Torremolinos et la Génération de 1927

Torremolinos, Mirador de Sansueña.

La ville de Torremolinos (Málaga) a ouvert une terrasse en hommage aux poètes de la Génération de 1927 ( Le Mirador de Sansueña, Calle Castillo del Inglés, 9 ). Ce centre d’interprétation accueillera à l’avenir des événements culturels. L’inauguration a eu lieu samedi 17 décembre 2022. La municipalité de cette cité balnéaire de la Costa del Sol veut mettre en valeur sa vocation culturelle.

Au XX ème siècle, la ville a reçu Salvador Dalí et Gala Éluard, Jorge Guillén, Federico García Lorca, Pablo Picasso, Emilio Prados, Manuel Altolaguirre et Luis Cernuda, entre autres.
L’endroit est magnifique, la vue imprenable sur les plages de El Bajondillo et de La Carihuela, mais il n’est pas si facile à trouver. Aucun panneau n’indique encore où il se trouve. Dans les différents offices de tourisme qui se trouvent sur le Paseo Marítimo ou dans la vieille ville, il n’y a pas d’informations disponibles sur ce site.

Revista Litoral nº 274, 2022.

Lorenzo Saval (Santiago de Chile, 1954), est le directeur de la prestigieuse revue littéraire Litoral, créée en 1926 à Malaga par Emilio Prados (1899-1962) et Manuel Altolaguirre (1905-1959). Il l’anime avec son épouse, María José Amado. La revue a ses bureaux à Torremolinos (Ediciones Litoral Urbanización La Roca, Local 8. 29620 Torremolinos Málaga). Après la guerre civile, la revue a disparu pendant presque 30 ans. C’est José María Amado qui l’a ressuscitée en 1968. En 1976 Lorenzo Saval, petit neveu d’ Emilio Prados, en a pris la direction. Ce personnage éclectique écrit des poèmes, des récits et des romans tout en faisant de la peinture, du collage ou du graphisme pour l’édition. Il est le responsable de l’agencement du Mirador de Sansueña.

Luis Cernuda.

Le poète Luis Cernuda (1902-1963) a séjourné en septembre 1928 au Castillo de Santa Clara, proprieté de George Langworthy (1865-1946), « el Inglés de la Peseta », depuis 1905. Cet anglais excentrique créa là le premier hôtel de la Costa del Sol. Dans El Indolente (Tres narraciones, Buenos Aires, Ediciones Imán, 1948), Cernuda présente le petit village de pêcheurs qu’était Torremolinos dans les années 20 et 30 comme le lieu paradisiaque de Sansueña. Voici le début de ce texte de 1929 :

El indolente [1929] (Luis Cernuda)

Con mi sol y mi plebe me basta.
Galdós, España Trágica.

I

Sansueña es un pueblo ribereño en el mar del sur trasparente y profundo. Un pueblo claro si los hay, todo blanco, verde y azul, con sus olivos, sus chopos y sus álamos y su golpe aquel de chumberas, al pie de una peña rojiza. Desde las azoteas, allá sobre lo alto de lo roca aparece una ermita, donde la virgen del Amargo Recuerdo se venera en el único altar, entre flores de trapo bordadas de lentejuelas. Y aunque algún santo arriba no esté mal, abajo nadie le disputa la autoridad al alcalde, que para eso es cacique máximo y déspota más o menos ilustrado.

¿Quién no ha soñado alguna vez al volver tarde a su hogar en una ciudad vasta y sombría, que entre ocupaciones y diversiones igualmente aburridas está perdiendo la vida? No tenemos más que una vida y la vivimos como si aún nos pareciese demasiado, a escape y de mala gana, con ojos que no ven y con el pecho cargado de un aire turbio y envilecido.

En Sansueña los ojos se abren a una luz pura y el pecho respira un aire oloroso. Ningún deseo duele al corazón, porque el deseo ha muerto en la beatitud de vivir; de vivir como viven las cosas: con silencio apasionado. La paz ha hecho su morada bajo los sombrajos donde duermen estos hombres. Y aunque el amanecer les despierte, yendo en sus barcas a tender las redes, a mediodía retiradas con el copo, también durante el día reina la paz; una paz militante, sonora y luminosa. Si alguna vez me pierdo, que vengan a buscarme aquí, a Sansueña.

Bien sabía esto Don Míster, como llamaban (su verdadero nombre no hace al caso) todos al inglés que años atrás compró aquella casa espaciosa, erguida entre las peñas. La rodeaba un jardín en pendiente cuyas terrazas morían junto al mar, sobre las rocas que el agua había ido socavando; rocas donde día y noche resonaban las olas con voz insomne, rompiendo su cresta de espuma, para dejar luego la piel verdosa del mar estriada de copos nacarados, como si las rosas abiertas arriba entre palmeras, en los arriates del jardín, lloviesen, deshechas y consumidas de ardor bajo la calma estival…

Louis Aragon (3 octobre 1897 – 24 décembre 1982)

Louis Aragon (Christian Guémy alias C215).

Ni fleurs ni couronnes

Grandes femmes beiges déjà portant depuis quarante années
Á bout de bras de ce pas vert et noir vos paniers d’aubergines
Ne vous arrêtez pas comme l’août à sa dernière journée
Il pleuvait vers le soir quand on vous l’a dit comme j’imagine
Vos jupes dans le vent mouillée ce blanc d’oeuf dans votre oeil qui luit
Ne relevez pas la mèche à vos fronts d’une main machinale
Ah n’essuyez pas votre joue ainsi ce n’est que de la pluie
On s’habitue à ce que tout soit rayé d’une diagonale
On sait parfois d’avance à qui le tour qu’on regarde songeant
Maintenant qu’on ne peut plus rien faire pour lui qui soit une aide
On s’habitue à ces départs on dirait aisément aux gens
Septembre risque d’être froid surtout prenez bien votre plaid
Ayons l’air de trouver somme toute naturel ce qui l’est
Tous ces fruits cependant qui vont sans lui pourrir au bord des tables
Une part de ce monde hésite d’être encore où s’envolaient
D’entre ses mains ces lents oiseaux bleu sombre engendrés pour les fables.

