Pablo Picasso

Deux expositions exceptionnelles cet automne à Paris:

1) Picasso. Chefs-d’oeuvre! du 4 septembre au 13 janvier au Musée national Picasso.
2) Picasso. Bleu et rose du 18 septembre au 6 janvier au Musée d’Orsay.

1) Quel sens a la notion de chef-d’œuvre pour Pablo Picasso (1881-1973)? L’exposition «Picasso. Chefs-d’œuvre!» répond à cette question en réunissant des œuvres maîtresses, pour certaines présentées à Paris pour la première fois.

L’ensemble propose une nouvelle lecture de la création du peintre, grâce à une attention particulière portée à la réception critique. Le parcours revient ainsi sur les expositions, les revues et les ouvrages qui ont accompagné chaque œuvre et qui ont contribué, au fil des années, à forger leur statut de chefs-d’œuvre. Les archives du Musée national Picasso-Paris occupent une place essentielle dans ce récit.

2) Le musée d’Orsay et le musée Picasso organisent une exposition consacrée aux périodes bleue et rose de Pablo Picasso.

Elle permet un rassemblement inédit de chefs-d’oeuvre, pour certains présentés pour la première fois en France comme La Vie (1903, Cleveland Museum of Art) et propose une lecture renouvelée des années 1900-1906, période essentielle de la carrière de l’artiste qui n’a à ce jour jamais été traitée dans son ensemble par un musée français.

Les différentes productions du peintre sont ainsi remises en regard des travaux de ses contemporains ou prédécesseurs, espagnols ou français (Ramón Casas 1866-1932, Isidre Nonell 1872-1911, Carlos Casagemas 1880-1901, Théophile Alexandre Steinlen 1859-1923, Edgar Degas 1834-1917, Henri de Toulouse-Lautrec 1864-1901, Paul Gauguin 1848-1903) qu’il a pu observer directement, dans les salons ou galeries, ou indirectement, grâce à des reproductions.

L’exposition rassemble un ensemble important de peintures et de dessins et ambitionne de présenter de manière exhaustive la production sculptée et gravée de l’artiste entre 1900 et 1906.

Laurent Le Bon, président du Musée Picasso, insiste sur le fait que nous ne verrons plus jamais de notre vivant un tel ensemble de chefs d’oeuvre.

Cette exposition est coproduite par le musée d’Orsay et le musée national Picasso-Paris. Elle sera également présentée à la Fondation Beyeler à Bâle du 3 février au 26 mai 2019.

Picasso traverse l’histoire de la peinture du XX ème siècle avec une œuvre immense (de 70 000 à 120 000 œuvres sont recensées). N’oublions pas que Picasso est arrivé en France à la Gare d’Orsay en 1900 et est mort à Mougins en 1973 à 91 ans.

Science et charité. 1897. Barcelone, Musée Picasso.

L’exposition du Musée Picasso, que nous avons pu voir samedi 8 septembre, présente des œuvres de Picasso de façon chronologique. La deuxième salle montre Science et charité (1896), peint lorsqu’il avait 16 ans. Il s’agit d’un tableau réaliste, quasiment naturaliste. Il surprend pas sa maîtrise et par le fait qu’il donne au médecin les traits de son père, José Ruiz Blasco (1838-1913). Le peintre, marqué par le décès de sa sœur Conchita de diphtérie en janvier 1895, représente une malade couchée sur un lit, assistée d’un docteur et d’une religieuse. Il est fortement influencé par le modernisme catalan à cette époque.

Les demoiselles d’Avignon d’après l’oeuvre éponyme de Pablo Picasso (Jacqueline de la Baume-Dürrbach 1920-1989) 1957. Madrid, Fundación Almine y Bernard Ruiz-Picasso para el arte.

