La lecture du roman d’Ersi Sotiropoulos Ce qui reste de la nuit, Stock, 2016, m’ a remis en mémoire les poèmes de Constantin Cavafy, particulièrement La ville. La traduction de Dominique Grandmont me paraît plus satisfaisante que celle de Marguerite Yourcenar, la première et la plus connue.
Le poète grec a fait un bref séjour de trois jours à Paris en juin 1897 avec son frère John.
La Ville
Tu as dit: «J’irai par une autre terre, j’irai par une autre mer. Il se trouvera bien une autre ville, meilleure que celle-ci. Chaque effort que je fais est condamné d’avance; et mon cœur—tel un mort—y gît enseveli. Jusqu’à quand mon esprit va-t-il endurer ce marasme? Où que mes yeux se tournent, où que se pose mon regard, je vois se profiler ici les noirs décombres de ma vie dont après tant d’années je n’ai fait que ruines et gâchis».
Tu ne trouveras pas d’autres lieux, tu ne trouveras pas d’autres mers.
La ville te suivra partout. Tu traîneras
dans les mêmes rues. Et tu vieilliras dans les mêmes quartiers;
c’est dans ces mêmes maisons que blanchiront tes cheveux.
Toujours à cette ville tu aboutiras. Et pour ailleurs—n’y compte pas—
il n’y a plus pour toi ni chemin ni navire.
Pas d’autre vie: en la ruinant ici,
dans ce coin perdu, tu l’as gâchée sur toute la terre.
Traduction Dominique Grandmont, En attendant les barbares et autres poèmes, Gallimard, 2008.
John Donne; Copie d’un tableau d’ Isaac Oliver (1567-1617). 1616. Londres, National Portrait Gallery..
John Donne est né le 22 janvier 1572 à Londres. Ce poète et prédicateur anglais est considéré comme le chef de file de la poésie métaphysique anglaise.
Il est élevé au sein d’une famille catholique. Sa mère, Elizabeth, est la fille de John Heywood, un proche parent de Thomas More (1478-1535). En 1593, son frère cadet, Henry, meurt de fièvre en prison. Il y a été enfermé pour avoir hébergé illégalement un prêtre. Sous le règne d’Élisabeth I (1558-1603), la persécution des catholiques est courante.
John Donne veut faire carrière dans les services de l’État et fait des études de droit. Étant catholique, il ne peut pas obtenir de diplôme. Mais, dans les années 1590, avant ou peu après la mort de son frère, il se convertit à l’anglicanisme.
En 1598, il devient le secrétaire du Garde des Sceaux, Thomas Egerton (lord Ellesmere). Bien qu’il soit très estimé par son protecteur, celui-ci le renvoie en 1601, pour avoir épousé en secret sa nièce, Ann More, agée de dix-sept ans.
Destitué, un temps emprisonné, John Donne partage alors avec sa femme, quatorze années très difficiles où se succèdent les œuvres de circonstance pour gagner la faveur de personnages influents. Ils ont douze enfants.
Il célèbre l’amour charnel en disant les choses crûment, mais sans jamais exclure la dimension spirituelle de l’union des amants.
Il est ordonné prêtre en 1615 et devient prédicateur à Lincoln’s Inn (1616-1621), puis doyen de la cathédrale Saint-Paul (1621). John Donne acquiert, grâce à ses Sermons, une grande renommée. En 1617, la mort de sa femme va accroître son obsession de la mort mais aussi sa ferveur religieuse. Il meurt le 31 mars 1631 après avoir prononcé devant Charles I (1625-1649) sa dernière prédication, «Le Duel de la mort».
Samuel Johnson, en 1744, dans The Lives of the Poets, regroupa les poètes métaphysiques anglais tels que George Herbert, Andrew Marvell, Thomas Traherne, Richard Crashaw ou Henry Vaughan sous le nom d’«École de Donne».
Sa poésie a été admirée, entre autres, par William Butler Yeats (Prix Nobel de Littérature 1923) et Thomas Stearns Eliot, (Prix Nobel de Littérature 1948)
Reste, ô ma douce, ne te lève pas! (John Donne)
Reste, ô ma douce, ne te lève pas!
