La fille de Pablo Picasso et de Marie-Thérèse Walter (1909-1977), Maya Ruiz-Picasso (María de la Concepción, surnommée Maya), est née le 5 septembre 1935. Le peintre a voulu l’appeler comme sa petite sœur, María de la Concepción Ruiz Picasso (Concepción ou Conchita), née à Málaga en 1887 et morte de diphtérie à La Corogne le 10 janvier 1895. Pablo qui avait 13 ans en fut fortement marquée.
La fille du peintre vient de mourir mardi 20 décembre à 87 ans. Le peintre avait rencontré sa mère Marie-Thérèse devant les Galeries Lafayette, le 8 janvier 1927. Il avait quarante-sept ans et elle, dix-sept.
Le dimanche 7 août dernier, nous avons pu voir au Musée Picasso l’exposition Maya Ruiz-Picasso, fille de Pablo (16 avril – 31 décembre 2022).
Maya a cédé 9 oeuvres de son père (6 peintures, 2 sculptures et un carnet de dessins) à la France dans le cadre d’une dation. L’exposition réunit un ensemble de 200 oeuvres, archives et objets personnels. Elle montre la relation particulière qui unissait le peintre et sa première fille. Entre le 16 janvier 1938 et le 7 novembre 1939, Picasso peindra quatorze portraits d’elle, alors âgée de trois-quatre ans. Maya, à 20 ans, sera assistante sur le film Le Mystère Picasso d’Henri-Georges Clouzot, réalisé aux studios de la Victorine à Nice en 1955.
Des quatre enfants de Picasso elle a été celle qui a eu les relations les plus étroites avec son père. Elle cesseront en 1954 quand Jacqueline Roque (1927-1986) entre dans la vie du peintre. Elle apprend la mort de son père par le journal télévisé.
Maya ressemblait beaucoup à Pablo, mais était blonde et avait les yeux verts comme sa mère, Marie-Thérèse . En 1980, elle entame une carrière d’historienne de l’art et se spécialise notamment dans l’œuvre de Pablo. En 2007, elle reçoit l’insigne de Chevalier de la Légion d’Honneur des mains de l’écrivain et historien d’art Pierre Daix (1922-2014). En 2016, elle est promue Commandeur des arts et des lettres.
La France et l’Espagne célébreront en 2023 les 50 ans de la mort de Pablo Picasso à travers plusieurs expositions des deux côtés des Pyrénées.
Le peintre français d’origine haïtienne Hervé Télémaque est mort le 10 novembre 2022 dans la région parisienne à l’âge de 85 ans. Il est né le 5 novembre 1937 à Port-au-Prince. En 1957, il quitte l’île pour étudier l’art à New York avec Julian Levi. Il vient à Paris en 1961, vivant et travaillant dans la capitale, puis en Bourgogne et enfin, à partir de 1981, dans sa maison-atelier de Villejuif. Philippe Dagen dans Le Monde qualifie sa peinture ainsi : « une forme de réalisme crypté, impitoyable et railleur comme il l’était lui-même… ». Il parle de « figuration narrative ». A la fin des années 1960, il pratique de plus en plus la sculpture avec des matériaux composites, utilisant même parfois le marc de café. Le Centre Pompidou lui a consacré une exposition du 25 février au 18 mai 2015.
Il était présent dans deux expositions vues récemment : Marronage, l’art de briser ses chaînes à la Maison de l’Amérique Latine (12/05/2022 – 24/09/2022) et hier même au Palais de la Porte Dorée (Musée de l’histoire de l’immigration) 1945-1972 Paris et nulle part ailleurs (27/09/2022 au 22/01/2023). On peut voir dans ce lieu les œuvres de 24 artistes étrangers installés à Paris après la seconde guerre mondiale.
Le poète Rafael Cadenas a obtenu le Prix Cervantès 2022. Il s’agit de la plus prestigieuse récompense littéraire en langue espagnole. C’est la première fois qu’un écrivain vénézuelien est primé.
Rafael Cadenas, poète, essayiste et professeur, est né le 8 avril 1930 à Barquisimeto (État de Lara – Vénezuela). Militant du Parti Communiste du Vénézuela, il a connu la prison à l’époque de la dictature de Marcos Pérez Jiménez (1952-1958). Il a dû s’exiler à Trinidad de 1952 à 1957. Il a fait partie du groupe politique et culturel Tabla Redonda au début des années 60. Il a été professeur à l’Université Centrale du Venezuela. Ses recueils Cuadernosdel destierro (1960) et Falsas maniobras (1966) ont été marquants dans son pays et en Amérique Latine. Dans le second figure son poème le plus célèbre, Derrota, écrit en 1963. C’est le portrait de toute une génération d’intellectuels latino-américains engagés à gauche. Ses œuvres complètes (Obra entera: Poesia y prosa, 1958-1995 ) ont été publiées en 2000 au Mexique par El Fondo de Cultura Económica et en Espagne en 2007 par Pre-textos. Il s’est toujours montré critique face au régime instauré dans son pays par Hugo Chávez (1999-2013) et son successeur Nicolás Maduro. C’est un symbole vivant pour la société vénézuelienne démocratique. Cinq millions de vénézueliens ont choisi l’exil. Le poète est resté et vit toujours à Caracas. Il a toujours manifesté contre la répression du régime, en particulier en 2014 .
Prix national de littérature de son pays (1985) Prix FIL des langues romanes de Guadalajara (Mexique) (2009) Prix International de Poésie Ville de Grenade Federico García Lorca en Espagne (2015). Prix Reina Sofía de Poesie Ibéroamericaine (2018)
Fracaso
Cuanto he tomado por victoria es sólo humo.
Fracaso, lenguaje del fondo, pista de otro espacio más exigente, difícil de entreleer es tu letra.