La troisième salle présente Les Demoiselles d’Avignon, 1907. Il ne s’agit pas de l’oeuvre du peintre, que le Moma de New York a acheté en 1939, mais d’une tapisserie de 1957 de Jacqueline de la Baume-Dürrbach (1920-1989; Madrid Fundación Almine y Bernard Ruiz-Picasso para el arte) que Picasso appréciait. Cette oeuvre-clé du cubisme est considérée comme un des tableaux les plus importants de l’histoire de la peinture en raison de la rupture stylistique et conceptuelle qu’elle propose. C’est la fin de la perspective classique, réaliste. C’est le début d’une nouvelle vision de la figure humaine. André Breton en avait conseillé l’achat au mécène et couturier Jacques Doucet en décembre 1924 pour la somme de 25 000 francs. «Cette peinture est l’événement capital du XX ème siècle. Voilà le tableau qu’on promenait comme autrefois la Vierge de Cimabue à travers les rues de notre capitale, si le scepticisme ne l’emportait pas sur les grandes vertus particulières par lesquelles notre temps accepte d’être, malgré tout. Il me paraît impossible d’en parler autrement que d’une façon mystique…c’est un symbole pur, comme le tableau chaldéen, une projection intense de cet idéal moderne que nous n’arrivons à saisir que par bribes.» (André Breton, Lettres à Jacques Doucet. Décembre 1924).

Arlequin assis. 1923. Bâle, Kunstmuseum.

Une salle met magnifiquement en valeur trois Arlequins: «Arlequin assis »1923. Bâle, Kunstmuseum. «Arlequin au miroir» 1923. Madrid, Museo Thyssen-Bornemisza. «Le peintre Salvado en Arlequin» 1923. Paris, Centre Georges Pompidou. Picasso était dur, égocentrique le plus souvent, mais pouvait se montrer parfois généreux: avec les républicains espagnols exilés par exemple ou avec les habitants de Bâle. Ces derniers lancèrent, en 1967, une souscription pour garder dans leur Kunstmuseum deux œuvres du peintre espagnol (Les deux frères 1906 et Arlequin assis 1923) que Peter G. Staechelin , propriétaire de la compagnie aérienne charter Globe Air, pour faire face à des difficultés financières,  après les avoir été prêtées durant des années, voulait vendre. Cette souscription fut un grand succès. Un référendum sera même organisé dans la ville pour approuver l’utilisation de ce crédit. En remerciement, Picasso offrira quatre tableaux au musée et dira: «Ces peintures, je ne les donne pas au fonctionnaire de l’État. Je les offre à la jeunesse bâloise»

Bâle, 20 avril1967. All you need is Pablo.

Face au grand escalier de l’Hôtel Salé, on peut admirer le principal tableau surréaliste de Picasso: La Danse. 1925. Londres, Tate Gallery.

La Danse. 1925. Londres, Tate Gallery.

A l’étage, se trouvent les sculptures, les jouets qu’il faisait pour ses enfants et petits-enfants, des esquisses. Le peintre gardait tout, accumulait.

Une salle offre au regard du visiteur sur un grand mur les tableaux de Picasso exposés au palais des Papes en Avignon en 1970. Les critiques avaient alors boudé le monstre sacré vieillissant, perdu selon eux dans des portraits de mousquetaires, de nus et des visages bâclés. Aujourd’hui, la critique ne pense plus de la même façon. Picasso ne s’est jamais caricaturé, il s’est toujours renouvelé.

Tête. 2 juillet 1972. Collection particulière.

La dernière salle met en parallèle les autoportraits de Rembrandt et de Picasso (Portrait de l’artiste au chevalet. 1660. Paris Louvre. / Tête. 2 juillet 1972. Collection particulière).

Certains se plaignent ces derniers temps de la multiplication des expositions Picasso qui pourraient engendrer un sentiment de lassitude. Pourtant, Picasso réserve toujours des surprises.

C215 (Christian Guémy) – Guillaume Apollinaire

Guillaume Apollinaire. Paris V, 

Dans le parcours Illustres! C215 autour du Panthéon, on peut retrouver Guillaume Apollinaire 11 rue Champollion sur une porte du cinéma La Filmothèque du Quartier Latin et lire un de ses Poèmes à Lou.

Quatre jours mon amour (Guillaume Apollinaire).

