Le poète Claude Vigée est décédé le 2 octobre à Paris.
Claude Vigée (de son vrai nom Claude André Strauss) est né à Bischwiller (Bas-Rhin) le 3 janvier 1921 dans une famille juive établie en Alsace. Son enfance se passe dans une région où on parlait surtout le dialecte alsacien. Le dialecte bas-alémanique sera donc sa première langue. Il n’apprendra le français qu’à l’école, à l’âge de six ans. Il fait ses études secondaires au collège classique de Bischwiller, puis au lycée Fustel de Coulanges à Strasbourg. En 1938, il est évacué, puis expulsé d’Alsace avec sa famille à la suite de l’occupation nazie. Étudiant en médecine, il participe à l’organisation de la résistance juive (Action juive) à Toulouse contre l’occupation hitlérienne et le gouvernement de Vichy d’octobre 1940 à fin 1942. Il publie ses premiers vers dans la revue résistante Poésie 42 de Pierre Seghers. Réfugié aux États-Unis au début de 1943, il se marie après la guerre avec sa cousine Évelyne Meyer, et termine son doctorat en langues et littératures romanes en 1947. Il enseigne la littérature française aux États-Unis, puis à l’Université hébraïque de Jérusalem (Israel) de 1960 à 1984. Depuis 2001, Claude et Evy Vigée étaient installés à Paris. Claude Vigée a choisi son nom dans les années 40 “Comme mon aïeul Jacob sortant du gué du Yabbok vainqueur, mais blessé, après le combat avec l’ange, « je boîte, mais vie j’ai -, moi aussi !» Désormais, Claude Vigée sera mon nom, celui d’un poète juif” (Cité in Anne Mounic, La poésie de Claude Vigée, l’Harmattan, 2005, p. 61)
«Qu’est-ce donc que la poésie?»
«Un feu de camp abandonné
qui fume longuement dans la nuit d’été
sur la montagne déserte».
En 1978, une anthologie de ses poèmes est publiée dans la collection Poètes d’aujourd’hui (éditions Seghers).
La meilleure introduction à son œuvre est l’anthologie publiée en poche en 2013: L’homme naît grâce au cri, poésies choisies (1950-2012), Points Seuil. 336 pages, 7,8 euros. Édition établie, présentée et annotée par Anne Mounic.
On peut aussi trouver une édition complète de son oeuvre sur papier bible: Mon heure sur la terre. Éditions Galaade. 2008. Poésies complètes, 1936-2008.
La
grande Passacaille
Écoute
le roulement des galets dans la mer!
Hors
les murs nus de l’être prolongeant
la
hantise de la musique muette,
soudain murmurent en nous les
flûtes du crépuscule.
Dans le passage de notre souffle
mortel
les mots tracent le sens que nous espérions
rencontrer
en explorant du regard
chaque soir chaque matin
qui hennit en plein ciel –
la bouche ouverte boit
le vent
pluvieux toujours resurgissant,
le vent qui vient d’ailleurs
et
porte en soi comme une absence
le silence pareil au germe
jaillissant
hors du commencement sans visage et sans
lieu:
respirer de nouveau, plonger dans le temps fabuleux des
noces
où s’étreignent le jour et la nuit emmêlés.
Afflux
divin du livre qui en porte le rythme
comme une lame de fond
arrachée au ventre de la mer,
chevaux d’écume dansant,
caracolant, puis tout à coup
se cabrant pour jouir
jusqu’à
la crête mortelle et blanchissante du ressac.
Juillet
2001 – septembre 2002.
Danser vers l’abîme, in Dans le Creuset du Vent, Essais, Poésie, entretiens, Parole et Silence, 2003, p. 161.
L’acteur franco-britannique Michael Lonsdale est décédé le 21 septembre 2020 à Paris, il avait 89 ans. Il avait lu en 2008 L’Etranger (1942), la première oeuvre d’Albert Camus parue en livre-audio chez Ecoutez Lire/Gallimard. Le début du roman peut être écouté gratuitement sur ce lien.
