Harry Dean Stanton (1926 – 2017)

https://www.youtube.com/watch?v=CR42hEHCo7w

Film vu hier soir en DVD, car je l’avais raté lors de sa sortie en salle.

Lucky (2017) Réal. John Carroll Lynch. Scén: Logan Sparks et Drago Sumonja. Dir.photo:Tim Suhrstedt. Int : Harry Dean Stanton, David Lynch, Ron Livingston, Tom Skerritt. Ed Begley Jr.
Beth Grant. James Darren. Barry Shabaka Henley.

Lucky, vieux cow-boy, vit seul à plus de 90 ans, dans une petite ville du désert de l’Arizona. Il fait des exercices de yoga tous les matins et marche dans la ville pour aller prendre son café, faire ses courses ou retrouver des amis le soir dans un bar où il boit un Bloody Maria. Dans la journée, il fait des mots croisés et regarde des jeux télévisés idiots. Malgré sa santé de fer, une chute avertit Lucky que la mort approche. Il continue pourtant de fumer son paquet de cigarettes chaque jour avec la bénédiction de son médecin traitant. Il perd alors un peu de sa force, se dispute et veut se battre avec un avocat qui tente de faire signer un testament à un ami (interprété par David Lynch) qui a perdu sa tortue centenaire “President Roosevelt”. Lucky retrouve un peu de joie lors de la fête d’anniversaire du fils d’une commerçante d’origine mexicaine où il improvise en espagnol la chanson Volver Volver avec un groupe de mariachis. Il rencontre aussi un vétéran (Tom Skerritt) avec qui il évoque ses souvenirs de la Guerre du Pacifique. Finalement la vie continue pour Lucky et la tortue poursuit elle aussi son chemin dans le désert.

Il s’agit du dernier film d’Harry Dean Stanton (1926-2017). Le magnifique acteur de Paris, Texas (1984) de Wim Wenders tient le rôle principal. Il est apparu dans près de deux cents films et téléfilms. Tout s’inspire de sa vie et de sa personnalité. La photographie de Tim Suhrstedt est très soignée et joue sur des tons très chauds. Le metteur en scène John Carroll Lynch, un ancien acteur, signe là son premier film. Sa mise en scène est lente et discrète. Elle se met au service des comédiens. Dans l’avant dernier plan, le personnage joué par Harry Dean Stanton, ce faux philosophe misanthrope qui définit le réalisme, se plaît à dire qu’il n’est rien («ungatz!»), se déclare athée et nie la réalité de l’âme, scrute un très haut cactus (un saguaro) encore plus sec que lui, puis regarde la caméra et le spectateur longuement. Il finit par sourire et s’éloigne dans le désert après avoir allumé une dernière cigarette. Belle fin de cinéma pour cet immense acteur décédé le 15 septembre 2017.

https://www.youtube.com/watch?v=77rJ8OSjhdM

Giuseppe Tomasi di Lampedusa (1896-1957)

Le Guépard (Il Gattopardo), 1958.

«Don Fabrizio connaissait cette sensation depuis toujours. Cela faisait des décennies qu’il sentait que le fluide vital, la faculté d’exister, la vie en somme, et peut-être aussi la volonté de continuer à vivre s’écoulaient de lui lentement mais sans discontinuer comme les touts petits grains se pressent et défilent un par un, sans hâte et sans relâche, devant l’orifice étroit d’un sablier. A certains moments d’activité intense, de grande attention, ce sentiment d’abandon continuel disparaissait pour se présenter de nouveau impassible à la moindre occasion de silence et d’introspection, comme un bourdonnement constant à l’oreille, le battement d’une horloge s’imposent quand tout le reste se tait ; nous donnant alors la certitude qu’ils ont toujours été là, vigilants, même quand on ne les entendait pas.

