Francisca Aguirre

La lecture d’Irene Vallejo sur Twitter m’a incité à relire deux poèmes de Francisca Aguirre.

Francesca Aguirre (Álvaro García). Novembre 2018.

Despedida

Decir adiós quiere decir tan poco.
Adiós dijimos a la infancia
y vino detrás nuestro como un perro
rastreando nuestros pasos.
Decir adiós: cerrar esa obstinada puerta que se niega,
la persistente cicatriz que destila memoria.
Decir adiós: decir que no; ¿quién lo consigue?
¿quién encontró la mágica llave?
¿quién el instante que nos desliza hacia el olvido,
la mano que extirpará raíces
sin quedarse para siempre cerrada sobre ellas?
Decir adiós: volver la espalda; pero
¿quién sabe dónde está la espalda?
¿quién conoce el camino que no muere en el pisado atajo?
Decir adiós: gritar porque se está diciendo
y llorar porque no se dice nada;
porque decir adiós nunca es bastante,
porque tal vez decir adiós completamente
sea encontrar el recodo donde volver la espalda,
donde hundirse en el no definitivo
mientras escapa lentamente la vida.

Ensayo general. Poesía completa 1966-2000. Madrid, Calambur. 2000. Page 61.

Penélope desteje

Siempre hay adolescencia y nada en el atardecer.

Cuando el suave recodo de la tarde
insinúa su curva desolada,
algo también en nosotros se inclina.
Muy pocas cosas tenemos entonces,
ninguna posesión nos acompaña,
ninguna posesión nos ultraja tampoco.
Hay un lento desastre en estas horas
que parecen las únicas del día,
las que nos dejan en el viejo límite,
las que no pueden entregarnos nada,
a las que no pedimos nada.
Hay un desastre tierno y descompuesto
en las últimas horas de este día
que ha pasado lo mismo que los otros,
e igual que ellos ha alcanzado
esa hermosura ardiente
de todo cuanto se asoma hacia la nada.
Inclinada sobre el hueco de mi ventana
veo cómo resbala todo un tiempo;
la tarde ha embalsamado suavemente
el bullicioso suceder de la calle,
se va agotando el cielo poco a poco
y un estallido de paciencia
envuelve al mundo en suaves abrazos de ceniza.

Mientras la noche se abre en las esquinas,
cuaja la luna unas flores extrañas.

Ítaca. Madrid, Cultura Hispánica. 1971.

Torcy (Seine-et-Marne). Coucher de soleil. 12 août 2023.

Francisca Aguirre est née à Alicante le 27 octobre 1930 dans une famille d’artistes. Autodidacte, elle commence à écrire à l’adolescence. Les poètes qui l’inspirent sont Pablo Neruda, Miguel Hernández, Vicente Aleixandre, Antonio Machado, Blas de Otero, José Hierro, Constantin Cavafis.

À la fin de la Guerre d’Espagne, elle doit s’exiler avec sa famille en France. Son père, le peintre républicain Lorenzo Aguirre (1884-1942), est condamné à mort par la dictature franquiste et est exécuté au garrot le 6 octobre 1942 à la prison de Porlier de Madrid. Á 15 ans, elle commence travailler pour aider sa mère et ses deux soeurs.

Dans les années 50, elle fréquente les cercles littéraires de l’Ateneo de Madrid et le Café Gijón. Elle se lie d’amitié avec des écrivains tels que Luis Rosales, Gerardo Diego, Miguel Delibes, Antonio Buero Vallejo, Julio Cortázar, Juan Rulfo. Elle appartient à la génération de 1950 ( José Ángel Valente, Francisco Brines, Ángel González, Jaime Gil de Biedma o José Manuel Caballero Bonald), mais n’apparaît pas dans les anthologies. Elle rencontre le poète, critique littéraire et spécialiste du flamenco Félix Grande (1937-2014) qu’elle épouse en 1963. Le couple s’installe dans le quartier de Chamberí. Leur maison (Calle Alenza, 8) est connue alors comme ” l’Ambassade de l’Argentine et du Pérou ” en raison des visites d’intellectuels qu’elle reçoit, au cœur du militantisme politique et des idées de mai 68.
À partir de 1971, elle travaille à l’Institut de Culture Hispanique comme secrétaire du poète Luis Rosales (1910-1992). Elle reçoit le Prix National de Poésie en 2011 pour Historia de una anatomía (Madrid, Hiperión, 2010) et le Prix National des Lettres Espagnoles en 2018.
Elle meurt à Madrid le 13 avril 2019 à 88 ans. Sa fille Guadalupe Grande (1965-2021) était aussi poète.

