Patrick Deville – Missak Manouchian

Léon Trotsky.
Malcolm Lowry.

Je lis ces jours-ci avec intérêt Viva de Patrick Deville (Éditions du Seuil, 2014. Points Seuil n°4146, 2015). Mon ami P. me l’a conseillé. Les personnages centraux sont Léon Trotsky et Malcolm Lowry, deux personnages qui ont à première vue peu de choses en commun. Le livre est construit en une trentaine de courts tableaux. Tout se passe dans le Mexique des années 30, si riche culturellement et historiquement…

On présente les livres de Patrick Deville comme des “romans d’aventures sans fiction”. En quatrième de couverture, une phrase du grand Pierre Michon : “Je relis Viva si savant, si écrit, si rapide. Chaque phrase est flèche.”

Pages 221-222 de l’édition en Points Seuil : ” Enfermé ce soir dans cette chambre, je reprends une dernière fois les carnets et les chronologies emmêlés de toutes ces pelotes. Nous sommes le 21 février 2014. C’est aujourd’hui le soixante-dixième anniversaire de l’Affiche rouge, des vingt-deux résistants étrangers fusillés par les nazis au Mont-Valérien le 21 février 1944. C’est aujourd’hui le quatre-vingtième anniversaire de l’assassinat de Sandino à Managua le 21 février 1934… On écrit toujours contre l’amnésie générale et la sienne propre…”

https://www.lesvraisvoyageurs.com/2023/06/19/missak-manouchian/

https://www.lesvraisvoyageurs.com/2018/02/21/laffiche-rouge/

Je vais lire d’autres livres de Pierre Deville.

Du 13 février au 12 mai 2024, le Jeu de Paume rend hommage à Tina Modotti (1896-1942) à travers une grande exposition, la plus importante jamais consacrée à Paris à cette photographe et activiste politique d’origine italienne.

https://www.connaissancedesarts.com/arts-expositions/photographie/exposition-photo-a-paris-la-photographie-revolutionnaire-de-tina-modotti-11189445/

Sombrero, Marteau et Faucille (Tina Modotti) 1927.

Darío Villalba 1939 – 2018

La Espera blanca, 1993.

Le Monde de ce jour indique que la Galerie Poggi qui se trouve maintenant dans de nouveaux locaux face au Centre Pompidou (135 rue Saint-Martin, Paris IV) présente jusqu’au 27 janvier de grands formats de Darío Villalba, peintre et photographe espagnol, peu connu en France. Ce fils de diplomate, a vécu aux États-Unis, en Allemagne, en France, en Grèce. Sa famille l’a toujours aidé même lorsqu’il a pratiqué le patinage artistique, sport qui n’existait pas dans l’Espagne franquiste d’alors. Il a participé aux Jeux Olympiques de Cortina d’Ampezzo en 1956. Il fut Prix National des Arts Plastiques en 1983 et membre de la Real Academia de Bellas Artes de San Francisco en 2002.

“Decía que pintaba cuando hacía fotografía y que hacía fotografía cuando pintaba.” Sa série la plus connue est celle des “Encapsulados”. Il s’agit d’une sorte de cocons qui contiennent des images de marginaux ( prisonniers, malades mentaux, sans-abris, personnes âgées ) qui semblent flotter dans un monde parallèle. Andy Warhol a essayé de l’enrôler dans le pop art ( pop soul) ce que Villalba a refusé. Des artistes espagnols, bien différents de lui, comme Luis Gordillo ou Eduardo Arroyo, l’ont appuyé et ont souligné son importance.

Ces jours-ci, nous avons vu au musée Carmen Thyssen de Málaga une belle exposition, Fieramente humanos. Retratos de santidad barroca. On y trouve des oeuvres des grands artistes du baroque méditerranéen (Ribera, Cano, Murillo, Giordano, Velázquez, Ribalta, Martínez Montañés, Juan de Mena), mais aussi trois oeuvres contemporaines (Equipo Crónica, Darío Villalba, Antonio Saura). Ce choix, a posteriori, me paraît judicieux étant donné l’influence qu’a eue l’art baroque sur ces artistes espagnols. L’oeuvre de Darío Villalba, peintre original, catholique et homosexuel mérite d’être davantage reconnue.

Místico (Darío Villalba) 1974. Colección de Arte ABANCA.

