L’insulte (Ziad Doueiri)

Vu dimanche 11 mars à la Ferme du Buisson (Noisiel) :

L’insulte (2017) 1h52 Réal.: Ziad Doueiri. Coproduction franco-libanaise. Sc: Joelle Touma, Ziad Doueiri. Int: Adel Karam (Toni Hanna), Kamel El Basha (Yasser Abdallah Salameh), Diamand Bou Abboud (Nadine Wehbe), Camille Salameh (Wajdi Wehbe), Rita Hayek (Shirine Hanna), Christine Salameh (Manal Salameh).

Dans le Beyrouth d’aujourd’hui, une insulte dégénère et conduit devant les tribunaux Toni, chrétien libanais, propriétaire d’un garage, et Yasser, réfugié palestinien, contremaître sur un chantier voisin. Le film se transforme en film de procès avec ses tensions, ses oppositions, ses révélations surprenantes. Les deux avocats qui s’opposent sont un père et sa fille. Cette situation mène le Liban au bord de l’explosion communautaire et sociale. A la fin, les deux hommes finissent par se regarder en face.

Le film est mené comme un thriller intense et efficace. Les deux acteurs sont très bons et complémentaires. Kamel El Basha joue avec retenue – il a obtenu la Coupe Volpi de la meilleure interprétation masculine à la Mostra de Venise 2017) – et Adel Karam avec fougue et colère. Le film a aussi été nominé aux Oscars 2018 comme meilleur film étranger. Le film est un peu trop long et l’utilisation d’une musique tonitruante m’a semblé assez maladroite.

Le film rappelle des faits historiques que l’évolution du pays veut occulter:
– Le massacre de Damour, ville côtière située à environ 20 km au sud de Beyrouth, le 20 janvier 1976. 582 chrétiens, pour la plupart civils, furent assassinés, principalement par des milices palestiniennes. Ce fut une réaction contre un massacre précédent de réfugiés palestiniens par les milices des Phalanges libanaises. A la fin du film, Toni, qui  avait 6 ans lors de ces faits, reprend la route de Damour, retrouve sa maison abandonnée et se repose sous les bananiers de son enfance.
– Septembre Noir . Ce conflit débuta le 12 septembre 1970, lorsque la Jordanie du roi Hussein déclencha des opérations militaires contre les fedayins de l’OLP, dirigée par Yasser Arafat. La violence des combats fit plusieurs milliers de morts de part et d’autre, en majorité des civils palestiniens. Yasser a vécu ces événements.
– Le massacre de Sabra et Chatila fut commis du 16 au 18 septembre 1982 par les phalangistes chrétiens avec la bénédiction de l’armée israélienne, stationnée à proximité. Il y eut de 460 à 800 victimes. Ariel Sharon était alors Ministre de la défense d’Israël. «Sharon aurait dû tous vous exterminer», dit Toni à Yasser.

Ce conflit absurde entre les deux hommes est, bien sûr, la métaphore de celui plus général entre les différentes communautés qui composent le Liban. La loi d’amnistie, proclamée à la sortie de la guerre civile (1975-1990), a instauré une amnésie de fait.

Le réalisateur Ziad Doueiri vit en France. Il s’attaque au tabou des affrontements ethniques dans le Beyrouth d’aujourd’hui, encore meurtri par ce passé récent. Les chrétiens libanais coexistent avec les palestiniens dans une atmosphère tendue, comme si la guerre n’avait jamais vraiment pris fin. Ziad Doueiri appelle à la réconciliation, à l’oubli de cette fracture. Le film ose dire beaucoup de choses, déterrer le passé, renvoyer chacun à ses propres fautes. Le film a été un succès dans son pays, mais des critiques se sont aussi élevées.

En 2012, Ziad Doueiri a tourné L’Attentat, adapté du roman éponyme de Yasmina Khadra, publié en 2005, avec des acteurs israéliens, Evgenia Dodina et Ali Suliman . Il a exprimé son opposition au boycott d’Israël. Le 11 septembre 2017, de retour au Liban pour la sortie de L’insulte, il a été entendu pendant plusieurs heures par un tribunal militaire au Liban, en raison de ce tournage qui contrevenait à la législation libanaise.

https://www.youtube.com/watch?v=ltYa7uNuFvg

Filmographie de Ziad Doueiri.
1998: West Beyrouth.
2004: Lila dit ça.
2012: L’Attentat.
2017: L’Insulte.

2005: Sleeper Cell (série télévisée) – 1 épisode:Immigrant)
2016: Baron noir (série télévisée)

Il fut Assistant à la caméra notamment pour Quentin Tarantino dans les années 1990 pour les films Jackie Brown, Pulp Fiction et Reservoir Dogs.

