Abans em concentrava escoltant el pensament enmig de qualsevol estrèpit. Ara, m’és tan difícil. No estic cansat de viure: estic cansat de les veus que al voltant ressonen buides. Però sé on continua l’alegria: si no m’he perdut mai cap paradís, no em perdré ara el més auster, aquest on al poema ja no hi queda gairebé rastre de literatura. Reconec aquest lloc, l’he buscat sempre. L’últim refugi, el de la soledat.
Es perd el senyal. Barcelona, Proa, 2012. Col lecció “Óssa menor”
Retiradas
Antes, incluso en medio de un estrépito, podía concentrarme en un poema. Ahora me resulta más difícil. No estoy cansado de vivir: lo estoy de tantas voces que a mi alrededor resuenan huecas. Sé dónde continúa la alegría: si nunca me he perdido un paraíso, no iré a perderme ahora el más austero, ese donde el poema no le queda apenas rastro de literatura. Reconozco el lugar, es el mismo de siempre. El último refugio, el de la soledad.
Todos los poemas (1975-2015). Austral, 2018.
Le poète Joan Margarit est né le 11 mai 1938 à Sanaüja (Lérida) en Catalogne. il est mort le 16 février 2021 à Sant Just Desvern dans sa maison de la banlieue de Barcelone. Architecte, professeur et poète, il écrivait principalement en catalan. Il a obtenu le Prix Cervantès, le Prix Nobel des langues castillanes en 2019.
«Soy un poeta catalán, pero también castellano, coño» avait-il affirmé en 2019 en déposant ses archives à l’Instituto Cervantes de Madrid.
Voyage en Grèce du 19 au 30 septembre. Nous étions à Monemvassia le mardi 27 septembre. Cette belle ville fortifiée du sud du Péloponnèse, située sur la côte est de la Laconie est l’ancienne Malvoisie. La ville historique ou Kastro se trouve sur une presqu’île. Elle occupe une partie d’un rocher de 1,8 km de long et 300 m de haut, relié par une digue au continent. Sur les remparts, on peut voir la maison familiale du poète communiste grec Yannis Ritsos (1909-1990) et son buste. Après la guerre civile dans son pays, de 1948-1952, il a été incarcéré dans les camps de Kondopouli (île de Limnos), Makronissos et Aghios Efstratios (île d’Aï-Strati) au titre de la “rééducation nationale”. Lors du coup d’État des Colonels en 1967, il a été à nouveau interné, puis assigné à résidence. Aragon publiera en 1957 un article important dans Les Lettres françaises pour faire connaître davantage le poète en France. Yannis Ritsos et Louis Aragon ne se sont rencontrés qu’une seule fois à Athènes le 14 octobre 1980.
Marche
Il a usé ses souliers nuit après nuit cheminant sur les cailloux des étoiles – cheminant seul pour l’amour des hommes. Il était fait, cet homme-là pour le bonheur du monde. On l’a empêché. On lui a pris ce qu’il pouvait donner de plus : sa confiance en ceux-là même qui le refusaient. A présent il se promène, deux fois seul, sur la rive. Il regarde. Ne récolte rien. Des ombres de barques raient l’or du couchant, dans le grand silence de la beauté délaissée. Inachevé plein d’amertume, je reviendrai frapper à ta porte.
Correspondances – Anthologie de la poésie grecque contemporaine, 1945-2000 (NRF Poésie/Gallimard n°353, 2000. ) – Traduit du grec par Michel Volkovitch.
Blancheur
Il posa sa main sur la page pour ne pas voir la feuille blanche. Et il vit dessus sa main nue. Alors il ferma aussi les deux yeux, et entendit monter en lui, ensevelie, la ténébreuse, l’indescriptible blancheur.
Léros, 10.XI.67
Le mur dans le miroir et autres poèmes. NRF Poésie/Gallimard n°354. 2006. Traduction : Dominique Grandmont.
Mes chers semblables
Mes chers semblables comment pouvez-vous vous courber encore ? Comment pouvez-vous ne pas sourire ? Ouvrez les fenêtres. Le monde resplendit infatigable. Qu’il soit regardé.
Symphonie du printemps, 1938. Bruno Doucey, 2012 Traduction : Anne Personnaz.
Article publié dans les Lettres françaises (semaine du 28 février au 6 mars 1957).