Francisco de Aldana

En novembre dernier, la collection Letras Hispánicas de Cátedra a publié Poesía de los siglos XVI y XVII. Le professeur Pedro Ruiz Pérez est responsable de cette édition de 1064 pages et de l’introduction (100 pages quand même). On remarque la présence de Francisco de Aldana dont l’importance a été reconnue par Quevedo, Cervantes ou Luis Cernuda (Tres poetas metafísicos, 1946).

On pense qu’Aldana est né à Naples en 1537. Il a suivi la carrière des armes comme son père et son frère. Il n’aimait pas ce métier. Il est pourtant mort au combat le 4 août 1578 lors de la bataille d’Alcazarquivir. Il avait été envoyé par Felipe II pour aider son neveu, le roi du Portugal, Sebastián I, dans sa tentative de conquête du Maroc.

Son frère Cosme a publié son oeuvre poétique en deux parties : Milan, 1589 et Madrid, 1591.

Le travail du professeur Ruiz Pérez est excellent. On regrettera neanmoins l’erreur dans le titre du poème Reconocimiento de la vanidad del mundo qui devient Reconocimiento de la variedad del mundo.

Reconocimiento de la vanidad del mundo

En fin, en fin, tras tanto andar muriendo,
tras tanto varïar vida y destino,
tras tanto, de uno en otro desatino,
pensar todo apretar, nada cogiendo;

tras tanto acá y allá yendo y viniendo,
cual sin aliento inútil peregrino,
¡oh, Dios!, tras tanto error del buen camino,
yo mismo de mí mal ministro siendo,

hallo, en fin, que ser muerto en la memoria
del mundo es lo mejor que en él se asconde,
pues es la paga dél muerte y olvido,

y en un rincón vivir con la vitoria
de sí, puesto el querer tan sólo adonde
es premio el mismo Dios de lo servido.

Francisco de Aldana.

Guillaume Apollinaire – Pablo Picasso

Málaga. Patio principal du Palacio de los Condes de Buenavista. Vers 1530-1540.

Visite du Musée Picasso de Málaga hier. Il est installé depuis 2003 dans le Palacio de los Condes de Benavista (Calle San Agustín,8). 3 parties : Diálogos con Picasso. Colección 2020-2023 + El eco de Picasso + Las múltiples caras de la obra tardía de Picasso. On y fait allusion au poème d’Apollinaire Les saisons. On peut lire la première strophe en espagnol et en anglais, pas en français.

Retrato de Paulo con gorro blanco. París, 14 de abril de 1973. Fundación Almine y Bernard Ruiz-Picasso.
Publié dans La grande revue, novembre 1917. Repris dans Calligrammes, 1918.
Retrato de mujer con sombrero de borlas y blusa estampada. Mougins, 1962. Málaga, Museo Picasso.

Colita 1940 – 2023

Colita ( de son vrai nom Isabel Steva Hernández) (Vicens Giménez)

J’ai vu ces derniers temps à Paris deux très riches expositions de photographies : Corps à corps Histoire(s) de la photographie (Centre Pompidou 6 septembre 2023 – 25 mars 2024) et Noir & blanc : une esthétique de la photographie (BnF 17 octobre 2023 – 21 janvier 2024). Les photographes espagnols y sont très peu représentés. C’est dommage, selon moi.

La photographe catalane Colita (de son vrai nom Isabel Steva Hernández) est décédée le 31 décembre 2023 à 83 ans. C’était une référence du photojournalisme à Barcelone.

Elle est née le 24 août 1940 dans une famille bourgeoise du quartier de l’Eixample (Ensanche). Son père lui offre un appareil photo quand elle a douze ans. Après une scolarité dans une école de religieuses, ses parents l’inscrivent dans un cours de secrétariat. Elle refuse de se marier et part en 1957 à Paris suivre un cours de langue et de civilisation française à la Sorbonne. Ses parents viennent la chercher en 1958 car elle refuse de rentrer.

De retour à Barcelone, elle rencontre les photographes Oriol Maspons (1928-2013) et Xavier Miserachs (1937-1998). Elle se professionnalise en 1961 dans l’atelier de ce dernier, où elle travaille comme secrétaire, mais apprend aussi les techniques de laboratoire. Miserachs lui laisse faire la photographie du film Los Tarantos (1963) de Francesc Rovira-Beleta. Au cours du tournage, elle devient amie avec la chanteuse et danseuse de flamenco Carmen Amaya (1913-1963) et découvre le monde des gitans.