Pentagon Papers (Steven Spielberg)

Vu dimanche 4 mars à la Ferme du Buisson (Noisiel) :

Pentagon Papers (The Post) (2017) 1h55 Réal.: Steven Spielberg. Sc: Liz Hannah, Josh Singer. Int: Meryl Streep, Tom Hanks, Sarah Paulson, Bob Odenkirk, Tracy Letts, Bradley Whitford, Bruce Greenwood, Matthew Rhys, Jesse Plemons, David Cross, Michael Stuhlbarg, Zach Woods, Pat Healy, David Costabile.

Steven Spielberg revisite depuis longtemps le cinéma classique américain et ses différents genres. Il le fait en général avec talent. Cela change alors des grandes machines hollywoodiennes réservées aux adolescents décérébrés.

1987 Empire du soleil. Film de guerre.
1998 Il faut sauver le soldat Ryan. Film de guerre.
2005 Munich. Thriller politique.
2012 Lincoln. Film historique.
2015 Le Pont des Espions. Film d’espionnage.
2017 Pentagon Papers (The Post). Film sur le journalistime.

Après Les Hommes du président (1976), d’Alan J. Pakula, grand film de journalisme sur l’affaire du Watergate avec Robert Redford et Dustin Hoffman, il y a maintenant Pentagon Papers, qui écrit le chapitre précédent, le premier affrontement du Washington Post avec le pouvoir. Le titre original est The Post et Pentagon Papers est le titre «français». Le travail de traduction des distributeurs me laisse souvent perplexe.

En 1971, le Washington Post est un journal local que sa propriétaire, Katharine Graham (Meryl Streep), essaie d’introduire en Bourse. Il n’a pas l’importance du New York Times. C’est à celui-ci que l’analyste Daniel Ellsberg, un lanceur d’alerte avant la lettre, va remettre les rapports qu’il a photocopiés en secret et qui montre que, de 1945 à 1967, les différentes administrations américaines ont menti sur les possibilités de victoire des États-Unis au Vietnam. Le journal est censuré par la justice, sous la pression du Président Richard Nixon, pour avoir publié des informations classées secrètes. Le rédacteur en chef, Benjamin Bradlee (Tom Hanks) va récupérer ces informations. Le personnage de Benjamin Bradlee était interprété dans Les Hommes du président par Jason Robards.

Les deux grands acteurs que sont Meryl Streep et Tom Hanks se complètent à merveille dans ce film très américain. Spielberg utilise aussi avec justesse toute une panoplie d’acteurs venus des séries télévisées et qui jouent les seconds rôles.

Steven Spielberg a lu le scénario de Liz Hannah et de Josh Singer en février 2017. Le film était prêt en novembre, ce qui est assez inhabituel. Cette urgence s’explique probablement par l’importance de la presse et des médias pour faire barrage à l’administration Trump. Le film est un plaidoyer très efficace sur l’importance du contre-pouvoir que représente une presse libre et puissante. Le personnage de Kay Graham est aussi d’actualité dans le contexte de l’affaire Weinstein et des revendications féministes.

Certain spectateurs trouveront le message naïf et conservateur, mais il est aussi présent chez les grands cinéastes américains humanistes que furent Frank Capra, Richard Brooks ou Joseph L.Mankiewicz.

Je tiens à signaler aussi l’importance du projet lancé par Steven Spielberg après le tournage, en Pologne, de La Liste de Schindler (1993). Il avait décidé alors d’aller au-delà de son travail de cinéaste et d’enregistrer, sur cassettes vidéo, les récits de tous les derniers survivants de l’Holocauste dans le monde. Il avait créé pour cela la fondation «Survivors of the Shoah Visual History Foundation» qui voulait conserver l’histoire transmise par ceux qui l’ont vécue et qui ont réussi à survivre. Ce projet était financé par Steven Spielberg, MCA-Universal, NBC, Wasserman Foundation, Time-Warner.

https://www.cinemarivaux-macon.fr/film/202434/video/vo-fa1/

Ni juge, ni soumise (Jean Libon – Yves Hinant)

Vu lundi 5 mars à la Ferme du Buisson (Noisiel) :
Ni juge ni soumise. Documentaire belge de Jean Libon et Yves Hinant (2017). 99 mn.
La juge Anne Gruwez tente d’élucider à Bruxelles un crime non résolu depuis plus de deux décennies. Les réalisateurs ont suivi ce personnage haut en couleur au cours d’enquêtes criminelles, d’auditions, de visites de scènes de crime.