Pour saluer Ritsos (Aragon)
En février 1949, dans la page du C.N.E. que les Lettres Françaises publiaient alors, était présenté à nos lecteurs un poète grec, Yannis Ritsos, avec un grand poème, Lettre à la France, traduit par M. Néoclès Coutousis : dans un article voisin, on pouvait lire de lui cette biographie : Né à Monemvasie (Laconie), en 1909, il est, depuis 1934, un des chefs de file de la jeune poésie grecque. Ses recueils lyriques et généreux s’intitulent Tracteurs, Pyramides, Le chant et la sœur, Symphonie Printanière, La marche de l’Océan, Epreuve. Ritsos est un vibrant ami de la France, de ses livres, de ses messages de progrès. Le 14 Juillet 1945, il composa une admirable Lettre à la France qui fut déclamée alors devant 30 000 Athéniens et dont le retentissement fut profond en France, où notamment Pierre Blanchard, en 1946, à Paris, au cours d’une réunion franco-grecque, en fit une inoubliable lecture. Le poème, depuis, a été reproduit dans l’anthologie des poèmes pour la paix, publiée par M Armand Megglé. Ritsos est poitrinaire. Le poète était alors déporté à l’île de Limnos. Nous n’avions plus entendu parler de lui depuis ce temps là. Voici qu’un petit livre de lui nous donne de ses nouvelles, cette Sonate au clair de lune, qui nous parvient avec une traduction de M. Alécos Kataza, que nous publions aujourd’hui. Le poète est maintenant à Athènes, libre. Il a quarante-neuf ans, et sur ce texte on peut maintenant le voir grandeur nature : il faut savoir le saluer, et le dire très haut, c’est un des plus grands et des plus singuliers parmi les poètes d’aujourd’hui. Pour ma part, il y avait longtemps que quelque chose ne m’avait donné comme ce chant le choc violent du génie. Je sais : ce mot-là ne se prononce pas, ou tout au moins il ne faut pas l’écrire. Je n’y puis rien. Je ne le retire pas. * De ce poème, paru en décembre 1956, le traducteur m’écrit qu’il exprime l’impasse tragique dans laquelle sont tombés l’individualisme et toute le civilisation bourgeoise. J’imagine qu’il me dit ceci, s’étant donné la peine de et l’amour de traduire, pour concilier à ce poème le lecteur que je suis. Et je sais que l’ayant lu à des camarades, qui avaient peut-être besoin de ce commentaire pour se sentir le droit d’admirer, et à qui j’avais omis de le transmettre, j’ai vu dans leurs yeux cet égarement, ce trouble, des gens qui ne voient pas où on les mène. On m’a dit que c’était obscur, difficile, et même plus fait pour une revue que pour les Lettres. Je ne me suis pas arrêté à ces remarques : J’ai peut être tort de faire cette confiance aux lecteurs des Lettres françaises, mais je ne les croie pas faits pour ne lire que des poèmes d’un seul type, portant tout au moins les références évidentes qui rendent licite l’enthousiasme qu’on en a. Ritsos a-t-il ou non voulu montrer l’impasse de l’individualisme et de la civilisation bourgeoise ? Je n’en sais rien. Je puis imaginer que l’on comprenne cette Sonate au clair de lune d’une telle affirmation, et elle peut bien être fondée. Elle me rappelle et l’explication que Michelet donne du Radeau de la Méduse, affirmant que Géricault y a peint la France dans la nuit de la Restauration, et l’explication par Proudhon de ce Retour de foire de Courbet, où il voit toute l’histoire de la société sous Louis-Philippe. Ce n’est pas aujourd’hui que les hommes marqués par la passion politique, cherchent ainsi à lier profondément ce qu’ils admirent et ce qu’ils pensent, avec un bonheur inégal. Justifier, justifier… Qui oserait dire que cela ne part pas d’un sentiment louable ? J’ajouterai qu’il arrive que ce genre d’interprétation serve le livre, tableau, poème, ou cuvette, à laquelle il faut bien voir qu’il s’applique par une volonté émouvante du théoricien, cherchant à créer un pont entre l’œuvre d’art et ceux qui vont passer distraitement devant elle. Mais c’est par là surtout que ce genre d’interprétation vaut, et parfois prévaut. Il faut le prendre comme une image poétique, ne pas trop s’attacher à la traduction qu’il donne, et Michelet ne pouvait pas ne pas voir la France sur le Radeau, et son image est celle d’un poète, et je salue en lui ce poète. Mais considérer directement l’œuvre de Géricault comme « la France sous le Restauration » est un non-sens. C’est, une fois de plus, tomber dans ce qu’on appelle, pour le condamner, le sociologisme vulgaire. * Ceci dit, je voudrais simplement mettre la Sonate sur le tourne-disque, faire autour de vous ce silence dans lequel va commencer le chant, s’épanouir cette lumière lunaire qui n’est ni Le clair de lune calme et beau de Verlaine, cet éclairage pour les jets, l’eau et les masques, ni le jeu géométrique, blanc et noir, de la musique moderne, le Pierrot lunaire