Sa production tourne surtout autour du monde du flamenco, du théâtre, du spectacle. Elle saisit à merveille l’ambiance de la fin des années 1970 dans sa ville ainsi que l’effervescence politique de la transition. Elle est associée au monde culturel catalan : la Discothèque Bocaccio, la Gauche Divine, la Nova Cançó. Elle photographie aussi bien la haute bourgeoisie catalane que les bidonvilles de Somorrostro ou le Barrio Chino.

Elle collabore à des publications telles que Destino, Triunfo, Interviú, Fotogramas, Telexprés, Mundo Diario.

Elle a organisé plus de 40 expositions et publié plus de 30 livres, dont Luces y sombras del flamenco (Lumen, 1975. Texte du romancier et poète José María Caballero Bonald). Ses œuvres font partie des collections des principaux musées espagnols : Museu Nacional d’Art de Catalunya (MNAC) à Barcelone, Museo Nacional Centro de Arte Reina Sofía à Madrid.

Elle a laissé une belle galerie de portraits de célébrités : Gabriel García Márquez, Mario Vargas Llosa, Rafael Alberti, Jaime Gil de Biedma, Ana María Matute, Terenci y Ana María Moix, Joan Miró, Salvador Dalí, Orson Welles, Carmen Amaya, Antonio Gades, Joan Manuel Serrat.

Joan Manuel Serrat, 1970.
Gabriel García Márquez. Barcelone, 1969.

Elle se déclarait féministe, de gauche et athée. En 2014, elle refuse le Prix National de la Photographie, décerné par le Ministère de la culture par opposition à la politique du gouvernement du Parti Populaire dirigé par Mariano Rajoy.

Un cerdo feliz, 1987.

“En 1987, Colita fotografió a un cerdo que era feliz. “Lo tenían en la granja solo para que comiera y cubriera a las hembras, así que era verdaderamente feliz”, recuerda la fotógrafa. Su rostro tremendo y contento (el del cerdo) nos observa desde la foto en blanco y negro, una a la que Colita tiene especial cariño y que suele regalar a sus amigos para que la pongan en la cocina y les alegre el día.” (PHOTOESPAÑA 2015. El cerdo y la ‘gauche divine’. (Sergio C. Fanjul) (El País, 17 juin 2015)

Peter Doig

Paris, Musée d’Orsay.

Peter Doig est un peintre contemporain britannique, d’origine écossaise. Il est né à Édimbourg le 17 avril 1959 et a grandi dans les Caraïbes, à Trinidad. C’est un des peintres figuratifs contemporains qui m’intéressent le plus, au même titre que Marc Desgrandchamps.

On peut voir du 17 octobre 2023 au 21 janvier 2024 au Musée d’Orsay l’exposition Reflets du siècle.

https://www.musee-orsay.fr/fr/agenda/expositions/peter-doig

Two trees. 2017. New York, The Metropolitan Museum of Art.

La composition, les couleurs, la lumière de ses tableaux permettent de reconnaître rapidement sa patte. Le directeur du Musée d’Orsay, Christophe Leribault, lui a proposé de montrer onze grandes toiles récentes, réalisées durant les vingt dernières années que l’artiste a passé sur l’île de Trinidad. Elles sont accrochées autour d’une salle carrée du deuxième étage. Certains sont célèbres comme 100 Years Ago ou Two Trees.

100 Years Ago. 2000. Collection particulière.

Christophe Leribault lui a aussi demandé de mettre en regard certains œuvres du musée et d’en expliquer la raison. C’est le choix d’un artiste et non celui d’un historien de l’art. Ces oeuvres sont exposées dans les salles 57 et 60 du musée qui surplombent la Seine. Peter Doig met côte à côte Camille sur son lit de mort de Claude Monet et Crispin et Scapin d’Honoré Daumier, deux tableaux qui n’ont à première vue rien à voir.

Camille sur son lit de mort. (Claude Monet). 1879. Paris, Musée d’ Orsay.
Crispin et Scapin. (Honoré Daumier). vers 1864. Paris, Musée d’Orsay.

Il propose aussi un ensemble de cinq portraits de Pissarro, Renoir, Manet, Vallotton, Seurat.