“Aujourd’hui, maman est morte. Ou peut-être hier, je ne sais pas. J’ai reçu un télégramme de l’asile : « Mère décédée. Enterrement demain. Sentiments distingués. » Cela ne veut rien dire. C’était peut-être hier. L’asile de vieillards est à Marengo, à quatre-vingts kilomètres d’Alger. Je prendrai l’autobus à deux heures et j’arriverai dans l’après-midi. Ainsi, je pourrai veiller et je rentrerai demain soir. J’ai demandé deux jours de congé à mon patron et il ne pouvait pas me les refuser avec une excuse pareille. Mais il n’avait pas l’air content. Je lui ai même dit : « Ce n’est pas de ma faute. » Il n’a pas répondu. J’ai pensé alors que je n’aurais pas dû lui dire cela. En somme, je n’avais pas à m’excuser. C’était plutôt à lui de me présenter ses condoléances. Mais il le fera sans doute après-demain, quand il me verra en deuil. Pour le moment, c’est un peu comme si maman n’était pas morte. Après l’enterrement, au contraire, ce sera une affaire classée et tout aura revêtu une allure plus officielle.”
Luis Cernuda, poète espagnol, républicain et homosexuel, de la Génération de 1927, est né le 21 septembre 1902 à Séville. Exilé en 1938 au Royaume-Uni, aux Etats-Unis et enfin au Mexique, il est mort sans revoir son pays le 5 novembre 1963 à Mexico. Il avait 61 ans.
He venido para ver
He venido para ver semblantes Amables como viejas escobas, He venido para ver las sombras Que desde lejos me sonríen.
He venido para ver los muros En el suelo o en pie indistintamente, He venido para ver las cosas, Las cosas soñolientas por aquí.
He venido para ver los mares Dormidos en cestillo italiano, He venido para ver las puertas, El trabajo, los tejados, las virtudes De color amarillo ya caduco.
He venido para ver la muerte Y su graciosa red de cazar mariposas, He venido para esperarte Con los brazos un tanto en el aire, He venido no sé por qué; Un día abrí los ojos: he venido.
Por ello quiero saludar sin insistencia A tantas cosas más que amables: Los amigos de color celeste, Los días de color variable, La libertad del color de mis ojos;
Los niñitos de seda tan clara, Los entierros aburridos como piedras, La seguridad, ese insecto Que anida en los volantes de la luz.
Adiós, dulces amantes invisibles, Siento no haber dormido en vuestros brazos. Vine por esos besos solamente; Guardad los labios por si vuelvo.
29 de abril de 1931. Poème publié pour la première fois dans la célèbre anthologie de Gerardo Diego: Poesía española: antología 1915-1931. Madrid, 1932. Los placeres prohibidos, 1931. Ce recueil de Luis Cernuda ne sera publié que dans La realidad y el deseo, 1936.
Je suis venu pour voir
Je suis venu pour voir les têtes
Aimables comme un vieux balai,
Je suis venu pour voir les ombres
Qui me sourient dans le lointain.
Je suis venu pour voir les murs
Qui s’élèvent ou s’effondrent, peu importe,
Je suis venu pour voir les choses,
La rêverie des choses qui nous entourent.
Je suis venu pour voir les mers
Bercées dans leur ronde nacelle,
Je suis venu pour voir les portes,
Le travail, les toitures, les vertus
À la robe jaunie, déjà fanée.
Je suis venu pour voir la mort
Et son divertissant filet de papillons,
Je suis venu pour t’attendre,
Les bras tant soit peu écartés,
Je suis venu qui sait pourquoi;
Un jour, j’ouvris les yeux: je suis venu.
C’est pourquoi, je veux saluer sans insistance
Tant et tant de choses aimables:
Les amis de couleur bleu ciel,
Les jours aux couleurs changeantes,
La liberté aux couleurs de mes yeux;
Les garçonnets de soie si claire,
Les enterrements ennuyeux comme la pierre,
La sécurité, cet insecte
Qui niche au creux des plis de la lumière.
Adieu, mes tendres amants invisibles,
Que n’ai-je pu dormir entre vos bras.