Une part avec lui du monde et de moi-même est devenue
Instrument dépourvu d’usage et pourtant signe avant-coureur
Mémoire je reviens à ma jeunesse quand je l’ai connu
Cet homme hors mesure là-haut dans la rue Simon-Dereure
Où la beauté sans cri des objets lui faisait trembler la main
Rien plus que lui n’était humble devant les choses familières
Et la lampe au verre de travers prenait un accent humain
Car les lampes fumaient encore parmi nous cela semble hier
Nul comme lui peut-être mais ce soir je songe à Reverdy
Je songe à ce Montmartre noir emporté dans les yeux qu’on ferme
Braque un dimanche éteint souviens-toi de ce que fut vendredi
Dans ce double miroir toute une part du monde atteint son terme
Une part du monde se perd dans ce regard qui s’est perdu
Cette lumière d’une chambre et rien n’a troublé le silence
Par un après-midi je ne sais d’où descend l’ombre attendue
Le temps qui passe met sur tout son immobile violence.

Cette nature n’est point morte elle meurt voyez sous vos yeux
Et ce peut-être un paysage avec la mer et ses limites
Dieppe ou Varengeville un simple ourlet à l’étoffe des cieux
Ici finit doucement l’homme et cet empire qu’il imite
Sans barque un naufrage de liège entre les varechs échoué
Et la tendresse des grands bras autour de tout que font les dunes
Au fond cette vie avait l’air au mieux d’une villa louée
Ô sables blessés derrière soi que la marée abandonne
Peinture étrangement pareille à cette saison d’aujourd’hui
Comme si le peintre eût mis à choisir ses couleurs l’existence
Au décor d’un opéra sans musique où rien ne se produit
L’histoire même à la prunelle est un effet de persistance
Rien qu’une image une image après l’autre et sans doute est-ce moi
Voyant dans les rameaux muets d’oiseaux et de ramages
Á la recherche on ne sait trop de quel écho qui mal rimoie
Qui mets l’absurde pont abstrait des mots de l’une à l’autre image.

N’est pas assez sur la toile après tout de ce qui fut peint
Qu’attendez-vous d’autre de lui quel témoignage et quelle preuve
Voici le verre et le couteau voici le jour voici le pain
Et l’ancienne présence de l’homme à mes yeux qui reste neuve
Ils ont beau s’en aller qui eurent privilège à voir premiers
Le spectacle ils ont beau nous quitter peut-être par lassitude
Et que cela soit Chardin Braque ou Vermeer que vous les nommiez
Il en revient toujours poursuivre la même longue étude
Mais nous qui demeurons sans eux aveugles nous les survivants
Dans ce siècle qui meurt d’un peintre ou d’un poète à chaque halte
Nos yeux habitués à l’homme en vain dans ce désert de vent
Cherchent l’après de notre soif la source à présent sous l’asphalte
Nous nous tenons près des gisants comme des rois déshérités
Qui rêvent la fête finie à ce qui leur fut un Versailles
Et sans croire aux dieux de pierre debout sur leurs socles restés
Dans le parc désormais attendrons le signe fait qu’ils s’en aillent.

Les Adieux. Éditions Temps actuels, 1981.

Ce poème a paru dans Les Lettres françaises du 1 septembre 1963 en hommage à Georges Braque qui venait de disparaître.

Collection Poésie/Gallimard n° 572, Gallimard, 2022.

Aragon : les adieux. Exposition conçue par la Maison Elsa Triolet-Aragon. Espace Niemeyer, (2 place du Colonel Fabien 75019 Paris) du 14 décembre 2022 au 11 janvier 2023. Entrée libre tous les jours sauf le lundi, de 12 h à 19 h. Fermeture exceptionnelle : week-ends de Noël et du jour de l’An.

Exposition Arrachez-moi le coeur vous y verrez Paris Aragon du jeudi 1 décembre 2022 au mercredi 4 janvier 2023. Caserne Napoléon. Rue de Lobau, 75004 Paris. Le Paris d’Aragon se décline en mots à travers la vie et l’œuvre de l’écrivain, et en photographies, avec la complicité de Claude Gaspari sur les murs de la caserne Napoléon, face à l’Hôtel de Ville.

En 1968, Aragon raconte à Dominique Arban comment il fit l’acquisition d’une toile de Georges Braque dont la vente en 1928 lui permit de partir pour Venise avec Nancy Cunard: ” Poussé en cela par André Breton j’avais, à la vente Kahnweiler, acheté un tableau de Braque qui ne plaisait à personne et n’avait ainsi pas atteint le prix que faisait même une très petite nature morte ; la Baigneuse, qui est la toile sur laquelle commence, chez Braque, le cubisme. c’est pour Braque, un tableau analogue, si vous voulez, à ce qu’ont été pour Picasso Les Demoiselles d’Avignon. ” (Aragon parle avec Dominique Arban. Seghers, 1968. Page 60)

Baigneuse (Le Grand Nu). 1908. Paris, Centre Pompidou.

Maya Ruiz-Picasso – Pablo Picasso

La fille de Pablo Picasso et de Marie-Thérèse Walter (1909-1977), Maya Ruiz-Picasso (María de la Concepción, surnommée Maya), est née le 5 septembre 1935. Le peintre a voulu l’appeler comme sa petite sœur, María de la Concepción Ruiz Picasso (Concepción ou Conchita), née à Málaga en 1887 et morte de diphtérie à La Corogne le 10 janvier 1895. Pablo qui avait 13 ans en fut fortement marquée.

La fille du peintre vient de mourir mardi 20 décembre à 87 ans. Le peintre avait rencontré sa mère Marie-Thérèse devant les Galeries Lafayette, le 8 janvier 1927. Il avait quarante-sept ans et elle, dix-sept.

Le dimanche 7 août dernier, nous avons pu voir au Musée Picasso l’exposition Maya Ruiz-Picasso, fille de Pablo (16 avril – 31 décembre 2022).