Strip-tease fut une émission de télévision documentaire belge créée sur RTBF1 en 1985, puis belgo-française depuis le 3 octobre 1992 et sa diffusion sur France 3. Elle avait pour but de traiter des sujets de société. Je regarde peu la télévision. Je ne connaissais donc même pas son existence.

Les créateurs de l’émission se plaçait dans les années 80 dans la continuation des comédies sociales à sketches italiennes. Un cinéma populaire qui ne respectait rien et passait tout à la moulinette: l’église, la famille, la bourgeoisie, les rapports homme-femme, le sexe etc.

L’émission s’est arrêtée en 2012. Les deux réalisateurs ont réalisé là leur premier long métrage de cinéma en choisissant le contexte du polar. La juge reprend une histoire réelle et non résolue: l’assassinat de deux prostituées assassinées dans le centre de Bruxelles. Les auteurs ont eu trois ans pour filmer les personnages et ont utilisé les mêmes techniques qu’à la télévision: pas de voix off, pas de commentaire, pas d’interview.

C’est une comédie noire qui mêle absurde, vulgarité, désespoir. Le film repose sur l’empathie avec le personnage de la juge. Elle roule en 2CV dans Bruxelles, mais au son de la Marche de Radetzky. Elle a quatre doigts coupés. Parmi les prévenus, une écrasante proportion de prévenus issus de l’immigration.

Les interrogatoires hallucinants se succèdent, mais deux scènes sont particulièrement éprouvantes: un cadavre est exhumé dans le cimetière de Berchem-Sainte-Agathe, une des 19 communes bilingues de la ville-région de Bruxelles-Capitale, pour un prélèvement d’ADN; la juge et la meurtrière de son fils de 8 ans qu’elle considère comme «le fils de Satan» corrigent ensemble la déposition de celle-ci devant l’ordinateur.

L’humain est partout bien sûr. Térence disait bien: «Homo sum, et humani nihil
a me alienum puto» («Je suis homme, et rien de ce qui touche un homme ne m’est étranger»).
Mais, ici, la misère humaine devient spectacle comique. Le spectateur est mal à l’aise. C’est le but.
Je préfère quant à moi les documentaires de Raymond Depardon comme Délits flagrants (1994), 10 ème chambre, instants d’audience (2004) ou 12 jours (2017).

https://www.youtube.com/watch?v=_DlC7-cclhI

Jusqu’à la garde (Xavier Legrand)

Vu jeudi 1 mars à la Ferme du Buisson (Noisiel) un grand film français sur le thème de la violence conjugale:

Jusqu’à la garde (2018) 1h33 Réal. et scén.: Xavier Legrand. Prod: Alexandre Gavras. Int: Léa Drucker, Denis Ménochet, Thomas Giora, Mathilde Auneveux, Mathieu Saïkaly.
Lion d’argent de la meilleure mise en scène et Lion du futur, prix “Luigi de Laurentiis” du meilleur premier film au festival de Venise 2017.
Prix du Public du Meilleur Film Européen au Festival International du Film de Saint Sébastien 2017

Antoine et Miriam Besson divorcent. Pour protéger son fils de 11 ans de la violence de son père, Miriam en demande la garde exclusive. Antoine se sert de son fils Julien et profite de la situation pour tenter de réconquérir celle qu’il considère toujours comme sa femme.

Le film est découpé en grands blocs. La première séquence au tribunal dure seize minutes. La tension est extrême, l’atmosphère étouffante, la violence palpable. Les parents parlent peu. Ce sont les avocates qui ont la parole. Celle du père se montre agressive. La juge finit par critiquer l’attitude de la mère et accordera le droit de visite à Antoine. On comprend vite que c’est lui qui représente  le danger. Il est massif, manipulateur, malheureux. Les deux rencontres entre le père et le fils forment le centre du film.  La fille, Joséphine, va avoir 18 ans. Son seul but est de fuir cette famille qui l’étouffe et rejoindre son petit ami. Sa fête d’anniversaire constitue le centre du film. Xavier Legrand joue sur la lenteur.   La maison paraît un refuge, mais la menace approche comme dans les thrillers. La dernière scène, dans l’obscurité,  est un long plan-séquence de six minutes.

Le film semble naturaliste. On pense à Maurice Pialat, mais c’est aussi un conte. Le metteur en scène se place du point de vue de l’enfant qui  a peur de l’ogre. Il n’insiste pas sur le monde extérieur, le contexte social. La mise en scène est rigoureuse, efficace. Il y a un vrai travail sur le son (Le bip de la ceinture de sécurité, l’interphone) ce qui est assez rare dans le cinéma français pour être souligné.