Je ne suis venu que pour vos baisers;
Gardez vos lèvres prêtes, si jamais je reviens.
Enrique Irazoqui qui avait joué le rôle du Christ dans L’Évangile selon saint Matthieu de Pier Paolo Pasolini (1964) est mort à Cadaqués le 16 septembre 2020. il avait 76 ans. Ce militant communiste, fils d’un père espagnol et d’une mère italienne, était allé en Italie pour y rencontrer les antifascistes italiens afin de les sensibiliser à la lutte antifranquiste et obtenir des fonds pour le syndicat étudiant clandestin qu’il dirigeait à Barcelone (Sindicato Democrático de Estudiantes). Il rencontra Pier Paolo Pasolini par l’intermédiaire d’Elsa Morante en février 1964. Quand le metteur en scène d’Accatone le vit, il s’ approcha de lui et dit « È lui [C’est lui ! ]» Il lui proposa le rôle de Jésus. Enrique Irazoqui refusa dans un premier temps, puis accepta ensuite. La rencontre de Pier Paolo Pasolini, Elsa Morante, Natalia Ginzburg, Alberto Moravia, alors qu’il n’avait que 19 ans, fut une expérience marquante de sa vie. Il fit des études d’économie politique, puis de littérature espagnole et devint professeur aux États-Unis (Minnesota). Cétait un passionné du jeu d’échecs. Il avait joué aux échecs à Cadaqués avec Marcel Duchamp et John Cage.
Vicent Andrés Estellés est né le 4 septembre 1924 à Burjassot (Communauté de Valence). Il est issu d’un milieu modeste, ses parents sont boulangers. Son père, analphabète, veut que son fils étudie. Vicent Andrés Estellés fera des études de journalisme dans le Madrid de l’après-guerre. Á partir de 1948, il collabore au journal Las Provincias, dont il deviendra le rédacteur en chef. Il est mort à Valence à 68 ans le 27 mars 1993. Ce poète espagnol, d’expression valencienne, a été chanté par Ovidi Montllor, Maria del Mar Bonet, Raimon entre autres. D’après Joan Fuster, c’est « le meilleur poète valencien des trois derniers siècles, un nouvel Ausiàs March du XXe siècle ».
Els amants
La carn vol carn (Ausiàs March)
No hi havia a València dos amants com nosaltres.
Feroçment ens amàvem des del matí a la nit.
Tot ho recorde mentre vas estenent la roba.
Han passat anys, molts anys; han passat moltes coses.
De sobta encara em pren aquell vent o l’amor
i rodolem per terra entre abraços i besos.
No comprenem l’amor com un costum amable,
com un costum pacífic de compliment i teles.
Es desperta, de sobta, com un vell huracà,
i ens tomba en terra els dos, ens ajunta, ens empeny.
Jo desitjava, a voltes, un amor educat
i en marxa el tocadiscos, negligentment besant-te,
ara un muscle i després el peçó d’una orella.
El nostre amor és un amor brusc i salvatge,
i tenim l’enyorança amarga de la terra,
d’anar a rebolcons entre besos i arraps.
Què voleu que hi faça! Elemental, ja ho sé.
Ignorem el Petrarca i ignorem moltes coses.
Les Estances de Riba i les “Rimas” de Bécquer.
Després, tombats en terra de qualsevol manera,
comprenem que som bàrbars, i que això no deu ser,
que no estem en l’edat, i tot això i allò.
No hi havia a València dos amants com nosaltres,
car d’amants com nosaltres en són parits ben pocs
Llibre de les meravelles, 1956-58, publié en 1971.
Les amants
La chair convoite la chair (Ausiàs March)
Il n’y avait pas à Valence deux amants comme nous.
Nous nous aimions férocement du matin au soir.
Je me souviens de tout cela pendant que tu étends le linge.
Des années ont passé, beaucoup d’années; il s’est passé beaucoup de choses.
Soudain aujourd’hui encore le vent de jadis ou l’amour m’envahissent
et nous roulons par terre dans l’étreinte et les baisers.
