème siècle. Elle a écrit aussi des essais, des nouvelles et des livres pour enfants. Elle a traduit de nombreux auteurs étrangers.
Elle a reçu le prix Camões, le plus important prix de littérature de langue portugaise en 1999 pour l’ensemble de son œuvre, et le prix Reina Sofía de poésie iberoamericaine en 2003.
Elle est morte à 84 ans le 2 juillet 2004 à Lisbonne. Elle est enterrée au Panteão Nacional de Lisbonne depuis 2014 (Église de Santa Engrácia).

Tomás Garcés 1901 – 1993

Le poète catalan Tomás Garcés est né le 9 octobre 1901 à Barcelone. Il fait des études de droit et deviendra avocat. Il grandit dans le quartier populaire de la Barceloneta. Á moins de dix-huit ans, il dirige la revue Mar Vella qui publie le premier livre de poèmes de son ami, le grand poète Joan Salvat Papasseit (1894-1924), Poemas en ondas hertzianas (1919). Il collabore à de nombreuses revues et maisons d’édition. Quand éclate la Guerre Civile, fervent catholique et militant d’Unió democràtica, il fuit avec sa famille au Maroc, puis en France. Il est alors lecteur d’Espagnol à l’Université de Toulouse et au Lycée d’Albi. Á la fin de la guerre, il revient en Espagne et se consacre à son métier d’avocat. Il meurt le 16 novembre 1993 à Barcelone.

Ses œuvres complètes ont été publiées par Galàxia Gutenberg / Cercle de Lectors en 2012.

Barcelone. Moll de la Fusta. Statue en l’honneur de Joan Salvat Papasseit (Robert Krier) 1992.

Cançó final

L’estel fugia i el foc moria:
cendra tots dos ens han deixat.
Dintre l’albada la posta nia.
Només els somnis són veritat.

És endebades que jo sospiri.
Canta l’ocell felicitat
i és un miratge i un deliri.
Només els somnis són veritat.

Claror del dia. La mar s’atura:
el pols d’argent tot just li bat.
Entorn, la vida se’ns fa insegura.
Només els somnis són veritat.

La nit de Sant Joan, 1951.

Canción final

La estrella huía y moría el fuego :
los dos, ceniza nos dejarán.
En la alborada la puesta anida.
Sólo los sueños son verdad.

Cuando suspiro lo hago en vano.
Y canta el pájaro felicidad,
y es espejismo, y es un delirio.
Sólo los sueños son verdad.

La luz del día. El mar se para :
pulso de plata late ya.
La vida en torno es insegura.
Sólo los sueños son verdad.

Antología esencial de la poesía catalana contemporánea (Edición bilingüe). Colección Austral. Traducción : José Corredor-Matheos.

Manuel Bandeira 1886 – 1968

Manuel Bandeira. 1931. (Cândido Portinari 1903-1962)

Desencanto

Eu faço versos como quem chora
De desalento… de desencanto…
Fecha o meu livro, se por agora
Não tens motivo nenhum de pranto.

Meu verso é sangue. Volúpia ardente…
Tristeza esparsa… remorso vão…
Dói-me nas veias. Amargo e quente,
Cai, gota a gota, do coração.

E nestes versos de angústica rouca,
Assim dos lábios a vida corre,
Deixando um acre sabor na boca.

Eu faço versos como quem morre.

Teresópolis, 1912.

As Cinzas das Horas. 1917.

Désenchantement

J’écris des vers comme on pleure
De découragement… de désenchantement…
Ferme mon livre, si ce jour
Tu n’as aucune raison de pleurer.

Mon vers est sang. Volupté ardente…
Tristesse éparse… Remords vain…
Il me brûle les veines. Amer et chaud,
Il coule, goutte à goutte, de mon coeur.

Et dans ces vers de rauque angoisse
Comme des lèvres la vie s’en va,
Laissant une âcre saveur dans la bouche.

– J’écris des vers comme on meurt.

Teresópolis, 1912.

Les cendres des heures.