Maya a cédé 9 oeuvres de son père (6 peintures, 2 sculptures et un carnet de dessins) à la France dans le cadre d’une dation. L’exposition réunit un ensemble de 200 oeuvres, archives et objets personnels. Elle montre la relation particulière qui unissait le peintre et sa première fille. Entre le 16 janvier 1938 et le 7 novembre 1939, Picasso peindra quatorze portraits d’elle, alors âgée de trois-quatre ans. Maya, à 20 ans, sera assistante sur le film Le Mystère Picasso d’Henri-Georges Clouzot, réalisé aux studios de la Victorine à Nice en 1955.

Des quatre enfants de Picasso elle a été celle qui a eu les relations les plus étroites avec son père. Elle cesseront en 1954 quand Jacqueline Roque (1927-1986) entre dans la vie du peintre. Elle apprend la mort de son père par le journal télévisé.

Maya ressemblait beaucoup à Pablo, mais était blonde et avait les yeux verts comme sa mère, Marie-Thérèse .
En 1980, elle entame une carrière d’historienne de l’art et se spécialise notamment dans l’œuvre de Pablo. En 2007, elle reçoit l’insigne de Chevalier de la Légion d’Honneur des mains de l’écrivain et historien d’art Pierre Daix (1922-2014). En 2016, elle est promue Commandeur des arts et des lettres.

La France et l’Espagne célébreront en 2023 les 50 ans de la mort de Pablo Picasso à travers plusieurs expositions des deux côtés des Pyrénées.

Portrait de Maya de profil. 29 août 1943.

Hervé Télémaque

Hervé Télémaque dans son atelier de Villejuif le 30 mai 2011 (Manolo Mylonas / Divergence)

Le peintre français d’origine haïtienne Hervé Télémaque est mort le 10 novembre 2022 dans la région parisienne à l’âge de 85 ans.
Il est né le 5 novembre 1937 à Port-au-Prince. En 1957, il quitte l’île pour étudier l’art à New York avec Julian Levi. Il vient à Paris en 1961, vivant et travaillant dans la capitale, puis en Bourgogne et enfin, à partir de 1981, dans sa maison-atelier de Villejuif. Philippe Dagen dans Le Monde qualifie sa peinture ainsi : « une forme de réalisme crypté, impitoyable et railleur comme il l’était lui-même… ». Il parle de « figuration narrative ». A la fin des années 1960, il pratique de plus en plus la sculpture avec des matériaux composites, utilisant même parfois le marc de café. Le Centre Pompidou lui a consacré une exposition du 25 février au 18 mai 2015.

Once more (do it again) (Hervé Télémaque). 2021. Collection privée.

Il était présent dans deux expositions vues récemment : Marronage, l’art de briser ses chaînes à la Maison de l’Amérique Latine (12/05/2022 – 24/09/2022) et hier même au Palais de la Porte Dorée (Musée de l’histoire de l’immigration) 1945-1972 Paris et nulle part ailleurs (27/09/2022 au 22/01/2023). On peut voir dans ce lieu les œuvres de 24 artistes étrangers installés à Paris après la seconde guerre mondiale.

Mornes II (Hervé Télémaque). 1995. Collection Alexia Guggémos.
Quartier (Hervé Télémaque). 1992. Paris, Collection privée.

Rafael Cadenas

Rafael Cadenas (José Aymà)

Le poète Rafael Cadenas a obtenu le Prix Cervantès 2022. Il s’agit de la plus prestigieuse récompense littéraire en langue espagnole. C’est la première fois qu’un écrivain vénézuelien est primé.

Rafael Cadenas, poète, essayiste et professeur, est né le 8 avril 1930 à Barquisimeto (État de Lara – Vénezuela). Militant du Parti Communiste du Vénézuela, il a connu la prison à l’époque de la dictature de Marcos Pérez Jiménez (1952-1958). Il a dû s’exiler à Trinidad de 1952 à 1957. Il a fait partie du groupe politique et culturel Tabla Redonda au début des années 60. Il a été professeur à l’Université Centrale du Venezuela. Ses recueils Cuadernos del destierro (1960) et Falsas maniobras (1966) ont été marquants dans son pays et en Amérique Latine.
Dans le second figure son poème le plus célèbre, Derrota, écrit en 1963. C’est le portrait de toute une génération d’intellectuels latino-américains engagés à gauche. Ses œuvres complètes (Obra entera: Poesia y prosa, 1958-1995 ) ont été publiées en 2000 au Mexique par El Fondo de Cultura Económica et en Espagne en 2007 par Pre-textos. Il s’est toujours montré critique face au régime instauré dans son pays par Hugo Chávez (1999-2013) et son successeur Nicolás Maduro. C’est un symbole vivant pour la société vénézuelienne démocratique. Cinq millions de vénézueliens ont choisi l’exil. Le poète est resté et vit toujours à Caracas. Il a toujours manifesté contre la répression du régime, en particulier en 2014 .

Prix national de littérature de son pays (1985)
Prix FIL des langues romanes de Guadalajara (Mexique) (2009)
Prix International de Poésie Ville de Grenade Federico García Lorca en Espagne (2015).
Prix Reina Sofía de Poesie Ibéroamericaine (2018)

Fracaso

Cuanto he tomado por victoria es sólo humo.

Fracaso, lenguaje del fondo, pista de otro espacio más exigente, difícil de entreleer es tu letra.

Cuando ponías tu marca en mi frente, jamás pensé en el mensaje que traías, más precioso que todos los triunfos.
Tu llameante rostro me ha perseguido y yo no supe que era para salvarme.
Por mi bien me has relegado a los rincones, me negaste fáciles éxitos, me has quitado salidas.
Era a mí a quien querías defender no otorgándome brillo.
De puro amor por mí has manejado el vacío que tantas noches me ha hecho hablar afiebrado a una ausente.
Por protegerme cediste el paso a otros, has hecho que una mujer prefiera a alguien más resuelto, me desplazaste de oficios suicidas.