C215 (Christian Guémy)

Mon voyage à Valparaíso au Chili en janvier 2018 m’a donné le goût du Street Art et depuis j’y suis plus attentif lors de mes promenades dans Paris.

Du 10 juillet au 8 octobre 2018, on peut suivre le parcours “Illustres ! C215 autour du Panthéon”

Dans la crypte du Panthéon, il est possible d’ observer de près les outils de travail et le processus de création de l’artiste urbain C215 (Christian Guéry né en 1973, actif depuis 2005) pour réaliser ses pochoirs. Ceux-ci sont réalisés à la main à partir des impressions photographiques, sans croquis préparatoire. Ils sont découpés au scalpel, scannés, agrandis puis archivés. Des livres, des lettres manuscrites, et des objets professionnels de Marie Curie, Germaine Tillion, André Malraux, Victor Hugo ou Antoine de Saint-Exupéry sont aussi exposés. Dans une interview filmée, l’artiste aborde son rapport au Panthéon, aux gloires de la nation, à la pratique des graffitis et aux messages que ces derniers véhiculent.

Ensuite, dans les rues du Ve arrondissement, on peut découvrir les portraits de 28 personnalités inhumées ou honorées au Panthéon. L’artiste C215 réussit à marquer la présence de personnages illustres dans la ville d’aujourd’hui avec des pochoirs très colorés. Les portraits graffés de 28 personnalités se retrouvent sur le mobilier urbain des rues du V arrondissement. Au détour d’une ruelle, sur une façade en briques ou sur le côté d’une boîte aux lettres, resurgissent ces illustres fantômes du passé.

«Ce qui m’intéresse aujourd’hui, c’est de rester dans le street art, dans la spontanéité des œuvres de la rue à taille humaine, qui sont périssables. Ce sont des choses qui surgissent tout à coup, qui n’étaient pas là hier. Il faut vite les prendre en photo avant leur disparition»

«Un graff fait la veille c’est du vandalisme, un graff fait il y a 2 000 ans c’est de l’Histoire.» pense Christian Guémy.

Le troisième volet ramène au Panthéon. Sur le trajet qui mène dans les hauteurs du monument, on peut voir des inscriptions mystérieuses. Le Panthéon abrite plusieurs milliers de graffitis. C’est l’occasion d’admirer la vue exceptionnelle à 360° et les messages qui s’inscrivent, plus ou moins lisibles. Inscriptions humoristiques, personnelles, érotiques ou politiques, elles racontent un morceau d’histoire du bâtiment, de sa construction à la Deuxième Guerre Mondiale.

Victor Hugo. Paris V, Rue Soufflot n°7. Boite à feux..JPG

Richard Texier – Zao Wou-Ki

Lu avec interêt et plaisir après avoir vu l’exposition Zao Wou-Ki au Musée d’Art Moderne de la Ville de Paris: Zao de Richard Texier, Gallimard, Mai 2017.

Ce livre n’est ni une biographie, ni un essai, mais un livre de souvenirs, le récit d’une amitié: entre l’auteur, Richard Texier, peintre et sculpteur français de renom, né en 1955, et Zao Wou-Ki (1920-2013), le célèbre peintre sino-français. Avec affection et humour, l’auteur raconte cette relation commencée en 1995 au Maroc et qui dura jusqu’à la mort de Zao. Le lecteur assiste à leurs rencontres, discussions, voyages, séances de travail. Richard Texier dévoile aussi, avec tact, les aspects secrets de la personnalité du grand artiste, les blessures liées à son passé chinois, ou son caractère enjoué, curieux de tout, très humain. C’est un petit livre léger et très agréable à lire.

Je ne connaissais pas Richard Texier avant la lecture de son livre. Je me suis rendu compte qu’il était bien connu dans le monde de l’art. Une de ses sculptures est installée à Paris devant la Gare du Nord. Il y a 5 ans, touché par la dérive des ours polaires due à la fonte de la banquise, il imagine Angel Bear, un ours de plus de 7 mètres de haut, dont l’existence est menacée par le réchauffement climatique.  L’artiste a choisi la couleur rouge pour cet ours, placé devant la façade de la gare de Paris-Nord, afin d’accentuer le message implicite d’alerte et de danger qu’il compte bien faire passer aux 700 000 voyageurs quotidiens, passants et riverains de la première gare d’Europe.