Manuel Carneiro de Sousa Bandeira Filho est né à Recife (Brésil) le 19 Avril 1886. Il fait des études d’architecture qu’il doit interrompre. Atteint de tuberculose, il part se soigner en juin 1913 dans le sanatorium de Clavadel, en Suisse. Il y fait la connaissance d’Eugène Grindel (Paul Éluard) également en traitement. Une lettre d’Éluard indique que c’est Bandeira qui l’a révélé à lui-même comme poète et non pas le contraire. Étant tuberculeux à une époque où cette maladie était incurable, la poésie devient pour lui une « fatalité ». Ce qu’il ne peut vivre, il le rêve en poésie. On l’a surnommé le saint Jean-Baptiste du modernisme au Brésil. Son premier recueil poétique, Les Cendres des heures (1917), est imprégné par la mélancolie due à la maladie et aux deuils familiaux. En 1921, il fait la connaissance de Mário de Andrade (1893-1945) avec qui il entretient une relation durable. Il devient professeur de littérature au Collège Pedro II en 1938, puis à l’Université de São Paulo en 1943. Il est élu à l’Académie Brésilienne des Lettres en 1940. Il a été aussi critique d’art et traducteur (William Shakespeare, Friedrich Schiller, Bertolt Brecht, E.E. Cummings)
Il meurt le 13 octobre 1968 à Rio de Janeiro.

Manuel Bandeira, Poèmes. Seghers, 1960. Traduction: Luis Annibal Falcao, F.H. Blank-Simon et l’auteur.

Bob Dylan – José Emilio Pacheco

Bob Dylan.

Poeta con guitarra (José Emilio Pacheco)

A la muerte de Faulkner —dice Thomas Meehan en el «New York Times»— los críticos se dieron a buscar quién podría reemplazarlo como primer escritor de Norteamérica. Robert Lowell, Saul Bellow y Norman Mailer llegaron a finales. Pero a fines del año pasado un grupo de estudiantes afirmó que el único escritor contemporáneo a quien admiran es Bob Dylan (24 años), cantante y compositor cuyas creaciones de protesta social y personal hablan de las cosas que preocupan a los más jóvenes. “La angustia de «Herzog» [novela de Saul Bellow] nos tiene sin cuidado, así como las fantasías privadas de Norman Mailer. Lo que nos importa es la amenaza de una guerra nuclear, el movimiento en pro de los derechos civiles, la creciente plaga de conformismo, deshonestidad e hipocresía en los Estados Unidos, especialmente en Washington. Y Bob Dylan es el único que trata esos temas en una forma que tiene sentido para nosotros. Como poesía moderna creemos que sus canciones poseen gran calidad literaria. Estética y socialmente, cualesquiera de ellas —”A hard rain’s gonna fall”, por ejemplo— nos interesa más que todo un libro de Lowell.”
Naturalmente, las opiniones no alcanzan unanimidad. Un estudiante de Harvard considera “absurdo” tomar en serio la literatura de Dylan. El hecho es que Bob se ha convertido en gran personaje de la canción norteamericana, ídolo adolescente, símbolo generacional. Su aspecto es el de un beatnik con mayúscula. Parece una combinación de Harpo Marx, Carol Burnett y la juventud de Beethoven. Canta acompañándose con la guitarra o en dúo con Joan Baez y entre estrofa y estrofa, toca la armónica.
Hijo de un farmacéutico, Bob Zimmerman nació en 1941 cerca de la frontera canadiense. Su admiración por el gran poeta pre-beatnik Dylan Thomas lo hizo adoptar su nombre. A los quince años compuso su primera “folk song”, una balada de amor en homenaje a la perdurable Brigitte Bardot. En 1962 accedió a la celebridad con “Blowin’ in the wind”, himno del movimiento pro derechos civiles, entre otras canciones antibélicas y de protesta contra las injusticias sociales. Acaso Bob Dylan ha sido la influencia decisiva en la inesperada radicalización de los jóvenes y su noble rebeldía contra el racismo y la guerra en Vietnam.
Basta lo anterior para hacer admirable a Bob Dylan, para considerar seriamente sus canciones. Si el prestigio de Dylan radica más en sus letras que en sus melodías, como estilista Bob es un tanto anacrónico a juicio de sus críticos: recuerda el pseudolirismo, social de los años 30. En 1937 Clifford Odets o Maxwell Anderson pudieron haber escrito los versos de “Masters of war”, la más célebre composición antibélica de Dylan. Nadie niega que se trata de un joven de extraordinaria inteligencia y sensibilidad que además ha leído muchísimo, sobre todo poesía · clásica y moderna. Quizá su fascinación sobre los jóvenes (y los ya no tan jóvenes) radica en su altivo desafío a toda autoridad e hipocresía cotidiana. La gente “seria” lo desprecia, lo inscribe en la cultura pop y asegura que con las modas de 1966 será borrado. Los poetas, en cambio, lo aceptan y ven un signo positivo en que Bob Dylan haya puesto la poesia a la intemperie y al alcance de todos. El arte popular ha coexistido siempre con el otro. La elevación del gusto de las masas favorece el surgimiento de una gran poesia, etcétera. Mientras tanto, una canción anti-intelectualista de Bob Dylan (por consiguiente muy de acuerdo con nuestra época), “The times they are a-changin”, se ha convertido en una especie de himno subversivo de la joven generación. Nada impide que la poesia termine por donde comenzó: Bob Dylan puede ser el mero Homero de nuestros sesenta. ~