Tú siempre has venido al quite.

Sí, tu cuerpo, escupido, odioso, me ha recibido en mi más pura forma para entregarme a la nitidez del desierto.
Por locura te maldije, te he maltratado, blasfemé contra ti.

Tú no existes.
Has sido inventado por la delirante soberbia.
¡Cuánto te debo!
Me levantaste a un nuevo rango limpiándome con una esponja áspera, lanzándome a mi verdadero campo de batalla, cediéndome las armas que el triunfo abandona.
Me has conducido de la mano a la única agua que me refleja.
Por ti yo no conozco la angustia de representar un papel, mantenerme a la fuerza en un escalón, trepar con esfuerzos propios, reñir por jerarquías, inflarme hasta reventar.
Me has hecho humilde, silencioso y rebelde.
Yo no te canto por lo que eres, sino por lo que no me has dejado ser. Por no darme otra vida. Por haberme ceñido.

Me has brindado sólo desnudez.

Cierto que me enseñaste con dureza ¡y tú mismo traías el cauterio!, pero también me diste la alegría de no temerte.

Gracias por quitarme espesor a cambio de una letra gruesa.
Gracias a ti que me has privado de hinchazones.
Gracias por la riqueza a que me has obligado.
Gracias por construir con barro mi morada.
Gracias por apartarme.
Gracias.

Falsas maniobras 1966.

Échec

Tout ce que j’ai cru victoire n’est que fumée.

Échec, langue de fond, piste d’un autre espace plus exigeant, difficile de lire entre tes lignes.

Quand tu mettais ta marque sur mon front, jamais je n’aurais imaginé que tu m’apportais un message plus précieux que tous les triomphes.
Ta face flamboyante m’a poursuivi et moi je n’ai pas su que c’était pour me sauver.
Pour mon bien tu m’as remisé dans les coins, refusé les succès faciles, fermé les issues.
C’est moi que tu voulais défendre en m’empêchant de briller.
Par pur amour pour moi tu as modelé le vide qui, durant des nuits enfiévrées, m’a fait parler à une absente.
Si tu as toujours donné priorité aux autres, si tu t’es arrangé pour qu’une femme me préfère un homme plus décidé, si tu m’as licencié de postes suicidaires, c’était pour me protéger.

Tu es toujours intervenu à temps.

Qui, ton corps couvert de plaies, de crachats, ton corps odieux m’a reçu dans ma plus simple forme pour me livrer à la transparence du désert.
C’est folie de t’avoir maudit, maltraité, de t’avoir blasphémé.

Tu n’existes pas.
Un orgueil délirant t’a inventé.
Je te dois tant !
En me nettoyant avec une éponge rêche, en me lançant sur mon vrai champ de bataille, en me donnant les armes que le triomphe dédaigne, tu m’as levé au dessus de la mêlée.
Tu m’as pris par la main et conduit à la seule eau qui puisse me refléter.
Grace à toi je ne connais pas l’angoisse de jouer un rôle, de m’accrocher à tout prix à un échelon, de me faire pistonner à la force du poignet, de me battre pour arriver plus haut, de me gonfler jusqu’à éclater.
Tu m’as fait humble, silencieux, rebelle.
Je ne te chante pas pour ce que tu es, mais pour ce que tu ne m’ as pas laissé être. Pour ne m’avoir donné que cette vie-là. Pour m’ avoir restreint.

Tu m’as seulement offert la nudité.

Tu m’as élevé à la dure, c’est vrai. Mais toi-même apportais le cautère. Et le bonheur de ne pas te craindre.

Merci de m’ enlever de l’ épaisseur en l’ échangeant contre des caractères gras.
Merci à toi de m’avoir privé d’enflures.
Merci pour la richesse à laquelle tu m’as contraint.
Merci d’avoir construit ma demeure avec de la boue.
Merci de m’écarter.
Merci.

Fausses manœuvres. Anthologie personnelle. Traduction Daniel Bourdon. Fata Morgana, Montpellier, 2003.

Cinéastes iraniens

Ashgar Farhadi. Paris, 2021. (Duchilila)

” Zan, zendigi, azadi.” “Femme, vie, liberté.”

En soutien aux femmes iraniennes (Asghar Farhadi). 24 septembre 2022. Twitter. Instagram.

https://twitter.com/arminarefi/status/1573941933331910664

” Je suis Ashgar Farhadi, cinéaste. Vous avez sans doute suivi les dernières nouvelles en provenance d’Iran et vu des images de ces courageuses femmes progressistes qui manifestaient pour leurs droits humains, au côté des hommes. Elles défendent ces droits essentiels et inaliénables que l’État leur refuse depuis des années. Ces manifestants, et tout particulièrement les femmes, ont parcouru un âpre et pénible chemin pour parvenir à cette mobilisation, et, à présent, elles ont clairement atteint un seuil irréversible.
Je les ai vues de près, ces dernières nuits. La plupart sont très jeunes : 17 ans, 20 ans… J’ai lu l’indignation et l’espoir sur leur visage et dans la façon dont elles défilaient dans les rues. J’éprouve le plus grand respect pour leur lutte en faveur de la liberté et le droit de choisir leur destinée, en dépit de toute la violence à laquelle elles doivent faire face. Je suis fier des femmes puissantes de mon pays, et j’espère sincèrement que, grâce à leur détermination, elles atteindront leurs buts.
Avec cette vidéo, j’invite tous les artistes, cinéastes, intellectuels et activistes des droits civiques du monde entier, ainsi que tous ceux qui croient en la dignité et en la liberté à apporter des témoignages de solidarité à ces femmes et ces hommes iraniens, par des vidéos, des écrits – ou de tout autre manière.
Il en va de la responsabilité humaine, et tout ceci peut contribuer à la consolidation, dans l’avenir, de l’espoir de tous les Iraniens d’atteindre l’objectif magnifique et fondamental qu’ils recherchent ici, dans ce pays, où les femmes seront, sans nul doute, les pionnières, annonciatrices de transformations majeures.
Pour des lendemains meilleurs,
Ashgar Farhadi .”