A tous les autres moments il lui suffisait d’un minimum d’attention pour percevoir le bruissement des grains de sable légers qui glissaient, des instants de temps qui s’évadaient de sa vie et le quittaient à jamais; la sensation, d’ailleurs, n’était auparavant, liée à aucun malaise, et même cette imperceptible perte de vitalité était la preuve, la condition pour ainsi dire, de la sensation de vie ; et pour lui, habitué à scruter des espaces extérieurs illimités, à explorer de très vastes abîmes intérieurs, elle n’était pas du tout désagréable : c’était celle d’une dégradation continue, très faible, de la personnalité jointe cependant au vague présage de la reconstitution ailleurs d’une individualité ( grâce à Dieu) moins consciente mais plus vaste : ces petits grains de sable n’étaient pas perdus, ils disparaissaient, oui, mais ils s’accumulaient qui sait où pour cimenter une masse plus durable. le mot masse, pourtant, avait-il réfléchi, n’était pas exact, lourd comme il était ; et grains de sable, d’ailleurs, non plus : c’étaient plutôt comme des particules de vapeur aqueuse qui s’exhalaient d’un étang étroit, pour aller haut dans le ciel former les grands nuages légers et libres. Il était parfois surpris de ce que ce réservoir vital pût encore contenir quelque chose après tant d’années de perte. ” Il n’était quand même pas aussi grand qu’une pyramide! ” D’autre fois, plus souvent, il s’était enorgueilli d’être presque le seul à éprouver cette fuite continue tandis qu’autour de lui personne ne semblait ressentir la même chose ; et il en avait tiré un motif de mépris à l’égard des autres, comme le vétéran méprise le conscrit vivant dans l’illusion que le bourdonnement des balles autour de lui est celui de grosses mouches inoffensives. Ce sont là des choses qui, on ne sait d’ailleurs pourquoi, ne s’avouent pas ; on laisse aux autres la possibilité d’en avoir l’intuition et personne autour de lui ne l’avait jamais eue, aucune de ses filles qui rêvaient d’un outre-tombe identique à cette vie, un ensemble complet de magistrature, cuisiniers, couvents et horlogers, de tout ; ni Stella qui, dévorée par la gangrène du diabète, s’était malgré tout accrochée mesquinement à cette existence de douleurs. Seul Tancredi peut-être avait compris un instant quand il avait dit avec son ironie rebelle : ” Toi, mon oncle, tu courtises la mort. ” Maintenant cette cour était finie : la belle avait dit oui, la fuite était décidée, le compartiment dans le train réservé…»

Giuseppe Tomasi di Lampedusa.

Eugenio Montejo (1938-2008)

Eugenio Montejo.

Les temps sont particulièrement durs au Vénézuela. Il faut donc relire les poèmes du grand Eugenio Montejo. Beauté et clarté de son écriture.

Ce poète et essayiste est né le 19 octobre 1938 à Caracas. Il est mort le 5 juin 2008 à Valencia (Vénézuela). Professeur d’université et animateur de plusieurs revues, il reçoit en 1998 le Prix national de littérature du Venezuela et en 2004 le Prix international Octavio Paz de Poésie. Il a été aussi conseiller culturel à l’ambassade du Venezuela au Portugal. Un de ses poèmes (La tierra giró para acercarnos) est cité dans le film 21 grammes (2003) du metteur en scène mexicain Alejandro González Iñarritu (Scénario de Guillermo Arriaga). Sean Penn récite a Naomi Watts les trois premiers vers.

La tierra giró para acercarnos

La tierra giró para acercarnos,
giró sobre sí misma y en nosotros,
hasta juntarnos por fin en este sueño,
como fue escrito en el Simposio.
Pasaron noches, nieves y solsticios;
pasó el tiempo en minutos y milenios.
Una carreta que iba para Nínive
llegó a Nebraska.
Un gallo cantó lejos del mundo,
en la previda a menos mil de nuestros padres.
La tierra giró musicalmente
llevándonos a bordo;
no cesó de girar un solo instante,
como si tanto amor, tanto milagro
sólo fuera un adagio hace mucho ya escrito
entre las partituras del Simposio.

Adiós al siglo XX,1992.

The Earth Turned to Bring Us Closer

The earth turned to bring us closer,
it spun on itself and within us,
and finally joined us together in this dream
as written in the Symposium.

Soy esta vida 

Soy esta vida y la que queda,
la que vendrá en otros días,
en otras vueltas de la tierra.

La que he vivido tal como fue escrita
hora tras hora
en el gran libro indescifrable;
la que me anda buscando en una calle,
desde un taxi
y sin haberme visto me recuerda.

Ya no sé cuándo llegará, qué la detiene;
no conozco su rostro, su cuerpo, su mirada;
no sé si llegará de otro país
-es un tapiz volante-
o de otro continente.

Soy esta vida que he vivido o malvivido
pero más la que aguardo todavía
en las vueltas que la tierra me debe.
La que seré mañana cuando venga
en un amor, una palabra;
la que trato de asir cada segundo
sin saber si está aquí, si es ella la que escribe
llevándome la mano.

Terredad, 1978.

Dura menos un hombre que una vela

Dura menos un hombre que una vela
pero la tierra prefiere su lumbre
para seguir el paso de los astros.
Dura menos que un árbol,
que una piedra,
se anochece ante el viento más leve,
con un soplo se apaga.
Dura menos un pájaro,
que un pez fuera del agua,
casi no tiene tiempo de nacer,
da unas vueltas al sol y se borra
entre las sombras de las horas
hasta que sus huesos en el polvo
se mezclan con el viento,
y sin embargo, cuando parte
siempre deja la tierra más clara.