allemand. Dans cette nuit de printemps où une femme âgée, de noir vêtue, parle à un jeune homme…est-ce la bourgeoisie ? L’individualisme ? Mais ce qui me saisit c’est comme par les deux fenêtres entrent avec la clarté nocturne non point des personnages des Fêtes galantes, non les spectres de Macbeth, non le monde irréel des fées et des elfes, mais la cité cimenteuse et aérienne, badigeonnée de clair de lune. L’image, ici, ce ne sont point les mots poétiques, le bazar éprouvé des choses nobles, qui en appuie les deux volets tournants : c’est le fauteuil défoncé dans la pièce ou les souliers aux talons tournés qu’on porte une fois par moi chez le cireur du coin, dans la cuisine les verseuses suspendues au mur qui brillent – comme des grands yeux ronds d’invraisemblables poissons… … et quand j’enlève la tasse de la table il reste un trou de silence au-dessous, je mets immédiatement la main dessus pour n’y pas regarder – je remets la tasse à sa place… D’où vient cette poésie ? d’où ce sens du frisson ? où les choses telles qu’elles sont jouent le rôle des spectres, où l’Hamlet grec est confronté, non plus avec les rois morts, le nouvel Œdipe non plus avec le Sphinx, mais avec les objets sournoisement familiers et … le chapeau du mort qui roule de la patère dans le sombre couloir. Il y a, dans cette poésie, le bruit méditerranéen d’une mer sans marée, j’y fais comme un quelconque M. de Marcellus le voyage de Grèce, d’une Grèce qui n’est plus celle de Byron ou de Delacroix, d’une Grèce qui est sœur de la Sicile de Pirandello et de Chirico, où la beauté n’est point des marbres mutilés, mais d’une humanité déchirée, et le jeune homme qui vient de quitter la vieille femme dit, c’est vrai, déboutonnant sa chemise, sur cette poitrine puissante : la décadence d’une époque… il me fallait ces mots, il a suffit de ces mots pour que je le voie, qu’il s’anime (ici, le commentaire du traducteur semble se justifier, si tant est vrai que la morale d’une fable explique la folie du fabuliste qui a fait jouer ensemble une cigogne et un renard). On cherche à s’expliquer les choses par analogie : et peut-être me fallait-il parler de la Sicile, quand la Grèce se suffit, parce qu’une nuit semblable dans un pays où je n’ai jamais mis les pieds me rassure sur le caractère trop réel de cette nuit-ci, et mon ignorance de la Grèce non moins parfaite que celle que j’ai de la Sicile… Alors, parce que le mystère de la poésie, il est dans les poètes mêmes, et qu’ici aussi il me faut comparer, comparer et toujours comparer, je m’avise qu’il y a chez Yannis Ritsos, plus que Shakespeare ou Eschyle, un souffle étrange et que je connais bien, un écho d’un poète secret, dot j’ai l’intonation dans l’oreille. Et le nom de Lautréamont vient clore ce trop long prolégomène, et c’est avec Lautréamont qu’ici j’accueillerai Ritsos, à côté de lui que je le prierai à s’asseoir, avec sa Sonate, belle comme la rencontre d’une machine à coudre et d’un parapluie…, parmi les poètes qui ont le droit de rire, la nuit, au clair de lune, de ce rire bruyant, irrépressible comme la vie.
Je relis Cesare Pavese (1908-1950). Les poèmes de La mort viendra et elle aura tes yeux ont été écrits du 11 mars au 10 avril 1950 pour l’actrice américaine Doris Dowling (To C. from C. = To Constance from Cesare). Deux d’entre eux ont été rédigés directement en anglais ( To C. from C. et Last Blues, to be read some day), les 8 autres en italien même si le titre est anglais. Ils seront retrouvés sur la table de son bureau après le suicide de l’écrivain le 27 août 1950 dans une chambre de l’hôtel Roma de Turin , place Carlo Felice. Sur la table de nuit, on a trouvé un mot écrit sur la première page de Dialogues avec Leucò (1947) : “Je pardonne à tout le monde et je demande pardon à tout le monde. Ça va? Pas trop de commérages.” ( ” Perdono tutti e a tutti chiedo perdono. Va bene? Non fate troppi pettegolezzi.”) Maïakovski avait laissé le message suivant le 14 avril 1930 : “Je meurs. N’accusez personne et, je vous en supplie, pas de commérages. Le défunt les détestait.” Pavese a dû le lire dans Il fiore del verso russo (Einaudi, 1949) qui venait d’être publié.
Le 31 décembre 1949, il avait fait connaissance de Constance Downing (Connie 1920-1969) et de sa soeur Doris (1923-2004) . Les deux actrices voulaient percer en Italie où elles étaient arrivées en 1947.
Verrá la morte e avrá i tuoi occhi – questa morte che ci accompagna dal mattino alla serra, insonne, sorda, come un vecchio rimorso o un vizio assurdo. I tuoi occhi saranno una vana parola, un grito taciuto, un silenzio. Cosi il vedi ogni mattina quando su te sola ti pieghi nello specchio. O cara speranza, quel giorno sapremo anche noi che sei la vita e sei il nulla.