Traduction : Baptiste Roux. (Positif n° 741. Novembre 2022. Page 63)

Ashgar Farhadi 2011 Une séparation.
2013 Le passé.
2016 Le client.
2021 Un héros.

Mohammad Rasoulof. Festival international du film de Saint-Sébastien, 19 septembre 2009 (Rafa Rivas).

Trois figures du cinéma iranien ont été arrêtées ces derniers mois. Vendredi 8 juillet, Mohammad Rasoulof (Ours d’or en 2020, au Festival de Berlin pour Le diable n’existe pas) et son confrère Mostafa Al-Ahmad ont été interpellés chez eux et conduits en détention pour «troubles à l’ordre public», «propagande contre le régime» et «activisme anti-révolutionnaire». Lundi 11 juillet, ce fut au tour du cinéaste Jafar Panahi (ex assistant d’ Abbas Kiarostami. Lion d’or à Venise en 2000 pour Le Cercle, Ours d’or à Berlin en 2015 pour Taxi Téhéran, prix du scénario à Cannes en 2018 avec Trois visages) venu devant la prison où étaient incarcérés ses deux collègues pour s’inquiéter de leur sort, d’être appréhendé. Selon le porte-parole de la Justice, Massoud Sétayechi, Jafar Panahi devra purger la peine de six ans de prison émise à son encontre dans un verdict de 2010. Il était depuis en liberté surveillée. Ils sont incarcérés au centre de détention d’Evin.

Jafar Panahi. Téhéran, 30 août 2010 (Atta Kenare)

Gonzalo Queipo de Llano

Séville. Basilique de la Macarena. 1941-1949.

Les restes du général franquiste Gonzalo Queipo de Llano ( 1875-1951), surnommé le vice-roi d’Andalousie, et du général Francisco Bohórquez Vecina (1893-1955), auditeur militaire, responsables des massacres en Andalousie pendant la Guerre Civile, de l’assassinat entre autres de Blas Infante ou de Federico García Lorca ont été retirés dans la nuit du 2 au 3 novembre de la basilique de la Macarena à Séville selon les termes de la nouvelle Ley de Memoria histórica, entrée en vigueur le 21 octobre. La loi indique que « les restes des dirigeants du coup d’Etat militaire de 1936 ne pourront pas rester inhumés dans un lieu prééminent d’accès public, autre qu’un cimetière ».

Tout cela a eu lieu 47 ans après la mort du Dictateur !

Ces deux personnages sont responsables de 45 556 morts et de l’existence de 708 fosses communes selon les historiens. Queipo de Llano est aussi connu pour l’utilisation de la radio (Unión Radio Sevilla) comme arme de guerre psychologique chaque jour du 18 juillet 1936 au 1 février 1938.

Gonzalo Queipo de Llano.

10 phrases mémorables de ce criminel de guerre, citées par le journal conservateur ABC le 3 novembre 2022 :

—18 de julio: «¡Sevillanos! La suerte está echada y decidida por nosotros y es inútil que la canalla resista y produzca esa algarabía de gritos y tiros que oís por todas partes. Tropas del Tercio y Regulares se encuentran ya camino de Sevilla y, en cuanto lleguen, esos alborotadores serán cazados como alimañas. ¡Viva España!».

—23 de julio: «Nuestros valientes legionarios y regulares han enseñado a los cobardes de los rojos lo que significa ser un hombre. Y, de paso, también a las mujeres. Después de todo, estas comunistas y anarquistas se lo merecen. ¿No han estado jugando al amor libre? Ahora por lo menos sabrán lo que son hombres de verdad y no milicianos maricas. No se van a librar por mucho que forcejeen y pataleen». «Esta mañana ha sido fusilado el comandante de Artillería señor Loureiro, por haber ordenado la entrega de doscientos fusiles y otras tantas pistolas a los marxistas a fin para asesinar a nuestros valientes soldados. La misma pena han sufrido el capitán Justo Pérez y el teniente don Manuel Cangas. También ha sido fusilado el presidente del Sindicato Obrero de la Pirotecnia por haber declarado la huelga y ejercido coacciones sobre los obreros. La misma pena han de sufrir absolutamente todos cuantos caigan en nuestras manos por coacciones a los obreros».

—24 de julio: «Hay en Sevilla unos seres afeminados que todo lo dudan, incluso que en Sevilla está asegurada la tranquilidad […]. Esos seres se empeñan en propagar noticias falsas. ¿Qué haré? Pues imponer un durísimo castigo para acallar a esos idiotas congéneres de Azaña. Por ello faculto a todos los ciudadanos a que cuando se tropiecen con uno de esos sujetos lo callen de un tiro. O me lo traigan a mí, que yo se lo pegaré».

—25 de julio: «Si algún afeminado, algún invertido, se dedica a lanzar infundios alarmistas, no vaciléis en matarlo como a un perro o entregármelo a mí al instante».

—Finales de julio: «Ya conocerán mi sistema: por cada hombre de orden que caiga, yo mataré a diez extremistas por lo menos. Y los dirigentes que huyan, no crean que se librarán con ello: les sacaré de debajo de la tierra si hace falta y, si están muertos, los volveré matar».

—15 de agosto: «Hemos conseguido entrar en Higuera de la Sierra, punto que nos ayudará a aislar las minas de Río Tinto […]. Tengan en cuenta aquellos rebeldes que mientras mayor sea la resistencia que opongan, más duro será el castigo que reciban. Y como sé que están cometiendo crímenes, les recuerdo que tengo aquí setenta mineros de Río Tinto sobre los que puedo ejercer represalias, si lo estimase preciso».

—20 de agosto: «En Barcelona, después de tener tres Gobiernos distintos, parece que se ha proclamado el marxismo integral. ¿Qué habrá sido de Companys y demás que le rodeaban? Verdaderamente todos merecían morir degollados como cerdos».