Les trois acteurs principaux sont excellents: Léa Drucker, Denis Ménochet, Thomas Giora. L’enfant, Thomas Giora, est même exceptionnel. Il rappelle le jeune John Harper (Billy Chapin) du mythique film de Charles Laughton, La Nuit du chasseur (1955).  La vieille Rachel Cooper (Lillian Gish), à la fin de ce film, murmure le soir de Noël: “Seigneur, sauve les petits enfants. Le vent souffle et les pluies sont froides. Cependant, ils endurent. Ils endurent et ils supportent.”

http://www.allocine.fr/video/player_gen_cmedia=19204539&cfilm=4963.html

Xavier Legrand, acteur, scénariste et réalisateur, avait déjà réalisé en 2013 un court métrage de 22 minutes sur le même thème: Avant que de tout perdre avec déjà Léa Drucker et Denis Ménochet. Grand prix du Festival de Clermont-Ferrand 2013. Sélectionné aux Oscars du cinéma 2014 dans la catégorie meilleur court métrage de fiction. César du meilleur court métrage en 2014. Il y racontait uniquement la fuite de la femme et de ses deux enfants.

https://www.youtube.com/watch?v=VebMpwa-7w4

La violence conjugale en France
Les meurtres. En 2016, 123 femmes et 34 hommes ont été tués par leur partenaire ou ex-partenaire. 25 enfants mineurs ont été tués par l’un de leurs parents dans un contexte de violence au sein du couple (Source : ministère de l’intérieur).
La violence physique. En 2016, 225 000 femmes âgées de 18 à 75 ans déclarent avoir été victimes de violences physiques et/ou sexuelles par leur conjoint ou ex-conjoint. Moins d’une femme sur cinq victimes de violence déclare avoir déposé plainte.
Plus de la moitié n’a fait aucune démarche auprès d’un professionnel ou d’une association (Source : Insee).
Condamnations. En 2016, 17 660 personnes ont été condamnées pour des violences sur leur partenaire ou ex-partenaire. 96 % sont des hommes.

3 Billboards, les panneaux de la vengeance (Martin McDonagh)

Vu vendredi 2 mars à la Ferme du Buisson (Noisiel) :

3 Billboards, les panneaux de la vengeance (2017) 1h55 Réal. et scén. : Martin McDonagh. Dir.photo : Ben Davis. Int.:Frances McDormand, Woody Harrelson, Sam Rockwell, Abbie Cornish, Caleb Landry Jones, Zeljko Ivanek, John Hawkes, Clarke Peters, Lucas Hedges, Peter Dinklage, Sandy Martin, Christopher Berry, Amanda Warren, Kathryn Newton, Darrell Britt-Gibson, Malaya Rivera Drew, Samara Weaving.

Dans la ville d’Ebbing (Missouri), sept mois après le meurtre de sa fille, Mildred Hayes (Frances McDormand) décide d’agir car la police n’a obtenu aucun résultat. Elle loue trois panneaux publicitaires et fait inscrire : « Violée pendant son agonie », « Toujours aucune arrestation » et « Pourquoi, Chef Willougby ? ». William Willoughby (Woody Harrelson) est le chef respecté de la police de la petite ville, mais il est atteint d’un cancer en phase terminale. Dixon (Sam Rockwell) est un policier fruste, raciste et homophobe aux méthodes très brutales.

Ces trois personnages, tristes et contradictoires, sont très bien interprétés. Il y a de l’humanité dans chacun d’eux. La mort est omniprésente dans les films Mc Donagh. Il s’agit de la mort d’enfants ou ici de celle d’une jeune fille. La culpabilité est là aussi. Le personnage de Frances Mc Dormand est en guerre. Elle porte toujours le même uniforme et souvent le bandeau qui peut nous rappeler le personnage de Christopher Walken dans Voyage au bout de l’enfer (The Deer Hunter) (1978) de Michael Cimino. L’esprit des grands films américains des années 70 et 80 est présent.

Le film mêle violence brute et humour noir. Les personnages sont tous contradictoires, ambigus.  L’esprit de 3 Billboards, les panneaux de la vengeance est proche de celui des films des frères Coen. Il est difficile de ne pas penser à Frances Mc Dormand dans Fargo (1996). Il faut aussi se rappeler qu’elle est l’épouse de Joel Coen depuis 1984  et l’interprète de sept de ses films. Néanmoins, le metteur en scène britannique revendique davantage le modèle de la comédie noire de Billy Wilder.

Le film est plus inégal dans sa seconde partie et il tombe quelques fois dans la facilité quand il force un peu trop l’aspect humoristique. Pourtant, ce film se situe bien au-dessus des innombrables navets que produit régulièrement le cinéma américain actuel.