La Cultura en México, n° 205, 19 de enero de 1966, p. XVIII.

José Emilio Pacheco.

Bob Dylan – Benjamín Prado

1963.. La couverture de l’album est une photographie de Bob Dylan marchant dans la rue avec à son bras sa petite amie de l’époque, Suze Rotolo (1943-2011). Elle a été prise dans le quartier de Greenwich Village, à l’angle de Jones Street et de West 4th Street, à quelques pas de l’appartement où le couple vivait à l’époque.

Bob Dylan a fêté ses 80 ans lundi 24 mai. Robert Zimmerman, l’homme aux 600 chansons, est né le 24 mai 1941 à Duluth dans le Minnesota. Il a reçu le Prix Nobel de Littérature en 2016.

La chanson Hurricane de Bob Dylan a incité Benjamín Prado à 17 ans à écrire des poèmes.

Mi vida se llama Bob Dylan (Benjamín Prado)

Hay senderos que son una respuesta al bosque,
hay palomas que mueven los mares de la luna,
hay palabras que corren por la piel como ríos,
porque existe Bob Dylan.

Hay huellas donde pueden leerse los desiertos,
hay mujeres que sueñan con pirámides rojas,
hay canciones que tallan dioses en nuestro oído
porque existe Bob Dylan.

Hay jinetes que huyen con el sol en los ojos,
hay corazones tristes donde muere un océano,
hay caballos que agitan un polvo de otro mundo
porque existe Bob Dylan.

Hay hombres que transforman los sueños en dianas,
hay demonios ocultos en la hoja del cuchillo,
hay versos subterráneos en los papeles rotos
porque existe Bob Dylan.

Hay mañanas y noches
porque existe Bob Dylan.
Hay planetas y oxígeno
porque existe Bob Dylan.
Hay veranos e inviernos
porque existe Bob Dylan.
Porque existe Bob Dylan
hay fruta y hay leones.
Porque existe Bob Dylan
hay silencio y mercurio.
Porque existe Bob Dylan
hay antes y hay después.

Yo nunca he estado solo
porque existe Bob Dylan.

Iceberg, Editorial Visor, 2002.

Primo Levi

Primo Levi (Marcello Mencarini).

Aux amis

Chers amis, si je vous appelle ainsi
C’est au sens large de ce mot :
Femme, soeur, cousins, camarades,
Compagnes et compagnons de jeunesse,
Et vous, rencontrés une seule fois
Ou pratiqués toute la vie,
Pourvu qu’entre nous, fût-ce un seul moment,
Une corde ait été tendue.

À vous, compagnons d’un chemin
Que n’a pas épargnés la peine,
Mais à vous aussi qui avez perdu
Le coeur et l’envie de vivre.
Personne ou quelques-uns, un seul ou toi
Qui me lis : souviens-toi du temps
Avant que se fige la cire :
Chacun de nous porte l’empreinte
De l’ami rencontré en route.
Dans les bons et les mauvais jours,
Nous les fous ou nous les sages,
Chacun marqué par chacun.