La Lumière qui brille vient de tes yeux;
Ce n’est pas le jour qui perce; c’est mon cœur qui est percé,
Parce que toi et moi devons nous séparer
Reste, ou sinon toute joie chez moi mourra
Et périra dans sa prime enfance.
C’est vrai, c’est le jour: Que pourrait-ce être d’autre? Ô, vas-tu disparaître à mes yeux? Pourquoi devrions-nous nous éloigner parce qu’il fait jour? Nous sommes-nous couchés parce qu’il faisait nuit? L’Amour, qui en dépit de l’obscurité, nous conduisit ici, Devrait, en dépit du jour, nous garder unis.
La Lumière n’a pas de langue, mais elle est tout regard
Si elle pouvait parler aussi bien qu’espionner,
Sa langue ne pourrait être pire
Que de dire: “Je me sens bien ici, je resterais volontiers
J’aime tant mon coeur et mon honneur
Que je ne m’éloignerais pas de lui qui les a tous les deux”
En résulte-t-il que tu dois arrêter tes activités?
Oh! c’est la pire des plaies de l’amour!
La pauvreté, le faible d’esprit, les fripouilles, l’amour peut
Les admettre, mais pas l’homme -à-ses-affaires,
Celui qui fait des affaires et fait l’amour, fait les deux
mal, comme l’homme marié qui court la prétentaine.
(Traduction française: Gilles de Sèze.)
Stay, O sweet, and do not rise!
Stay, O sweet, and do not rise!
The light that shines comes from thine eyes;
The day breaks not: it is my heart,
Because that you and I must part.
Stay! or else my joys will die,
And perish in their infancy.
‘Tis true, ’tis day: what though it be? O, wilt thou therefore rise from me? Why should we rise because ’tis light? Did we lie down because ’twas night? Love, which in spite of darkness brought us hither, Should in despite of light keep us together.
Light hath no tongue, but is all eye.
If it could speak as well as spy,
This were the worst that it could say:
That, being well, I fain would stay,
And that I lov’d my heart and honour so,
That I would not from him, that had them, go.
Must business thee from hence remove?
Oh, that’s the worse disease of love!
The poor, the fool, the false, love can
Admit, but not the busied man.
He, which hath business, and makes love, doth do
Such wrong, as when a married man doth woo.
Portrait de John Donne (artiste inconnu) vers 1595. Londres, National Portrait Gallery.
No Man is an Island
No man is an island entire of itself; every man is a piece of the continent, a part of the main; if a clod be washed away by the sea, Europe is the less, as well as if a promontory were, as well as any manner of thy friends or of thine own were; any man’s death diminishes me, because I am involved in mankind. And therefore never send to know for whom the bell tolls; it tolls for thee.
(Version: anglais ancien)
No man is an Iland, intire of itselfe; every man
is a peece of the Continent, a part of the maine;
if a Clod bee washed away by the Sea, Europe
is the lesse, as well as if a Promontorie were, as
well as if a Manor of thy friends or of thine
owne were; any mans death diminishes me,
because I am involved in Mankinde;
And therefore never send to know for whom
the bell tolls; It tolls for thee.
MEDITATION XVII. Devotions upon Emergent Occasions, 1624.
Nul homme n’est une île,
complète en elle-même;
chaque homme est un morceau du continent, une part de l’ensemble;
si un bout de terre est emporté par la mer, l’Europe
en est amoindrie, comme si un promontoire l’était,
comme si le manoir de tes amis ou le tien l’était.
La mort de chaque homme me diminue,
car je suis impliqué dans l’humanité.
N’envoie donc jamais demander pour qui la cloche sonne:
elle sonne pour toi.
Méditations en temps de crise. Rivages, 2002. Traduit de l’anglais par Franck Lemonde.
Federico García Lorca. Huerta de San Vicente, Granada 1932.
Seis poemas galegos de Federico García Lorca. Estos poemas, escritos directamente en gallego, surgen de los viajes realizados por el poeta a Galicia desde 1931. Fueron escritos entre 1932 y 1934 y publicados en 1935 en Santiago de Compostela por la Editorial Nós, fundada en 1927 por Ángel Casal. Se trata de un homenaje al paisaje y a la lengua de Galicia.