Le film est esthétiquement très soigné. La couleur rouge apparaît très souvent : vie-mort. L’Amérique profonde est bien rendue par la photographie du chef opérateur Ben Davis. Le film a été tourné en Caroline du Nord et non au Missouri. Une allusion est faite à l’extraordinaire romancière du Sud profond, Flannery O’Connor (1925-1964). John Huston adapta magnifiquement en 1979 La Sagesse dans le sang (Wide Blood). Titre du film de John Huston : Le Malin (Wide Blood)  avec Brad Dourif.

La musique, très soignée, contribue à créer une ambiance très américaine (chansons de Townes van Zandt et de Joan Baez) ou mélancolique (The last rose of summer interprétée par Renée Fleming)

https://www.youtube.com/watch?v=mv9UdtFepdY

Le réalisateur Martin Mc Donagh, né en 1970, est un dramaturge britannique d’origine irlandaise. Il a le sens du dialogue percutant. Ses pièces comme ses films créent un univers assez original.

Filmographie
2008 : Bons baisers de Bruges (In Bruges).
2012 : Sept psychopathes (Seven Psychopaths).
2017 : Three Billboards : Les Panneaux de la vengeance (Three Billboards Outside Ebbing, Missouri).

https://www.youtube.com/watch?v=wGsJM5-epN0

Normandie nue (Philippe Le Guay)

Vu lundi 26 à la Ferme du Buisson (Noisiel) Normandie nue de Philippe Le Guay (2018). 105 minutes. Int: François Cluzet, François-Xavier Demaison, Arthur Dupont, Grégory Gadebois, Philippe Rebbot, Toby Jones, Patrick d’Assumçao, Pili Groyne, Daphné Dumons,  Philippe Duquesne, Lucie Muratet.

A la Ferme du Buisson, je vais voir des films que je n’irai pas voir en salle à Paris. Plaisir de voir un film dans une grande salle dans de bonnes conditions. Attente de l’ouverture des deux salles de cinéma qui sont en cours de rénovation. La population de Marne-la-Vallée vieillit. Les spectateurs de notre cinéma aussi.

Le film se déroule au Mêle-sur-Sarthe, petit village de l’Orne de 756 habitants. La crise agricole touche gravement les éleveurs surendettés. Ils organisent une manifestion et installent  un barrage routier sur une route départementale. Un photographe d’art américain, spécialisé dans le nu, est  à la recherche de l’endroit idéal pour créer sa prochaine œuvre photographique conceptuelle. Il se trouve bloqué par la manifestation.  Ce personnage est inspiré du photographe plasticien américain Spencer Tunick.  L’artiste décide de photographier dans le plus simple appareil au milieu du Champ Chollet la population de la commune. Le maire voit là une manière d’attirer l’attention des médias sur les problèmes de ses administrés.

C’est un film du dimanche soir, une comédie socialement responsable et plus complexe qu’elle ne paraît. Les séquences disparates se succèdent, mais la deuxième partie du film tourne néanmoins un peu à vide.

Le metteur est aidé par des seconds rôles qui n’hésitent pas à en faire beaucoup:  Philippe Rebbot, éleveur déprimé, Grégory Gadebois, boucher jaloux, et François-Xavier Demaison, Parisien transplanté.

La Ferme du Buisson (Noisiel)

 

 

Gaspard va au mariage (Antony Cordier)

Vu vendredi 23 février à la Ferme du Buisson (Noisiel) Gaspard va au mariage d’Antony Cordier. Int: Félix Moati, Laetitia Dosch, Christa Théret, Johan Heldenbergh, Guillaume Gouix, Marina Foïs, Elodie Bouchez.

Après avoir vécu loin de sa famille pendant des années, Gaspard, 25 ans, revient vers elle à l’annonce du remariage de son père. Il est accompagné de Laura, une fille fantasque qu’il a rencontré dans un train et qui accepte de jouer sa petite amie le temps du mariage. Il retrouve le zoo provincial de ses parents, les singes et les fauves qui l’ont vu grandir… et sa famille: un père cavaleur, un frère raisonnable et une sœur bien belle. Il n’a pas conscience qu’il s’apprête à vivre les derniers jours de son enfance.

C’est un conte, une fable. Un groupe d’écologistes s’enchaîne sur une voie ferrée. Le personnage principal demande dans le train à une fille fofolle de l’accompagner au mariage de son père. C’est un train d’hier ou d’avant-hier avec ses couloirs et compartiments enfumés. Le père, cavaleur, soigne ses plaies dans un aquarium bleuté rempli de petits poissons. Sa sœur s’enveloppe dans une peau d’ours et erre dans le parc. Une meute de chiens sauvages s’en prend aux animaux. Pourquoi pas? Mais 103 minutes, c’est vraiment bien long. Les acteurs jouent laborieusement leur rôle de farfelus sans profondeur. Je mettrai à part Marina Foïs, presque toujours excellente. Mais, ici, son personnage de vétérinaire est sacrifié. Elle ne fait pas vraiment partie de la Famille.