Nous n’entendons pas l’amour comme une coutume aimable,
comme une habitude pacifique faite d’obligations et de beau linge
( et que le chaste M. López-Picó nous en excuse ).
Il s’eveille en nous, soudain, comme un vieil ouragan,
et il nous fait tomber tous deux par terre, nous rapproche, nous pousse.
Je souhaitais, parfois, un amour bien poli
et le tourne-disques en marche, et moi qui t’embrasse négligemment,
d’abord l’épaule et ensuite le lobe d’une oreille.
Notre amour est un amour brusque et sauvage,
et nous avons la nostalgie amère de la terre,
de nous rouler dans les baisers et les coups d’ongles.
Que voulez-vous que j’y fasse. Elémentaire, je sais.
Nous ignorons Petrarque et nous ignorons beaucoup de choses.
Les Estances de Riba et les Rimas de Becquer.
Après affalés par terre n’importe comment,
rous comprenons que nous sommes des barbares, et que ce ne sont pas des manières,
que nous n’avons plus l’âge, et ceci et cela.
Il n’y avait pas à Valence deux amants comme nous,
Car des amants comme nous on n’en fait pas tous les jours.
Livres des merveilles. Beuvry. Maison de la Poésie Nord. Pas-de-Calais, 2004.
Francesc Boix i Campo est né le 31 août 1920 à Barcelone. Il est mort prématurément le 4 juillet 1951 à Paris, sa santé ayant été fragilisée par la déportation. Photographe et républicain espagnol, il s’exile en France en 1939. Il s’engage dans l’armée française en 1940 et est fait prisonnier. Il est déporté au camp de concentration de Mauthausen le 27 janvier 1941. En tant que photographe de métier, il est affecté au service d’identification du camp. Au péril de sa vie, il dérobe plus de 2000 photographies effectuées. Il témoigne le matin du 28 janvier 1946 au procès de Nuremberg. Il apporte quelques-unes de ces photos, comme preuves accusatrices contre des membres importants du corps militaire du Troisième Reich. Il est enterré au cimetière parisien de Thiais. Le 16 juin 2017, ses restes sont transférés au Père-Lachaise.
Edith Aron est décédée à Londres le 25 mai 2020. Elle avait 96 ans. Julio Cortázar avait utilisé certains aspects de sa personnalité pour construire le personnage de La Sibylle (La Maga) dans son roman Marelle (Rayuela. 1963).
Elle était née dans une famille juive à Hombourg en Sarre en 1923, mais avait émigré avec sa mère en Argentine avant la Seconde Guerre Mondiale. Elle vécut toute sa jeunesse à Buenos Aires. Elle avait rencontré l’écrivain argentin en 1950 dans le bateau qui les menait en France. Elle revenait alors en Europe pour revoir son père qui avait survécu en France à la guerre.
Elle épousa le peintre britannique John Bergin en 1968. Ils eurent une fille Joanna, chanteuse et photographe. Édith Aron et John Bergin vécurent en Argentine, puis en Angleterre. Ils se séparèrent en 1976. Elle traduisit Julio Cortázar en allemand, mais aussi Jorge Luis Borges, Octavio Paz et Silvina Ocampo. Elle vivait dans un petit appartement du quartier St. John’s Wood à Londres.
Rayuela. 1963.
«¿Encontraría a la Maga? Tantas veces me había bastado asomarme, viniendo por la rue de Seine, al arco que da al Quai de Conti, y apenas la luz de ceniza y olivo que flota sobre el río me dejaba distinguir las formas, ya su silueta delgada se inscribía en el Pont des Arts, a veces andando de un lado a otro, a veces detenida en el pretil de hierro, inclinada sobre el agua. Y era tan natural cruzar la calle, subir los peldaños del puente, entrar en su delgada cintura y acercarme a la Maga que sonreía sin sorpresa, convencida como yo de que un encuentro casual era lo menos casual en nuestras vidas, y que la gente que se da citas precisas es la misma que necesita papel rayado para escribirse o que aprieta desde abajo el tubo de dentífrico.»
“Horacio y la Maga no tenían nada que ver, él analizaba demasiado todo, ella sólo vivía”.