Cuando ponías tu marca en mi frente, jamás pensé en el mensaje que traías, más precioso que todos los triunfos. Tu llameante rostro me ha perseguido y yo no supe que era para salvarme. Por mi bien me has relegado a los rincones, me negaste fáciles éxitos, me has quitado salidas. Era a mí a quien querías defender no otorgándome brillo. De puro amor por mí has manejado el vacío que tantas noches me ha hecho hablar afiebrado a una ausente. Por protegerme cediste el paso a otros, has hecho que una mujer prefiera a alguien más resuelto, me desplazaste de oficios suicidas.
Tú siempre has venido al quite.
Sí, tu cuerpo, escupido, odioso, me ha recibido en mi más pura forma para entregarme a la nitidez del desierto. Por locura te maldije, te he maltratado, blasfemé contra ti.
Tú no existes. Has sido inventado por la delirante soberbia. ¡Cuánto te debo! Me levantaste a un nuevo rango limpiándome con una esponja áspera, lanzándome a mi verdadero campo de batalla, cediéndome las armas que el triunfo abandona. Me has conducido de la mano a la única agua que me refleja. Por ti yo no conozco la angustia de representar un papel, mantenerme a la fuerza en un escalón, trepar con esfuerzos propios, reñir por jerarquías, inflarme hasta reventar. Me has hecho humilde, silencioso y rebelde. Yo no te canto por lo que eres, sino por lo que no me has dejado ser. Por no darme otra vida. Por haberme ceñido.
Me has brindado sólo desnudez.
Cierto que me enseñaste con dureza ¡y tú mismo traías el cauterio!, pero también me diste la alegría de no temerte.
Gracias por quitarme espesor a cambio de una letra gruesa. Gracias a ti que me has privado de hinchazones. Gracias por la riqueza a que me has obligado. Gracias por construir con barro mi morada. Gracias por apartarme. Gracias.
Falsas maniobras 1966.
Échec
Tout ce que j’ai cru victoire n’est que fumée.
Échec, langue de fond, piste d’un autre espace plus exigeant, difficile de lire entre tes lignes.
Quand tu mettais ta marque sur mon front, jamais je n’aurais imaginé que tu m’apportais un message plus précieux que tous les triomphes. Ta face flamboyante m’a poursuivi et moi je n’ai pas su que c’était pour me sauver. Pour mon bien tu m’as remisé dans les coins, refusé les succès faciles, fermé les issues. C’est moi que tu voulais défendre en m’empêchant de briller. Par pur amour pour moi tu as modelé le vide qui, durant des nuits enfiévrées, m’a fait parler à une absente. Si tu as toujours donné priorité aux autres, si tu t’es arrangé pour qu’une femme me préfère un homme plus décidé, si tu m’as licencié de postes suicidaires, c’était pour me protéger.
Tu es toujours intervenu à temps.
Qui, ton corps couvert de plaies, de crachats, ton corps odieux m’a reçu dans ma plus simple forme pour me livrer à la transparence du désert. C’est folie de t’avoir maudit, maltraité, de t’avoir blasphémé.
Tu n’existes pas. Un orgueil délirant t’a inventé. Je te dois tant ! En me nettoyant avec une éponge rêche, en me lançant sur mon vrai champ de bataille, en me donnant les armes que le triomphe dédaigne, tu m’as levé au dessus de la mêlée. Tu m’as pris par la main et conduit à la seule eau qui puisse me refléter. Grace à toi je ne connais pas l’angoisse de jouer un rôle, de m’accrocher à tout prix à un échelon, de me faire pistonner à la force du poignet, de me battre pour arriver plus haut, de me gonfler jusqu’à éclater. Tu m’as fait humble, silencieux, rebelle. Je ne te chante pas pour ce que tu es, mais pour ce que tu ne m’ as pas laissé être. Pour ne m’avoir donné que cette vie-là. Pour m’ avoir restreint.
Tu m’as seulement offert la nudité.
Tu m’as élevé à la dure, c’est vrai. Mais toi-même apportais le cautère. Et le bonheur de ne pas te craindre.
Merci de m’ enlever de l’ épaisseur en l’ échangeant contre des caractères gras. Merci à toi de m’avoir privé d’enflures. Merci pour la richesse à laquelle tu m’as contraint. Merci d’avoir construit ma demeure avec de la boue. Merci de m’écarter. Merci.
” Je suis Ashgar Farhadi, cinéaste. Vous avez sans doute suivi les dernières nouvelles en provenance d’Iran et vu des images de ces courageuses femmes progressistes qui manifestaient pour leurs droits humains, au côté des hommes. Elles défendent ces droits essentiels et inaliénables que l’État leur refuse depuis des années. Ces manifestants, et tout particulièrement les femmes, ont parcouru un âpre et pénible chemin pour parvenir à cette mobilisation, et, à présent, elles ont clairement atteint un seuil irréversible. Je les ai vues de près, ces dernières nuits. La plupart sont très jeunes : 17 ans, 20 ans… J’ai lu l’indignation et l’espoir sur leur visage et dans la façon dont elles défilaient dans les rues. J’éprouve le plus grand respect pour leur lutte en faveur de la liberté et le droit de choisir leur destinée, en dépit de toute la violence à laquelle elles doivent faire face. Je suis fier des femmes puissantes de mon pays, et j’espère sincèrement que, grâce à leur détermination, elles atteindront leurs buts. Avec cette vidéo, j’invite tous les artistes, cinéastes, intellectuels et activistes des droits civiques du monde entier, ainsi que tous ceux qui croient en la dignité et en la liberté à apporter des témoignages de solidarité à ces femmes et ces hommes iraniens, par des vidéos, des écrits – ou de tout autre manière. Il en va de la responsabilité humaine, et tout ceci peut contribuer à la consolidation, dans l’avenir, de l’espoir de tous les Iraniens d’atteindre l’objectif magnifique et fondamental qu’ils recherchent ici, dans ce pays, où les femmes seront, sans nul doute, les pionnières, annonciatrices de transformations majeures. Pour des lendemains meilleurs, Ashgar Farhadi .”
Ashgar Farhadi 2011 Une séparation. 2013 Le passé. 2016 Le client. 2021 Un héros.