Muerte y memoria,1972.

https://www.youtube.com/watch?v=5Q1QvwkDXMo

Henri Michaux (1899-1984) lu par Delphine Seyrig

Delphine Seyrig. L’Année dernière à Marienbad (1961), Alain Resnais.

Les Nuits de France Culture. Les chemins de la connaissance. Hécube (1 ère diffusion).

Delphine Seyrig lit Henri Michaux : “Je vous écris d’un pays lointain” (1ère diffusion : 17/08/1985) 16/06/1989) PODCAST.

https://goo.gl/52P2jf

Delphine Seyrig (1932-1990) joue le rôle Fabienne Tabard dans Baisers volés (1968) de François Truffaut. Elle est à la fois l’incarnation de la femme romantique et inaccessible, mais aussi la représentation de la femme réaliste et maîtresse de son destin. Antoine Doinel, dans Baisers volés, dit du personnage interprété par Delphine Seyrig: «Madame Tabard est une femme exceptionnelle, Madame Tabard, c’est… c’est une apparition!».

Elle est morte en 1990, à 58 ans, des suites d’un cancer des poumons. Sa tombe se trouve au cimetière du Montparnasse à Paris.

Je vous écris d’un pays lointain 
I
Nous n’avons ici, dit-elle, qu’un soleil par mois, et pour peu de temps. On se frotte les yeux des jours en avance. Mais en vain. Temps inexorable. Soleil n’arrive qu’en son heure.
Ensuite on a un monde de choses à faire, tant qu’il y a de la clarté, si bien qu’on a à peine le temps de se regarder un peu.
La contrariété, pour nous, dans la nuit, c’est quand il faut travailler, et il le faut : il naît des nains continuellement.

II

Quand on marche dans la campagne, lui confie-t-elle encore, il arrive que l’on rencontre sur son chemin des masses considérables. Ce sont des montagnes, et il faut tôt ou tard se mettre à plier les genoux. Rien ne sert de résister, on ne pourrait plus avancer, même en se faisant du mal.

Ce n’est pas pour blesser que je le dis. Je pourrais dire d’autres choses, si je voulais vraiment blesser.

III
L’aurore est grise ici, lui dit-elle encore. Il n’en fut pas toujours ainsi. Nous ne savons qui accuser.

Dans la nuit le bétail pousse de grands mugissements, longs et flûtes pour finir. On a de la compassion, mais que faire?

L’odeur des eucalyptus nous entoure : bienfait, sérénité, mais elle ne peut préserver de tout, ou bien pensez-vous qu’elle puisse réellement préserver de tout?

IV
Je vous ajoute encore un mot, une question plutôt.
Est-ce que l’eau coule aussi dans votre pays? (je ne me souviens pas si vous me l’avez dit) et elle donne aussi des frissons, si c’est bien elle.
Est-ce que je l’aime? Je ne sais. On se sent si seule dedans, quand elle est froide. C’est tout autre chose quand elle est chaude. Alors? Comment juger? Comment jugez-vous, vous autres, dites-moi, quand vous parlez d’elle sans déguisement, à cœur ouvert?

V
Je vous écris du bout du monde. Il faut que vous le sachiez. Souvent les arbres tremblent. On recueille les feuilles. Elles ont un nombre fou de nervures. Mais à quoi bon ? Plus rien entre elles et l’arbre, et nous nous dispersons, gênées.
Est-ce que la vie sur terre ne pourrait pas se poursuivre sans vent? Ou faut-il que tout tremble, toujours, toujours?
Il y a aussi des remuements souterrains, et dans la maison comme des colères qui viendraient au-devant de vous, comme des êtres sévères qui voudraient arracher des confessions.
On ne voit rien, que ce qu’il importe si peu de voir. Rien, et cependant on tremble. Pourquoi?

VI
Nous vivons toutes ici la gorge serrée. Savez-vous que, quoique très jeune, autrefois j’étais plus jeune encore, et mes compagnes pareillement. Qu’est-ce que cela signifie? Il y a là, sûrement, quelque chose d’affreux.
Et autrefois quand, comme je vous l’ai déjà dit, nous étions encore plus jeunes, nous avions peur.
On eût profité de notre confusion. On nous eût dit : « Voilà, on vous enterre. Le moment est arrivé. » Nous pensions, c’est vrai, nous pourrions aussi bien être enterrées ce soir, s’il est avéré que c’est le moment.
Et nous n’osions pas trop courir : essoufflées, au bout d’une course, arriver devant une fosse toute prête, et pas le temps de dire mot, pas le souffle.
Dites-moi, quel est donc le secret à ce propos ?

