Fiestas de San Juan – Joan Salvat-Papasseit (1894-1924)

FESTES DE FOGUERES DE SANT JOAN 2019. ELX.

Festes Patronals en honor a Sant Joan Baptista al barri del Raval

El 24 de juny és el dia de Sant Joan, i en el seu honor se celebren les festes al barri del Raval. És tradicional la plantà d’una foguera gran i diverses petites als voltants de l’Església de Sant Joan. Són molts els veïns que acudeixen al recinte a gaudir dels típics sopar de cabasset, la banyaeta, actuacions, revetlles, etc., a més de les processons i actes religiosos, com ara el tridu i les serenates.

La nit de Sant Joan es procedeix a la cremà de les fogueres entre el goig dels més joves, que finalment acaben banyats per l’aigua amb la qual els bombers sufoquen el foc de les fogueres.

La plantà tindrà lloc el 21 de juny i la cremà el 24 de juny.

Vetlla, revetlla (Joan Salvat-Papasseit)

                     A Jaume Llongueres

Sant Joan
noça i bateig de sang!
Les noies riuen amb llur galant.

Quina vesprada
festa pel cor:
cada abraçada deixarà enyor,
cada besada un infant nou.

Pluja de ruda sobre els pitralls,
qui diu l’amada,
qui diu l’amant.

El càntir s’ompli
d’aigua amb anís,
que es vessi tota
sines endins.

No hi haurà festa si el foc no és alt,
si molt no es besa
y l’amor es plany.

A la fontada vinguen cançons
la matinada veurem el sol:

haurem menjada coca amb llardons.

La gesta dels estels (Mostra de poemes), 1922.

Veille et nuit de fête (Joan Salvat-Papasseit)

                                       A Jaume Llongueres

Á la Saint-Jean
noce et baptême de sang!
Les jeunes filles rient avec leurs galants.

Quelle soirée
fête pour le coeur:
chaque étreinte laissera des regrets,
chaque baiser un nouvel enfant.

Pluie d’asplenium sur les corps
qui dit l’aimée,
qui dit l’amant.

Le cruche se remplit
d’eau et d’anis,
qu’elle se déverse
sur les potrines.

Il n’y aura pas de fête si le feu n’est pas haut,
si l’on ne s’embrasse pas assez
et si l’amour se plaint.

Á la fontaine en fête que se succèdent les chansons
à l’aube nous verrons le soleil:

nous aurons mangé la tourte aux lardons.

(Traduit du catalan par Annie Andreu-Laroche et Carlos Andreu)

Epitalami d’unes noces de maig (Joan Salvat-Papasseit)

Amic, quin trot galant
si aquesta nit avances la nit de Sant Joan –
la nit de Sant Joan que és nit de meravella,
i és damunt cada bes que neixen les estrelles.

Digue-li al teu amor l’enveja que li hauran altres donzelles
i eixuga-li aquell crit——-mica de plor,
que és en la noia verge quan el seu cos floreix una rosella.

I para compte al goig del seu desmai.

Que Cupidell us furti
i no pugueu vestir-vos si feu curta l’empresa.

Óssa menor (Fi dels poemes d’avant-guarda), 1925

Epithalame pour noces de mai (Joan Salvat-Papasseit)

Ami quel trot galant
si cette nuit tu devances la Saint-Jean –
nuit de la Saint-Jean nuit de merveille
pour chaque baiser naît une étoile.

Dis à ton amour la jalousie qu’éprouveront les autres donzelles
étouffe ce cri pleur léger
qui sort de la jeune vierge quand son corps fait fleurir un coquelicot.

Sois attentif à la joie de son évanouissement.

Que Cupidon vous vole
et que vous ne puissiez vous vêtir à nouveau si vous écourtez votre étreinte.

Petite ourse (Fin des poèmes d’avant-garde), 1925

(Traduit du catalan par Annie Andreu-Laroche et Carlos Andreu)

Joan Salvat-Papasseit (1894-1924).