El poeta granadino era admirador de Rosalía de Castro, de Eduardo Pondal y Manuel Curros Enríquez, así como de los poetas medievales gallegos Martín Codax y Meendiño, y de los portugueses Luís de Camões o Gil Vicente. Tenía también en Madrid varios amigos gallegos: el musicólogo Jesús Bal y Gay, los poetas Eugenio Montes y Serafín Ferro y el joven Ernesto Pérez Guerra, quien ejerció una gran influencia sobre él. En 1933, éste le presentó a Eduardo Blanco Amor, quien dos años después se encargó de la publicación de los Seis poemas galegos.
La publicación de los poemas fue anunciada por la revista Nós, en su número de mayo-junio de 1935, entre las «nuevas obras publicadas» de la editorial. El colofón del libro lleva, sin embargo, fecha del 27 de diciembre de 1935. Blanco Amor prologó la edición.
Lorca inicia y cierra la serie de poemas con dos homenajes a la ciudad de Santiago de Compostela.
«Madrigal á cidade de Santiago» («Madrigal a la ciudad de Santiago»), dedicado a Martínez Barbeito.
«Romaxe de Nosa Señora da Barca» («Romería de Nuestra Señora de la Barca»)
«Cántiga do neno da tenda» («Cántiga del niño de la tienda») dedicada a Ernesto Pérez Guerra, habla del sentimiento de los emigrantes
«Noiturnio do adoescente morto» («Nocturno del adolescente muerto»)
«Canzón de cuna pra Rosalía Castro, morta» («Canción de cuna para Rosalía Castro, muerta»)
«Danza da lúa en Santiago» («Danza de la luna en Santiago»)
Danza da lúa en Santiago
¡Fita aquel branco galán,
olla seu transido corpo!
É a lúa que baila
na Quintana dos mortos.
Fita seu corpo transido
negro de somas e lobos.
Nai: A lúa está bailando
na Quintana dos mortos.
¿Quén fire potro de pedra
na mesma porta do sono?
¡É a lúa! ¡É a lúa
na Quintana dos mortos!
¿Quén fita meus grises vidros
cheos de nubens seus ollos?
¡É a lúa! ¡É a lúa
na Quintana dos mortos!
Déixame morrer no leito
soñando con froles dóuro.
Nai: a lúa está bailando
na Quintana dos mortos.
¡Ai filla, co ar do céo
vólvome branca de pronto!
Non é o ar, é a triste lúa
na Quintana dos mortos.
“A mesma noite foron asasinados Federico García Lorca e o editor dos seus “Seis Poemas Galegos”, Ánxel Casal. Granada, Compostela. Os mesmos disparos. O mesmo crime. Sabemos quienes fuisteis.”
Ánxel Casal.
Ánxel Casal Gosenxe (La Coruña, 17 de diciembre de 1895 – Teo, La Coruña, agosto de 1936), fue un editor y político español.
En 1909 emigró a Buenos Aires. Allí estuvo empleado en diversos oficios durante dos años. Volvió a La Coruña y encontró trabajo en el consulado de Francia. Debido a la precariedad económica emigró otra vez, esta vez a Burdeos, pero regresó a los pocos meses. De 1914 a 1917 cumplió el servicio militar, del que siempre guardaría malos recuerdos. Se unió a las Irmandades da Fala de La Coruña, colaboró en el Conservatorio de Arte Gallego y fue el promotor y primer maestro de la escuela de la enseñanza gallega (galleguista y laica) de las Irmandades, la primera que utilizó oficialmente el gallego (1926-1931).
En 1920 se casó con María Miramontes y para sobrevivir abrieron una tienda de tejidos. En noviembre de 1924, en colaboración con Leandro Carré Alvarellos, fundó la Editorial Lar.
Lar representó el verdadero comienzo de la novelística gallega, pues creó una colección de breves novelas mensuales, cuya tirada era de 3000 ejemplares. Abrieron la colección con un título de Wenceslao Fernández Flórez, A miña muller, y la colección resultó un verdadero éxito editorial. Compraron imprenta propia y empezaron a editar el órgano galleguista A Nosa Terra.
Se desvinculó de esa iniciativa para fundar en 1927 la Editorial Nós. De su imprenta salían A Nosa Terra y la revista Nós. La revista Nós, que se había fundado en Orense en 1920 y que a partir del número 16 se había empezado a imprimir en Pontevedra en busca de menores costes, a pesar de todo tuvo que suspender su publicación dos números después, el 1 de junio de 1923, encuentra en la imprenta Lar el medio para seguir publicándose. El 25 de julio de 1925 salió el número 19.