Paris, Angel Bear (Richard Texier), Gare du Nord.

Henri Michaux, Lecture de huit lithographies de Zao Wou-Ki, 1950.

“Les toiles de Zao Wou-Ki – cela se sait – ont une vertu: elles sont bénéfiques.”

Léonard De Vinci

«La pittura è cosa mentale – La peinture est une chose mentale.»

Richard Texier, Zao: “Dans ces occasions, nous ne parlions presque pas, perdus dans nos rêveries en sirotant notre breuvage. Il me racontait que Bram Van Velde et Samuel Beckett faisaient de même à la terrasse du café Le Sélect à Montparnasse. ils partageaient une heure ou deux sans dire un mot en regardant les passants. A la fin, l’un d’eux prenait congé en précisant qu’il avait passé un délicieux moment. L’affection s’accomode bien du silence. Il ne gêne que les étrangers. La présence bienveillante d’un ami suffit largement au bonheur partagé, toute parole est alors superflue.”

“Pourquoi entrait-il dans l’océan sans le regarder?”

” – En fait, tu vois, toute ma vie, j’ai essayé de peindre les nuages.”

Zao Wou-Ki.

Zao Wou-Ki (1920-2013)

Hommage à Henri Matisse 02.02.86 1986 Collection particulière

Visite de l’exposition Zao Wou-Ki L’espace est silence au Musée d’Art moderne de la Ville de Paris samedi dernier avec J. et E.U.   L’exposition présente une sélection de quarante œuvres de très grandes dimensions dans de bonnes conditions dont certaines, un ensemble d’encres de 2006, n’ont jamais été exposées. Bien entendu, il ne s’agit pas d’une grande rétrospective, mais pourquoi faudrait-il bouder son plaisir?  C’est la première grande exposition consacrée à Zao Wou-Ki en France depuis quinze ans. Je ne comprends pas très bien l’article mi-figue, mi-raisin de Philippe Dagen dans Le Monde du 07/06/2018  Exposition : Zao Wou-ki, le vide et le plein.

https://abonnes.lemonde.fr/arts/article/2018/06/07/zao-wou-ki-peintre-des-grands-espaces_5310879_1655012.html

L’Hommage à Henri Matisse (02.02.86 1986) reprend la composition structurelle de Porte-fenêtre à Collioure (1914). Zao Wou-Ki admirait beaucoup Matisse et particulièrement ce tableau. “Ce silence est noir” écrit Henri Michaux dans un des poèmes inspirés par Zao Wou-Ki, peintre chinois arrivé en France en 1948. Lecture de huit lithographies de Zao Wou-Ki, ce sont 8 courts textes écrits par Henri Michaux en 1950 pour accompagner les lithographies du jeune peintre chinois qu’il vient de découvrir avec enthousiasme. Le poète et le peintre deviendront amis.

Lecture de huit lithographies de Zao Wou-Ki (Henri Michaux)

II

L’espace est silence
silence comme le frai abondant tombant lentement
dans une eau calme
ce silence est noir
en effet
il n’y a plus rien
les amants se sont soustraits à eux-mêmes
en « arrivant »

Bonheur profond
bonheur profond
bonheur semblable à la lividité
.
La lune a pris toute vie toute grandeur tout effluve
d’avance leur cœur se retire dans l’astre qui reflète

Porte-fenêtre à Collioure. 1914. Paris Centre Georges Pompidou

David Goldblatt

David Goldblatt

Le photographe sud-africain David Goldblatt (1930-2018) est mort le 25 juin à 88 ans. Ses photographies sont un témoignage de la vie quotidienne en Afrique du Sud non seulement sous l’Apartheid, introduit en 1948, mais aussi depuis la fin du régime ségrégationniste. Le Centre Pompidou venait de lui consacrer une rétrospective du 27 février au 7 mai 2018 que j’avais vue avec grand intérêt. Jusqu’à la fin des années 1990, toutes ses photographies étaient en noir et blanc.Il avait reçu le prix Henri Cartier-Bresson en 2009 et le prix Cornell Capa en 2013.