Maintenant que le temps presse,
Que les combats sont finis,
À vous tous le souhait modeste
Que l’automne soit long et doux.

Le fabricant de miroirs, Liana Levi, 1989. Traduction André Maugé.

Agli amici

Cari amici: qui dico amici
nel vasto senso della parola:
moglie, sorella, sodali, parenti,
compagne e compagni di scuola;
persone viste una volta sola
o praticate per tutta la vita
purché a noi, per almeno un momento,
sia, stato teso un segmento,
una corda ben definita.

Dico per voi, compagni d’un cammino
folto, non privo di fatica,
e per voi pure, che avete perduto
l’anima, l’animo, la voglia di vita.
O nessuno, o qualcuno, o forse uno solo, o tu
che mi leggi: ricorda il tempo,
prima che s’indurisse la cera,
quando ognuno era come un sigillo.
Di noi ciascuno reca l’impronta
dell’amico incontrato per via;
in ognuno la traccia di ognuno.
Per il bene od il male
in saggezza o in follia
ognuno stampato da ognuno.

Ora che il tempo urge da presso,
che le imprese sono finite,
a voi tutti l’augurio sommesso
che l’autunno sia lungo e mite.

Racconti e Saggi, 1986.

Moins de six mois après avoir écrit l’ avant-propos du Fabricant de miroirs, le 11 avril 1987, Primo Levi se suicide dans la cage d’escalier de l’immeuble de Turin où il a toujours vécu et où il est né soixante-huit ans plus tôt. Le poème intitulé, Aux amis, placé en tête de ce livre, résonne comme un adieu.

William Butler Yeats

William Butler Yeats (John Butler Yeats). 1898.

W.B.Yeats traduit par Yves Bonnefoy et Octavio Paz.

Vacillation

IV

My fiftieth year had come and gone,
I sat, a solitary man,
In a crowded London shop,
An open book and empty cup
On the marble table-top.
While on the shop and street I gazed
My body of a sudden blazed;
And twenty minutes more or less
It seemed, so great my happiness,
That I was blessed and could bless.


IV

Ma cinquantième année avait passé,
J’étais assis, solitaire comme je suis,
Dans un salon de thé encombré à Londres.
Un livre ouvert, une tasse vide
Sur la tablette de marbre.
Et comme je regardais la salle, la rue,
D’un coup mon corps s’embrasa,
Et pendant vingt minutes, à peu près,
Il me parut, si grand fût mon bonheur,
Que j’étais béni et pouvais bénir.

Quarante-cinq poèmes, suivi de La Résurrection. Hermann, 1989 pour la traduction française de Yves Bonnefoy . 1993 NRF. Poésie/ Gallimard, Paris.

Vacilación

IV

Cincuenta años cumplidos y pasados.
Perdido entre el gentío de una tienda,
me senté, solitario, a una mesa,
un libro abierto sobre el mármol falso,
viendo sin ver las idas y venidas
del torrente. De pronto, una descarga
cayó sobre mi cuerpo, gracia rápida,
y por veinte minutos fui una llama :
ya, bendito, podía bendecir.


Traduction : Octavio Paz.

(Merci à Lorenzo Oliván)

Eugénio de Andrade

Deux poèmes d’Eugénio de Andrade :

Fais une clef, même petite

Fais une clef, même petite,
entre dans la maison.
Consens à la douceur, aie pitié
de la matière des songes et des oiseaux.

Invoque le feu, la clarté, la musique
des flancs.
Ne dis pas pierre, dis fenêtre.
Ne sois pas comme l’ombre.

Dis homme, enfant, étoile.
Répète les syllabes
où la lumière est heureuse et s’attarde.

Répète encore : homme, femme, enfant.
Là où plus jeune est la beauté.

Blanc sur blanc. 1988. Traduit du portugais par Michel Chandeigne.

Faz uma chave, mesmo pequena

Faz uma chave, mesmo pequena,
entra na casa.
Consente na doçura, tem dó
da matéria dos sonhos e das aves.

Invoca o fogo, a claridade, a música
dos flancos.
Não digas pedra, diz janela.
Não sejas como a sombra.