—26 de agosto: «Ayer han vuelto los aviones rojos a Cádiz y en un nuevo bombardeo han causado seis muertos y veintidós heridos […]. Bien a pesar mío, he dado órdenes para que sean detenidos todos los familiares de tripulantes de la escuadra pirata, que había en la región; y serán inexorablemente fusilados cinco de ellos por cada víctima que causen los bombardeos aéreos».

—Nochebuena de 1936: «Será necesario establecer también campos de concentración a los que vayan a parar todos aquellos que están envenenando España. Será la única manera de que podamos vivir en paz las personas decentes y patriotas».

—1 de febrero de 1937, por la ‘Desbandá’: «Sí, canalla roja de Málaga… ¡Esperad hasta que llegue ahí dentro de diez días! Me sentaré en un café de la calle Larios bebiendo cerveza y, por cada sorbo que dé, caeréis diez. Fusilaré a diez por cada uno de los nuestros que fusiléis, aunque tenga que sacaros de la tumba para hacerlo». «¡Malagueños! Me dirijo en primer lugar a los milicianos engañados. Vuestra suerte está echada y habéis perdido. Un círculo de hierro os ahogará en breves horas, porque si por tierra y aire somos los más fuertes, la escuadra leal a la dignidad de la patria os quitara toda esperanza de huida, ya que la carretera de Motril está cortada».

Malgré certains désaccords avec Franco, il fut nommé Marqués de Queipo de Llano en 1950 et parvint à s’enrichir en achetant à très bas prix une propriété, le Cortijo Gambogaz (Camas, province de Séville), de 480 hectares au bord du Guadalquivir grâce à l’aide de la fondation qu’il avait créé et de la Banque d’Espagne. Il utilisait gratuitement la main d’oeuvre des camps de concentration situés à proximité. Ces terres très productives appartiennent encore aujourd’hui à ses héritiers.

Sur twitter aujourd’hui, le journaliste Ramón Lobo affirme avec justesse : ” Si quitamos los que hicieron fortuna en el franquismo y las familias que se forraron con la esclavitud, el alto empresariado español se quedaría en muy poca cosa. “

Tombe de Gonzalo Queipo de Llano. Séville. Basilique de la Macarena (Paco Puentes).
Séville. Basilique de la Macarena. Photo prise le 03/11/2022. Un tapis cache l’ancienne tombe de Queipo de Llano et de son épouse (Alejandro Ruesga).

Pablo Neruda – Île de Pâques

Statue de Pablo Neruda (Lucy Lafuente). Valparaíso, Plaza Mena (o de los Poetas).

Le poète chilien Pablo Neruda a célébré l’île de Pâques dans Le Chant Général, son grand poème d’exil publié en 1950. Il l’ a visitée en 1971 pour filmer un documentaire pour la télévision chilienne, Historia y geografía de Pablo Neruda, avant de prendre son poste d’ambasadeur en France. Il a composé le recueil La rosa separada qui ne sera publié qu’après sa mort. Je relis ces poèmes le coeur serré après la destruction de nombreux moaïs lors de l’incendie du 1 octobre, particulièrement sur les flancs du volcan Rano Raraku parcourus en janvier 2018.

III La isla

Antigua Rapa Nui, patria sin voz,
perdónanos a nosotros los parlanchines del mundo:
hemos venido de todas partes a escupir en tu lava,
llegamos llenos de conflictos, de divergencias, de sangre,
de llanto y digestiones, de guerras y duraznos,
en pequeñas hileras de inamistad, de sonrisas
hipócritas, reunidos por los dados del cielo
sobre la mesa de tu silencio.

Una vez más llegamos a mancillarte.

Saludo primero al cráter, a Ranu Raraku, a sus párpados
de légamo, a sus viejos labios verdes:
es ancho, y altos muros lo circulan, lo encierran,
pero el agua allá abajo, mezquina, sucia, negra,
vive, se comunica con la muerte
como una iguana inmóvil, soñolienta, escondida.

Yo, aprendiz de volcanes, conocí,
infante aún, las lenguas de Aconcagua,
el vómito encendido del volcán Tronador,
en la noche espantosa vi caer
la luz del Villarrica fulminando las vacas,
torrencial, abrasando plantas y campamentos,
crepitar derribando peñascos en la hoguera.

Pero si aquí me hubiera dejado mi infancia,
en este volcán muerto hace mil años,
en este Ranu Raraku, ombligo de la muerte,
habría aullado de terror y habría obedecido:
habría deslizado mi vida al silencio,
hubiera caído al miedo verde, a la boca del cráter desdentado,
transformándome en légamo, en lenguas de la iguana.

Silencio depositado en la cuenca, terror
de la boca lunaria, hay un minuto, una hora
pesada como si el tiempo detenido
se fuera a convertir en piedra inmensa:
es un momento, pronto
también disuelve el tiempo su nueva estatua imposible
y queda el día inmóvil, como un encarcelado
dentro del cráter, dentro de la cárcel del cráter,
adentro de los ojos de la iguana del cráter.

La rosa separada, Losada, 1973.

III L’île

Antique Rapa Nui, patrie sans voix,
pardonne aux bavards de ce monde que nous sommes :
nous voici venus de partout pour cracher sur ta lave,
nous arrivons avec notre plein de conflits, d’oppositions, de sang,
de larmes et de digestions, de guerres, de brugnons,
en petits rangs d’inimitié, l’hypocrisie
dans nos sourires, réunis par les dés du ciel
sur l’échiquier de ton silence.

A nouveau revenus pour te souiller.

Je salue d’abord le cratère, Ranu Raraku, ses paupières
de glaise, le vert de ses lèvres anciennes :
spacieux, de hauts murs l’encerclent, l’enserrent,
mais l’eau d’en bas, mesquine, sale, noire,
vit, elle communique avec la mort
comme l’iguane qui ne bouge et somnole en sa cache.

Moi qui fus apprenti en volcans, j’ai connu,
encore enfant, les langues de l’Aconcagua,
la vomissure incandescente du mont Tronador,
une nuit de frayeur, j’ai vu s’abattre
la clarté du Villarrica, foudroyant boeufs et vaches,
son torrent embrasant les plantes, les abris,
crépiter, renversant rocs et rochers dans son brasier.