Berthe Morisot à l’éventail. (Édouard Manet). 1872. Paris, Musée d’ Orsay.

« Les correspondances entre ces peintures m’intéressent tout autant que leurs différences. Elles rendent toutes compte d’une utilisation très singulière de la peinture – abondante et fluide, douce et vaporeuse, étudiée et directe, voilée et mystérieuse, plâtrée et rayée.

Chaque peinture nous plonge dans sa propre matérialité, et dans les mystères du sujet peint.

Finalement nous n’apprenons pas grand-chose à propos d’eux, et c’est peut-être là que réside l’intérêt de ces portraits : ils sont tout simplement fascinants, et les différences dans leurs processus de création ne compromettent en rien le dialogue qui s’engage entre eux.

Chaque portrait présente des jeux de dissimulation, à l’exception de celui de Pissarro, dont le regard perspicace assure la cohésion de l’ensemble. » (Peter Doig)

Félix Vallotton (Edouard Vuillard). vers 1900. Paris, musée d’ Orsay.

Deux autres citations de Peter Doig tirés d’Artension, Peter Doig dans l’œil, n° 128, novembre-décembre 2014 :

« La peinture, en grande majorité, est conceptuelle. Je veux dire que toute peinture résulte d’un processus mental. L’art conceptuel se contente de supprimer ce qui se rapporte au plaisir de regarder — la couleur, la beauté, toutes ces dimensions-là. »

« Regarder le monde non à travers les yeux du peintre mais à travers ceux de la peinture. »

Night Bathers. 2019. Collection particulière.

Chana Orloff 1888 – 1968

Deux musées de Paris rendent hommage à la sculptrice Chana Orloff : le Musée Zadkine et le Musée d’Art et d’Histoire du judaïsme (mahJ).
Chana Orloff. Sculpter l’époque “. Musée Zadkine, 100 bis, rue d’Assas, 75006 Paris. Du 15 novembre 2023 au 31 mars 2024.
« L’enfant Didi », itinéraire d’une œuvre spoliée de Chana Orloff, 1921-2023. Musée d’Art et d’Histoire du judaïsme. Hôtel de Saint-Aignan. 71, rue du Temple, 75003 Paris. Du 19 novembre 2023 au 29 septembre 2024.
On peut aussi visiter sur demande l’atelier qu’elle a occupé de 1926 à 1968 et qui a été construit près du Parc Montsouris par l’architecte Auguste Perret au 7, bis villa Seurat. 75014-Paris.
Chana Orloff est une sculptrice de nationalité française et israélienne. Elle est née en 1888 à Tasré-Constantinovska (qui se trouve aujourd’hui en Ukraine). Sa famille rejoint en 1906 la Palestine, alors sous domination ottomane, en 1906 après le saccage et l’incendie de leur maison lors d’un pogrom. Elle est couturière à Tel Aviv. Elle arrive à Paris en 1910 pour étudier la mode. Elle travaille pour la maison de couture Paquin. Elle côtoie les artistes de Montparnasse : Amedeo Modigliani, Chaïm Soutine, Jules Pascin, Ossip Zadkine, Marc Chagall… Elle commence à pratiquer la sculpture. Elle est admise à l’Ecole des arts décoratifs et fréquente l’Académie Vassilieff. Elle trouve sa propre voie et ne suit pas les mouvements qui dominent l’époque comme le cubisme. En octobre 1916, elle épouse Ary Justman (1888-1919), un poète polonais qu’elle a rencontré en 1914. Comme Guillaume Apollinaire, il meurt lors de l’épidémie de grippe de 1919. De cette union naît en 1918 un fils, Élie, surnommé Didi, qui est frappé par la poliomyélite. Elle fait face avec énergie à tous ces malheurs. Son atelier se trouve alors 68 rue d’Assas. Des amis proches, comme Marc et Bella Chagall, lui commande des œuvres. Elle devient célèbre et réalise de nombreux portraits de personnalités parisiennes. Elle utilise le bois, le plâtre (pour des tirages en bronze) ou le ciment. Elle est nommée chevalier de la Légion d’honneur en 1925 et obtient la nationalité française ainsi que son fils en 1926. Elle prend part à la grande exposition des Maîtres de l’art indépendant au Petit Palais à Paris en 1937. La guerre éclate et Chana Orloff, qui est juive, échappe de peu à la rafle du Vel d’Hiv (17 juillet 1942). Elle se réfugie à Grenoble en zone libre, puis en Suisse avec son fils. Quand elle revient à Paris en 1945, elle retrouve son atelier saccagé, ses sculptures décapitées. 145 pièces ont disparues. Après la Guerre, elle partage sa vie entre la France et Israël et réalise plusieurs monuments pour l’état hébreu. Elle meurt à Tel Aviv le 16 décembre 1968.