Cesare Pavese II 1908-1950

Cesare Pavese a pu écrire aussi certains poèmes plutôt optimistes.

Agonie

J’errerai dans les rues jusqu’à l’épuisement,
je saurai vivre seule et fixer dans les yeux
les visages qui passent tout en restant la même.
Cette fraîcheur qui monte et qui cherche mes veines
est un éveil que jamais au matin je n’avais ressenti
si réel: seulement, je me sens plus forte que mon corps,
et un frisson plus froid accompagne le matin.

Ils sont loin les matins où j’avais vingt ans.
Et demain vingt-et-un: demain je sortirai dans les rues,
j’en revois chaque pierre et les franges de ciel.
Les gens dès demain me verront à nouveau
et je marcherai droite, je pourrai m’arrêter,
me voir dans les vitrines. Les matins de jadis,
j’étais jeune et ne le savais pas, je ne savais pas même
que c’était moi qui passais – une femme, maîtresse
d’elle-même. L’enfant maigre que j’étais
s’est éveillé de pleurs qui ont duré des années:
Maintenant c’est comme si jamais ils n’avaient existé.

Je désire des couleurs et c’est tout. Les couleurs ne pleurent pas,
elles sont comme un éveil: dès demain les couleurs
reviendront. Chaque femme sortira dans la rue,
chaque corps une couleur – et même les enfants.
Ce corps vêtu d’un rouge clair
après tant de pâleur retrouvera sa vie.
Je sentirai glisser les regards près de moi,
je saurai que j’existe en jetant un coup d’œil,
je me verrai dans la foule. Chaque nouveau matin,
je sortirai dans les rues en cherchant les couleurs.

Travailler fatigue (Traduction de Gilles de Van) 1969. NRF Poésie/Gallimard.

Agonia

Girerò per le strade finché non sarò stanca morta
saprò vivere sola e fissare negli occhi
ogni volto che passa e restare la stessa.
Questo fresco che sale a cercarmi le vene
è un risveglio che mai nel mattino ho provato
così vero: soltanto, mi sento più forte
che il mio corpo, e un tremore più freddo
accompagna il mattino.
Son lontani i mattini che avevo vent’anni.

E domani, ventuno: domani uscirò per le strade,
ne ricordo ogni sasso e le strisce di cielo.
Da domani la gente riprende a vedermi
e sarò ritta in piedi e potrò soffermarmi
e specchiarmi in vetrine. I mattini di un tempo,
ero giovane e non lo sapevo, e nemmeno sapevo
di esser io che passavo-una donna, padrona
di se stessa. La magra bambina che fui
si è svegliata da un pianto durato per anni
ora è come quel pianto non fosse mai stato.

E desidero solo colori. I colori non piangono,
sono come un risveglio: domani i colori
torneranno. Ciascuna uscirà per la strada,
ogni corpo un colore-perfino i bambini.
Questo corpo vestito di rosso leggero
dopo tanto pallore riavrà la sua vita.
Sentirò intorno a me scivolare gli sguardi
e saprò d’esser io: gettando un’occhiata,
mi vedrò tra la gente. Ogni nuovo mattino,
uscirò per le strade cercando i colori.

1933.

Lavorare stanca, Florence 1936.

Cesare Pavese.

Cesare Pavese I 1908 – 1950

Cesare Pavese.