Pourtant, si mon enfance ici m’avait laissé,
dans ce volcan mort il y a mille ans,
dans ce Ranu Raraku, nombril de la mort,
en hurlant de terreur je me serais soumis :
j’aurais laissé glisser ma vie au milieu du silence,
j’aurais roulé dans la peur verte, la gueule édentée du cratère,
mué en argile, mué en langues de l’iguane.

Silence déposé au creux du creux, terreur
de la bouche lunaire, il est une minute, une heure
lourde comme si le temps arrêté
allait se transformer en pierre immense :
c’est un moment, soudain
le temps dissout sa nouvelle et impossible statue
et le jour demeure immobile, comme un prisonnier
dans le cratère, en cette geôle du cratère,
dans les yeux de l’iguane du cratère.

La rose détachée et autres poèmes. 1979. NRF Poésie/Gallimard n°394. Traduction de Claude Couffon.

Le mardi 4 octobre, deux incendies se sont déclenchés dans l’île de Pâques et ont causé des dommages irréparables à environ 80 moaïs. L’un menaçait les maisons, l’autre, des moaïs. L’équipe de six pompiers s’est concentrée sur l’extinction du premier, tandis que la Corporación Nacional Forestal (Conaf, l’ONF chilien) affrontait le second avec deux gardes forestiers et un camion.

Le feu a ravagé plus de 100 hectares. Il a atteint la zone du volcan Rano Raraku. L’ancienne civilisation indigène fabriquait ses statues dans cette carrière. Ce site abrite 416 de ces sculptures, à différents stades de fabrication.

L’île, aussi appelée Rapa Nui, est située à 3 500 km au large de la côte ouest du Chili. Elle compte 887 moaïs. Ils auraient été sculptées pour la première fois au 13e siècle par les premiers habitants de l’île. Leur taille varie de 2,5 à 9 mètres. Certains peuvent peser jusqu’à 80 tonnes.

Ariki Tepano, directeur de la communauté Ma’u Henua en charge de la gestion et de l’entretien du parc, a qualifié ces dégâts d’« irréparables ». « Les moaïs sont totalement carbonisés. »

Selon le maire de l’île, Pedro Edmunds Paoa, l’incendie ne serait « pas un accident », car « tous les incendies de Rapa Nui sont causés par des êtres humains ». Il a ajouté que « les dégâts causés par l’incendie ne peuvent pas être réparés. La fissuration d’une pierre originale et emblématique ne peut être récupérée, peu importe combien de millions d’euros ou de dollars y sont investis ».

« Cet incendie a été provoqué par les éleveurs de bétail pour les pâturages. Tout l’indique », a déclaré le ministre chilien de l’Agriculture, Esteban Valenzuela. Le total des dommages causés au site n’a pas encore été évalué.

Avant la pandémie, l’île, dont le tourisme est le principal moyen de subsistance, accueillait 160 000 visiteurs par an, à raison de deux vols par jour. Les mesures d’interdiction d’entrée, imposées il y a deux ans pour prévenir le Covid-19, avaient été levées à partir du lundi 1er août. Ces dernières années, le climat subtropical humide et doux de l’île a subi une grande évolution. L’île de Pâques est confrontée à des sécheresses sévères et récurrentes depuis cinq ans. Les précipitations sont de plus en plus rares. Selon l’Unesco, il s’agit de l’un des six sites au monde classé au patrimoine mondial les plus vulnérables au changement climatique et à ses conséquences.

https://www.youtube.com/watch?v=F5EM2ehDokg

Rano Raraku. Janvier 2018.

Île de Pâques

Moaïs sur le flanc du volcan Rano Raraku dans l’est de l’île de Pâques. Janvier 2018.

Le Monde, 8 octobre 2022

Sur l’île de Pâques, les célèbres statues moaïs ont subi des « dommages irréparables » à la suite d’un incendie

Un cinquième des sculptures moaïs, inscrites au Patrimoine mondial de l’humanité, ont été abîmées par le feu qui a ravagé le Parc national Rapa Nui.

Environ 80 statues moaïs, emblématiques de l’île de Pâques, ont été endommagées, parfois de manière « irrémédiable », par un incendie qui s’est déclaré en début de semaine dans l’île située à 3 500 kilomètres des côtes chiliennes. « L’incendie de la carrière du volcan Rano Raraku a été éteint (…), causant toutefois des dommages irréparables au Patrimoine culturel de l’humanité », a déclaré vendredi 7 octobre le président chilien, Gabriel Boric.

Une centaine d’hectares du Parc national Rapa Nui ont été dévastés. Le feu a atteint la zone du volcan Rano Raraku, et la carrière où l’ancienne civilisation indigène Rapa Nui fabriquait ses statues moais. On y compte 416 de ces sculptures à différents stades de fabrication.

Les engins de pompiers n’ont pu accéder au site

En raison des flammes, de la fumée et de l’eau, environ 20 % des statues du site ont été endommagées, selon le maire de l’île, Pedro Edmunds, qui affirme que l’une d’elles a subi des « dommages irrémédiables ».

« Elle va rester là, telle quelle, jusqu’à ce que nous évaluions les dégâts, et puis nous ferons appel à l’humanité pour voir quelle solution nous pouvons envisager. » (…)

En raison de la géographie, les engins des pompiers n’ont pas pu accéder au site même de l’incendie, vraisemblablement d’origine criminelle. « Cet incendie a été provoqué par les éleveurs de bétail pour les pâturages. Tout l’indique », a déclaré le ministre de l’agriculture chilien, Esteban Valenzuela…”

Cette nouvelle me donne envie de crier.

Moaï abîmé par l’incendie de Rapa Nui, le 6 octobre 2022 (AFP).