Torse 1912. Ciment. Paris, Ateliers-Musée Chana Orloff.

Le Musée Zadkine lui consacre une exposition qui permet de parcourir son œuvre et de la comparer avec celle d’Ossip Zadkine. On voit d’abord les portraits qui l’ont rendue célèbre. Ce sont des têtes, mais aussi des sculptures en pied, souvent d’enfants, de femmes en mouvement ou enceintes. Les animaux occupent aussi une place importante dans son travail : poissons, oiseaux et chiens. Après la guerre, ses sculptures sont marquées par la Shoah et la douleur.

Grande baigneuse accroupie. 1925. Bronze. Paris, Ateliers-Musée Chana Orloff.

Á Paris, une rue du XIX ème arrondissement porte son nom et une statue d’elle Mon fils marin (1924) se trouve, depuis novembre 2018, sur la place des Droits-de-l’Enfant, dans le XIV ème arrondissement.

Le 7 octobre 2023, trois membres de la famille de Chana Orloff – Avshalom Haran, Evyatar et Lilach Lea Kipnis – qui vivaient au kibboutz Be’eri, dans le sud d’Israël, ont été tués par les terroristes du Hamas. Sept autres membres de sa famille – Shoshan Haran (67 ans) ; Adi, sa fille (38 ans) ; Tal Shoham, son gendre (38 ans) ; Naveh (8 ans) et Yahel Neri (3 ans), ses petits-enfants ; Sharon 52 ans et Noam Avigdori (12 ans), sa belle-sœur et sa nièce – sont toujours retenus en otage à l’heure actuelle. Ramenons-les à la maison !

Place des Droits-de-l’Enfant. 75014-Paris. Mon fils marin (Chana Orloff) (1924).

Pablo Picasso – Guillaume Apollinaire

Nous avons vu en deux temps l’exposition Picasso Dessiner à l’infini (18 octobre 2023 – 15 janvier 2024) au Centre Pompidou. Elle célèbre les cinquante ans de la mort du peintre espagnol et présente près de mille œuvres (carnets, dessins et gravures). On se perd parfois dans le parcours proposé qui est non linéaire et bouscule la chronologie.

Plan de l’exposition.

Mon attention a été retenue par le thème du cirque dans son œuvre et par son amitié avec les poètes de son temps (Guillaume Apollinaire, Max Jacob, Pierre Reverdy, Paul Éluard)

En 1905, les oeuvres de Picasso se peuplent de saltimbanques. Le cirque Médrano installe alors son chapiteau près de son atelier du Bateau-Lavoir à Montmartre. Le peintre n’insiste pas sur les feux de la rampe, mais sur l’envers du décor : la pauvreté, la marginalité, l’existence errante et solitaire. Les prouesses acrobatiques, les moments de gaieté passés pendant le spectacle l’intéressent peu.

L’Acrobate à la boule. Bateau-lavoir, début 1905. Moscou, Musée Pouchkine.
Famille de saltimbanques. Printemps-automne 1905. Washington, National Gallery.

Il suit les poètes : Baudelaire, Verlaine et Apollinaire qu’il rencontre à la fin de 1904 et qui devient un ami essentiel. Le poème Crépuscule est significatif.

Crépuscule (Guillaume Apollinaire)

A Mademoiselle Marie Laurencin

Frôlée par les ombres des morts
Sur l’herbe où le jour s’exténue
L’arlequine s’est mise nue
Et dans l’étang mire son corps

Un charlatan crépusculaire
Vante les tours que l’on va faire
Le ciel sans teinte est constellé
D’astres pâles comme du lait

Sur les tréteaux l’arlequin blême
Salue d’abord les spectateurs
Des sorciers venus de Bohême
Quelques fées et les enchanteurs

Ayant décroché une étoile
Il la manie à bras tendu
Tandis que des pieds un pendu
Sonne en mesure les cymbales

L’aveugle berce un bel enfant
La biche passe avec ses faons
Le nain regarde d’un air triste
Grandir l’arlequin trismégiste

Alcools, 1913.