Trois figures du cinéma iranien ont été arrêtées ces derniers mois. Vendredi 8 juillet, Mohammad Rasoulof (Ours d’or en 2020, au Festival de Berlin pour Le diable n’existe pas) et son confrère Mostafa Al-Ahmad ont été interpellés chez eux et conduits en détention pour «troubles à l’ordre public», «propagande contre le régime» et «activisme anti-révolutionnaire». Lundi 11 juillet, ce fut au tour du cinéaste Jafar Panahi (ex assistant d’ Abbas Kiarostami. Lion d’or à Venise en 2000 pour Le Cercle, Ours d’or à Berlin en 2015 pour Taxi Téhéran, prix du scénario à Cannes en 2018 avec Trois visages) venu devant la prison où étaient incarcérés ses deux collègues pour s’inquiéter de leur sort, d’être appréhendé. Selon le porte-parole de la Justice, Massoud Sétayechi, Jafar Panahi devra purger la peine de six ans de prison émise à son encontre dans un verdict de 2010. Il était depuis en liberté surveillée. Ils sont incarcérés au centre de détention d’Evin.
Les restes du général franquiste Gonzalo Queipo de Llano ( 1875-1951), surnommé le vice-roi d’Andalousie, et du général Francisco Bohórquez Vecina (1893-1955), auditeur militaire, responsables des massacres en Andalousie pendant la Guerre Civile, de l’assassinat entre autres de Blas Infante ou de Federico García Lorca ont été retirés dans la nuit du 2 au 3 novembre de la basilique de la Macarena à Séville selon les termes de la nouvelle Ley de Memoria histórica, entrée en vigueur le 21 octobre. La loi indique que « les restes des dirigeants du coup d’Etat militaire de 1936 ne pourront pas rester inhumés dans un lieu prééminent d’accès public, autre qu’un cimetière ».
Tout cela a eu lieu 47 ans après la mort du Dictateur !
Ces deux personnages sont responsables de 45 556 morts et de l’existence de 708 fosses communes selon les historiens. Queipo de Llano est aussi connu pour l’utilisation de la radio (Unión Radio Sevilla) comme arme de guerre psychologique chaque jour du 18 juillet 1936 au 1 février 1938.
10 phrases mémorables de ce criminel de guerre, citées par le journal conservateur ABC le 3 novembre 2022 :
—18 de julio: «¡Sevillanos! La suerte está echada y decidida por nosotros y es inútil que la canalla resista y produzca esa algarabía de gritos y tiros que oís por todas partes. Tropas del Tercio y Regulares se encuentran ya camino de Sevilla y, en cuanto lleguen, esos alborotadores serán cazados como alimañas. ¡Viva España!».
—23 de julio: «Nuestros valientes legionarios y regulares han enseñado a los cobardes de los rojos lo que significa ser un hombre. Y, de paso, también a las mujeres. Después de todo, estas comunistas y anarquistas se lo merecen. ¿No han estado jugando al amor libre? Ahora por lo menos sabrán lo que son hombres de verdad y no milicianos maricas. No se van a librar por mucho que forcejeen y pataleen». «Esta mañana ha sido fusilado el comandante de Artillería señor Loureiro, por haber ordenado la entrega de doscientos fusiles y otras tantas pistolas a los marxistas a fin para asesinar a nuestros valientes soldados. La misma pena han sufrido el capitán Justo Pérez y el teniente don Manuel Cangas. También ha sido fusilado el presidente del Sindicato Obrero de la Pirotecnia por haber declarado la huelga y ejercido coacciones sobre los obreros. La misma pena han de sufrir absolutamente todos cuantos caigan en nuestras manos por coacciones a los obreros».
—24 de julio: «Hay en Sevilla unos seres afeminados que todo lo dudan, incluso que en Sevilla está asegurada la tranquilidad […]. Esos seres se empeñan en propagar noticias falsas. ¿Qué haré? Pues imponer un durísimo castigo para acallar a esos idiotas congéneres de Azaña. Por ello faculto a todos los ciudadanos a que cuando se tropiecen con uno de esos sujetos lo callen de un tiro. O me lo traigan a mí, que yo se lo pegaré».
—25 de julio: «Si algún afeminado, algún invertido, se dedica a lanzar infundios alarmistas, no vaciléis en matarlo como a un perro o entregármelo a mí al instante».
—Finales de julio: «Ya conocerán mi sistema: por cada hombre de orden que caiga, yo mataré a diez extremistas por lo menos. Y los dirigentes que huyan, no crean que se librarán con ello: les sacaré de debajo de la tierra si hace falta y, si están muertos, los volveré matar».
—15 de agosto: «Hemos conseguido entrar en Higuera de la Sierra, punto que nos ayudará a aislar las minas de Río Tinto […]. Tengan en cuenta aquellos rebeldes que mientras mayor sea la resistencia que opongan, más duro será el castigo que reciban. Y como sé que están cometiendo crímenes, les recuerdo que tengo aquí setenta mineros de Río Tinto sobre los que puedo ejercer represalias, si lo estimase preciso».
—20 de agosto: «En Barcelona, después de tener tres Gobiernos distintos, parece que se ha proclamado el marxismo integral. ¿Qué habrá sido de Companys y demás que le rodeaban? Verdaderamente todos merecían morir degollados como cerdos».
—26 de agosto: «Ayer han vuelto los aviones rojos a Cádiz y en un nuevo bombardeo han causado seis muertos y veintidós heridos […]. Bien a pesar mío, he dado órdenes para que sean detenidos todos los familiares de tripulantes de la escuadra pirata, que había en la región; y serán inexorablemente fusilados cinco de ellos por cada víctima que causen los bombardeos aéreos».
—Nochebuena de 1936: «Será necesario establecer también campos de concentración a los que vayan a parar todos aquellos que están envenenando España. Será la única manera de que podamos vivir en paz las personas decentes y patriotas».