Le fils du fermier avec sa bonne d’enfants, ferme de Heimweeberg, environs de Nietverdiend, Marico Bushveld, province du Nord-Ouest 1964.

Fondation Giacometti

Institut Giacometti , 5 Rue Schoelcher, XIV. Hôtel particulier de Paul Follot (1912).

Ouverture au public de l’institut Giacometti le lundi 26 juin 2018 au 5, rue Victor-Schœlcher, Paris XIVe.

Du 26 juin au 16 septembre 2018, exposition inaugurale: L’atelier d’Alberto Giacometti vu par Jean Genet.

Ouvert sur réservation en ligne par créneau horaire.

Alberto Giacometti (1901-1966) a vécu et travaillé de 1926 à 1966, dans un tout petit atelier au 46, rue Hippolyte-Maindron (XIVe arrondissement), un modeste atelier d’artisan de 24 m², avec mezzanine, au rez-de-chaussée d’une cour. Le confort était spartiate. Pas de cuisine et des toilettes dans la cour. Giacometti y emménage le 1er décembre 1926. De nationalité suisse, il est arrivé à Paris en janvier 1922 pour suivre les cours d’Antoine Bourdelle (1861-1929)  à l’Académie de la Grande Chaumière.

L’Institut Giacometti  est installé dans l’ancien hôtel particulier de l’artiste-décorateur Paul Follot (1877-1941), près du cimetière du Montparnasse. Cette maison de 350 m², classée aux monuments historiques depuis 2000, a été dessinée par un des pères de l’ Art déco français, beau-frère du grand couturier Paul Poiret (1879-1944). Construite entre 1910 et 1913 avec le concours de l’architecte Pierre Selmersheim, des mosaïques  ornent la porte d’entrée et forment un bandeau le long de la façade. Les ferronneries sont attribuées à Edgar Brandt. L’architecte contemporain Pascal Grasso a été chargé de le réaménager tout en conservant ses décors historiques.

L’atelier de Giacometti a été reconstitué au rez-de-chaussée.

Portrait de Jean Genet 1954-55. Paris, Centre Georges Pompidou.

Jean-Jacques Lebel l’outrepasseur

Happening : « 120 minutes dédiées au Divin Marquis », avril 1966 (Jean-Jacques Lebel paré de sa perruque bleue).

Vu lundi 11 juin au Centre Pompidou l’exposition Jean-Jacques Lebel l’outrepasseur.

J’ y suis allé avec une certaine curiosité. J’avais beaucoup apprécié les pièces que Jean-Jacques Lebel avait présentées dans les expositions collectives, 1917 (Centre Pompidou-Metz, 2013) et Les Désastres de la Guerre (Louvre-Lens, 2014).

Dans ma bibliothèque, j’ai retrouvé La poésie de la Beat Generation (Textes traduits et présentés par Jean-Jacques Lebel. Denoël, 1965) et La Double vue de Robert Lebel (Deyrolle éditeur, 1993 (1ère édition, collection «Le Soleil Noir», 1964). Robert Lebel (1901-1986), son père, historien d’art s’exila à New York en 1939. Il participa aux activités et publications des surréalistes et fut, en 1959, l’auteur de la première monographie consacrée à Marcel Duchamp.

Jean-Jacques Lebel est né à Paris en 1936. Installé à New York avec sa famille pendant la Seconde Guerre Mondiale, il a rencontré, très jeune, Billie Holliday en 1948, mais aussi André Breton, Benjamin Péret,  Max Ernst, Claude Lévi-Strauss, Marcel Duchamp.