Cesare Pavese est né le 9 septembre 1908 à Santo Stefano Belbo (Province de Coni, dans le Piémont). Il partage les premières années de son enfance entre Turin et les collines piémontaises, les Langhe, vallées étroites et difficiles d’accès. C’est aussi la région d’un auteur italien que j’aime beaucoup, Beppe Fenoglio (1922-1963) (La Guerre sur les collinesIl partigiano Johnny, 1968; roman traduit chez Gallimard en 1973) Il a six ans quand son père, modeste greffier auprès du tribunal de Turin, meurt d’une tumeur cérébrale. Il est élevé par une mère seule, autoritaire et puritaine. Il se lie d’amitié au lycée Massimo d’Azeglio de Turin avec Giulio Einaudi (1912-1999), Leone Ginzburg (1909-1944), Massimo Mila (1910-1988). Il étudie la littérature anglaise à Turin et écrit une thèse sur le poète américain Walt Whitman en 1930. Il traduit magnifiquement en italien Moby Dick d’Herman Melville en 1932 et aussi des œuvres de John Dos Passos, Sherwood Anderson, Gertrude Stein, William Faulkner, Daniel Defoe, James Joyce ou Charles Dickens.

Il collabore dès 1930 à la revue La Cultura, éditée par Einaudi. Il publie des articles sur la littérature américaine et en 1936 son recueil de poèmes Travailler fatigue (Laborare stanca), année où il devient professeur d’anglais.

Il s’inscrit de 1932 à 1935 au Parti national fasciste, sous la pression, selon lui, des membres de sa famille. En conformité avec le régime, il est choisi en 1934 comme directeur de la revue La Cultura, qui est devenu la tribune de ses amis de Giustizia e Libertà, groupe anti-fasciste. Pavese est arrêté le 15 mai 1935 pour activités anti-fascistes. Il est exclu du parti et relégué en Calabre à Brancaleone, petit village au bord de la mer Ionenne du 4 août 1935 au 15 mars 1936. A partir de 1936, il devient l’un des principaux collaborateurs de la maison d’édition Einaudi, fondée le 15 novembre 1933. En 1939, il écrit le récit Le Bel Été qui ne paraît qu’en 1949, accompagné de deux autres textes: Le Diable sur les collines et Entre femmes seules. Ce livre obtient le Prix Strega et sera adapté librement au cinéma par Michelangelo Antonioni en 1955 (Femmes entre elles – Le Amiche)

Cesare Pavese adhère au Parti communiste italien en novembre 1945 et écrit régulièrement dans L’ Unità. Il s’établit à Serralunga di Crea (province d’Alexandrie, dans le Piémont), puis à Rome, à Milan et finalement à Turin. Il travaille toujours pour les éditions Einaudi et ne cesse d’écrire durant ces années-là. En 1949 paraît son roman, La Lune et les Feux, souvenir de l’enfance et du monde.
Il connaît un amour malheureux pour l’actrice américaine Doris Dowling (1923-2004), rencontrée à Rome en 1950. Cesare Pavese se suicide dans la nuit du 26 au 27 août 1950, en absorbant une vingtaine de cachets de somnifère dans une chambre de l’hôtel Roma, place Carlo-Felice à Turin, laissant sur sa table un mot: «Je pardonne à tout le monde et à tout le monde, je demande pardon. Ça va? Ne faites pas trop de commérages.» Il laisse aussi un dernier recueil de poèmes, La mort viendra et elle aura tes yeux, lequel se termine par:«Assez de mots. Un acte!». Il allait avoir 42 ans.
Il a aussi tenu un journal intime (1935-1950), paru en 1952, sous le titre Le Métier de vivre. Il l’achève le 18 août 1950 par ces mots: “La chose le plus secrètement redoutée arrive toujours. J’écris: ô Toi, aie pitié. Et puis? Il suffit d’un peu de courage. Plus la douleur est déterminée et précise, plus l’instinct de la vie se débat, et l’idée du suicide tombe. Quand j’y pensais, cela semblait facile. Et pourtant de pauvres petites femmes l’ont fait. Il faut de l’humilité, non de l’orgueil. Tout cela me dégoûte. Pas de paroles. Un geste. Je n’écrirai plus.”
Ce journal permet de mesurer la profondeur et la constance de son état dépressif.