Portrait d’Apollinaire. Frontispice d’Alcools. Paris, Mercure de France, 1913. Paris, BnF.

Le texte évoque une arlequine « frolée par les ombres des morts », un charlatan « crépusculaire », un arlequin « blême » et un aveugle qui « berce un bel enfant ». On est entre deux mondes. Les saltimbanques sont des passeurs vers l’au-delà.

Ce thème du cirque réapparaît dans l’oeuvre du peintre quand il retourne au cirque Médrano avec son fils Paulo (1921-1975) vers 1930. Il est saisi par le spectacle lui-même. Le corps humain devient extravagant. L’acrobate est un homme-caoutchouc. Picasso est fasciné par les équilibristes. Ses tableaux sont le reflet d’une grande émotion personnelle.

L’Acrobate. Paris, 18 janvier 1930. Paris, Musée Picasso.
Acrobate bleu. Paris, novembre 1929. Paris, Musée Picasso.

Regarder Picasso à l’infini !

Trésors en noir et blanc : Dürer, Rembrandt, Goya, Toulouse-Lautrec

Du 12 septembre 2023 au 14 janvier 2024, on peut voir au Petit Palais (Musée des Beaux-arts de la Ville de Paris) l’ exposition Trésors en noir et blanc Dürer, Rembrandt, Goya, Toulouse-Lautrec.
Le musée expose une partie de son cabinet d’arts graphiques. Les commissaires ont choisi environ 200 feuilles des grands maîtres : Dürer, Rembrandt, Callot, Goya, Toulouse-Lautrec… L’estampe est très présente dans les collections du Musée. Elle est le reflet des goûts de ses donateurs, les frères Dutuit, Auguste (1812-1902) et Eugène ( 1807-1886) et du conservateur Henry Lapauze (1867-1925), à l’origine du musée de l’Estampe moderne.
L’exposition permet de découvrir un panorama qui va du XVe au XXe siècle.

La première partie de l’exposition présente une sélection des plus belles feuilles de la collection Dutuit qui en comprend 12 000, signées des plus grands peintres-graveurs. Ces œuvres ont été rassemblées sous l’impulsion d’Eugène Dutuit et se caractérisent par leur qualité et leur rareté. Ainsi, La Pièce aux cent Florins de Rembrandt est exceptionnelle par sa taille (près de 50 centimètres de large) et par son histoire. Elle a appartenu à Dominique-Vivant Denon, le premier directeur du Louvre. Parmi les 45 artistes présentés, quatre d’entre eux ont été choisis pour illustrer le goût d’Eugène Dutuit qui fut aussi historien d’art : Dürer, Rembrandt, Callot et Goya. Il a publié en 1881-1888 le Manuel de l’amateur d’estampes et en 1883 L’Oeuvre complet de Rembrandt.
Henry Lapauze, lui, a ouvert les collections à la création contemporaine. En 1908, un musée de l’Estampe moderne est inauguré au sein du Petit Palais. Pour le constituer, il obtient de nombreux dons de marchands et de collectionneurs comme Henri Béraldi qui offre au 100 portraits d’hommes d’État, de savants ou d’artistes. Plusieurs sont présentés dans l’exposition. Des artistes et de familles d’artistes (Félix Buhot, Félix Bracquemond, Jules Chéret, Théophile Alexandre Steinlein, Henri de Toulouse-Lautrec…) font de même. Ces artistes ont marqué l’histoire de l’estampe et représentent la gravure contemporaine, essentiellement parisienne, des premières années du XXe siècle. Enfin, une sélection des dernières acquisitions, dont des estampes d’Auguste Renoir, Anders Zorn et Odilon Redon, montre la politique actuelle d’achat du musée.

J’ai remarqué deux des quatre eaux-fortes de la série Les Bohémiens de Jacques Callot (1592-1635). Cette suite de quatre pièces met en scène, à travers de multiples détails pittoresques la vie d’une famille de Bohémiens. Le graveur lorrain avait lui-même expérimenté cette vie errante. Il avait suivi une troupe alors qu’il se rendait en Italie. Cette épisode picaresque a particulièrement séduit la génération romantique, qui s’est emparée de la figure de Callot. Baudelaire a écrit un poème inspiré de cette suite dans Les Fleurs du mal .