—1 de febrero de 1937, por la ‘Desbandá’: «Sí, canalla roja de Málaga… ¡Esperad hasta que llegue ahí dentro de diez días! Me sentaré en un café de la calle Larios bebiendo cerveza y, por cada sorbo que dé, caeréis diez. Fusilaré a diez por cada uno de los nuestros que fusiléis, aunque tenga que sacaros de la tumba para hacerlo». «¡Malagueños! Me dirijo en primer lugar a los milicianos engañados. Vuestra suerte está echada y habéis perdido. Un círculo de hierro os ahogará en breves horas, porque si por tierra y aire somos los más fuertes, la escuadra leal a la dignidad de la patria os quitara toda esperanza de huida, ya que la carretera de Motril está cortada».
Malgré certains désaccords avec Franco, il fut nommé Marqués de Queipo de Llano en 1950 et parvint à s’enrichir en achetant à très bas prix une propriété, le Cortijo Gambogaz (Camas, province de Séville), de 480 hectares au bord du Guadalquivir grâce à l’aide de la fondation qu’il avait créé et de la Banque d’Espagne. Il utilisait gratuitement la main d’oeuvre des camps de concentration situés à proximité. Ces terres très productives appartiennent encore aujourd’hui à ses héritiers.
Sur twitter aujourd’hui, le journaliste Ramón Lobo affirme avec justesse : ” Si quitamos los que hicieron fortuna en el franquismo y las familias que se forraron con la esclavitud, el alto empresariado español se quedaría en muy poca cosa. “
Le poète chilien Pablo Neruda a célébré l’île de Pâques dans Le Chant Général, son grand poème d’exil publié en 1950. Il l’ a visitée en 1971 pour filmer un documentaire pour la télévision chilienne, Historia y geografía de Pablo Neruda, avant de prendre son poste d’ambasadeur en France. Il a composé le recueil La rosa separada qui ne sera publié qu’après sa mort. Je relis ces poèmes le coeur serré après la destruction de nombreux moaïs lors de l’incendie du 1 octobre, particulièrement sur les flancs du volcan Rano Raraku parcourus en janvier 2018.
III La isla
Antigua Rapa Nui, patria sin voz, perdónanos a nosotros los parlanchines del mundo: hemos venido de todas partes a escupir en tu lava, llegamos llenos de conflictos, de divergencias, de sangre, de llanto y digestiones, de guerras y duraznos, en pequeñas hileras de inamistad, de sonrisas hipócritas, reunidos por los dados del cielo sobre la mesa de tu silencio.
Una vez más llegamos a mancillarte.
Saludo primero al cráter, a Ranu Raraku, a sus párpados de légamo, a sus viejos labios verdes: es ancho, y altos muros lo circulan, lo encierran, pero el agua allá abajo, mezquina, sucia, negra, vive, se comunica con la muerte como una iguana inmóvil, soñolienta, escondida.
Yo, aprendiz de volcanes, conocí, infante aún, las lenguas de Aconcagua, el vómito encendido del volcán Tronador, en la noche espantosa vi caer la luz del Villarrica fulminando las vacas, torrencial, abrasando plantas y campamentos, crepitar derribando peñascos en la hoguera.
Pero si aquí me hubiera dejado mi infancia, en este volcán muerto hace mil años, en este Ranu Raraku, ombligo de la muerte, habría aullado de terror y habría obedecido: habría deslizado mi vida al silencio, hubiera caído al miedo verde, a la boca del cráter desdentado, transformándome en légamo, en lenguas de la iguana.
Silencio depositado en la cuenca, terror de la boca lunaria, hay un minuto, una hora pesada como si el tiempo detenido se fuera a convertir en piedra inmensa: es un momento, pronto también disuelve el tiempo su nueva estatua imposible y queda el día inmóvil, como un encarcelado dentro del cráter, dentro de la cárcel del cráter, adentro de los ojos de la iguana del cráter.
La rosa separada, Losada, 1973.
III L’île
Antique Rapa Nui, patrie sans voix, pardonne aux bavards de ce monde que nous sommes : nous voici venus de partout pour cracher sur ta lave, nous arrivons avec notre plein de conflits, d’oppositions, de sang, de larmes et de digestions, de guerres, de brugnons, en petits rangs d’inimitié, l’hypocrisie dans nos sourires, réunis par les dés du ciel sur l’échiquier de ton silence.
A nouveau revenus pour te souiller.
Je salue d’abord le cratère, Ranu Raraku, ses paupières de glaise, le vert de ses lèvres anciennes : spacieux, de hauts murs l’encerclent, l’enserrent, mais l’eau d’en bas, mesquine, sale, noire, vit, elle communique avec la mort comme l’iguane qui ne bouge et somnole en sa cache.
Moi qui fus apprenti en volcans, j’ai connu, encore enfant, les langues de l’Aconcagua, la vomissure incandescente du mont Tronador, une nuit de frayeur, j’ai vu s’abattre la clarté du Villarrica, foudroyant boeufs et vaches, son torrent embrasant les plantes, les abris, crépiter, renversant rocs et rochers dans son brasier.
Pourtant, si mon enfance ici m’avait laissé, dans ce volcan mort il y a mille ans, dans ce Ranu Raraku, nombril de la mort, en hurlant de terreur je me serais soumis : j’aurais laissé glisser ma vie au milieu du silence, j’aurais roulé dans la peur verte, la gueule édentée du cratère, mué en argile, mué en langues de l’iguane.
Silence déposé au creux du creux, terreur de la bouche lunaire, il est une minute, une heure lourde comme si le temps arrêté allait se transformer en pierre immense : c’est un moment, soudain le temps dissout sa nouvelle et impossible statue et le jour demeure immobile, comme un prisonnier dans le cratère, en cette geôle du cratère, dans les yeux de l’iguane du cratère.
La rose détachée et autres poèmes. 1979. NRF Poésie/Gallimard n°394. Traduction de Claude Couffon.