Je crois que le cinéma français souffre de l’existence de tels films inutiles. J’avais déjà souffert, il y a quelque temps en voyant Jeune femme de Léonor Serraille avec Laetitia Dosch déjà. Caméra d’or au Festival de Cannes de 2017, quand même. J’aime le cinéma français. Je ne le critique pas systématiquement, mais il ne faudrait pas en dégoûter un peu plus les jeunes…Naturalisme ou Féérie: je ne crois à cette alternative.

La critique bien-pensante compare Antony Cordier à Wes Anderson, un metteur en scène que je n’aime pas beaucoup (La Famille Tenenbaum, À bord du Darjeeling Limited, Moonrise Kingdom, The Grand Budapest Hotel). Wes Anderson c’est Orson Welles à côté.

https://www.youtube.com/watch?v=n_8CyLf99Z8

Carré 35 (Eric Caravaca)

Vu mardi 20 février au Cinéma L’Epée de Bois, Rue Mouffetard, 75005-Paris Carré 35 d’Eric Caravaca.

Carré 35: Casablanca. Cimetière européen. C’est là qu’est enterrée la sœur aînée du metteur en scène, Christine, morte à l’âge de trois ans (1960-1963), et qu’il n’a pas connue. Ses parents ne lui en ont jamais parlé, n’ont gardé aucune image d’elle: ni photo, ni film. Christine était trisomique et souffrait d’une malformation cardiaque, la maladie bleue, souvent associée à la trisomie. L’ histoire familiale se mêle à celle de la colonisation. Les parents du réalisateur ont vécu au Maroc et en Algérie, au moment de la décolonisation. Le documentariste devient détective et historien, reliant le déni de ses parents face à la perte de leur petite fille et celui la France, face aux crimes commis par l’armée en Afrique du Nord.

Ce documentaire autobiographique est émouvant et dérangeant. Eric Caravaca interroge sa mère, enfermée dans le déni. Il questionne aussi son père, malade, et qui va mourir d’une tumeur au cerveau. Ils ne lui donnent pas la même version. Un cousin viendra lui apporter la confirmation de la trisomie inavouable de Christine: «Tout tourne autour de ça…» Carré 35 parle de la mort, mais aussi de la honte, de la honte d’une femme. On est étonné, choqué par l’attitude de cette personne forte, mais on finit par la comprendre. A cette époque, une femme devait donner de beaux enfants. Un point c’est tout!

Eric Caravaca utilise des images nombreuses et diverses: photos, films de famille (le mariage de ses parents, les bains de mer, l’oncle qui s’est noyé aux Baléares), la maison de Casablanca (hier et aujourd’hui), les images d’archives historiques.

A la fin du film, sa sœur existe à nouveau. La photo a été remise sur la tombe du cimetière de Casablanca. Un documentaire d’une heure sept minutes existe.

Ce film me touche particulièrement. Eric Caravaca a réussi son coup. C’est son histoire, c’est mon histoire: l’Afrique du Nord, la famille d’origine espagnole, les petits secrets, la mort, le cimetière, la guerre. Une seule et même personne entretient la tombe de sa sœur depuis les années soixante: une femme dont la mère est enterrée juste à côté. Lorqu’il parviendra à la contacter au téléphone (elle vit maintenant en Espagne), elle lui dira que sa mère s’est suicidée après avoir perdu toute sa fortune lors d’un tremblement de terre à Agadir, l’année de la naissance de Christine. «Quand j’ai pu joindre cette femme au téléphone, elle m’a dit :« Vous parlez à une miraculée : je suis restée huit heures sous les décombres de ma maison. » Quel symbole ! C’est une femme exhumée qui s’occupe de la tombe d’une petite fille dont l’existence a été ensevelie deux fois : sous la terre et dans l’inconscient… »

Je me souviens du tremblement de terre d’Agadir le 29 février 1960 à 23h40. Il dura 15 secondes. Magnitude: 5,9 sur l’échelle de Richter. Il y eut entre 12 000 et 15 000 morts. Un tiers de la population de la ville. Et 25 000 blessés…

Graffiti retrouvé sur les murs des anciens abattoirs de Casablanca en ruine: «It’s all about memories.»