César Vallejo – Trilce

Lima. Distrito de San Borja. Biblioteca Nacional del Perú. 2006 ( Arquitectos : Guillermo Claux Alfaro, Franco Vella Zardín, Walter Morales Llanos y Augusta Estremadoyro de Vella)

La Bibliothèque Nationale du Pérou vient d’inaugurer officiellement le 29 septembre 2022 l’exposition Contra todas las contras: 100 años de Trilce ( Sala de Exposiciones Francisco Laso, Avenida de la Poesía, 160, distrito de San Borja, Lima). L’exposition est ouverte au public du 4 octobre 2022 au 22 décembre 2022.

Le premier livre de César Vallejo (1892-1938), Los heraldos negros, date de 1919. Dans ces poèmes, rédigés entre 1915 et 1918, on remarque encore l’influence du modernisme.

Le deuxième recueil de César Vallejo, Trilce, paraît en octobre 1922, il y a tout juste cent ans, à compte d’auteur (Talleres Tipográficos de la Penitenciaria). Tiré à deux cents exemplaires avec un prologue d’Antenor Orrego (1892-1960), ami du poète, il comporte 77 poèmes sans titre, numérotés de I à LXXVII. Ils furent écrits pendant une période particulièrement dramatique de la vie du poète. Sa mère meurt en août 1918. Il connaît une rupture amoureuse douloureuse (avec la très jeune Otilia Villanueva) en mai 1919. Son ami, l’écrivain Abraham Valdelomar, (1888-1919) meurt le 3 novembre 1919 après une chute accidentelle. Il perd son poste d’enseignant à la fin de 1919. Il est emprisonné à Trujillo pendant 112 jours (du 6 novembre 1920 au 26 février 1921), sous l’accusation infondée d’être un agitateur et d’avoir incendié une maison à Santiago de Chuco, sa ville natale, lors d’un conflit social. Il avait 28 ans. Cette expérience carcérale fut particulièrement marquante comme pour Cervantes ou Dostoïevski, Il s’exilera en France le 17 juin 1923 et arrivera à Paris le 13 juillet.

César et Georgette Vallejo. Versailles, été 1929.

Le mot Trilce est un mot inconnu. On demanda un jour à Vallejo ce qu’il signifiait. Il répondit : « Ah, mais ça ne veut rien dire. Je ne trouvais aucun mot qui ait la dignité d’un titre, alors je l’ai inventé : Trilce. Ce n’est pas un joli mot ? » («Ah, pues Trilce no quiere decir nada. No encontraba, en mi afán, ninguna palabra con dignidad de título, y entonces la inventé : Trilce. ¿No es una palabra hermosa ? ») D’autres explications ont été données. En espagnol, on entend d’abord deux états : Triste, Dulce. Triste et Doux.

Ce livre, publié la même année que l’Ulysse de James Joyce et La Terre vaine de T.S Eliot, est le sommet de l’oeuvre du poète péruvien et l’un des plus importants de la poésie en langue espagnole du XX ème siècle. Il est en avance sur toutes les avant-gardes. Beaucoup de ses poèmes sont difficiles et en apparence hermétiques. Ils relatent la dure expérience du malheur et de l’emprisonnement. On remarque une rupture avec Los heraldos negros. Les poèmes sont toujours marqués par le pessimisme, mais l’angoisse et la désolation apparaissent avec un nouveau langage, loin de toute influence. La langue se désarticule. La syntaxe disparaît parfois. Ce livre donne l’impression d’un monde chaotique et angoissant.

«El libro ha nacido en el mayor vacío. Soy responsable de él. Asumo toda la responsabilidad de su estética. Hoy, y más que nunca quizás, siento gravitar sobre mí una hasta ahora desconocida obligación sacratísima, de hombre y de artista: ¡la de ser libre! Si no he de ser hoy libre, no lo seré jamás. Siento que gana el arco de mi frente con su más imperativa curva de heroicidad. Me doy en la forma más libre que puedo y ésta es mi mayor cosecha artística. ¡Dios sabe hasta dónde es cierta y verdadera mi libertad! ¡Dios sabe cuánto he sufrido para que el ritmo no traspasara esa libertad y cayera en libertinaje! ¡Dios sabe hasta qué bordes espeluznantes me he asomado, colmado de miedo, temeroso de que todo se vaya a morir a fondo para que mi pobre ánima viva!»
(Carta enviada a Antenor Orrego y citada por su amigo José Carlos Mariátegui. Siete ensayos de interpretación de la realidad peruana. En El proceso de la literatura. Lima, 1928.)

Il fut publié en Espagne en 1930 (Compañia Ibero-Americana de Publicaciones) avec un prologue de José Bergamín et un poème de Gerardo Diego.

Première édition en Espagne, 1930.

XLI

La Muerte de rodillas mana
su sangre blanca que no es sangre.
Se huele a garantía.
Pero ya me quiero reír.

Murmúrase algo por allí. Callan.
Alguien silba valor de lado,
y hasta se contaría en par
veintitrés costillas que se echan de menos
entre sí, a ambos costados; se contaría
en par también, toda la fila
de trapecios escoltas.

En tanto, el redoblante policial
(otra vez me quiero reír)
se desquita y nos tunde a palos,
dale y dale
de membrana a membrana
tas
con
tas.

Trilce, 1922.

XLI

La mort à genoux laisse sourdre
son sang blanc qui n’est pas du sang.
Ça sent la garantie.
Mais je veux en rire.

On murmure quelque chose par là. On se tait.
Quelqu’un siffle courage de côté,
et même on compterait par paires
vingt-trois côtes qui se font défaut
entre elles, de chaque côté ; on compterait
par paires aussi tout le rang
de trapèzes escortes.

Entre-temps le tambour policier
(à nouveau je veux en rire)
se venge et nous roue de coups,
cogne et cogne
de membrane à membrane,
vlan
et
vlan.

Poésie complète 1919-1937. Flammarion, 2009. Traduction: Nicole Reda-Euvremer.

Ce poème fut écrit dans la prison de Trujillo.

Trujillo (Pérou) Plaza de Armas. Casa Calonge. Casa Bracamonte.