VII
Il y a constamment, lui dit-elle encore, des lions dans le village, qui se promènent sans gêne aucune.
Moyennant qu’on ne fera pas attention à eux, ils ne font pas attention à nous.
Mais s’ils voient courir devant eux une jeune fille, ils ne veulent pas excuser son émoi. Non! aussitôt ils la dévorent.
C’est pourquoi ils se promènent constamment dans le village où ils n’ont rien à faire, car ils bâilleraient aussi bien ailleurs, n’est-ce pas évident?

VIII
Depuis longtemps, longtemps, lui confie-t-elle, nous sommes en débat avec la mer.
De très rares fois, bleue, douce, on la croirait contente. Mais cela ne saurait durer. Son odeur du reste le dit, une odeur de pourri (si ce n’était son amertume).
Ici, je devrais expliquer l’affaire des vagues. C’est follement compliqué, et la mer… Je vous prie, ayez confiance en moi. Est-ce que je voudrais vous tromper? Elle n’est pas qu’un mot.
Elle n’est pas qu’une peur. Elle existe, je vous le jure; on la voit constamment.
Qui? mais nous, nous la voyons. Elle vient de très loin pour nous chicaner et nous effrayer.
Quand vous viendrez, vous la verrez vous-même, vous serez tout étonné. « Tiens ! » direz-vous, car elle stupéfie.
Nous la regarderons ensemble. Je suis sûre que je n’aurai plus peur. Dites-moi, cela n’arrivera-t-il jamais ?

IX
Je ne veux pas vous laisser sur un doute, continue-t-elle, sur un manque de confiance. Je voudrais vous reparler de la mer. Mais il reste l’embarras. Les ruisseaux avancent; mais elle, non. Écoutez, ne vous fâchez pas, je vous le jure, je ne songe pas à vous tromper. Elle est comme ça. Pour fort qu’elle s’agite, elle s’arrête devant un peu de sable. C’est une grande embarrassée. Elle voudrait sûrement avancer, mais le fait est là.

Plus tard peut-être, un jour elle avancera.

X

«Nous sommes plus que jamais entourées de fourmis», dit sa lettre. Inquiètes, ventre à terre elles poussent des poussières. Elles ne s’intéressent pas à nous.»
Pas une ne lève la tête.
C’est la société la plus fermée qui soit, quoiqu’elles se répandent constamment au dehors. N’importe, leurs projets à réaliser, leurs préoccupations…elles sont entre elles…partout.
Et jusqu’à présent pas une n’a levé la tête sur nous. Elle se ferait plutôt écraser.

XI

Elle lui écrit encore:
«Vous n’imaginez pas tout ce qu’il y a dans le ciel, il faut l’avoir vu pour le croire. Ainsi, tenez les…mais je ne vais pas vous dire leur nom tout de suite.»
Malgré des airs de peser très lourd et d’occuper presque tout le ciel, ils ne pèsent pas, tout grands qu’ils sont, autant qu’un enfant nouveau né.
Nous les appelons des nuages.
Il est vrai qu’il en sort de l’eau, mais pas en les comprimant, ni en les triturant. Ce serait inutile, tant ils ont en peu.
Mais, à condition d’occuper des longueurs et des longueurs, des largeurs et des largeurs, des profondeurs aussi et des profondeurs et de faire les enflés, ils arrivent à la longue à laisser tomber quelques gouttelettes d’eau, oui, d’eau. Et on est bel et bien mouillé. On s’enfuit, furieuses d’avoir été attrapées; car personne ne sait le moment où ils vont lâcher leurs gouttes; parfois ils restent des jours sans les lâcher. Et on resterait en vain chez soi à attendre.

XII

L’éducation des frissons n’est pas bien faite dans ce pays. Nous ignorons les vraies règles et quand l’événement apparaît, nous sommes prises au dépourvu.
C’est le Temps, bien sûr. (Est-il pareil chez vous?) Il faudrait arriver plus tôt que lui; vous voyez, ce que je veux dire, rien qu’un tout petit peu avant. Vous connaissez l’histoire de la puce dans le tiroir? Oui, bien sûr. Et comme c’est vrai, n’est-ce pas! Je ne sais plus que dire. Quand allons-nous nous voir enfin?

Plume précédé de Lointain intérieur, 1938.

Henri Michaux (Claude Cahun), Jersey 1938.

 

Les héritières (Marcello Martinessi)

Vu dimanche 6 janvier au studio Saint-André-des-Arts, Paris VI.

Les héritières (Las herederas). 97’. Réal. et scén.: Marcello Martinessi. Dir.photo.: Luis Armando Ortega. Int: Ana Brun (Chela), Margarita Irun (Chiquita), Ana Ivanova (Andy), Nilda González (Pati), María Martins (Pituca), Alicia Guerra (Carmela).