Recueils de poésie :
1971 Ítaca. Madrid, Cultura Hispánica.
1976 Los trescientos escalones. San Sebastián, Caja de Ahorros Provincial de Guipúzcoa.
1978 La otra música. Madrid, Ediciones Cultura Hispánica.
1995 Ensayo general. El Ferrol, La Coruña. Sociedad de Cultura Valle-Inclán.
1998 Pavana del desasosiego. Madrid, Ediciones Torremozas.
2000 Ensayo general. Poesía completa 1966-2000. Madrid, Calambur.
2002 Memoria arrodillada. Antología. Valencia, Institució Alfons el Magnànim.
2006 La herida absurda. Madrid Bartleby Editores.
2008 Nanas para dormir desperdicios. Madrid, Hiperión.
2010 Historia de una anatomía. Madrid, Hiperión.
2011 Los maestros cantores. Madrid, Calambur Editorial.
2012 Conversaciones con mi animal de compañía. Madrid, Ediciones Rilke.
2018 Ensayo general. Poesía completa 1966-2017. Madrid, Calambur.
2019 Prenda de abrigo. Antología poética. Olé Libros.

Elle dit en novembre 2018 : “Escribes para no andar a gritos y para no volverte loca. La poesía tranquiliza. A mí me ayuda. El mundo es injusto, pero el lenguaje es inocente. El poder de las mujeres es tener la oportunidad de decir que no. Por eso es tan importante la educación, la independencia. Queda mucho por hacer porque la desigualdad sigue siendo enorme: entre hombre y mujeres, entre ricos y pobres…”.

http://www.lesvraisvoyageurs.com/2018/11/14/francisca-aguirre-1930/

http://www.lesvraisvoyageurs.com/2021/01/04/guadalupe-grande-aguirre-1965-2021/

http://www.lesvraisvoyageurs.com/2018/11/14/lorenzo-aguirre-1884-1942/

Francisco de Quevedo

Sculpture de Francisco de Quevedo. Balcon de la calle Escritorios, nº 11. Alcalá de Henares (Comunidad de Madrid ).

Francisco Gómez de Quevedo Villegas y Santibáñez Cevallos est né, probablement, le 14 septembre 1580 à Madrid. Il est mort le 8 septembre 1645 à Villanueva de los Infantes (Ciudad Real).
Il était laid, boiteux et myope (en espagnol, los quevedos, ce sont les lorgnons). Il avait deux passions : la politique et l’écriture. Cet homme incarne toutes les contradictions de l’Espagne décadente de son époque. Il est réactionnaire, misogyne, antisémite et arriviste. Il attaque férocement la “nouvelle poésie”, et particulièrement Góngora et Lope de Vega. Il connaîtra l’exil et la prison. Il est enfermé de 1639 à 1643 par le Conde-Duque de Olivares, ministre favori de Philippe IV, dans un cachot du Couvent de San Marcos de León, prison misérable et humide, où sa santé se dégrade. Pendant la Guerre Civile espagnole, cet endroit servira de camp de concentration pour les prisonniers républicains. De 15 000 à 20 000 personnes y furent enfermées. Beaucoup seront fusillés. La population carcérale atteindra jusqu’à 6 700 hommes. C’est aujourd’hui un luxueux parador.
Quevedo est un maître de l’écriture conceptiste. Son oeuvre, d’un pessimisme noir est toujours hantée par la mort. Elle a eu une influence considérable sur Rubén Darío, César Vallejo, Jorge Luis Borges, Pablo Neruda, Octavio Paz, Miguel de Unamuno, Ramón del Valle-Inclán, Jorge Guillén, Dámaso Alonso, Miguel Hernández, Blas de Otero, Camilo José Cela…

Convento de San Marcos de León (1515-1716), chef d’oeuvre du style plateresque espagnol.