Natalia Ginzburg (1916-1991) écrit dans Portrait d’un ami, publié en 1957, mais repris dans Les petites vertus (Ypsilon. Éditeur, 2018). Voir le blog à la date du 26 décembre 2018:
«Parler avec lui, d’autre part, n’était jamais facile, même lorsqu’il était de bonne humeur; mais un entretien avec lui, même fait de peu de mots, pouvait être plus tonique et stimulant qu’avec quiconque. En sa compagnie, nous devenions bien plus intelligents, nous nous sentions poussés à mettre dans les mots ce que nous avions en nous de meilleur et de plus sérieux, nous rejetions les lieux communs, les idées imprécises, les paroles confuses.»

Fernando Pessoa

Fernando Pessoa. Hétéronymes.

XXI

Si je pouvais croquer la terre entière
Et lui trouver un goût,
Et si la terre était une chose à croquer,
J’en serais plus heureux un instant…
Mais moi ce n’est pas toujours que je veux être heureux.
Il faut bien être de temps à autre malheureux
Afin de pouvoir être naturel…
Ce n’est pas tous les jours qu’il fait soleil,
Et la pluie, quand elle manque beaucoup, on la demande.
C’est pourquoi je prends le malheur avec le bonheur
Naturellement, comme qui ne s’étonne point
Qu’il y ait montagnes et plaines
Ainsi qu’herbes et rochers…

Ce qu’il faut c’est être naturel et calme
Dans le bonheur comme dans le malheur,
Sentir comme l’on voit,
Penser comme l’on marche,
et, lorsqu’on va mourir, se rappeler que le jour meurt,
Et que le couchant est beau et belle la nuit qui se fait…
Et que si ainsi sont les choses, c’est que les choses sont ainsi.

Daté du 7 mars 1914, publié dans Åtica, 1946

Alberto Caeiro, Le Gardeur de Troupeaux.
Traduction Patrick Quillier et Maria Antonia Câmara Manuel.

Fernando Pessoa. Oeuvre poétiques. Bibliothèque de la Pléiade, NRF, Gallimard.

XXI

Se eu pudesse trincar a terra toda
E sentir-lhe um paladar,
E se a terra fosse uma coisa para trincar
Seria mais feliz um momento…
Mas eu nem sempre quero ser feliz.
É preciso ser de vez em quando infeliz
Para se poder ser natural…

Nem tudo é dias de sol,
E a chuva, quando falta muito, pede-se.
Por isso tomo a infelicidade com a felicidade
Naturalmente, como quem não estranha
Que haja montanhas e planícies
E que haja rochedos e erva…

O que é preciso é ser-se natural e calmo
Na felicidade ou na infelicidade,
Sentir como quem olha,
Pensar como quem anda,
E quando se vai morrer, lembrar-se de que o dia morre,
E que o poente é belo e é bela a noite que fica…
Assim é e assim seja…

Alberto Caeiro, O Guardador de Rebanhos.

Fernando Pessoa

Portrait de Fernando Pessoa (Almada Negreiros) 1964. Lisbonne, Fondation Calouste Gulbenkian.

Fernando António Nogueira Pessoa est né le 13 juin 1888 à Lisbonne. Il est mort dans la même ville le 30 novembre 1935 des suites de son alcoolisme.

En bref. Christian Bourgois, 2004. Traduit par Françoise Laye.

«La vie est une hésitation entre une exclamation et une interrogation. Dans le doute, on met un point final.»

«Espérer le meilleur et se préparer au pire: c’est la règle.»

«L’essence du progrès, c’est la décadence. Progresser, c’est mourir parce que vivre, c’est mourir.»

«Travailler avec noblesse, espérer avec sincérité, aimer les hommes avec tendresse – voilà la vraie philosophie.»

«Les esprits analytiques ne voient que les défauts: plus la lentille est forte, plus imparfait nous apparaît l’objet observé. Le détail est toujours fâcheux.»

«La culture ne consiste pas à lire ni à savoir beaucoup, mais à connaître beaucoup.»

«D’abord sois libre; ensuite demande la liberté.»