Chela et Chiquita, la soixantaine, forment un vieux couple qui survit malgré les outrages, l’usure du temps et une vie morne et monotone. Ces deux dames distinguées de la bonne société du Paraguay ont vécu jusque-là de leurs rentes. Mais elles ont dilapidé leur héritage familial et bradent maintenant leurs dernières possessions: les meubles, le piano, l’argenterie. Chiquita est envoyée en prison pour dettes envers sa banque qui l’accuse de fraude. Leur maison, de style colonial, sombre, métaphore d’un pays, d’une classe sociale, se vide et se délabre. Chela, mauvaise conductrice et dépourvu de permis, s’improvise chauffeuse de taxi pour ses vieilles voisines riches. Elle les conduit dans la ville et même sur l’autoroute. Enfin, elle sort de son cocon étouffant. Elle se rapproche d’Angy, une femme beaucoup plus jeune qui lui parle de ses amants. En l’absence de Chiquita, elle se libère des lourdes traditions qui pesaient sur ses épaules.

Un film du Paraguay, c’est un événement en France. Un pays qui a connu 35 ans de dictature sous la présidence du Général Alfredo Stroessner de 1954 à 1989. et dont on ne connaît rien chez nous. C’est pourtant 7 025 763 habitants et 406 752 km².

Ce film n’est pas un drame malgré les premières séquences sombres et lentes. On voit Chela dépressive, apathique, grincheuse, raciste. L’univers carcéral n’est pas montré de manière outancière, sauf dans deux brefs épisodes. Les bourgeoises de ce pays vivent elles dans une prison. Ces dames sortent peu, eles se méfient même des taxis qui pourraient les voler. Le metteur en scène n’insiste pas pourtant sur les dangers possibles dans la ville d’Asunción. Chela prend une fois un verre seule en plein air. Les hommes, qui dans tout le film ne sont que des silhouettes, ne la dérangent nullement.

Marcello Martinessi est habile dans sa mise en scène. Il évite les facilités, utilise les ellipses. On arrive même à la fin à s’attacher à cette femme mûre qui a été belle. Ce n’est qu’une vieille enfant lunaire, presque muette qui n’a jamais rien fait de sa vie. Elle peint un peu, a dû jouer du piano autrefois. Même si ce film est centré sur des femmes et un milieu social particulier, ce récit a un aspect universel, tchékhovien. Le metteur en scène joue sur les sous-entendus, les petites touches L’homosexualité n’est jamais montré comme un problème. C’est même secondaire dans l’intrigue. Les personnages évoluent tout au long du film. On s’en rend bien compte par exemple dans les relations entre Chela et et Pati, la bonne. Le point de vue du cinéaste est lucide, mais compréhensif et affectueux.

Marcelo Martinessi, né en 1973, a dirigé la télévision publique de son pays lors de la présidence progressiste de Fernando Lugo de 2008 à 2012. Avant ce film, il n’avait dirigé que trois courts-métrages. Ses références cinématographiques sont Fassbinder, Almodóvar, Cassavetes. Il réussit bien à faire le portrait de son pays et d’un société qui semble sortir des ténèbres.

Ana Brun, Margarita Irun, Ana Ivanova et Nilda González sont toutes les quatre excellentes dans le film. Ana Brun (Prix d’interprétation à la Berlinale) n’est pas une actrice professionnelle. C’est une avocate qui a été engagée dans la lutte contre la dictature.

http://www.allocine.fr/video/player_gen_cmedia=19577039&cfilm=261839.html

Giuseppe Tomasi di Lampedusa (1896 – 1957)

 

Giuseppe Tomasi di Lampedusa.

Le Guépard.

Le Guépard (traduit par Jean-Paul Manganaro) Le Seuil, 2007.

«Le Prince se sentait découragé: «Tout cela ne devrait pas durer ; pourtant cela durera toujours ; le toujours humain bien entendu, un siècle, deux siècles ; après quoi, ce sera différent mais pire. Nous fûmes les Guépards, les Lions : ceux qui nous succéderons seront les Chacals, les Hyènes. Et nous tant que nous sommes, Guépards, Chacals, Brebis, nous continuerons à nous considérer comme le sel de la terre.”

“ Non dovrebbe poter durare, ma durerà sempre. Il sempre umano, certo, uno o due secoli, e dopo tutto sarà diverso, ma sarà peggiore. Noi fummo i gattopardi, i leoni. Chi ci sostituirà saranno gli sciacalli, le iene. E tutti quanti, gattopardi, leoni, sciacalli o pecore, continueremo a crederci il sale della terra.”

«Si nous voulons que tout reste tel que c’est, il faut que tout change»

«Se vogliamo che tutto rimanga come è, bisogna che tutto cambi!»

Roma (Alfonso Cuarón)

Vu sur Netflix le vendredi 14 décembre Roma (2018). Mexique/ Etats-Unis. 135’.
Réal. Sc.et photographie: Alfonso Cuarón.