Salmo XIX

¡Cómo de entre mis manos te resbalas!
¡Oh, cómo te deslizas, edad mía!
¡Qué mudos pasos traes, oh muerte fría,
pues con callado pie todo lo igualas!

Feroz de tierra el débil muro escalas,
en quien lozana juventud se fía;
mas ya mi corazón del postrer día
atiende el vuelo, sin mirar las alas.

¡Oh condición mortal! ¡Oh dura suerte!
¡Que no puedo querer vivir mañana,
sin la pensión de procurar mi muerte!

¡Cualquier instante de la vida humana
es nueva ejecución, con que me advierte
cuán frágil es, cuán mísera, cuán vana.

Psaume XIX

Entre mes mains oh ! comme tu ruisselles
mon âge, comme tu t’évanouis :
Oh ! froide mort, quels pas tu fais, sans bruit :
d’un pied muet, c’est tout que tu nivelles.

Féroce, au faible mur tu mets l’échelle
en qui la fraîche jeunesse se fie ;
pourtant mon coeur du dernier jour épie
déjà le vol, sans regarder ses ailes.

Oh ! condition mortelle ! oh ! âpre sort !
Car je ne puis vouloir vivre demain
sans le souci de rechercher ma mort !

Et chaque instant de cette vie humaine
est une exécution qui dit combien
elle est fragile et pauvre, et combien vaine.

Les furies et les peines. 102 sonnets. 2010. Traduction Jacques Ancet. Collection NRF Poésie/Gallimard. N°463.

Notes
Vers 1-2 : « Il est certain que l’homme, dès qu’il naît, commence à mourir, et que le pied nouveau-né qui ne peut faire un pas dans la vie, le fait dans la mort. » Providencia de Dios, cité par Juan Manuel Blecua dans Poemas escogidos. Clásicos Castalia, Madrid, 1989. Salmo XVIII : “Antes que sepa andar el pie, se mueve camino de la muerte…” ( ” Vient-il déjà le pied à naître à peine, qu’il marche vers la mort… “

Vers 14 : Cette idée, venue de Sénèque, Quevedo la répète souvent : « Omnia mors poscit. Lex est, non poena, perite. » (« La mort emporte tout. C’est une loi, non un châtiment, que de mourir. »)

Des prisonniers dans le patio du Couvent de San Marcos.

Julien Gracq – Edward Burne-Jones – André Delvaux

Le Roi Cophétua et la servante mendiante (Edward Burne-Jones) (1884). Londres, Tate Britain.

Le Roi Cophétua et la servante mendiante (1884) est une des toiles les plus célèbres du peintre préraphaélite anglais, Edward Burne-Jones (1833-1898), qui se trouve à la Tate Gallery, à Londres ( 2m93 x 1m36). Le personnage du Roi Cophétua provient de la légende des ballades anglaises. Plusieurs allusions apparaissent dans l’oeuvre de Shakespeare dans Roméo et Juliette (II, 1), Henri IV, Love’s Labour’s Lost, (IV, 1) où Pénélophon porte parfois le nom de Zénélophon. Il existe aussi un poème d’Alfred Tennyson, The Beggar Maid (1833).

Cophétua était un roi africain très riche qui avait une absence totale d’attirance sexuelle ou amoureuse pour qui que ce soit. Un jour pourtant, alors qu’il était accoudé à la fenêtre de son palais, il vit passer une jeune mendiante. Ce fut le coup de foudre. Cophétua décida qu’il devrait épouser cette jeune femme ou se suicider. Il parcourut la ville offrant quelques pièces de monnaie aux mendiants pour essayer d’avoir plus de renseignements sur la jeune femme. Il n’obtint que peu de détails. Elle s’appelait Pénélophon. Vêtue de haillons, elle mendiait pour vivre. Finalement Cophétua la rencontra à nouveau et lui proposa de l’épouser. Étonnée, Pénélophon accepta. Elle perdit rapidement ses anciennes habitudes et devint une reine aimée. Le couple vécut une vie sans histoire et à leur mort ils furent enterrés dans la même tombe.