Le mardi 4 octobre, deux incendies se sont déclenchés dans l’île de Pâques et ont causé des dommages irréparables à environ 80 moaïs. L’un menaçait les maisons, l’autre, des moaïs. L’équipe de six pompiers s’est concentrée sur l’extinction du premier, tandis que la Corporación Nacional Forestal (Conaf, l’ONF chilien) affrontait le second avec deux gardes forestiers et un camion.
Le feu a ravagé plus de 100 hectares. Il a atteint la zone du volcan Rano Raraku. L’ancienne civilisation indigène fabriquait ses statues dans cette carrière. Ce site abrite 416 de ces sculptures, à différents stades de fabrication.
L’île, aussi appelée Rapa Nui, est située à 3 500 km au large de la côte ouest du Chili. Elle compte 887 moaïs. Ils auraient été sculptées pour la première fois au 13e siècle par les premiers habitants de l’île. Leur taille varie de 2,5 à 9 mètres. Certains peuvent peser jusqu’à 80 tonnes.
Ariki Tepano, directeur de la communauté Ma’u Henua en charge de la gestion et de l’entretien du parc, a qualifié ces dégâts d’« irréparables ». « Les moaïs sont totalement carbonisés. »
Selon le maire de l’île, Pedro Edmunds Paoa, l’incendie ne serait « pas un accident », car « tous les incendies de Rapa Nui sont causés par des êtres humains ». Il a ajouté que « les dégâts causés par l’incendie ne peuvent pas être réparés. La fissuration d’une pierre originale et emblématique ne peut être récupérée, peu importe combien de millions d’euros ou de dollars y sont investis ».
« Cet incendie a été provoqué par les éleveurs de bétail pour les pâturages. Tout l’indique », a déclaré le ministre chilien de l’Agriculture, Esteban Valenzuela. Le total des dommages causés au site n’a pas encore été évalué.
Avant la pandémie, l’île, dont le tourisme est le principal moyen de subsistance, accueillait 160 000 visiteurs par an, à raison de deux vols par jour. Les mesures d’interdiction d’entrée, imposées il y a deux ans pour prévenir le Covid-19, avaient été levées à partir du lundi 1er août. Ces dernières années, le climat subtropical humide et doux de l’île a subi une grande évolution. L’île de Pâques est confrontée à des sécheresses sévères et récurrentes depuis cinq ans. Les précipitations sont de plus en plus rares. Selon l’Unesco, il s’agit de l’un des six sites au monde classé au patrimoine mondial les plus vulnérables au changement climatique et à ses conséquences.
Sur l’île de Pâques, les célèbres statues moaïs ont subi des « dommages irréparables » à la suite d’un incendie
” Un cinquième des sculptures moaïs, inscrites au Patrimoine mondial de l’humanité, ont été abîmées par le feu qui a ravagé le Parc national Rapa Nui.
Environ 80 statues moaïs, emblématiques de l’île de Pâques, ont été endommagées, parfois de manière « irrémédiable », par un incendie qui s’est déclaré en début de semaine dans l’île située à 3 500 kilomètres des côtes chiliennes. « L’incendie de la carrière du volcan Rano Raraku a été éteint (…), causant toutefois des dommages irréparables au Patrimoine culturel de l’humanité », a déclaré vendredi 7 octobre le président chilien, Gabriel Boric.
Une centaine d’hectares du Parc national Rapa Nui ont été dévastés. Le feu a atteint la zone du volcan Rano Raraku, et la carrière où l’ancienne civilisation indigène Rapa Nui fabriquait ses statues moais. On y compte 416 de ces sculptures à différents stades de fabrication.
Les engins de pompiers n’ont pu accéder au site
En raison des flammes, de la fumée et de l’eau, environ 20 % des statues du site ont été endommagées, selon le maire de l’île, Pedro Edmunds, qui affirme que l’une d’elles a subi des « dommages irrémédiables ».
« Elle va rester là, telle quelle, jusqu’à ce que nous évaluions les dégâts, et puis nous ferons appel à l’humanité pour voir quelle solution nous pouvons envisager. » (…)
En raison de la géographie, les engins des pompiers n’ont pas pu accéder au site même de l’incendie, vraisemblablement d’origine criminelle. « Cet incendie a été provoqué par les éleveurs de bétail pour les pâturages. Tout l’indique », a déclaré le ministre de l’agriculture chilien, Esteban Valenzuela…”
La Bibliothèque Nationale du Pérou vient d’inaugurer officiellement le 29 septembre 2022 l’exposition Contra todas las contras: 100 años de Trilce ( Sala de Exposiciones Francisco Laso, Avenida de la Poesía, 160, distrito de San Borja, Lima). L’exposition est ouverte au public du 4 octobre 2022 au 22 décembre 2022.
Le premier livre de César Vallejo (1892-1938), Los heraldos negros, date de 1919. Dans ces poèmes, rédigés entre 1915 et 1918, on remarque encore l’influence du modernisme.
Le deuxième recueil de César Vallejo, Trilce, paraît en octobre 1922, il y a tout juste cent ans, à compte d’auteur (Talleres Tipográficos de la Penitenciaria). Tiré à deux cents exemplaires avec un prologue d’Antenor Orrego (1892-1960), ami du poète, il comporte 77 poèmes sans titre, numérotés de I à LXXVII. Ils furent écrits pendant une période particulièrement dramatique de la vie du poète. Sa mère meurt en août 1918. Il connaît une rupture amoureuse douloureuse (avec la très jeune Otilia Villanueva) en mai 1919. Son ami, l’écrivain Abraham Valdelomar, (1888-1919) meurt le 3 novembre 1919 après une chute accidentelle. Il perd son poste d’enseignant à la fin de 1919. Il est emprisonné à Trujillo pendant 112 jours (du 6 novembre 1920 au 26 février 1921), sous l’accusation infondée d’être un agitateur et d’avoir incendié une maison à Santiago de Chuco, sa ville natale, lors d’un conflit social. Il avait 28 ans. Cette expérience carcérale fut particulièrement marquante comme pour Cervantes ou Dostoïevski, Il s’exilera en France le 17 juin 1923 et arrivera à Paris le 13 juillet.