Breton l’a aidé à trouver sa place. “Mes parents ne savaient plus quoi faire de moi, Breton est le premier à m’avoir dit : “Vous tenez le bon bout.” Et nous avons commencé à aller aux Puces ensemble, où je cherchais des objets de dépaysement comme ces douilles sculptées par des poilus pendant la Première Guerre mondiale.”

J’ai retrouvé dans les vitrines du Centre Pompidou certains des livres de Jean-Jacques Lebel que je connaissais, par exemple L’Internationale Hallucinex, ensemble de documents dépliants in-8°, sous boîte carton imprimée rouge vif. (Paris, Le Soleil Noir, 1970). Cet ensemble contient des textes de Burroughs, Pélieu, Weissner, Nuttal, Sanders, Goutier, Kahn qui ont eu leur importance dans l’effervescence post-1968.

Jean-Jacques Lebel n’aime pas le mot «exposition». Il préfère le terme  de«montrage», concept inventé par le peintre et réalisateur Robert Lapoujade (1921-1993). On retrouve à Beaubourg une partie de son activité des années 1950-60. Exclu du mouvement surréaliste en 1960 avec Alain Jouffroy, à la même époque, il traduit en français et publie William Burroughs, Allen Ginsberg, Michael McClure, Lawrence Ferlinghetti et Gregory Corso.

En 1960, il sera  l’auteur, à Venise, de L’Enterrement de « La Chose » de Tinguely, sculpture jetée dans la lagune, ce qui est considéré comme le premier happening européen. Il a publié le premier essai critique en français sur ce type d’actions. En 1979, il lance le festival pluridisciplinaire Polyphonix, mêlant arts plastiques, vidéo, musique, performance, poésie, festival qui existe encore aujourd’hui.

En 1961, il prend l’initiative du Grand Tableau Antifasciste collectif, dont le sujet est la torture pendant la Guerre d’Algérie et sera sequestré par la Questura de Milan pendant 23 ans.

En 1968, Jean-Jacques Lebel prend part aux activités du « Mouvement du 22 mars », puis du Groupe anarchiste « Noir et Rouge » et à « Informations et correspondances ouvrières ». Il suit l’enseignement de Gilles Deleuze à la faculté de Vincennes et sera l’ami de Félix Guattari.

En 2016, Jean-Jacques Lebel a été co-commissaire de l’exposition rétrospective consacrée à la Beat Generation au Musée national d’Art moderne / Centre Georges Pompidou, Paris.

“Ce que l’on demande au regardeur, en somme, c’est de participer à l’insurrection de l’art et de cesser d’être un voyeur, un témoin passif, un consommateur résigné.” (1966)

“La seule chose nécessaire aujourd’hui, c’est de faire irruption dans le monde de l’art pour déciller les yeux, pour ouvrir les regards.”

L’exposition commence assez significativement par un Hommage à Billie Holliday (1959, Collection particulière). Elle est intéressante, mais m’a semblé d’une qualité un peu irrégulière.

J’ai écouté ensuite avec plaisir en podcast l’émission L’Heure bleue de Laure Adler sur France Inter: Jean-Jacques Lebel, engagé, 53’.

https://www.franceinter.fr/emissions/l-heure-bleue/l-heure-bleue-30-mai-2018

Jean-Jacques Lebel explique son parcours et écoute les archives proposées par Laure Adler:

Archive Ina de 1954 (au micro d’Emmanuel Berl et Maurice Clavel): Georges Bataille parle de son enfance. Lebel insiste sur l’importance qu’a eu Georges Bataille sur lui. Il évoque aussi la figure de Simone Weil évoquée dans Le Bleu du ciel.
Archive du 13 janvier 1947: Antonin Artaud. Conférence au Vieux Colombier.
Archive Ina du 22 mars 1996: Allen Ginsberg lit un de ses poèmes.

Hommage à Billie Holliday. 1959. Collection particulière.