Per tutti la morte ha uno sguardo verrá la morte e avrá i tuoi occhi. Sará come smettere un vizio, come vedere nello specchio riemergere un viso morto, come ascoltare un labbro chiuso. Scenderemo nel gorgo muti.
Verrà la morte e avrà I tuoi occhi. Einaudi, 1951.
La Mort viendra et elle aura tes yeux
La mort viendra et elle aura tes yeux – cette mort qui est notre compagne du matin jusqu’au soir, sans sommeil, sourde, comme un vieux remords ou un vice absurde. Tes yeux seront une vaine parole, un cri réprimé, un silence. Ainsi les vois-tu le matin quand sur toi seule tu te penches au miroir. O chère espérance, ce jour-là nous saurons nous aussi que tu es la vie et que tu es le néant.
La mort a pour tous un regard. La mort viendra et elle aura tes yeux. Ce sera comme cesser un vice, comme voir ressurgir au miroir un visage défunt, comme écouter des lèvres closes. Nous descendrons dans le gouffre muets.
22 mars 1950.
Poésies (Travailler fatigue. La mort viendra et elle aura tes yeux) 1969. NRF Poésie/Gallimard n°128. Traduction Gilles de Van. 1979.
Martin Rueff, dans l’édition des Oeuvres en Quarto Gallimard (2008) dit : ” Comme la mort de Pasolini, le suicide de Pavese a joué un rôle important et souvent néfaste pour la réception de l’oeuvre. On a voulu la relire tout entière à partir de la dernière heure. On s’est obsédé du mystère de la mort pour ne pas prendre au sérieux l’énigme d’une vie. ” Dialogues avec Leucò (1947): “Personne ne se tue. La mort est un destin. On ne peut que l’espérer pour soi…” ” Nessuno si uccide. La morte è destino. Non si può che augurarsela… “
Le poème a été récité par Vittorio Gassman. Ce grand acteur est né à Gênes le 1 septembre 1922, il y a 100 ans. Il est mort à Rome le 29 juin 2000.
Préparation d’un voyage en Grèce annulé en juin 2020 pour cause de pandémie. Lecture des poètes contemporains grecs que je connais très mal sauf les grands noms : Constantin Cavafy, Georges Séféris, Yannis Ritsos, Odysséas Elytis.
J’avais emprunté à la bibliothèque l’Anthologie de la poésie grecque contemporaine1945-2000. NRF Poésie/Gallimard n°353, 2000. Choix et traduction Michel Volkovitch. Préface Jacques Lacarrière. Je l’ai achetée hier chez Gibert.
Títos Patríkios a attiré mon attention. Jacques Lacarrière, dans la préface, cite une anecdote de 1990 :
” Á ce propos, je tiens à rappeler ici une rencontre qui eut lieu il y a quelques années à la Bibliothèque publique de Dijon entre Títos Patríkios et les auditeurs dijonnais. C’était, je me souviens, à l’occasion des ” Belles Étrangères ” consacrées à la Grèce en 1990. Un auditeur ayant demandé à Patríkios : “Peut-on vraiment, quand on a connu l’épreuve de la déportation, revivre ensuite comme avant et surtout ne pas en tenir compte dans son oeuvre ? “, Patríkios lui répondit ceci : ” En France, juste après la guerre, on vit participer aux cérémonies du 14 juillet des survivants des camps défilant dans leurs habits de déportés. Mais le problème se posa très vite, après seulement quelques années : un tel défilé gardait-il son sens avec l’éloignement du souvenir, n’allait-il pas à l’encontre de ses intentions primitives ? De plus, la plupart des habits tombaient en loques et leurs porteurs ayant grossi, ils n’arrivaient plus à les mettre ! Alors que faire : retailler des habits neufs sur mesure ou supprimer le défilé ? La première solution était franchement grotesque, la seconde excessive. On décida donc pour finir que les anciens déportés continueraient de défiler mais en civil. C’est un peu la même chose qui se produit avec une oeuvre. Ne jamais oublier ce qui fut vécu mais ne pas faire de sa mémoire un sarcophage. Ne jamais utiliser ses anciennes épreuves pour en faire un fonds de poésie, comme on dit un fonds de commerce.”
Soirée de carnaval
Dans la cellule obscure j’avais un furieux désir de voir un arbre, une chose vivante. Aux murs moisis mon regard sombrait dans des adieux désespérés, des noms de fusillés qui s’effondraient avec le plâtre comme à nouveau fauchés parmi les rires, les harmonicas des masques ignorant de tout qui passaient dans la rue. Je n’avais pas encore compris ceci : la nature commençant par moi les gardiens ne pouvaient rien me prendre.
Février 1955.
Désaccords. 1981. Traduction Michel Volkovitch.
