Je relis Cesare Pavese (1908-1950). Les poèmes de La mort viendra et elle aura tes yeux ont été écrits du 11 mars au 10 avril 1950 pour l’actrice américaine Doris Dowling (To C. from C. = To Constance from Cesare). Deux d’entre eux ont été rédigés directement en anglais ( To C. from C. et Last Blues, to be read some day), les 8 autres en italien même si le titre est anglais. Ils seront retrouvés sur la table de son bureau après le suicide de l’écrivain le 27 août 1950 dans une chambre de l’hôtel Roma de Turin , place Carlo Felice. Sur la table de nuit, on a trouvé un mot écrit sur la première page de Dialogues avec Leucò (1947) : “Je pardonne à tout le monde et je demande pardon à tout le monde. Ça va? Pas trop de commérages.” ( ” Perdono tutti e a tutti chiedo perdono. Va bene? Non fate troppi pettegolezzi.”) Maïakovski avait laissé le message suivant le 14 avril 1930 : “Je meurs. N’accusez personne et, je vous en supplie, pas de commérages. Le défunt les détestait.” Pavese a dû le lire dans Il fiore del verso russo (Einaudi, 1949) qui venait d’être publié.
Le 31 décembre 1949, il avait fait connaissance de Constance Downing (Connie 1920-1969) et de sa soeur Doris (1923-2004) . Les deux actrices voulaient percer en Italie où elles étaient arrivées en 1947.
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Verrà la morte e avrà i tuoi occhi
Verrá la morte e avrá i tuoi occhi –
questa morte che ci accompagna
dal mattino alla serra, insonne,
sorda, come un vecchio rimorso
o un vizio assurdo. I tuoi occhi
saranno una vana parola,
un grito taciuto, un silenzio.
Cosi il vedi ogni mattina
quando su te sola ti pieghi
nello specchio. O cara speranza,
quel giorno sapremo anche noi
che sei la vita e sei il nulla.
Per tutti la morte ha uno sguardo
verrá la morte e avrá i tuoi occhi.
Sará come smettere un vizio,
come vedere nello specchio
riemergere un viso morto,
come ascoltare un labbro chiuso.
Scenderemo nel gorgo muti.
Verrà la morte e avrà I tuoi occhi. Einaudi, 1951.
La Mort viendra et elle aura tes yeux
La mort viendra et elle aura tes yeux –
cette mort qui est notre compagne
du matin jusqu’au soir, sans sommeil,
sourde, comme un vieux remords
ou un vice absurde. Tes yeux
seront une vaine parole,
un cri réprimé, un silence.
Ainsi les vois-tu le matin
quand sur toi seule tu te penches
au miroir. O chère espérance,
ce jour-là nous saurons nous aussi
que tu es la vie et que tu es le néant.
La mort a pour tous un regard.
La mort viendra et elle aura tes yeux.
Ce sera comme cesser un vice,
comme voir ressurgir
au miroir un visage défunt,
comme écouter des lèvres closes.
Nous descendrons dans le gouffre muets.
22 mars 1950.
Poésies (Travailler fatigue. La mort viendra et elle aura tes yeux) 1969. NRF Poésie/Gallimard n°128. Traduction Gilles de Van. 1979.
Martin Rueff, dans l’édition des Oeuvres en Quarto Gallimard (2008) dit : ” Comme la mort de Pasolini, le suicide de Pavese a joué un rôle important et souvent néfaste pour la réception de l’oeuvre. On a voulu la relire tout entière à partir de la dernière heure. On s’est obsédé du mystère de la mort pour ne pas prendre au sérieux l’énigme d’une vie. ” Dialogues avec Leucò (1947): “Personne ne se tue. La mort est un destin. On ne peut que l’espérer pour soi…” ” Nessuno si uccide. La morte è destino. Non si può che augurarsela… “
Le poème a été récité par Vittorio Gassman. Ce grand acteur est né à Gênes le 1 septembre 1922, il y a 100 ans. Il est mort à Rome le 29 juin 2000.