August Sander -Persécutés / persécuteurs, des hommes du XX ème siècle

August Sander à Kuchhausen v 1956-58

Je connais depuis assez longtemps August Sander (1876-1964) , l’un des pères du style documentaire. J’ai dans ma bibliothèque un petit coffret publié par Fnac Galeries en 1980. J’ai vu une exposition de ses photos, il y a quelques années à Madrid lors de PhotoEspaña.

En 1910, ce photographe, fils de mineur, établit son studio à Cologne. En 1919, il renonce à une carrière de portraitiste commercial. Il conçoit son projet Hommes du XX ème siècle, une Comédie Humaine en photos. Il s‘agit, pour lui, de faire l’inventaire social de l’Allemagne de son temps. Seul, il parcourt l’Allemagne. Contemporain du Leica, il utilise pourtant presque toujours un appareil photographique à plaque. Il lui arrive de travailler dans la rue, mais ne vole jamais une photo. En 1929, il publie à Cologne un premier livre Le Visage de ce temps, un choix de 60 portraits des Hommes du XX ème siècle. Il est préfacé par le romancier Alfred Döblin qui édite la même année son chef d’oeuvre, Berlin Alexanderplatz. Celui-ci qualifie la méthode du photographe de «photographie comparée». Walter Benjamin le remarque aussi et affirme: «Tout à coup, le visage humain a pris sur la pellicule, une nouvelle, une incomparable signification. Il ne s’agissait plus de portrait. Mais de quoi s’agissait-il donc!»

Ces silhouettes, ces visages, évoquent la société allemande de la République de Weimar au III ème Reich. Son projet n’est pas directement politique, même s’il a subi l’influence des artistes du groupe Kölner Progressive. Son fils Erich, étudiant en philosophie, né en 1903, est membre du Parti socialiste ouvrier d’Allemagne; lui, plutôt socialiset et pacifiste. Dès 1936, les nazis interdisent son livre et détruisent 50 000 clichés conservés dans son studio de Cologne. Les négatifs seront, heureusement, sauvés. A partir de 1938, il se met à réaliser des photographies d’identité de Juifs persécutés, de travailleurs étrangers et de prisonniers politiques. La plupart n’ont pas été publiées de son vivant, mais ses héritiers continuent d’explorer cette oeuvre riche de 40 000 images. Ils ont aussi retrouvé dans leurs archives des portraits de leaders nazis, d’officiers SS ou de membres des jeunesses hitlériennes. Les bourreaux sont aujourd’hui confrontés à leurs victimes.

Son fils, Erich est arrêté en 1934 et condamné à dix ans de prison pour «haute trahison». Il obtient le poste de photographe officiel de la prison où il réalise de très beaux portraits de prisonniers politiques, montrées aussi dans l’exposition. Il meurt le 23 mars 1944, peu avant la fin de sa peine, d’une appendicite non soignée.

Le projet d’August Sander a donc été modifié. Il a ajouté quatre catégories: prisonniers politiques, travailleurs immigrés, nationaux-socialistes et persécutés. Ceux-ci, les Juifs de sa ville, Cologne, ne fixent pas l’objectif. Ils regardent déjà ailleurs. La plupart des 16 000 Juifs de Cologne disparaîtront dans les camps.

Ces images inédites ont été, pour la plupart, tirées à l’occasion de cette exposition impressionnante au mémorial de la Shoah. Elle s’achève sur le cliché du masque mortuaire d’Erich Sander que son père avait accroché dans son bureau.

Quelque citations de cet artiste: «Dans chaque visage d’homme, son histoire est écrite de la façon la plus claire. L’un sait la lire, l’autre non. La vie y laisse immanquablement ses traces»

«Si moi, August Sander, je prétends voir les choses comme elles sont et non comme elles devraient ou pourraient être, que l’on m’en excuse, mais je ne peux faire autrement» (1927)

Il qualifie la photographie par trois mots: «Voir, observer, penser»

«August Sander -Persécutés / persécuteurs, des hommes du XX ème siècle» Mémorial de la Shoah 17, rue Geoffroy l’Asnier 75004-Paris. Commissaires : Sophie Nagiscarde et Marie-Edith Agostini.

http://www.memorialdelashoah.org/