El nombre completo de la editorial era «Nós, Pubricacións Galegas e Imprenta». Toda su actividad estaba relacionada con la cultura de Galicia. El taller imprimía la revista A Nosa Terra, que era como el órgano oficial de las Irmandades da Fala. También publicó El Momento, un periódico vespertino, y la mayor parte de las publicaciones del Instituto de Estudios Gallegos. Casal también era un miembro muy activo del Conservatorio de Arte Gallego de La Coruña, con el que colaboró en la puesta en escena de varias obras de teatro gallego. En 1930 fundó el periódico republicano El Momentoque, el cual, por falta de apoyo, sólo duraría 14 números y arrastraría a Nós casi a la quiebra.
En agosto de 1931 se trasladó a Santiago de Compostela para tratar de salvar la editorial. Militante desde su creación del Partido Galeguista, fue alcalde de Santiago desde febrero de 1936 hasta su asesinato. Allí continuó imprimiendo y colaborando con diversas iniciativas republicanas, galleguistas y sindicalistas. Fue el editor e impresor de las revistas vanguardistas Claridad (1934) y Ser (1935) y promotor de la Asociación de Escritores de Galicia, creada en abril de 1936 y truncada por la guerra civil.
Tras la sublevación militar del 18 de julio escapó hacia la parroquia de Vilantime, en Arzúa. Fue detenido el 4 de agosto, y su cuerpo apareció el 19 de agosto en un foso de la carretera de la parroquia de Cacheiras, marcado hoy con un pequeño monumento.
Pier Paolo Pasolini devant la tombe d’Antonio Gramsci vers 1970. Cimetière non catholique du Testaccio à Rome.
Je suis une force du Passé
Je suis une force du Passé. À la tradition seule va mon amour. Je viens des ruines, des églises, des retables, des bourgs abandonnés sur les Apennins ou les Préalpes, là où ont vécu mes frères. J’erre sur la Tuscolane comme un fou, sur l’Appienne comme un chien sans maître. Ou je regarde les crépuscules, les matins sur Rome, la Ciociaria, l’univers, tels les premiers actes de l’Après-Histoire auxquels j’assiste, par privilège d’état-civil, du bord extrême d’un âge enseveli. Monstrueux est l’homme né des entrailles d’une femme morte. Et moi, fœtus adulte, plus moderne que tous les modernes, je rôde en quête de frères qui ne sont plus.
Poésie en forme de rose. Rivages, 2015. Traduit de l’italien par René de Ceccatty.
Io sono una forza del Passato
Io sono una forza del Passato.
Solo nella tradizione è il mio amore.
Vengo dai ruderi, dalle chiese,
dalle pale d’altare, dai borghi
abbandonati sugli Appennini o le Prealpi,
dove sono vissuti i fratelli.
Giro per la Tuscolana come un pazzo,
per l’Appia come un cane senza padrone.
O guardo i crepuscoli, le mattine
su Roma, sulla Ciociaria, sul mondo,
come i primi atti della Dopostoria,
cui io assisto, per privilegio d’anagrafe,
dall’orlo estremo di qualche età
sepolta. Mostruoso è chi è nato
dalle viscere di una donna morta.
E io, feto adulto, mi aggiro
più moderno di ogni moderno
a cercare fratelli che non sono più.
Orson Welles (le réalisateur) lit le poème à un journaliste dans La Ricotta de Pier Paolo Pasolini, troisième épisode du film à sketchs RoGoPag (1963), les autres réalisateurs étant Roberto Rosselini, Jean-Luc Godard et Ugo Gregoretti. Le poème est lu par le romancier et poète Giorgio Bassani (1916-2000) (la voix d’Orson Welles dans le film de Pier Paolo Pasolini). Giorgio Bassani est notamment connu pour son roman Le Jardin des Finzi-Contini, adapté au cinéma en 1970 par Vittorio De Sica.
O muro é branco e bruscamente sobre o branco do muro cai a noite.
Há uma cavalo próximo do silêncio, uma pedra fria sobre a boca, pedra cega de sono.