«La vie est un mal digne d’être savouré.»

«Sois pluriel comme l’univers!»

«Personne ne comprend personne. Tout est hasard, interstices, mais tout se combine parfaitement.»

Retour de flamme (El amor menos pensado)

https://www.youtube.com/watch?v=bFrJCE-FClU

Film argentin de Juan Vera. 2018. (2 h 09). Sc: Juan Vera, Daniel Cúparo. Avec Ricardo Darín, Mercedes Morán, Claudia Fontán, Andrea Pietra, Jean-Pierre Noher, Norma Briski, Juan Minujin, Gabriel Corrado, Andrea Politti.

Marcos et Ana sont deux quinquagénaires plutôt heureux dans la vie. Ils sont mariés depuis 25 ans. Quand leur fils unique part faire ses études à Madrid, ils se retrouvent seuls face à face dans leur grand appartement rempli de souvenirs divers. Ils se demandent s’il s’aiment encore. Après une conversation banale, ils décident de se séparer sur un coup de tête. Ils commencent à vivre en célibataires pendant trois ans et ont recours à Tinder ou Facebook. Le film est une réflexion plutôt amère sur la liberté et l’obsession moderne du renouvellement. La mise en scène est classique. Les dialogues sont incisifs et assez drôles. Les deux acteurs (Ricardo Darín et Mercedes Morán) sont excellents.

Marcos est universitaire. Il lit au début du film l’incipit de Moby Dick.

Herman Melville, Moby Dick.

«Call me Ishmael. Some years ago–never mind how long precisely –having little or no money in my purse, and nothing particular to interest me on shore, I thought I would sail about a little and see the watery part of the world. It is a way I have of driving off the spleen, and regulating the circulation. Whenever I find myself growing grim about the mouth; whenever it is a damp, drizzly November in my soul; whenever I find myself involuntarily pausing before coffin warehouses, and bringing up the rear of every funeral I meet; and especially whenever my hypos get such an upper hand of me, that it requires a strong moral principle to prevent me from deliberately stepping into the street, and methodically knocking people’s hats off–then, I account it high time to get to sea as soon as I can.
This is my substitute for pistol and ball. With a philosophical flourish Cato throws himself upon his sword; I quietly take to the ship. There is nothing surprising in this. If they but knew it, almost all men in their degree, some time or other, cherish very nearly the same feelings towards the ocean with me.»

Traduction de Henriette Guex-Rolle, Garnier-Flammarion. 1970

«Appelez-moi Ismaël. Voici quelques années – peu importe combien – le porte-monnaie vide ou presque, rien ne me retenant à terre, je songeai à naviguer un peu et à voir l’étendue liquide du globe. C’est une méthode à moi pour secouer la mélancolie et rajeunir le sang. Quand je sens s’abaisser le coin de mes lèvres, quand s’installe en mon âme le crachin d’un humide novembre, quand je me surprends à faire halte devant l’échoppe du fabricant de cercueils et à emboîter le pas à tout enterrement que je croise, et, plus particulièrement, lorsque mon hypocondrie me tient si fortement que je dois faire appel à tout mon sens moral pour me retenir de me ruer délibérément dans la rue, afin d’arracher systématiquement à tout un chacun son chapeau… alors, j’estime qu’il est grand temps pour moi de prendre la mer. Cela me tient lieu de balle et de pistolet. Caton se lance contre son épée avec un panache philosophique, moi, je m’embarque tranquillement. Il n’y a là rien de surprenant. S’ils en étaient conscients, presque tous les hommes ont, une fois ou l’autre, nourri, à leur manière, envers l’Océan, des sentiments pareils aux miens.»

Franz Kafka

Franz Kafka. Photo d’identité. Vers 1915.

Franz Kafka est mort le 3 juin 1924 au sanatorium de Kierling (Autriche), près de Vienne, de malnutrition et de tuberculose. Sa dernière compagne, Dora Diamant, se trouvait à ses côtés. Il avait 40 ans.