Ma langue
J’ai eu du mal à préserver ma langue parmi celles qui viennent l’engloutir mais c’est dans ma langue seule que j’ai toujours compté par elle j’ai ramené le temps aux dimensions du corps par elle j’ai multiplié jusqu’à l’infini le plaisir par elle je me rappelle un enfant et sur son crâne rasé la marque d’un caillou. Je me suis efforcé de ne pas en perdre un mot car tous me parlent dans cette langue — même les morts.
La volupté des prolongations. 1992. Traduction : Michel Volkovitch.
Títos Patríkios est né en 1928. Résistant dans les rangs de l’EAM , il faillit être exécuté en 1944 par des collaborateurs de l’occupant allemand.déporté à Makronissos puis à Aï-Stratis (1951-53). Yannis Ritsos le pousse à écrire des poèmes. Il a vécu en exil à Paris et à Rome de 1954 à 1964, puis de 1967 ) 1975. Il a vécu toutes les souffrances desmiltants de la gauche grecque. Ses poèmes courts, discrets, lucides, élégants, sont un journal de bord, les jalons d’un apprentissage, d’un cheminement vers une certaine sagesse.
Le séjour de Dante à Paris est rempli de mystère. Dans La Divine Comédie, quelques passages évoquent des personnes ou des lieux qu’il aurait fréquentés. Selon les historiens, il est probable qu’il s’est rendu à Paris entre août 1313 et juin 1314, probablement pour y étudier la philosophie naturelle et la théologie. D’où la relation avec la Sorbonne et la présence de la statue de Dante par Jean-Paul Aubé, dans le square Michel Foucault, juste devant le Collège de France.
Jean-Paul Aubé (1837-1916) avait fait le voyage d’Italie en 1866. Il représente Dante repoussant du pied droit la tête d’un damné figurant les forces du mal, personnifié par la tête de Bocca degli Abati, le traître de la bataille de Montaperti (1260), en Toscane. Le poète est représenté avec ses attributs traditionnels : le grand manteau, le chaperon tombant et la couronne de laurier.
La Ville de Paris achète à l’artiste ce modèle en plâtre, le 14 juin 1879, et fait réaliser par le fondeur H. Molz une statue en bronze, placée en 1882, place Marcelin-Berthelot. La statue est aussi présentée aux Expositions universelles de Vienne, en 1882, et de Paris, en 1889 et 1900. Le modèle en plâtre se trouve au Petit Palais (Musée des Beaux-Arts de la Ville de Paris).
Histoires de la terre et de la mer (Histórias da Terra e do Mar) est un livre d’une des plus importantes poétesses portugaises du XX ème siècle Sophia de Mello Breyner Andresen (1919-2004). Il a été publié en 1984 au Portugal et en France en 1990 aux Éditions de la Différence.
Il est composé de cinq nouvelles qui nous transporte dans le monde de l’enfance :
Histoire de Cendrillon (Historia da Gata Borralheira).
Le silence (O Silêncio).
La maison marine (A Casa do Mar).
Saga (Saga), histoire imaginaire des ancêtres danois de l’autrice.
Vila d’Arcos (Villa d’Arcos).
Les Éditions du Canoë, 2021 ont aussi édité en 2021 une très belle nouvelle: Il était une foisune plage atlantique, traduite du portugais et préfacée par Colette Lambrichs. Elle avait été publiée en 1998 au moment de l’Exposition Universelle de Lisbonne. Lors de la campagne de Mário Soares pour l’élection à la Présidence de la République en 1986, Sophia de Mello Breyner Andresen avait été chargée par l’homme politique socialiste d’animer une salle de militants déjà acquis à sa candidature. Elle s’était avancée sur l’estrade en disant : “Maintenant , vous avez assez entendu parler politique, je vais vous lire quelques poèmes.” Tous l’écoutèrent dans un silence extraordinaire.