Le mot Trilce est un mot inconnu. On demanda un jour à Vallejo ce qu’il signifiait. Il répondit : « Ah, mais ça ne veut rien dire. Je ne trouvais aucun mot qui ait la dignité d’un titre, alors je l’ai inventé : Trilce. Ce n’est pas un joli mot ? » («Ah, pues Trilce no quiere decir nada. No encontraba, en mi afán, ninguna palabra con dignidad de título, y entonces la inventé : Trilce. ¿No es una palabra hermosa ? ») D’autres explications ont été données. En espagnol, on entend d’abord deux états : Triste, Dulce. Triste et Doux.
Ce livre, publié la même année que l’Ulysse de James Joyce et La Terre vaine de T.S Eliot, est le sommet de l’oeuvre du poète péruvien et l’un des plus importants de la poésie en langue espagnole du XX ème siècle. Il est en avance sur toutes les avant-gardes. Beaucoup de ses poèmes sont difficiles et en apparence hermétiques. Ils relatent la dure expérience du malheur et de l’emprisonnement. On remarque une rupture avec Los heraldos negros. Les poèmes sont toujours marqués par le pessimisme, mais l’angoisse et la désolation apparaissent avec un nouveau langage, loin de toute influence. La langue se désarticule. La syntaxe disparaît parfois. Ce livre donne l’impression d’un monde chaotique et angoissant.
«El libro ha nacido en el mayor vacío. Soy responsable de él. Asumo toda la responsabilidad de su estética. Hoy, y más que nunca quizás, siento gravitar sobre mí una hasta ahora desconocida obligación sacratísima, de hombre y de artista: ¡la de ser libre! Si no he de ser hoy libre, no lo seré jamás. Siento que gana el arco de mi frente con su más imperativa curva de heroicidad. Me doy en la forma más libre que puedo y ésta es mi mayor cosecha artística. ¡Dios sabe hasta dónde es cierta y verdadera mi libertad! ¡Dios sabe cuánto he sufrido para que el ritmo no traspasara esa libertad y cayera en libertinaje! ¡Dios sabe hasta qué bordes espeluznantes me he asomado, colmado de miedo, temeroso de que todo se vaya a morir a fondo para que mi pobre ánima viva!» (Carta enviada a Antenor Orrego y citada por su amigo José Carlos Mariátegui. Siete ensayos de interpretación de la realidad peruana. En El proceso de la literatura. Lima, 1928.)
Il fut publié en Espagne en 1930 (Compañia Ibero-Americana de Publicaciones) avec un prologue de José Bergamín et un poème de Gerardo Diego.
XLI
La Muerte de rodillas mana su sangre blanca que no es sangre. Se huele a garantía. Pero ya me quiero reír.
Murmúrase algo por allí. Callan. Alguien silba valor de lado, y hasta se contaría en par veintitrés costillas que se echan de menos entre sí, a ambos costados; se contaría en par también, toda la fila de trapecios escoltas.
En tanto, el redoblante policial (otra vez me quiero reír) se desquita y nos tunde a palos, dale y dale de membrana a membrana tas con tas.
Trilce, 1922.
XLI
La mort à genoux laisse sourdre son sang blanc qui n’est pas du sang. Ça sent la garantie. Mais je veux en rire.
On murmure quelque chose par là. On se tait. Quelqu’un siffle courage de côté, et même on compterait par paires vingt-trois côtes qui se font défaut entre elles, de chaque côté ; on compterait par paires aussi tout le rang de trapèzes escortes.
Entre-temps le tambour policier (à nouveau je veux en rire) se venge et nous roue de coups, cogne et cogne de membrane à membrane, vlan et vlan.
Le journal El País a publié la dernière chronique de Javier Marías, El más verdadero amor al arte, le jour de son décès le dimanche 11 septembre 2022. Comme promis, j’en propose une traduction.
El País, 11/09/2021
L’amour de l’art le plus authentique (Javier Marías)
S’il est une activité qui me manque, c’est bien la traduction. Je l’ai abandonnée il y a des décennies, à quelques petites exceptions près (un poème, une nouvelle, les citations d’auteurs anglais et français qui apparaissent dans mes romans), et rien ne m’aurait empêché de revenir à elle sans l’existence de mes propres livres et le fait que cette tâche essentielle est si mal rétribuée. C’est sans doute une des plus importantes au monde, et pas seulement pour la littérature, mais aussi pour les informations qui arrivent jusqu’à nous, les sous-titres approximatifs des films et des séries, l’horrible doublage actuel, les progrès médicaux, la recherche scientifique, les conversations entre dirigeants… Mais celle qui me manque le plus c’est la traduction littéraire, à laquelle j’ai consacré autrefois presque tous mes efforts. J’ai toujours affirmé qu’elle ressemble tant à l’écriture qu’il est épuisant de les concilier. La seule différence c’est la présence d’un texte original auquel on doit être fidèle – mais non esclave -. L’ original offre des inconvénients et des avantages. Parmi les premiers, le fait qu’on n’est jamais très libre – mais néanmoins assez – car on doit reproduire le mieux possible dans sa langue ce que Conrad ou James, Proust ou Flaubert, Bernhard ou Rilke ont écrit dans la leur ; c’est à dire que l’on ne peut pas inventer. Au contraire du roman, où l’on invente de la première à la dernière ligne, à tel point que parfois on ne sait comment continuer, et c’est alors qu’on souhaiterait pouvoir disposer d’un original qui guiderait ou dicterait toujours ce que l’on doit écrire. Le texte original comme la partition musicale est là. Il est inamovible, même si le traducteur et le pianiste ont une grande possibilité de choix. La diction, la préférence pour un vocable ou son rejet, le tempo, le rythme, les pauses sont de leur responsabilité. Et ils peuvent tout autant détruire un chef d’oeuvre.