Sa correspondance (149 lettres et cartes postales) avec la journaliste et femme de lettres Milena Jesenská est passionnante. Aucune des lettres qu’elle lui a écrites ne nous est parvenue. Elles ont été brûlées par leur destinataire ou ont disparu lors de l’entrée des troupes allemandes à Prague en 1939. Il s’agit sans doute de la relation amoureuse la plus importante de la vie de Kafka. Milena a deux particularités : elle n’est pas juive et c’est une intellectuelle. Elle a su reconnaître tout de suite le génie de Kafka. Elle lui a proposé de le traduire en langue tchèque. Après l’occupation de la Tchécoslovaquie par l’armée nazie, Milena Jesenská entre dans une organisation de résistance militaire secrète. La Gestapo l’arrête en novembre 1939 . Elle meurt en déportation le 17 mai 1944 à 47 ans dans le camp de Ravensbrück en Allemagne.

Quelques citations de cette correspondance retraduite par Robert Kahn aux éditions Nous en 2015:

Merano, probablement les 25 et 29 mai 1920, mardi et samedi.

«Il y a quelques années je faisais beaucoup de skiff (manas) sur la Moldau, je la remontais à la pagaie et je la redescendais ensuite avec le courant, étendu de tout mon long, passant sous les ponts. Vu du pont, cela devait paraître très comique, à cause de ma maigreur. Un jour cet employé me vit depuis un pont. Il résuma son impression, après avoir suffisamment insisté sur le comique: cela ressemblait à l’ultime moment avant le Jugement dernier, quand le couvercle des cercueils est déjà levé, mais que les morts y reposent encore.»

Merano, 11 juin 1920, vendredi.

«Quand remettra-t-on enfin ce monde à l’envers un peu d’aplomb?»

Merano, 23 juin 1920, mercredi.

«Il est difficile de dire la vérité car elle est certes unique, mais elle est vivante et du coup elle a un visage vivant et changeant (Absolument pas belle, vraiment pas, peut-être parfois jolie.)»

Prague, 2 septembre 1920, jeudi.

«Mais une des choses les plus insensées sur ce globe terrestre est le traitement sérieux de la question de la culpabilité, à ce qu’il me semble en tout cas. Il ne me semble pas insensé que des reproches soient faits , il est certain que dans la peine on lance des reproches dans tous les sens (même s’il ne s’agit pas de la peine la plus extrême, car dans celle-là on ne fait pas de reproches), et que l’on prenne à coeur de tels reproches dans une période d’émotion et de bouleversements est aussi bien compréhensible, mais que l’on croie pouvoir négocier cela comme n’importe quelle situation comptable habituelle, qui est si claire qu’elle entraîne des conséquences pour le comportement quotidien, cela je ne le comprends pas du tout. Il est certain que Tu es coupable, mais ton mari est aussi coupable et ensuite de nouveau Toi et puis à nouveau lui, comme il ne peut en aller autrement dans une vie humaine à deux et la culpabilité s’accumule en un tas infini jusqu’au gris péché originel, mais en quoi cela peut-il m’être utile dans mon quotidien d’aujourd’hui ou pour la visite chez le médecin de Bad Ischl de remuer dans le péché originel?»

Franz Kafka. Ottilie “Ottla” Kafka.

Kafka avait trois sœurs plus jeunes que lui : Gabrielle (Elli) (1889-1941), Valérie (Valli) (1890-1942) et Ottilie (Ottla) (1892-1943). Elli et Valli seront envoyées avec leurs familles dans le Ghetto de Łódź, où tous périrent. Ottla, elle, se retrouvera au camp de concentration de Theresienstadt. Le 5 octobre 1943, Ottla accompagnera volontairement un groupe d’enfants. Lorsque le transport atteindra le camp de concentration d’Auschwitz deux jours plus tard, ils seront tous assassinés.

Ottilie “Ottla” Kafka.