Villa d’Arcos
Villa d’Arcos se trouve au nord un peu à l’est dans une région de montagnes. C’est une ville de province et petite, avec des rues pavées autour de la cathédrale énorme comme un navire pour d’éternels voyages. Ses vieilles maisons – nobles même quand elles sont pauvres – ont de justes proportions depuis la marche de l’escalier jusqu’à l’encadrement de la fenêtre, depuis la balustrade du balcon jusqu’à la surface du mur de granit sans mortier où seul le blason de pierre avec ses besants, griffons et lions est trop grand au-dessus des ferrures et des bois disjoints de la porte ; comme si dans le monde où nous sommes rien n’importait, ni le froid du granit, ni l’obscure exiguïté des pièces, ni la pauvreté monotone des jours, et seule importait la noblesse que nous exposons à la lumière et qui est le projet de notre âme. C’est une ville ancienne où stagnante se désagrège et se dissout lentement une vie dévécue geste à geste, syllabe à syllabe. Les voitures gémissent le long des rues pavées. Passent peu d’hommes et des femmes hâtives vêtues de noir et en mai les rosiers fleurissent sur les murs que l’hiver recouvre de mousse. Derrière la petite fenêtre à volet vert de la maison du coin une femme aux yeux perçants, bruns et très rapprochés, voit tout, maligne et sage, terriblement attentive, comme si son regard lisait et soutenait le desadvenir des choses. Il y a des jardins imprévus, plus subtils et complexes que dans notre imagination, où croissent de hauts magnolias, avec de grandes fleurs blanches aux pétales profonds et larges, doux et épais, et où l’eau d’argent qui jaillit des dauphins de pierre tombe dans les petits bassins octogonaux. Jardins de buis, de camélias et de violettes, au parfum de contemplation et de passion, d’oubli et de silence. Jardins doucement abandonnés à une solitude dansée par les brises, tandis qu’un long susurrement d’adieu fait signe de feuille en feuille dans les branches les plus hautes des arbres. Jardins où nous reconnaissons que la vie est un songe dont jamais nous ne nous réveillons, un songe où surgissent des apparitions prodigieuses comme le lis, l’aigle et l’inoubliable visage aimé avec passion, mais où tout se transforme en oubli, distance, débris et impossibilité. Jardins où nous reconnaissons que notre condition est de ne pas savoir. De ne pouvoir jamais trouver l’unité. Et trouver l’unité serait nous réveiller.
Histoires de la terre et de la mer, Éditions de la Différence, 1990. Traduction : Alice Caffarel et Claire Carayon.
Vila d’Arcos
Vila d’Arcos fica ao Norte, um pouco para Leste, numa região de montanhas. É uma cidade de província e pequena com ruas empedradas em torno da catedral enorme como um navio de eternas viagens. As suas casas antigas — nobres mesmo quando pobres — são proporcionadas com justeza desde o degrau da escada até ao quadrado da janela, desde a balaustrada da varanda até à superfície da parede de granito sem reboco onde só a pedra de armas com arruelas, grifos e leões é grande demais sobre os ferros e as madeiras desconjuntadas da porta; como se no mundo em que estamos nada importasse, nem o frio do granito, nem a estreiteza sombria dos quartos, nem a pobreza monótona dos dias, mas só importasse a nobreza que mostramos à luz e que é o projecto da nossa alma. É uma cidade antiga onde estagnada se desagrega e se dissolve lentamente uma vida desvivida gesto por gesto, sílaba por sílaba. Os carros gemem ao longo das ruas empedradas. Passam poucos homens e rápidas mulheres vestidas de preto e em Maio as roseiras florescem nos muros que o Inverno cobriu de musgo. Por trás da portada verde da pequena janela da casa de esquina uma mulher de olhos agudos, muito juntos e castanhos, vê tudo, sábia e arguta, terrivelmente atenta, como se o seu olhar lesse e amparasse o desacontecer das coisas. Há jardins imprevistos, mais subtis e complexos do que o imaginável, onde crescem altas magnólias, com grandes flores brancas de pétalas profundas e largas, macias e espessas e onde a água de prata que irrompe da boca dos golfinhos de pedra cai nos pequenos tanques oitavados. Jardins de buxo, camélias e violetas perfumados de contemplação e paixão, de esquecimento e silêncio. Jardins docemente abandonados a uma solidão dançada pelas brisas, enquanto um longo sussurro de adeus acena de folha em folha nos ramos mais altos das árvores. Jardins onde reconhecemos que a nossa condição é não saber. É não poder jamais encontrar a unidade. E encontrar a unidade seria acordar.
1972
Histórias da Terra e do Mar. Lisboa, Edições Salamandra, 1984.
Raymond Carver est né Le 25 mai 1938 à Clatskanie (Oregon). Il est mort le 2 août 1888 à Port Angeles (état de Washington) d’un cancer du poumon. « Je souhaite que, sur ma tombe, on grave les mots “Poète, nouvelliste, essayiste”, dans cet ordre précis », a-t-il dit. La poésie occupe une place fondamentale dans son œuvre.
Rain
Woke up this morning with a terrific urge to lie in bed all day And read. Fought against it for a minute.
Then looked out the window at the rain. And gave over. Put myself entirely in the keep of this rainy morning.
Would I live my life over gain? Make the same unforgivable mistakes? Yes, given half a chance. Yes.
Where Water comes Together with Other Water, 1985.
Pluie
Me suis réveillé ce matin avec un besoin terrible de passer la journée au plumard à lire. Y ai résisté une minute.
Puis j’ai regardé par la fenêtre la pluie. Et abandonné. Me suis entièrement confié à la garde de ce matin pluvieux.
Est-ce que je revivrais ma vie ? Commettrais-je les mêmes erreurs impardonnables ? Oui, à la moindre occasion. Oui.