Int.:Yalitza Aparicio (Cleo), Marina de Tavira (Sofía), Diego Cortina Autrey (Toño), Carlos Peralta (Paco), Marco Graf (Pepe), Daniela Demesa (Sofi), Nancy García García (Adela), Verónica García (Señora Teresa), Andy Cortés (Ignacio), Fernando Grediaga (Señor Antonio), Jorge Antonio Guerrero (Fermín).

La colonia Roma, quartier bourgeois de Mexico, dans les années 1970. Cleo et Adela, jeunes employées de maison d’origine mixtèque, travaillent pour la famille nombreuse de Sofía, mère de quatre enfants, qui doit faire face à l’absence de son époux, médecin. Le film suit un an de la vie de cette famille mexicaine, notamment lors des manifestations étudiantes violemment réprimées par un groupe paramilitaire au service du gouvernement du Président Luis Echeverría (Masacre del Corpus Christi o El Halconazo).Cette répression eut lieu le 10 juin 1971 et causa la mort d’ environ 120 personnes. La violence se manifeste aussi dans le tremblement de terre et les vagues qui déferlent sur la plage à la fin du film.

Je n’ai pas pensé du tout à Proust, mais plutôt à Buñuel, à Bergman, aux films néoréalistes de Rossellini ou de Fellini. Je n’y ai pas retrouvé pourtant leur rythme ni leur efficacité.

Roma est le huitième long métrage d’Alfonso Cuarón. C’est le premier réalisateur mexicain à avoir reçu l’Oscar en 2014. Il a été suivi en 2015 et 2016 par Alejandro González Iñarritu et en 2018 par Guillermo del Toro. Une génération très talentueuse. Pour ce film, Cuarón est à la fois réalisateur,  scénariste, directeur de la photographie et monteur. Avec son noir et blanc en scope, il rend compte de son enfance et de la séparation de ses parents, membres de la bonne bourgeoisie mexicaine. Le Mexique connut dans les années 70 une grande mutation qui mènera notamment dans la sphère politique à la fin de l’hégémonie du PRI sur le pays. Mais, il ne se limite pas à cet aspect. Son évocation de ces années a une dimension cosmique. Terre, eau, air et feu, les quatre éléments sont conjugués et extrêmement présents.

Les deux personnages principaux sont deux femmes: Cleo, la bonne indienne, et Sofía, la mère de famille. Cleo travaille sans cesse avec Adela, l’autre employée pour que toute la famille -les parents, les quatre enfants, la grand-mère et le chien- soit débarrassée des principaux soucis matériels. Cleo lave le sol, réveille les enfants, prépare et sert les repas, fait la vaisselle, la lessive, le ménage, les courses, amène et va chercher les enfants à l’école.Elle n’arrête jamais, ne s’échappe quasiment pas de cette maison. Le père, lui, est presque toujours absent. Les autres membres de la famille aiment cette femme, mais de manière très paternaliste.

Cuarón utilise de nombreux plans-séquences, des travellings latéraux et  des panoramiques. Jamais de gros plans. Un seul à la fin sur Cleo. Le son est très soigné. Il exprime là sa reconnaisance et son amour envers cette femme innocente et douce. A Venise, il a dédié sa récompense à Liboria Rodríguez (“Libo”), la femme réelle qui a inspiré le personnage de Cleo.

J’ai aussi pensé pendant le film au personnage de la mère de Pedro, interprété par Stella Inda, dans le chef d’oeuvre Luis Buñuel, Los olvidados (1950), film si souvent vu et étudié. Les deux personnages du film de Cuarón sont, elles aussi, des Chingadas, terme qui représente la mère des Mexicains, abusée, violée et traîtresse dans l’imaginaire collectif. La Malinche, Amérindienne amante d’Hernán Cortés, en est la personnification.

Il y a un rapport entre les blessures personnelles et les blessures sociales. La plus grande blessure du Mexique, c’est pourtant la pauvreté, combinée aux barrières des classes sociales qui sont dictées par l’appartenance ethnique.

Filmographie
1991: Uniquement avec ton partenaire (Sólo con tu pareja).
1995: La Petite princesse (A Little Princess).
1998: De grandes espérances (Great Expectations).
2001: Y tu mamá también. Prix du meilleur scénario à la Mostra de Venise.
2004: Harry Potter et le Prisonnier d’Azkaban (Harry Potter and the Prisoner of Azkaban).
2006: Les Fils de l’homme (Children of Men).
Paris, je t’aime – segment Parc Monceau.
2013: Gravity. Oscar du meilleur réalisateur et du meilleur montage.
2018: Roma. Lion d’or à la Mostra de Venise 2018.

Yalitza Aparicio.

https://www.youtube.com/watch?v=HBy4cjQEzLM

Luis Buñuel (1900-1983)

Luis Buñuel.