Je me souviens souvent, avec des sueurs froides et un énorme plaisir en même temps des mois et des années que j’ai passés à traduire les trois textes les plus difficiles de ma vie : Le Miroir de la mer, écrit dans l’anglais fantastique, mais étrange d’un polonais ; Tristram Shandy, cette oeuvre monumentale du XVIII ème siècle, pas moins labyrinthique que l’Ulysse de Joyce, si rebattu ; La Religion d’un médecin et Hydriotaphia ou discours sur Les Urnes funéraires récemment découvertes dans le Norfolk de Sir Thomas Browne à la prose majestueuse, sublime, mais aussi alambiquée qui a suscité l’admiration inconditionnelle de Borges et de Bioy Casares. Face à elle, j’ai baissé les bras : Je ne me sentais pas capable de continuer. Au bout de quelques mois, j’ai pensé que c’était dommage que les lecteurs de langue espagnole ne puissent pas la connaître et avec un entrain renouvelé, j’ai repris et conclu cette tâche. Pour quelle raison la connaissance de ces lecteurs m’importait-elle autant ? En aucun cas ils n’allaient être nombreux. Je n’en sais rien. J’ai estimé simplement que cette merveille méritait d’exister dans ma langue même si ce n’était que pour le plaisir et le profit de quelques esprits curieux.
Certains traducteurs ne vivent pas de la traduction – les autres, les pauvres, se voient dans l’obligation d’enchaîner les travaux de toutes sortes et à les traduire à toute allure -. Les premiers ont un sens du devoir superflu et désintéressé envers leurs compatriotes. Si nous pensons à la première traduction du Don Quichotte du Dublinois Thomas Shelton qui date de 1612, sept ans seulement après sa publication en espagnol, qu’est-ce qui a bien pu pousser cet homme à s’embarquer dans ce roman espagnol, long et pas facile, écrit par un parfait inconnu ? Je l’ignore, mais on peut imaginer que Shelton fut assez généreux pour ne pas vouloir priver les autres irlandais, et même les anglais, du plaisir qu’il avait éprouvé à le lire en castillan. Si jamais l’expression « travailler pour l’amour de l’art » a été appropriée, c’est pour le travail de ces traducteurs. En fin de compte, un écrivain nourrit l’espoir, aussi faible soit-il, de vendre beaucoup et de réussir. Le traducteur, lui, ne s’attend jamais à de tels triomphes, et encore aujourd’hui de nombreuses maisons d’édition se permettent de ne pas faire figurer son nom en couverture, comme si Ali Smith ou Zadie Smith n’avaient eu besoin d’aucune aide. Et pour ce qui est des émoluments, c’est à en pleurer. Comment peut-t-on payer pareillement une version de Dickens et celle du énième gugusse américain actuel ? Et cependant c’est ce qui se passe. Il y a des éditeurs qui ont fait fortune grâce au travail d’un traducteur. Ils l’ont rétribué à la page, à un tarif ridicule, un point c’est tout, pendant que l’oeuvre en question se vendait à des milliers d’exemplaires en espagnol.
Je ne sais pas. Mais pourtant, une fille aussi peut s’occuper de sa mère pour l’amour qu’elle lui porte, et cela n’empêche pas que son intense dévouement soit rémunéré, au moins pour qu’elle ne meure pas de faim alors qu’elle renonce à travailler pour gagner sa vie. De ce point de vue je ne peux pas avoir la nostalgie de mes années de traducteur. J’ai mieux réussi avec mes romans. J’ai eu beaucoup de chance, ce qui n’a rien à voir avec le mérite et le talent. Et même ainsi, même ainsi… Je me souviens de ma satisfaction et de mon émotion lorsque je réécrivais dans ma langue un texte meilleur que ceux que j’aurais pu créer, comme ce fut la cas pour les trois traductions que j’ai mentionnées plus haut. Lire, corriger et relire chaque page et penser ( l’erreur étant toujours possible, car on est mauvais juge de ce que l’on fait ) : Oui, oui, c’est ainsi qu’auraient écrit Conrad, Sterne ou Browne s’ils s’étaient exprimés en espagnol ».
( Je remercie J. de son aide.)
Javier Marías dans la collection Folio de Gallimard.
Le roman d’Oxford ( Todas las almas ) 1989. Folio n°4401. 2006.
Le romancier, chroniqueur et traducteur espagnol Javier Marías est mort hier dimanche 11 septembre à Madrid des suites d’une pneumonie provoquée par la covid. Il était né le 20 septembre 1951 à Madrid. Il aurait eu 71 ans le 20 septembre. Son père, le philosophe et sociologue Julián Marías (1914-2005), était républicain et disciple du philosophe José Ortega y Gasset (1883-1955) ; sa mère, Dolores Franco Manera (1912-1977), enseignante. Après la Guerre Civile, Julián Marías est dénoncé par son meilleur ami et accusé d’être un agent de Moscou. Il est emprisonné trois mois et libéré en août 1939. Le régime franquiste lui interdit d’enseigner dans les universités espagnoles. Il le fera dans les universités américaines.
Javier Marías écrit son premier roman, Los dominios del lobo, très jeune en 1970. Il est publié en 1971. Le romancier Juan Benet ( 1927-1993 ) est son mentor et ami. Javier Marías a traduit en espagnol de nombreux auteurs anglophones (Roger Louis Stevenson, Thomas Hardy, Joseph Conrad, Laurence Sterne…). Il a enseigné à Oxford et Madrid jusqu’en 1992. il devient un auteur consacré internationalement en 1992 avec Corazón tan blanco (Un cœur si blanc. Collection Folio n° 4720. Gallimard, 2008 ). Le célèbre critique allemand Marcel Reich-Ranicki (1920-2013) contribue à son grand succès en Allemagne. Depuis 2006, il était membre de la Real Academia Española. Il avait accepté pour rendre hommage à son père, mais refusait tous les prix officiels.