Elle disait: “Yo no soy La Maga. Yo soy mi propia persona”.
Marelle (Rayuela) a été publié en France chez Gallimard en 1967. Traduction: Laure Guille-Bataillon et Françoise Rosset. Réédition: Collection L’Imaginaire n° 51, Gallimard 1979.
Le grand romancier espagnol, Juan Marsé, est mort à l’Hospital Sant Pau de Barcelone samedi 18 juillet. Il avait 87 ans.
Mario Vargas Llosa a déclaré: “Marsé est un des meilleurs auteurs de langue espagnole. Son oeuvre a rendu sa dignité au réalisme littéraire en s’ouvrant au langage de la rue et en triturant férocement les lieux communs.”
Il n’est pas suffisamment connu en France, mais ses romans ont marqué ma génération. Il a été traduit essentiellement chez Christian Bourgois.
Ses trois meilleurs romans sont selon moi:
Últimas tardes con Teresa (1966, Seix Barral), Premio Biblioteca Breve.
La oscura historia de la prima Montse (1970, Seix Barral).
Si te dicen que caí (1973, Novaro), Premio México de Novela.
Teresa l’après-midi, traduit par Jean-Marie Saint-Lu, Paris, Christian Bourgois, 1993.
L’Obscure Histoire de la cousine Montse, traduit par Michèle Gazier, Paris, Le Sycomore, 1981 ; réédition, Paris, Christian Bourgois, 1989 ; réédition dans une nouvelle traduction de Jean-Marie Saint-Lu, Paris, Éditions Points, coll. « Points » n° P2786, 2012.
Adieu la vie, adieu l’amour, traduit par Claude Bleton, Paris, Christian Bourgois, 1992.
Juan Marsé, né Juan Faneca Roca, a perdu sa mère à la naissance. Il a été adopté par le couple Marsé. À treize ans, il travaille comme apprenti joaillier. L’ enfance de Juan Marsé a été marqué par la faim, le froid, le marché noir…et le cinéma. Son chef d’oeuvre (Si te dicen que caí) a été écrit en 1973, mais interdit par la censure en Espagne. Le roman a été primé et publié au Mexique. Il ne sera édité en Espagne, qu’après la mort de Franco en 1975. Juan Marsé recrée la vie à Barcelone après la Guerre civile. L’action se situe vers 1944. L’auteur utilise les aventis, histoires racontées par les enfants des familles de vaincus des quartiers de Barcelone (Carmelo, Guinardó, Gràcia). Si te dicen que caí est à l’origine un vers de l’hymne phalangiste Cara al sol que le romancier catalan utilise dans un sens ironique.
Il a reçu le Prix Cervantes en 2008.
Léon-Marc Lévy a cité dans le Club de la Cause Littéraire ce passage d’ Últimas tardes con Teresa qui décrit Manolo Reyes, el Pijoaparte (Bande à part). Ce jeune charnego, typique des classes populaires et marginales de Barcelone, veut séduire Teresa, belle jeune fille blonde, étudiante issue de la haute bourgeoisie catalane.
«Aquéllos fueron, en realidad, sus únicos juguetes de la infancia, juguetes que nunca había de romper ni relegar al cuarto de los trastos viejos. El chico creció guapo y despierto, con una rara disposición para la mentira y la ternura. (…) De su diario trato con el hambre le quedó una luz animal en los ojos y una especial manera de ladear la cabeza que sólo los imbéciles confundían con la sumisión. Muy pronto conoció de la miseria su verdad más arrogante y más útil: no es posible librarse de ella sin riesgo de la propia vida. Así desde niño necesitó la mentira lo mismo que el pan y el aire que respiraba. Tenía la fea costumbre de escupir a menudo; sin embargo, si se le observaba detenidamente, se notaba en su manera de hacerlo (los ojos repentinamente fijos en un punto del horizonte, un total desinterés por el salivazo y por el sitio donde iba a parar, una íntima y secreta impaciencia en la mirada) esa resolución firme e irrevocable, hija de la rabia, que a menudo inmoviliza el gesto de campesinos a punto de emigrar y de algunos muchachos de provincias que ya han decidido huir hacia las grandes ciudades.»