Amar-te-ia se viesses agora ou inclinasses o teu rosto sobre o meu tão puro e tão perdido, ó vida.
Matéria solar, 1980.
II
Le mur est blanc
et brusquement
sur le blanc du mur tombe la nuit.
Il y a un cheval proche du silence,
une pierre froide sur la bouche,
pierre aveuglée de sommeil.
Je t’aimerais si tu venais maintenant,
si tu penchais
ton visage sur le mien tellement pur
et tellement perdu,
ô vie.
Matière solaire, 1980.
(Traduction: Michel Chandeigne, Patrick Quillier, Maria Antónia Câmara Manuel)
VII
Conhecias o verâo pelo cheiro,
o silêncio antiquíssimo
do muro, o furor das cigarras,
inventavas a luz acidulada
a prumo, a sombra breve
onde o rapazito adormecera,
o brilho das espáduas.
E o que te cega, o sol da pele.
Matéria Sola, 1980
VII
Tu connaissais l’été à son odeur,
le silence très ancien
du mur, l’ardeur des cigales,
tu inventais la lumière acidulée
tombant à pic, l’ombre brève
où le gamin s’était endormi,
le brillant des épaules.
C’est ce qui t’aveugle, le soleil de la peau.
Matière solaire, 1980.
(Traduction: Michel Chandeigne, Patrick Quillier, Maria Antónia Câmara Manuel)
XXXVI
Pela manhâ de junho é que eu iria
pela última vez.
Iria sem saber onde a estrada leva.
E a sede.
Matéria solar, 1980
XXXVI
Par un matin de juin je m’en irai
pour la dernière fois.
Je m’en irai sans savoir où mène la route.
Ni la soif.
Matière solaire, 1980.
(Traduction: Michel Chandeigne, Patrick Quillier, Maria Antónia Câmara Manuel)
X
Essa mulher, a doce melancolia
dos seus ombros, canta.
O rumor
da sua voz entra-me pelo sono,
é muito antigo.
Traz o cheiro acidulado
da minha infância chapinhada ao sol.
O corpo leve quase de vidro.
O Peso da Sombra (1982)
X
Cette femme, la douce mélancolie
de ses épaules, chante.
La rumeur
de sa voix me pénètre en plein sommeil,
elle est très ancienne.
Et m’apporte l’odeur acidulée
de mon enfance s’ébrouant au soleil.
Le corps léger presque de verre.
Le poids de l’ombre, 1982
(Traduction: Michel Chandeigne, Patrick Quillier, Maria Antónia Câmara Manuel)
Eugénio de Andrade, «Da palavra ao silêncio», Rosto Precario, Porto, Fundaçã o Eugénio de Andrade, 1995 (1 ère éd.1979) p. 37-38.
«En
ce temps-là […]
j’ai appris qu’il y avait
très peu de choses
absolument
nécessaires. Ce sont ces choses que
mes
vers aiment et exaltent. La terre et l’eau, la lumière et le vent
deviennent consubstantiels pour faire corps avec
tout
l’amour dont ma poésie est capable. Mes racines plongent depuis
l’enfance dans le monde
le
plus élémentaire. Je garde de ce temps le goût
pour une architecture
extrêmement claire et dénudée, que mes poèmes s’emploient à
réfléchir; l’amour pour la blancheur de la
chaux à laquelle se mêle invariablement, dans
mon
esprit,
le chant dur des
cigales;
une préférence
pour le langage parlé,
presque réduit aux paroles nues et nettes d’un cérémonial
archaïque. […] [La] pureté dont on a tant parlé à propos de ma
poésie, c’est simplement de la passion, passion
pour
les
choses
de la terre, dans
leur
forme la plus ardente
et
non encore consumée.»
Eugenio
de Andrade (né José Fintinhas) est né le 19 janvier 1923 à Póvoa
de Atalaia, (Province de Beira Baixa, Portugal). Il est issu d’une
famille de paysans. Il vit à Lisbonne de 1932 à 1943. Il s’installe
à Porto en 1950 et fait une carrière d’inspecteur au ministère
de la Santé. Il commence à publier des plaquettes à 16 ans et son
œuvre est célébrée à partir de 1948. Mais, malgré sa célébrité,
Eugénio de Andrade est resté un homme solitaire, fuyant les
mondanités et les apparitions publiques.