Oeuvres complètes 9. Poésie. Traduction: Jacqueline Huet, Jean-Pierre Carasso et Emmanuel Moses.
Le 25 avril, ce sera toujours pour moi le 25 avril 1974. La révolution des Œillets (revolução dos cravos) au Portugal mettait fin à quarante-huit ans de dictature et permettait la fin des guerres et la décolonisation: Angola, Mozambique, Cap-Vert, Sao-Tomé-et-Principe et Guinée-Bissau.
Relisons Sophia de Mello Breyner, une des plus importantes poétesses portugaises.
25 de abril (Sophia de Mello Breyner)
Esta é a madrugada que eu esperava O dia inicial inteiro e limpo Onde emergimos da noite e do silêncio E livres habitamos a substância do tempo
25 avril
Voici le matin que j’attendais Le jour premier net et plein Où nous émergeons de la nuit et du silence et habitons libre la substance du temps
Malgré les ruines et la mort. Éditions de la Différence, 2000. Traduction Joaquim Vidal.
Revolução (Sophia de Mello Breyner)
Como casa limpa Como chão varrido Como porta aberta
Como puro início Como tempo novo Sem mancha nem vício
Como a voz do mar Interior de um povo
Como página em branco Onde o poema emerge
Como arquitectura Do homem que ergue Sua habitação
27 de Abril de 1974.
Révolution
Comme une maison propre Comme un plancher balayé Comme une porte ouverte
Comme le pur commencement Comme le temps nouveau Sans tache ni vice
Comme la voix de la mer Intérieure d’un peuple
Comme la page blanche D’où le poème émerge
Comme l’architecture De l’homme qui construit Son habitation
Malgré les ruines et la mort. Éditions de la Différence, 2000. Traduction Joaquim Vidal.
Revolução-Descobrimento (Sophia de Mello Breyner)
Revolução isto é: descobrimento Mundo recomeçado a partir da praia pura Como poema a partir da página em branco — Katharsis emergir verdade exposta Tempo terrestre a perguntar seu rosto
Révolution-Découverte
Révolution c’est à dire découverte Monde qui recommence à partir de la plage pure Comme le poème à partir de la page blanche – Catharsis émergence vérité nue Temps terrestre qui cherche son visage
Malgré les ruines et la mort. Éditions de la Différence, 2000. Traduction Joaquim Vidal.
J’ai pu voir avec J. hier après-midi l’exposition : Miquel Barceló La métamorphose d’après la l’oeuvre de Franz Kafka. (26 novembre 2021 – 23 avril 2022). Exposition-vente à la Galerie Gallimard, 30-32 Rue de l’Université. 75007-Paris.
Il s’agit d’un accrochage consacré aux aquarelles originales réalisées par Miquel Barceló pour accompagner La Métamorphose. Le peintre a sélectionné une quarantaine d’oeuvres originales parmi celles qu’il a réalisées pour accompagner l’oeuvre, publiée dans la collection « Grande Blanche illustrée ». Toutes sont inédites, car non publiées dans le volume.
Miquel Barceló est né en 1957 à Felanitx (Majorque). Il vit entre Majorque et Paris. il a longtemps travaillé au Mali. Il a aussi illustré La Divine Comédie de Dante (dessins exposés au Louvre en 2005) et le Faust de Goethe.
« J’ai lu La Métamorphose à l’âge de 13 ou 14 ans d’un trait, la nuit. Peut-être même deux fois de suite, comme j’avais l’habitude de faire parfois. Le jour d’après, en rentrant de l’école, j’ai trouvé ma mère en train de pleurer en le lisant, alors que je l’avais trouvé drôle et troublant. Ma mère pleurait à l’idée que j’avais lu ÇA. Je l’ai ensuite relu plusieurs fois. Peut-être à chaque décennie. Je le considère comme une sorte de comique essentiel et moderne (tel Cervantès). Plus les années et les événements passent, plus je trouve Franz Kafka pertinent, avec cet humour qu’on disait juif mais qui est une forme très ancienne d’humanisme… désespoir cosmique…Métamorphose : changement. Le seul qui ne change pas est Gregor Samsa, il maigrit peut-être, mais il reste le même du réveil jusqu’à la fin. Autour de lui tout se transforme. Son père, sa mère, sa petite soeur ! Après lecture, on prend conscience de quelque chose qu’on avait oublié depuis longtemps, que l’on savait déjà. »
« Kafka ne s’étend pas dans les descriptions, on doit se fabriquer ses propres images ».
Miquel Barceló a peint ces aquarelles en 2019 dans le sud de la Thaïlande, au soleil, au bord de la mer.