Mi último suspiro (Memorias). Plaza & Janés,  1982.

Me gusta el Norte, el frío y la lluvia. En eso soy español. nacido en un país árido, no imagino nada más bello que los bosques inmensos y húmedos, invadidos por la niebla. En mi infancia, ya lo he dicho, cuando iba de vacaciones a San Sebastián, en el extremo norte de España, me sentía emocionado a la vista de los helechos, del musgo en el tronco de los árboles. Me gustan los países escandinavos, que conozco muy poco, y Rusia. A los siete años, escribí un cuento de varias páginas que se desarrollaba en el Transiberiano, a través de las estepas nevadas.

Me gusta el ruido de la lluvia. Lo recuerdo como uno de los ruidos más bellos del mundo. Ahora lo oigo con un aparato, pero no es el mismo ruido.

La lluvia hace a las grandes naciones.

Me gusta verdaderamente el frío. Durante toda mi juventud, aun en lo más crudo del invierno, me paseaba sin gabán, con una simple camisa y una chaqueta. Sentía el frío atacarme, pero resistía, y esta sensación me agradaba. Mis amigos me llamaban “el sin abrigo”. Un día, me fotografiaron completamente desnudo en la nieve.

Un invierno, en París, cuando el Sena comenzaba a helarse, estaba esperando a Juan Vicens en la estación de Orsay, a la que llegaban los trenes procedentes de Madrid. El frío era tan intenso que tuve que echar a correr de un lado a otro del andén, lo cual no me libró de coger una pulmonía. Nada más restablecerme, compré ropas de abrigo, las primeras de mi vida.

En los años treinta, con Pepín Bello y otro amigo, Luis Salinas, capitán de Artillería, solíamos ir con frecuencia a la sierra de Guadarrama en invierno. A decir verdad, lejos de practicar los deportes de nieve, nos encerrábamos nada más llegar en nuestro refugio, en torno a un buen fuego de leña y con varias botellas al alcance de la mano. De vez en cuando, salíamos para respirar durante unos minutos, con la bufanda bien subida hasta la nariz, como Fernando Rey en Tristana.

Naturalmente, los alpinistas no sentían más que desprecio hacia nuestra actitud.”

 

Rue Santa Fe (Carmen Castillo)

J’ai vu samedi dernier au Centre Pompidou dans le cadre de Génération Documentaire (40 ans de cinéma aux Films d’ici) le film de Carmen Castillo Calle Santa Fe (2007). 164 minutes. La réalisatrice chilienne était présente dans la salle ainsi que le journaliste Olivier Duhamel.

Elle a survécu à son compagnon, Miguel Enríquez, chef du parti d’extrême-gauche, le MIR, qui résistait à la répression sanglante de la dictature du Général Pinochet après le coup d’état du 11 septembre 1973. Il a été abattu le 5 octobre 1974, au cours d’un affrontement avec les agents de la Direction de l’intelligence nationale (DINA), au 275 de la rue Santa Fe, à San Miguel, une municipalité de la banlieue sud de Santiago du Chili. Carmen Castillo était enceinte. Elle a été gravement blessée, mais elle a survécu. Un voisin a appelé une ambulance et elle a pu être emmenée à l’hôpital. Quelques semaines plus tard, après une intense campagne de solidarité internationale, elle fut expulsée du pays avec interdiction d’y revenir sous peine de mort.

Le point de départ du film est le voyage de la réalisatrice sur les lieux où elle a vécu dans la clandestinité. Elle se souvient, revient à Santiago, rencontre sa famille aisée et influente, retrouve la rue, la maison où elle et Miguel Enríquez habitaient. Elle retrouve des survivants, des militants du MIR qui évoquent les choix politiques d’alors. Elle s’interroge: tous les actes de résistance valaient-ils la peine? Miguel Enríquez est-il mort pour rien? Valait-il la peine de sacrifier sa famille, ses enfants? Fallait-il que le MIR donne la consigne aux exilés de rentrer lutter au Chili?

Carmen Castillo parcourt le passé: des jours lumineux de l’Unité populaire de Salvador Allende (1970-1973) aux longues années de la dictature, avec tous ceux qui ont résisté à cette époque, mais elle montre aussi les jeunes qui luttent aujourd’hui et qui pensent différemment qu’elle. Elle rêve de faire de la maison de la rue Santa Fe un lieu de mémoire pour les centaines de militants du MIR assassinés par la dictature. Les jeunes semblent trouver cela inutile.

Elle mêle souvenirs personnels, images d’archives, commentaires actuels des témoins de l’époque. Le film est long (164 minutes), mais évite à la fois l’abus de la narration à la première personne et l’accumulation d’archives. Le travail de la monteuse, Eva Feigeles-Aimé, est remarquable.