Diz homem, diz criança, diz estrela.
Repete as sílabas
onde a luz é feliz e se demora.

Volta a dizer: homem, mulher, criança.
Onde a beleza é mais nova.

Branco no Branco. 1984.

Avec la mer

J’apporte la mer entière dans ma tête
De cette façon
Qu’ont les jeunes femmes
D’allaiter leurs enfants ;
Ce qui ne me laisse pas dormir,
Ce n’est pas le bouillonnement de ses vagues,
Ce sont ces voix
Qui, sanglantes, se lèvent de la rue
Pour tomber à nouveau,
Et en se traînant
Viennent mourir à ma porte.

Anthologie de la poésie portugaise contemporaine 1935-2000, Traduit du portugais par Michel Chandeigne.

Com o mar

Trago o mar todo na cabeça
daquele modo
que as mulheres novas
dao de mamar aos filhos;
o que me nao deixa dormir
nao é o marulho das suas vagas,
sao essas vozes
que da rua se levantam a sangrar
para voltarema cair,
e rastejando
vêm morrer à minha porta.

Le poète portugais Eugénio de Andrade (de son vrai nom José Fontinhas) est né le 19 janvier 1923 à Póvoa de Atalaia (province de Beira Baixa). Il est d’origine paysanne. Après la séparation de ses parents, il passe son enfance avec sa mère dans son village natal. Tous deux s’installent ensuite à Lisbonne (1932-1943).
Il travaille comme fonctionnaire (inspecteur administratif des services médicaux sociaux) de 1947 à 1950, d’abord à Lisbonne , puis à Porto de 1950 à 1983.
Il est l’un des poètes les plus importants de l’après-guerre au Portugal.
Il a reçu le prix Camões de la littérature portugaise en 2001.
Il reconnaît l’influence de poètes comme Gustavo Adolfo Bécquer, San Juan de la Cruz, Fernando Pessoa, Arthur Rimbaud ou Walt Whitman. Il a traduit en portugais Federico García Lorca, Antonio Machado, Juan Ramón Jiménez et Yannis Ritsos.
Il est mort à 82 ans le 13 juin 2005 à Porto des suites d’une longue maladie neurologique.

Principaux ouvrages
1948 As mãos e os frutos (Les Mains et les Fruits)
1974 Escrita da Terra (Écrits de la terre)
1980 Matéria solar (Matière solaire. La Différence, 1986)
1982 O Peso da sombra (Le Poids de l’ombre. La Différence, 1986)
1984 Branco no branco (Blanc sur Blanc. La Différence, 1988)
1987 Vertentes do olhar (Versants du regard et autres poèmes en prose. La Différence, 1990)
1988 O Outro nome da Terra ( L’autre nom de la terre. La Différence, 1990)
1994 Oficio da paciência (Office de la patience. La Différence, 1995)
1995 O sal da língua (Le Sel de la langue. La Différence, 1999)
2000 Poesia [1940-2000]

Matière solaire, Le Poids de l’ombre et Blanc sur blanc. NRF. Poésie /Gallimard n°195. 2004.

«Ma mère est la figure centrale de ma vie. Elle habite ma poésie avec, à gauche, les bergers et, à droite, l’enfant.»

«Depuis que j’étais enfant, je n’ai connu que le soleil et l’eau…J’ai appris que peu de choses sont absolument nécessaires. Ce sont ces choses que ma poésie aime et exalte. La terre et l’eau, la lumière et le vent se sont mêlés pour donner corps à tout amour dont ma poésie est capable.»

André Velter, dans le journal Le Monde, considère qu’ «Eugénio de Andrade est l’un des rares poètes portugais contemporains à avoir imposé sa singularité, à avoir traversé la galaxie Pessoa sans demeurer dans la dépendance de ce fabuleux champ d’extraction mentale.»

http://www.lesvraisvoyageurs.com/2019/08/08/eugenio-de-andrade-i-1923-2005/

http://www.lesvraisvoyageurs.com/2019/08/08/eugenio-de-andrade-ii-1923-2005/

Portrait d’Eugénio de Andrade (Augusto Gomes 1910-1976), 1953.