Traducteur, auteur d’anthologies, romancier et poète, son œuvre est traduite en une douzaine de langues.
Il a reçu le Prix de l’Association internationale des critiques littéraires (1986), le Grand Prix de poésie de l’Association portugaise des écrivains (1989) et le prix Camões de la littérature portugaise en 2001. Il est mort à Porto le 13 juin 2005 des suites d’une très longue maladie neurologique. Traductions françaises.
(La
plupart de ses œuvres ont été publiées en édition bilingue aux
Éditions de la Différence.)
Vingt-sept poèmes, traduit par Michel Chandeigne. Typographie Michel Chandeigne, 1983.
Matière
solaire,
traduit par Antónia Câmara Manuel, Michel Chandeigne, et Patrick
Quiller, La Différence, 1986. Les
Poids de l’ombre,
traduit par Antónia Câmara Manuel, Michel Chandeigne, et Patrick
Quiller, La Différence, 1986. Blanc
sur blanc,
traduit par Michel Chandeigne, La Différence, 1988.
Ecrits de la terre, traduit par Michel Chandeigne; La Différence, 1988. L’Autre nom de la terre traduit par Michel Chandeigne et Nicole Siganos, La Différence, 1990. Versants du regard et autres poèmes en prose, traduit par Patrick Quillier, La Différence, 1990.
Trente poèmes. Porto, 1992. Office de la patience, traduit par Michel Chandeigne, Orfeu-Livraria Portuguesa, 1995. Le Sel de la langue, traduit par Michel Chandeigne, La Différence, 1999.
A l’approche des eaux, traduit par Michel Chandeigne. La Différence, 2000. Les Lieux du feu, traduit par Michel Chandeigne, L’Escampette 2001. Matière solaire, suivi de Le poids de l’ombre et de Blanc sur blanc. Traduit du portugais par Michel Chandeigne, Patrick Quillier et Maria Antonia Camara Manuel, Poésie / Gallimard, 2004 n°395.
Deux des passages les plus célèbres de Gatsby le magnifique (The Great Gatsby) en version originale et dans certaines traductions françaises.
The Great Gatsby, 1925.
«In my younger and more vulnerable years my father gave me some advice that I’ve been turning over in my mind ever since. “Whenever you feel like criticizing any one,” he told me, “just remember that all the people in this world haven’t had the advantages that you’ve had.»
«Quand j’étais plus jeune, c’est-à-dire plus vulnérable, mon père me donna un conseil que je ne cesse de retourner dans mon esprit: – Quand tu auras envie de critiquer quelqu’un, songe que tout le monde n’a pas joui des mêmes avantages que toi » (Traduction 1926 Victor Llona, première version. Edition Simon Kra)
«Quand j’étais plus jeune, c’est-à-dire plus vulnérable, mon père me donna un conseil que je ne cesse de retourner dans mon esprit: — Quand tu auras envie de critiquer quelqu’un, songe que tout le monde n’a pas joui des mêmes avantages que toi.» (Traduction 1946 Victor Llona, deuxième version. Edition Grasset; rééd. Livre de Poche)
«J’étais très jeune encore et d’autant plus influençable, le jour où mon père m’a donné un certain conseil qui n’a jamais cessé de m’occuper l’esprit. — Quand tu es sur le point de critiquer quelqu’un, m’a-t-il dit, souviens-toi simplement que sur terre tout le monde ne jouit pas des mêmes avantages que toi.» (Traduction 1990 Jacques Tournier. Livre de poche)
«Quand j’étais plus jeune et plus influençable, mon père m’a donné un conseil que je n’ai cessé de méditer depuis. «Chaque fois que tu as envie de critiquer quelqu’un, me dit-il, souviens-toi seulement que tout le monde n’a pas bénéficié des mêmes avantages que toi.” » (Traduction 2011 Julie Wolkenstein. POL)
«Quand j’étais plus jeune et plus vulnérable, mon père, un jour, m’a donné un conseil que je n’ai pas cessé de retourner dans ma tête. / “Chaque fois que tu seras tenté de critiquer quelqu’un, m’a-t-il dit, songe d’abord que tout un chacun n’a pas eu en ce bas monde les mêmes avantages que toi.”» (Traduction 2012 Philippe Jaworski. Gallimard)
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” Gatsby believed in the green light, the orgastic future that year by year recedes before us. It eluded us then, but that’s no matter – tomorrow we will run faster, stretch out our arms further… And one fine morning…
– So we beat on, boats against the current, borne back ceaselessly into the past.”