Teresa, l’après-midi . Traduit de l’espagnol par Jean-Marie Saint-Lu.
“En fait, ce furent là les seuls jouets de son enfance, des jouets qu’il ne devait jamais casser ni mettre au rebut. Il grandit en beauté et en intelligence, avec une disposition rare pour le mensonge et la tendresse. […] De son contact quotidien avec la faim il lui resta une lueur animale dans les yeux et une façon particulière de pencher la tête que seuls les imbéciles prenaient pour de la soumission. Très vite, il connut la vérité la plus arrogante et la plus utile de la misère: qu’il n’est pas possible de s’en délivrer sans risquer sa vie. Ainsi, dès son enfance, il eut besoin de mensonge autant que de pain, autant que de l’air qu’il respirait. Il avait la vilaine habitude de cracher souvent; cependant, si on l’observait attentivement, on remarquait dans sa façon de faire (les yeux fixant soudain un point de l’horizon, un complet désintérêt pour son jet de salive et pour l’endroit où il atterrissait, une intime et secrète impatience dans le regard) cette résolution ferme et irrévocable, fille de la rage, qui souvent fige le visage des paysans sur le point d’émigrer et de certains jeunes provinciaux qui ont pris la décision de s’enfuir un jour vers les grandes villes.”
Quelques citations de l’auteur: «A partir de cierta edad, la felicidad es un referente que está en el pasado.”
“La felicidad es un objetivo circunstancial relacionado con determinados momentos muy concretos, muy fácilmente identificables. Existen formas de felicidad; las puedo precisar sin ninguna dificultad. Para mí, por ejemplo, puede ser incluso una cosa tan sencilla como una canción de Cole Porter en el momento oportuno, casi siempre imprevisto. Y por supuesto una novela de Stevenson o una película de John Ford. Y claro está, la felicidad está relacionada con el amor y con muchísimas otras cosas poco duraderas o poco estables en el tiempo. Pero en términos generales no es algo que me haya obsesionado nunca. Y tampoco me siento particularmente infeliz. Las contrariedades y las adversidades de la vida me parecen lo más natural del mundo; algo ineludible. De todas maneras, yo creo que los momentos más felices de la vida se dan cuando uno consigue dejar de pensar en sí mismo.”
“Durante el franquismo me jodieron los padres y en la democracia me jodieron los hijos, pero siempre me jodieron los mismos.”
Entrevista. El País 5 de febrero de 2011.
“La literatura es un ajuste de cuentas con la vida, porque la vida no suele ser como la esperábamos. Uno busca un sentido a todo esto y a la vez un vago placer estético. ¿Por qué tomarnos tanto trabajo si la literatura no puede cambiar el mundo, no influye en la mejora de nada, ni siquiera cuando denuncia los peores crímenes de la humanidad? No lo sé, pero su origen y su fin está en dar testimonio, tanto de las pesadillas como de los sueños felices de todos nosotros.»
Un día volveré, 1982.
«El olvido es una estrategia del vivir.»
“Nos están cocinando a todos en la olla podrida del olvido, si bien algunos, por si acaso, aún mantenemos el dedo en el gatillo de la memoria.”
Miquel Martí i Pol est né le 19 mars 1929 à Roda de Ter, en Catalogne.
Solstici
Reconduïm-la a poc a poc, la vida,
a poc a poc i amb molta confiança,
no pas pels vells topants ni per dreceres
grandiloqüents, sinó pel discretíssim
camí del fer i desfer de cada dia.
Reconduïm-la amb dubtes i projectes,
i amb turpituds, anhels i defallences,
humanament, entre brogit i angoixes,
pel gorg dels anys que ens correspon de viure.
En solitud, però no solitaris,
reconduïm la vida amb la certesa
que cap esforç no cau en terra eixorca.
Dia vindrà que algú beurà a mans plenes
l’aigua de llum que brolli de les pedres
d’aquest temps nou que ara esculpim nosaltres.
L’àmbit de tots els àmbits. 1981.