Bob Dylan – Blas de Otero -César Vallejo

Bob Dylan.

Bob Dylan (Robert Allen Zimmerman) est né le 24 mai 1941 à Duluth (Minnesota). Prix Nobel de Littérature 2016, il a aujourd’hui 78 ans.

Blas de Otero.

Le poème de Blas de Otero (1916-1979) renvoie à celui du grand poète péruvien César Vallejo (1892-1938).

Tiempo (Blas de Otero)

Hoy es Domingo y por eso
decía César Vallejo por eso
escucho a Bob Dylan me hundo en el fondo del subconsciente buceo
a ojos cerrados y todo aparece diáfano como la armónica de Bob tantos años abatidos
furia del angel fieramente humano contra las altas olas
yo dije España está perdida dentro de su nombre
llamé a la paz con los labios desgarrados
pero hoy es domingo y por eso
me serené como una verónica de Gitanillo de Triana
seccioné mi angustia la guillotiné en despiadados versos
pero hoy es domingo y por eso
a lo lejos ya viene la galerna
la espero a pecho descubierto
pecho como la guitarra de Bob Dylan
porque hoy es domingo y por eso.

Hojas de Madrid con La galerna. Galaxia Gutenberg, Círculo de lectores, Barcelona, 2010.

César Vallejo.

Fue domingo en las claras orejas de mi burro… (César Vallejo)

Fue domingo en las claras orejas de mi burro,
de mi burro peruano en el Perú (Perdonen la tristeza).
Mas hoy ya son las once en mi experiencia personal,
experiencia de un solo ojo, clavado en pleno pecho,
de una sola burrada, clavada en pleno pecho.

Tal de mi tierra veo los cerros retratados,
ricos en burros, hijos de burros, padres hoy de vista,
que tornan ya pintados de creencias,
cerros horizontales de mis penas.

En su estatua, de espada,
Voltaire cruza su capa y mira el zócalo,
pero el sol me penetra y espanta de mis dientes incisivos
un número crecido de cuerpos inorgánicos.

Y entonces sueño en una piedra
verduzca, diecisiete,
peñasco numeral que he olvidado,
sonido de años en el rumor de aguja de mi brazo,
lluvia y sol en Europa, y ¡cómo toso! ¡cómo vivo!
¡cómo me duele el pelo al columbrar los signos semanales!
y cómo, por recodo, mi ciclo microbiano,
quiero decir mi trémulo, patriótico peinado.

Poemas humanos, juillet 1939.

Philip Roth

Philip Roth dans les années 80. (Bernard Gotfryd)

Philip Roth est décédé le 22 mai 2018 à quatre-vingt-cinq ans, six ans après avoir cessé d’écrire.

J’ai acheté hier Pourquoi écrire? à la Librairie Compagnie, 58 rue des Ecoles.