” Gatsby croyait en la lumière verte, l’extatique avenir qui d’année en année recule devant nous. Il nous a échappé ? Qu’importe ! Demain nous courrons plus vite, nos bras s’étendront plus loin… Et un beau matin…
C’est ainsi que nous avançons, barques luttant contre un courant qui nous rejette sans cesse vers le passé.” (Traduction Victor Liona 1926 Edition Simon Kra puis 1946 Edition Grasset; rééd. Livre de Poche)
” Gatsby avait foi en cette lumière verte, en cet avenir orgastique qui chaque année recule devant nous. Pour le moment, il nous échappe. Mais c’est sans importance. Demain, nous courrons plus vite, nous tendrons les bras plus avant… Et, un beau matin…
Et nous luttons ainsi, barques à contre-courant, refoulés sans fin vers notre passé.” (Traduction Jacques Tournier 1990. Livre de poche)
” Gatsby croyait à la lumière verte, à cet orgasme imminent qui, année après année, reflue avant que nous l’ayons atteint. Nous avons échoué cette fois-ci, mais cela ne fait rien : demain nous serons plus rapides, nous étendrons nos bras plus loin – et, un beau matin…
C’est ainsi que nous nous débattons, comme des barques contre le courant, sans cesse repoussés vers le passé.” (Traduction Julie Wolkenstein, POL 2011)
« Gatsby croyait en la lumière verte, en l’avenir orgastique qui, d’année en année, recule devant nous. Il nous échappé cette fois? Peu importe…Demain, nous courrons plus vite, nous tendrons les bras plus loin…Et un beau matin… C’est ainsi que nous avançons, barques à contre-courant, sans cesse ramenés vers le passé.» (Traduction 2012 Philippe Jaworski. Gallimard.)
Livre de Poche. 1990. (Traduction Jacques Tournier )
Miquel Martí i Pol jeune. Can Clarà. 23 septembre 1951.
Metamorfosi
De tant en tant la mort i jo som u:
mengem el pa de la mateixa llesca,
bevem el vi de la mateixa copa
o compartim amicalment les hores
sense dir res, llegint el mateix llibre.
De tant en tant la mort, la meva mort,
se’m fa present quan sóc tot sol a casa.
Aleshores parlem tranquil·lament
del que passa pel món i de les noies
que ja no puc haver. Tranquil·lament
parlem la mort i jo d’aquestes coses.
De tant en tant – només de tant en tant –
és la mort la que escriu els meus poemes
i me’ls llegeix, mentre jo faig de mort
i l’escolto en silenci, que és tal com
vull que escolti la mort quan jo lleigeixo.
De tant en tant la mort i jo som u :
la meva mort i jo som u, i el temps
s’esfulla lentament i el compartim,
la mort i jo, sense fer escarafalls,
dignament, que diríem per entendre’ns.
Després les coses tornen al seu lloc
I cadascú reprèn la seva via.
Quadern de vacances, 1976.
Métamorphose
Parfois la mort et moi ne faisons qu’un :
nous mangeons la même tranche de pain
et buvons le vin de la même coupe,
en bons amis nous partageons les heures
sans rien dire, lisant le même livre.
Parfois, je suis tout seul à la maison,
et voilà que la mort, ma mort, m’est présente.
Nous discutons alors tranquillement
des événements du monde et des filles
que je ne peux avoir. Tranquillement
nous parlons, la mort et moi, de cela.
Parfois — et seulement à ce moment —
c’est elle, la mort, qui écrit mes poèmes
et me les lit quand je tiens lieu de mort,
je l’écoute en silence, c’est ainsi
qu’elle doit m’écouter lorsque je lis.
Parfois la mort et moi ne faisons qu’un.
Ma mort et moi ne faisons qu’un, le temps
s’effeuille lentement et nous le partageons,
la mort et moi, sans faire de manières,
dignes, si je puis m’exprimer ainsi.
Puis les choses se remettent à leur place
et chacun reprend son chemin.