Le film se termine sur la longue, interminable liste des morts et des disparus.

Le MIR était un parti né le 15 août 1965 qui se réclamait du marxisme et du communisme. Ses militants venaient de différents courants révolutionnaires (trotskystes, guevaristes, chrétiens révolutionnaires, ex-socialistes ou communistes) Il critiquait le parlementarisme et l’électoralisme des partis de gauche traditionnels. Après l’élection de Salvador Allende à la présidence du pays, le MIR soutint le gouvernement de l’Unité Populaire, mais n’y participa pas. La direction en exil du parti décida sa dissolution en 1989, sans débat ni consultation des militants,

On peut penser à la pièce de Bertolt Brecht La vie de Galilée. Dans la Scène 13, Andrea, disciple de Galilée, indigné par le fait que son maître ait abjuré suite à la condamnation de l’Eglise, s’écrie : “Malheureux le pays qui n’a pas de héros!”. Galilée le reprend quelques répliques plus tard: “Malheureux le pays qui a besoin de héros.”

Filmographie
1983: Les murs de Santiago (Los muros de Santiago) Documentaire TV.
1984: Estado de guerra: Nicaragua.
1994: La flaca Alejandra (documentaire TV).
1994-99: Tierras extranjeras. Série de longs métrages pour Arte.
1995: La verdadera historia del Subcomandante Marcos.
1996: Inca de Oro.
1999: El bolero, una educación amorosa.
2000: Viaje con la cumbia por Colombia.
2000: María Félix, la inalcanzable.
2001: El Camino del Inca.
2002: El astrónomo y el indio.
2003: José Saramago, el tiempo de una memoria.
2003: Mísia, la voz del fado.
2004: El país de mi padre.
2007: Rue Santa Fe (Calle Santa Fe) (documentaire).​
2010: Pour tout l’or des Andes (El tesoro de América – El oro de Pascua Lama) (documentaire TV).
2011 : Victor Serge, l’insurgé (documentaire France 5 – JEM productions).​
2013: L’Espagne de Juan Goytisolo, Manuel Rivas et Bernardo Atxaga (54’). Serie: L’Europe des écrivains.
2015: On est vivants (Aún estamos vivos).
2017: Cuba en suspens (documentaire Arte).

https://www.youtube.com/watch?v=HrV8g8zRXjM

Thunder Road (Jim Cummings)

Vu à la Ferme du Buisson (Noisiel) le mercredi 12 septembre: Thunder Road (2018) 91 min. Réal. Sc. et mus.: Jim Cummings (né en 1986 à La Nouvelle Orléans). Dir. Photo: Lowell A.Meyer. Int: Jim Cummings, Kendall Farr, Nican Robinson, Jocelyn DeBoer, Chelsea Edmunson.

Thunder Road fut présenté au dernier Festival de Cannes dans la sélection de l’A.C.I.D (Association du Cinéma Indépendant pour sa Diffusion). Il a aussi obtenu le  Grand Prix du Festival de Deauville en septembre 2018.

Le policier Jimmy Arnaud enterre sa mère, ancienne directrice d’une académie de danse. Il essaie de faire son éloge funèbre, raconte tout ce ce qu’elle a fait pour lui et veut faire écouter aux proches qui sont présents la chanson de Bruce Springsteen qu’elle aimait: Thunder Road de 1975. Le magnétophone qu’il a emprunté à sa fille ne veut pas fonctionner. Il essaie de la chanter, n’y arrive pas. Il finit par décrire les paroles. C’est assez pathétique. Le malaise est général. Ce premier plan – séquence dure 10 minutes (!). Dans la petite ville du Texas où il vit, il essaie avec difficulté d’élever sa fille dont il partage la garde avec son ex-femme. Après l’enterrement, les catastrophes s’enchainent pour lui. Il trouve pourtant dans les paroles de la chanson la possibilité de s’échapper.

«But when you get to the porch they’re gone
On the wind so Mary climb in
It’s a town full of losers
And I’m pulling out of here to win.»

«Mais quand tu arrives sur le perron ils sont partis
Avec le vent, alors Mary grimpe
C’est une ville pleine de perdants
Et je pars d’ici pour gagner.»

Ce film est une extension d’un court-métrage et cela se voit. Le scénario est indigent. Les personnages ne sont que des pantins. Rien de comique, encore moins d’hilarant. Les femmes sont particulièrement gatées par le scénario. Elles sont toutes insupportables: la femme, la fille, la sœur…Si c’est cela le cinéma indépendant américain, nous pouvons nous en passer.

http://video.lefigaro.fr/evene/video/thunder-road-[vost]-[bande-annonce]/5829334844001/

Heureusement, nous pouvons réécouter la chanson du Boss.