Philip Roth, Pastorale américaine (American pastoral) , 1997. Gallimard, 1999. (Traduction Josée Kamoun). Pages 47-48.
«On lutte contre sa propre superficialité, son manque de profondeur, pour essayer d’arriver devant autrui sans attente irréaliste, sans cargaison de préjugés, d’espoirs, d’arrogance; on ne veut pas faire le tank, on laisse son canon, ses mitrailleuses et son blindage; on arrive devant autrui sans le menacer, on marche pieds nus sur ses dix orteils au lieu d’écraser la pelouse sous ses chenilles; on arrive l’esprit ouvert, pour l’aborder d’égal à égal, d’homme à homme, comme on disait jadis. Et, avec tout ça, on se trompe à tous les coups. Comme si on n’avait pas plus de cervelle qu’un tank. On se trompe avant même de rencontrer les gens, quand on imagine la rencontre avec eux; et puis quand on rentre chez soi, et qu’on raconte la rencontre à quelqu’un d’autre, on se trompe de nouveau. Or, comme la réciproque est généralement vraie, personne n’y voit que du feu, ce n’est qu’illusion, malentendu qui confine à la farce. Pourtant, comment s’y prendre dans cette affaire si importante –les autres– qui se vide de toute la signification que nous lui supposons et sombre dans le ridicule, tant nous sommes mal équipés pour nous représenter le fonctionnement intérieur d’autrui et ses mobiles cachés? Est-ce qu’il faut pour autant que chacun s’en aille de son côté, s’enferme dans sa tour d’ivoire, isolée de tout bruit, comme les écrivains solitaires, et fasse naître les gens à partir des mots, pour postuler ensuite que ces êtres de mots sont plus vrais que les vrais, que nous massacrons tous les jours par notre ignorance? Le fait est que comprendre les autres n’est pas la règle, dans la vie. L’histoire de la vie, c’est de se tromper sur leur compte, encore et encore, encore et toujours, avec acharnement et, après y avoir bien réfléchi, se tromper à nouveau. C’est même comme ça qu’on sait qu’on est vivant : on se trompe. Peut-être que le mieux serait de renoncer à avoir tort ou raison sur autrui, et continuer rien que pour la balade. Mais si vous y arrivez, vous… alors vous avez de la chance.»

Alain Cavalier – William Faulkner

Festival de Cannes 2019. Le nouveau film d’Alain Cavalier Être vivant et le savoir a été présenté en séance spéciale le 18 mai. Il dure 1h20. Sa sortie en salles est prévue le 5 juin.
Le titre est tiré de William Faulkner et est déjà cité dans le film La Chamade d’Alain Cavalier (1968) par la voix de Catherine Deneuve. Elle avait alors 25 ans. Alain Cavalier projetait d’adapter le roman d’Emmanuèle Bernheim Tout s’est bien passé (2013), où elle racontait comment son père l’avait chargée d’organiser son suicide assisté. Elle jouerait son propre rôle et lui, celui du mourant . Mais l’écrivaine est morte d’un cancer le 10 mai 2017.
Alain Cavalier lui-même, s’exerce au moment où il poussera son dernier souffle. Ce film sur un film qui ne s’est pas fait n’est pas morbide, mais c’est au contraire une constante célébration de la vie.

https://www.youtube.com/watch?v=ohe28w1iMhg

William Faulkner, Les Palmiers sauvages. 1939. Traduction Maurice Edgar Coindreau revue par François Pitavy. Gallimard, Bibliothèque de la Pléiade, 2000.

« – La respectabilité. C’est elle qui est responsable de tout. J’ai compris, il y a déjà quelque temps, que c’est l’oisiveté qui engendre toutes nos vertus, nos qualités les plus supportables (contemplation, égalité d’humeur, paresse, laisser les gens tranquilles) ainsi que la bonne digestion mentale et physique, la sagesse de concentrer son attention sur les plaisirs de la chair (manger, évacuer, forniquer, lézarder au soleil) car il n’y a rien de mieux, rien qui puisse se comparer à cela, rien d’autre en ce monde que de vivre le peu de temps qui nous est accordé, d’être vivant et de le savoir – ah! oui, elle m’a appris cela, elle m’a marqué aussi pour toujours – non rien, absolument rien. Mais ce n’est que tout récemment que j’ai vu avec netteté, que j’ai déduit la conclusion logique, à savoir que c’est une des vertus que nous appelons essentielles (économie, industrie, indépendance) qui engendre tous les vices – fanatisme, suffisance, ingérence, peur et, pire que tout, respectabilité. Nous, par exemple, du fait même que, pour la première fois nous étions solvables, que nous savions à coup sûr d’où viendrait la nourriture du lendemain (ce foutu argent, ce trop d’argent: la nuit nous restions éveillés pour chercher comment le dépenser ; au printemps nous nous serions promenés avec des prospectus de paquebots dans nos poches), j’étais devenu aussi complètement l’esclave, le serf de la respectabilité qu’un -»

William Faulkner.