Solsticio
Reconduzcamos poco a poco, la vida,
poco a poco y con mucha confianza,
no por los viejos senderos ni por atajos
grandilocuentes, sino por el discretísimo
camino del hacer y deshacer de cada día.
Reconduzcámola con dudas y proyectos,
y con torpezas, anhelos y desfallecimientos,
humanamente, entre ruido y angustias,
por la cuenca de los años que nos corresponde vivir.
En soledad, pero no solitarios,
reconduzcamos la vida con la certeza
de que ningún esfuerzo cae en tierra estéril.
Llegará el día en que alguien beberá a manos llenas
el agua de luz que brote de las piedras
de este tiempo nuevo que ahora esculpimos.
Solstice
Reconduisons peu à peu la vie,
peu à peu, mais avec toute la confiance,
non par les vieilles allées et les sentiers
grandiloquents mais en prenant le discret
chemin du faire et défaire quotidiens.
Reconduisons-la avec doutes et projets,
turpitudes, aspirations et défaillances;
humainement, entre vacarme et angoisses,
par le goulot des années qu’il nous reste à vivre.
Dans la solitude, mais non pas solitaires,
reconduisons la vie, avec la certitude
qu’aucun effort ne peut finir dans le désert.
Un jour viendra quelqu’un boira à pleines mains
l’eau de lumière qui sourdra des pierres
de ce temps nouveau que nous sculptons.
Joie de la parole. Traduction: Patrick Gifreu. Orphée La Différence. 1993.
L’immense poète péruvien César Vallejo est né le 16 mars 1892 à Santiago de Chuco. Il est enterré au cimetière du Montparnasse à Paris.
Espergesia
Yo nací un día que Dios estuvo enfermo.
Todos saben que vivo, que soy malo; y no saben del Diciembre de ese Enero. Pues yo nací un día que Dios estuvo enfermo.
Hay un vacío en mi aire metafísico que nadie ha de palpar: el claustro de un silencio que habló a flor de fuego.
Yo nací un día que Dios estuvo enfermo.
Hermano, escucha, escucha…… Bueno. Y que no me vaya sin llevar diciembres, sin dejar eneros. Pues yo nací un día que Dios estuvo enfermo.
Todos saben que vivo, que mastico. Y no saben porqué en mi verso chirrían, oscuro sinsabor de féretro, luyidos vientos desenroscados de la Esfinge preguntona del Desierto.
Todos saben… Y no saben que la Luz es tísica, y la Sombra gorda…… Y no saben que el Misterio sintetiza…… que él es la joroba musical y triste que a distancia denuncia el paso meridiano de las lindes a las Lindes.
Yo nací un día que Dios estuvo enfermo, grave.
Los heraldos negros, 1918.
Espergesia: Término de retórica. Explicación de lo que se ha adelantado en un discurso.
Vespergenèse
Je suis né un jour
où Dieu était malade.
Tous savent que je vis,
que je suis mauvais: mais ils ne savent rien
du décembre de ce janvier.
Car je suis né
un jour où Dieu était malade.
Il est un vide
dans mon air métaphysique
que personne ne palpera:
le cloître d’un silence
qui parla à fleur de feu.
Je suis né un jour
où Dieu était malade.
Mon frère, écoute, écoute….
Bon. Et que je ne parte pas
sans emporter de décembres,
sans laisser de janviers.
Car je suis né un jour
où Dieu était malade.
Tous savent que je vis,
que je mastique… Mais ils ne savent pas
pourquoi dans mon vers grincent,
obscur déboire de cercueil,
des vents lyissés
décrochés du Sphinx
indiscret du désert.
Tous savent… Et ne savent pas
que la Lumière est phtisique,
et l’Ombre grosse…
Mais ils ne savent pas que le Mystère synthétise…
qu’il est la bosse
musicale et triste qui à distance annonce
le passage méridien des lisières aux Lisières.
Je suis né un jour
où Dieu était malade,
gravement.
Les hérauts noirs –Poésie complète 1919-1937. Flammarion, 2009 – Traduit par Nicole Réda-Euvremer.