Les Bohémiens en marche : l’avant-garde (Jacques Callot). 1627-28. Eau-forte.
Les Bohémiens en marche : l’arrière-garde ou le départ (Jacques Callot). 1627-28. Eau-forte.
La halte des Bohémiens : les diseurs de bonne aventure (Jacques Callot). 1627-28. Eau-forte.
La halte des Bohémiens : les apprêts du festin (Jacques Callot). 1627-28. Eau-forte.

XIII – Bohémiens en Voyage

La tribu prophétique aux prunelles ardentes
Hier s’est mise en route, emportant ses petits
Sur son dos, ou livrant à leurs fiers appétits
Le trésor toujours prêt des mamelles pendantes.

Les hommes vont à pied sous leurs armes luisantes
Le long des chariots où les leurs sont blottis,
Promenant sur le ciel des yeux appesantis
Par le morne regret des chimères absentes.

Du fond de son réduit sablonneux, le grillon,
Les regardant passer, redouble sa chanson ;
Cybèle, qui les aime, augmente ses verdures,

Fait couler le rocher et fleurir le désert
Devant ces voyageurs, pour lesquels est ouvert
L’empire familier des ténèbres futures.

Les Fleurs du Mal. Spleen et idéal. 1857.

Bohémiens en voyage est le seul sonnet régulier des Fleurs du Mal.
Baudelaire porte un regard ambigu sur les bohémiens dans les deux quatrains. Ils sont rapprochés des animaux, mais cette image s’oppose au mysticisme que confère le poète à cette “tribu prophétique”. Il les comprend. Ils partagent avec lui le tourment, l’inquiétude, la mélancolie, une même envie de fuir la société.
Les Bohémiens vont vers les ténèbres comme le poète en proie au spleen.

Éloge de l’abstraction

Éloge de l’abstraction. Les peintres de l’Académie des beaux-arts dans les collections de la Fondation Gandur pour l’Art.

Pavillon Comtesse de Caen de l’Académie des beaux-arts (Palais de l’Institut de France, 27 quai de Conti, Paris VI). Du 12 octobre au 26 novembre 2023. Du mardi au dimanche de 11 heures à 18 heures. Fermeture de 13 heures 30 à 14 heures. Entrée libre et gratuite.

Les grandes expositions ne manquent cet automne à Paris : Nicolas de Staël – magnifique -, Vincent Van Gogh – ses derniers mois à Auvers-sur-Oise -, Mark Rothko – impressionnante rétrospective du 18 octobre 2023 au 2 avril 2024 à la Fondation Louis Vuitton – . Trois peintres qui se sont suicidés. Elles procurent beaucoup de plaisir, mais il est parfois un peu gâché par la foule qui s’y presse. D’autres expositions, dans des lieux moins fréquentés, permettent de voir ou de revoir les oeuvres de peintres qui ont été sur le devant de la scène artistique dans le Paris de l’après-guerre.

L’Académie des Beaux-Arts présente 25 tableaux de 7 artistes, tous anciens membres de l’Académie des beaux-arts : Jean Bertholle (1909-1996), Chu Teh-Chun 1926-2014), Olivier Debré (1920-1999), Hans Hartung (1904-1989), Georges Mathieu (1921-2012), Antoni Tàpies (1923-2012), Zao Wou-Ki (1920-2013). Elles proviennent de la Fondation Gandur pour l’Art. Parmi ces 7 peintres, mes préférés sont : Hartung, Tàpies et Zao Wou-Ki. Georges Mathieu est le mieux representé avec huit tableaux. C’est celui qui me convainc le moins.

T 1973-E12 (Hans Hartung). 1973.
Porta Vermella n°LXXV (Antoni Tàpies). 1958.
30-10-61 (Zao Wou-Ki). 1961.

Nous avons pu voir à Paris ces dernières années de belles expositions sur l’abstraction lyrique : L’Envolée lyrique – Paris 1945-1956 du 26 avril au 6 août 2006 au Musée du Luxembourg ; Zao Wou-ki. L’espace est silence du 1 juin 2018 au 6 janvier 2019 au Musée d’art moderne de la Ville de Paris ; la Donation Zao Wou-Ki au Musée d’Art Moderne de Paris du 14 avril au 01 décembre 2023.