Il habitait Plaza de la Villa à Madrid. El Madrid de los Austrias. Je levais les yeux chaque fois que je me promenais dans ce beau quartier. Je n’ai pas lu tous ses romans loin de là, mais je lisais avec intérêt ses articles dans El País Semanal tous les dimanches. Souvent je n’étais pas d’accord avec lui. Le dernier a été publié le 29 juillet. Il y en a eu 939 depuis février 2003 dans une section intitulée La Zona fantasma. On disait de lui qu’il n’était pas toujours commode. Ses relations avec les éditeurs ont parfois été conflictuelles. Certains le traitaient même de “Pitufo Gruñón” ( Schtroumpf grognon ). Qu’importe ? Il avait aussi de nombreux amis écrivains qui l’admiraient. Il suffit de lire aujourd’hui leurs articles dans la presse espagnole. Hier, El País a publié sa dernière chronique, un hommage aux traducteurs. J’essaierai de la traduire dans les jours qui viennent.
El más verdadero amor al arte
Sin duda una de las más importantes labores del mundo es la de la traducción
Si hay una actividad que echo de menos, esa es la traducción. La abandoné hace ya décadas, con pequeñas excepciones (un poema, un cuento, las citas de autores ingleses y franceses que aparecen en mis novelas), y nada me impediría regresar a ella, salvo mis propios libros y lo mal pagada que sigue estando esa labor esencial, sin duda una de las más importantes del mundo, no sólo para la literatura; también para las noticias que llegan, los descuidados subtítulos de películas y series, el bastardo doblaje de hoy, los avances médicos, las investigaciones científicas, las conversaciones entre los gobernantes… Pero la que yo añoro es la literaria, a la que dediqué casi todos mis esfuerzos. Siempre he sostenido que se parece tantísimo a la escritura que es agotador compaginarlas. La “única” diferencia es la presencia de un texto original al que uno ha de ser fiel —pero no esclavo de él—. Ese original ofrece inconvenientes y ventajas. Entre los primeros, que uno nunca es muy libre —pero sí bastante— porque debe reproducir lo mejor posible, en su lengua, lo que en las suyas escribieron Conrad o James, Proust o Flaubert, Bernhard o Rilke; es decir, uno no puede inventar. En una novela sí, de la primera a la última línea, hasta el punto de que a veces uno no sabe cómo continuar, y es entonces cuando desearía disponer de un original que lo guiara y le dictara siempre lo que le toca poner. El texto original, como la partitura musical, está ahí y es inamovible, aunque tanto el traductor como el pianista tengan amplio margen de elección. La dicción, la preferencia por un vocablo o su descarte, el tempo, el ritmo, las pausas, son responsabilidad de ellos. Y pueden destrozar una obra maestra, eso también.
A menudo recuerdo, a la vez con sudores fríos y enorme placer, mis meses o años empleados en traducir los tres textos más difíciles de mi vida: El espejo del mar, escrito en el fantástico pero extraño inglés de un polaco; Tristram Shandy, obra monumental del siglo XVIII no menos laberíntica que el sobadísimo Ulysses de Joyce; La religión de un médico y El enterramiento en urnas, de Sir Thomas Browne, sabio inglés del XVII con una prosa tan majestuosa como sublime como alambicada, que suscitó la admiración incondicional de Borges y Bioy. Ante ella me rendí: no me sentía capaz de proseguir. Al cabo de unos meses, pensé que era una lástima que los lectores de lengua española se quedaran sin conocerla y, con renovado brío, reanudé y concluí la tarea. ¿Por qué me importaba tanto el conocimiento de esos lectores, que en ningún caso iban a ser cuantiosos? Ni yo lo sé. Sencillamente juzgué que esa maravilla merecía existir en mi idioma, aunque fuera para disfrute y provecho de unos pocos curiosos.
Algunos traductores no viven de la traducción —los que sí, pobres, se ven obligados a empalmar trabajos malos, regulares y buenos, y a acabarlos todos a gran velocidad—. Los primeros poseen un superfluo y desinteresado sentido del deber para con sus compatriotas. Si pensamos en la primera traducción del Quijote, del dublinés Thomas Shelton y de 1612, sólo siete años después de su publicación en español, ¿qué tuvo que impulsar a aquel hombre para embarcarse en una novela española, larga y nada fácil, de un completo desconocido? Lo ignoro, pero cabe imaginar que Shelton fue tan generoso como para no querer privar a los demás irlandeses ni a los ingleses del placer que él habría experimentado durante su lectura en castellano. Si alguna vez fue adecuada la expresión “trabajar por amor al arte”, es para la labor de esos traductores. Al fin y al cabo, un escritor alberga la esperanza, por remota que sea, de vender mucho y triunfar. Al traductor nunca lo aguardan tales glorias, y aún hoy bastantes editoriales se permiten no poner su nombre en la cubierta, como si Ali Smith o Zadie Smith no hubieran necesitado de un concurso. Y si hablamos de emolumentos, es para echarse a llorar. ¿Cómo va a pagarse igual una versión de Dickens que una del enésimo chisgarabís americano actual? Y sin embargo así sucede. Hay editores que se han hecho de oro merced al trabajo de un traductor, al que retribuyeron con una rácana tarifa por página y se acabó, mientras el título en cuestión vendía cientos de miles de ejemplares en español. No sé, sí: también una hija puede cuidar a su madre por el amor que le profesa, pero eso no obsta para que su ímproba dedicación se vea remunerada, sólo sea para que no se muera de hambre mientras renuncia a ganarse el sustento con un empleo. Desde ese punto de vista no puedo sentir nostalgia de mis años de traductor. Me ha ido mucho mejor con mis novelas. He gozado de una inmensa suerte que poco tiene que ver con el mérito ni con el talento. Y aun así, aun así… Recuerdo cómo me satisfacía y emocionaba “reescribir” en mi lengua un texto mejor que ninguno que yo pudiera alumbrar, como fue el caso de mis tres traducciones mencionadas. Leer, corregir y releer cada página y pensar (siempre sujeto a equivocación, uno es mal juez de lo que hace): “Sí, sí, así lo habrían escrito Conrad, Sterne o Browne de haberse expresado en español”.