«Ceux qui ont une mémoire peuvent vivre dans le fragile temps présent. Ceux qui n’en ont pas ne vivent nulle part.» Patricio Guzmán, Nostalgie de la lumière.

https://www.youtube.com/watch?v=f8p7mdNFfMc

In the Fade (Aus dem Nichts)

Vu dimanche 18 février à La Ferme du Buisson (Noisiel) In the Fade de Fatih Akin.

Titre français et international: In the Fade («Dans le dépérissement»)
Titre original allemand: Aus dem Nichts («Hors du néant, A partir de rien»)
Int: Diane Kruger(Katja Sekerci) Numan Acar ( Nuri) Denis Moschitto (Danilo Fava, l’avocat de Katja) Johannes Krisch (Haberbeck, l’avocat des Möller) Hanna Hilsdorf (Edda Möller) Ulrich Brandhoff (André Möller) Ulrich Tukur (Jürgen Möller, le père d’André Möller) Samia Muriel Chancrin (Birgit, la sœur de Katja)

Synopsis
L’histoire se passe à Hambourg.
La vie de Katja est bouleversée par la mort de son fils (Rocco) d’une dizaine d’années et de son mari kurde (Nuri Sekerci ) lors d’un attentat à la bombe. Elle  l’avait épousé alors qu’il était en prison. Depuis la naissance de leur fils, Nuri a abandonné le trafic de drogue et a fait des études. Il travaille maintenant dans un bureau de traduction et de contrôle d’ affaires fiscales.
Peu de temps avant l’attentat, Katja avait vu une jeune femme blonde quitter les lieux sans cadenasser son vélo.
L’enquête de la police pense d’abord à un acte de vengeance entre trafiquants de drogue. Plus tard, la police arrête deux suspects, André et Edda Möller, un jeune couple de néo-nazis. Les preuves semblent accablantes, mais en raison des doutes du Tribunal, ils sont acquittés. Katja, inconsolable, est d’abord tentée par l’autodestruction, puis suit les coupables en Grèce pour se venger.

Fatih Akin raconte avec efficacité les manquements de l’État, de la justice et de la société allemande en ce qui concerne les attentats perpétrés par les membres du groupuscule néo-nazi  Nationalsozialistischer Untergrund (Parti national-socialiste souterrain-NSU) entre 2000 et 2007 , responsables de l’assassinat de huit immigrés turcs, d’un immigré grec et d’une policière. Il insiste aussi sur les liens entre les différents groupes néo-nazis européens.

Diane Kruger , qui a obtenu le  Prix d’interprétation féminine au Festival de Cannes en mai 2017, incarne parfaitement la détresse de cette femme.

Les critiques sans nuances d’une grande partie presse française (Le Monde, Libération, Télérama et même Positif) me semble caricaturales. Le film est loin d’être parfait (effets trop appuyés, utilisation inutile de la caméra à l’épaule ou du ralenti), mais on le regarde sans déplaisir.

Filmographie de Fatih Akin (né en 1973)
– 1998: L’Engrenage (Kurz und schmerzlos).
– 2000: Julie en juillet (Im Juli).
– 2001: Denk ich an Deutschland – Wir haben vergessen zurückzukehren (documentaire).
– 2002: Solino.
– 2004: Head-On (Gegen die Wand).
– 2005: Crossing the Bridge – The Sound of Istanbul (documentaire).
– 2007: De l’autre côté (Auf der anderen Seite).
– 2009: Soul Kitchen.
– 2012: Polluting Paradise (Müll im Garten Eden) (documentaire).
– 2014: The Cut.
– 2016: Tschick.
– 2017: In the Fade (Aus dem Nichts).

Je n’avais vu jusqu’à présent de ce réalisateur que Head-On (Ours d’or au Festival de Berlin) et De l’autre côté ( Prix du scénario au Festival de Cannes) qui m’avaient paru de bons films. D’autres metteurs en scène allemands comme Volker Schlöndorff (Diplomatie, La Mer à l’aube) Margarethe von Trotta (Hannah Arendt) Edgar Reitz (Heimat- 1: Chronique d’un rêve, Heimat-2: L’Exode) ou Christian Petzold (Barbara, Phoenix) m’intéressent cependant davantage.

http://www.allocine.fr/video/player_gen_cmedia=19571924&cfilm=231371.html

La Douleur (Emmanuel Finkiel)

La Douleur (Emmanuel Finkiel, 2017)

Vu dimanche 11 février à La Ferme du Buisson (Noisiel) La Douleur d’ Emmmanuel Finkiel.

La France est sous l’Occupation allemande. L’écrivain Robert Antelme, résistant, est arrêté le 1 juin 1944 et déporté à Buchenwald. Son épouse Marguerite, écrivain elle aussi, est tiraillée par l’angoisse de ne pas avoir de ses nouvelles et sa liaison secrète avec son amant Dyonis. Elle rencontre un agent français de la Gestapo, Rabier. Elle est prête à tout pour retrouver son mari. Commence alors une relation ambiguë avec cet homme trouble qui seul peut l’aider. La fin de la guerre et le retour des camps annoncent à Marguerite le début d’une insoutenable attente, lente et silencieuse.