Franz Kafka, La Métamorphose. Traduction Jean-Pierre Lefebvre. NRF Gallimard. Bibliothèque de la Pléiade. 2018
« Quand Gregor Samsa se réveilla un beau matin au sortir de rêves agités, il se retrouva transformé dans son lit en une énorme bestiole immonde. Il était couché sur le dos, qu’il sentait dur comme une carapace, et chaque fois qu’il levait un peu la tête il apercevait son ventre bombé, brun, segmenté par des indurations arquées, au sommet duquel l’édredon, prêt à glisser complètement, arrivait à peine à se maintenir. Ses multiples pattes, lamentablement fluettes par rapport au volume qu’il occupait par ailleurs, grouillaient désespérément sous ses yeux. « Qu’est-ce qui m’est arrivé ? » pensa-t-il. Ce n’était pas un rêve. Sa chambre, une vraie chambre d’être humain, simplement un peu trop petite, était là bien tranquille entre ses quatre murs familiers. Au-dessus de la table, où s’étalait une collection d’échantillons de tissus qu’il avait déballée – Samsa était voyageur de commerce , était accroché l’image qu’il avait récemment découpée dans un illustré et mise dans un joli cadre doré. Elle représentait une dame munie d’une toque et d’un boa., de fourrure l’une et l’autre, assise bien droite et présentant à qui l’examinait un lourd manchon de fourrure dans lequel tout son avant-bras avait disparu. Gregor tourna ensuite les yeux vers la fenêtre, et le temps maussade – on entendait les gouttes de pluie taper sur l’appui de zinc – le rendit tout mélancolique. « Qu’est-ce qui se passerait si je continuais plutôt à dormir encore un peu en oubliant toutes ces fariboles ? » pensa-t-il, mais c’était totalement irréalisable, car il avait l’habitude de dormir sur le côté droit, et dans l’état où il était maintenant il n’arrivait pas à prendre cette position. Quelle que fût l’énergie avec laquelle il se jetait sur le côté droit, il se retrouvait toujours sur le dos par un mouvement de balancier. Il essaya bien cent fois, fermant les yeux pour ne pas être obligé de voir ses pattes frétillantes, et ne renonça que lorsqu’il commença à sentir sur le flanc une douleur sourde, discrète, qu’il n’avait jamais ressentie. »
Ludmila Oulitskaïa contre la guerre en Ukraine : « Le destin du pays est dirigé par la folie d’un seul homme »
Aujourd’hui, 24 février 2022, la guerre a éclaté. Je pensais que ma génération, celle qui est née pendant la Seconde Guerre mondiale, avait de la chance, et que nous allions vivre sans avoir connu de guerre jusqu’à notre mort qui serait, comme promis dans les Évangiles, « paisible, sans douleur et sans reproche ». Mais non. On dirait bien que ce ne sera pas le cas. Et nul ne sait à quoi vont aboutir les événements de cette journée dramatique.
Le destin du pays est dirigé par la folie d’un seul homme et de ses complices dévoués. On ne peut que faire des suppositions sur ce que les manuels d’histoire en diront dans cinquante ans. De la douleur, de la peur, de la honte – voilà les sentiments que l’on éprouve aujourd’hui.
De la douleur, parce que la guerre s’en prend au vivant, à l’herbe et aux arbres, aux animaux et à leur descendance, aux êtres humains et à leurs enfants.
De la peur, parce qu’il existe chez tous les êtres vivants un instinct de conservation biologique qui les pousse à protéger leur vie et celle de leur descendance.
De la honte, parce que la responsabilité des dirigeants de notre pays dans le développement de cette situation pouvant entraîner d’immenses malheurs pour toute l’humanité est évidente.
Cette responsabilité, nous la partageons tous nous aussi, qui sommes contemporains de ces événements dramatiques et qui n’avons pas su les prévoir ni les arrêter. Il faut absolument stopper cette guerre qui se déchaîne de plus en plus à chaque minute qui passe, et résister à la propagande mensongère dont tous les médias inondent notre population.
(Texte traduit du russe par Sophie Benech)
Ce n’était que la peste. Scénario. Traduction: Sophie Benech. Hors série Littérature, Gallimard, 2021. Moscou, 1939. Le biologiste Rudolf Mayer a parcouru plus de huit cents kilomètres pour présenter aux autorités ses recherches sur une souche hautement virulente de la peste. Ce n’est qu’après cette réunion qu’il comprend qu’il a été contaminé, et que toutes les personnes qu’il a croisées peuvent l’être également. La police soviétique déploie alors un très efficace plan de mise en quarantaine. Mais en ces années de Grandes Purges, une mise à l’isolement ressemble à une arrestation politique, et les réactions des uns et des autres peuvent être surprenantes. Ce texte date de 1988. Ludmila Oulitskaïa donne à voir ce qui peut se passer lorsqu’une épidémie éclate au cœur d’un régime totalitaire. Ce texte inédit a été découvert en Russie au printemps 2020.