Ce film m’a intéressé et parfois ennuyé. Il m’a semblé long et répétitif. On s’intéresse au personnage de Marguerite Duras et on la déteste. Elle n’est pas authentique du tout. Elle emploie toujours de grosses ficelles, mais dit néanmoins parfois des choses vraies. Elle écrit: «La littérature m’a fait honte.» Cette réflexion vaut aussi pour les adeptes actuels de l’autofiction.

Marguerite Duras commence à écrire ses Cahiers de la guerre (Cahiers de la guerre et autres textes), Pol-Imec 2006 (Folio n°4698) entre 1943 et 1949. Son mari, Robert Antelme, déporté aux camps de Buchenwald et de Dachau, ne sera libéré que grâce à l’intervention providentielle de François Mitterrand en avril 1945. Il était épuisé et malade du typhus. C’est à partir du journal rédigé à cette période qu’en 1980 Marguerite Duras écrit La Douleur (1985, P.O.L. puis Folio n°2469), recueil d’histoires en partie autobiographiques, en partie inventées. La plus longue, La Douleur, est l’histoire de l’attente de son mari. Ce livre, lors de sa parution, m’avait davantage intéressé que L’Amant qui connut pourtant un immense succès, couronné par le Prix Goncourt 1984.

Emmanuel Finkiel a relié dans son scénario deux histoires du recueil: La douleur et Monsieur X. dit ici Pierre Rabier. Il est en gros fidèle au texte de la romancière, même s’il supprime les dernières pages de La Douleur qui, selon lui, n’étaient pas filmables car Robert Antelme avait atteint le dernier degré avant la mort. Le metteur en scène montre la honte, la souffrance, l’amour, la haine, la perversité, la dépendance. Marguerite s’enferme dans cette souffrance. L’absence devient concrète alors qu’elle est toujours très entourée. Ses rapports avec Dionys Mascolo sont souvent brutaux et ambigus. Il finit par lui dire: «Êtes-vous plus attachée à votre douleur ou à Robert Antelme?» La Libération de Paris ne change rien à ce qu’elle ressent. Son mari est absent, il est aimé. Quand il revient, elle ne peut ni ne veut le voir. Elle n’aime plus Robert. Elle en aime un autre. «Je savais qu’il savait qu’à chaque heure de chaque jour, je le pensais: «Il n’est pas mort au camp de concentration.»

Emmanuel Finkiel représente Paris de manière à la fois réaliste et irréelle. Il parvient à noircir les édifices, mais abuse des longues focales, du flou. Cela tourne au procédé, ce qui devient gênant pour le spectateur.

« Au fond, on ne fait rien d’autre que des documentaires. » (Positif, janvier 2018)
« – Par quoi vos films sont-ils obsédés ? – Par le manque.» (Télérama, 11/04/2012)

Filmographie d’Emmanuel Finkiel (né en 1961)

Assistant de Jean-Luc Godard et de Krzysztof Kieślowski. Professeur à la Fémis.
– 1999: Voyages. (Prix Louis Delluc. César du meilleur premier film)
– 2006: En marge des jours – TV
– 2009: Nulle part, terre promise (Prix jean Vigo)
– 2012: Je suis
– 2016: Je ne suis pas un salaud
– 2017 :La Douleur

Pierre Rabier, en réalité Charles Delval, sera jugé et fusillé au début de 1945. Marguerite Duras témoignera deux fois à son procès: une fois à charge, et l’autre en sa faveur.

La Shoah est évoqué par l’intermédiaire du personnage de Madame Katz qui attend le retour de sa fille handicapée. Marguerite Duras ne parle presque jamais du sort des Juifs. Robert Antelme (1917-1990), lui, sera l’auteur de plusieurs ouvrages, dont un livre de référence sur les camps de concentration: L’Espèce humaine, paru en 1947 aux éditions de la Cité Universelle (aujourd’hui, Gallimard, collection Tel). Le livre est dédié à Marie-Louise, sa sœur, morte en déportation.

Robert Antelme, L’Espèce humaine.
«L’homme n’est rien d’autre qu’une résistance absolue, inentamable, à l’anéantissement.»
Il n’y a pas de différence de nature entre le régime “normal” d’exploitation de l’homme et celui des camps. Le camp est simplement l’image nette de l’enfer plus ou moins voilé dans lequel vivent encore tant de peuples.»

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