Julien Gracq a vu ce tableau à Londres lorsqu’il avait 19 ans. La description qu’il en fait dans la nouvelle est bien différente du tableau.

« Je profitai d’un moment où la servante venait de sortir pour me lever et approcher le flambeau du mur. Je ne voulais pas être surpris ; je craignais déjà de rompre le sombre charme de ce dîner silencieux.
Les couleurs du tableau étaient foncées et le jaune cireux du vernis écaillé qui avait dû le recouvrir en couches successives, égalisant et noyant les bruns d’atelier, lui donnait un aspect déteint et fondu qui le vieillissait, quoique la facture très conventionnelle – qui n’eût pas dépareillé un Salon du temps de Grévy ou de Carnot – n’en fût visiblement guère ancienne. Je dus approcher le flambeau tout près pour le déchiffrer. De la pénombre qui baignait le coin droit, au bas du tableau, je vis alors se dégager peu à peu un personnage en manteau de pourpre, le visage basané, le front ceint d’un diadème barbare, qui fléchissait le genou et inclinait le front dans la posture d’un roi mage. Devant lui, à gauche, se tenait debout – très droite, mais la tête basse – une très jeune fille, presque une enfant, les bras nus, les pieds nus, les cheveux dénoués. Le front penché très bas, le visage perdu dans l’ombre, le verticalité hiératique de la silhouette pouvaient faire penser à quelque Vierge de la Visitation, mais la robe n’était qu’un haillon blanc déchiré et poussiéreux, qui pourtant évoquait vivement et en même temps dérisoirement une robe de noces. Il semblait difficile de se taire au point où se taisaient ces deux silhouettes paralysées. Une tension que je localisait mal flottait autour de la scène inexplicable : honte et confusion brûlante, panique, qui semblait conjurer autour d’elle la pénombre épaisse du tableau comme une protection – aveu au-delà des mots – reddition ignoble et bienheureuse – acceptation stupéfiée de l’inconcevable. Je restai un moment devant le tableau, l’esprit remué, conscient qu’une accommodation nécessaire se faisait mal. Le visage du roi More me poussait à chercher du côté d’Othello, mais rien dans l’histoire de Desdémone n’évoquait le malaise de cette annonciation sordide. Non. Pas Othello. Mais pourtant Shakespeare…Le Roi Cophetua ! Le roi Cophetua amoureux d’une mendiante.
When King Cophetua loved the beggar maid. » (Julien Gracq, Oeuvres complètes II. NRF, Gallimard, Bibliothèque de La Pléiade. Pages 508-509.

Anna Karina dans Rendez-vous à Bray d’André Delvaux (1971).

Rendez-vous à Bray d’André Delvaux est un film produit par Mag Bodard. Il est sorti en 1971 et a obtenu le Prix Louis-Delluc. J’ai pu le revoir en DVD ces jours derniers. Photographie : Ghislain Cloquet. Distribution : Anna Karina, Bulle Ogier, Mathieu Carrière, Roger Van Hool, Martine Sarcey, Pierre Vernier, Bobby Lapointe, Luce Garcia-Ville, Jean Bouise, Nella Bielski, Léonce Corne, Hugues Quester.

Jour de la Toussaint 1917. Profitant de son statut de ressortissant d’un pays neutre, Julien Eschenbach (Mathieu Carrière), jeune pianiste et critique musical luxembourgeois, exerce son métier à Paris alors que ses amis sont au front. Il reçoit un jour un télégramme de son ami Jacques Nueil (Roger van Hool), pilote de guerre français, qui l’invite pour le week-end à La Fougeraie, sa maison de famille à Bray. Le village est situé à l’arrière du front. Julien y est accueilli par une jeune servante mystérieuse (Anna Karina). Alors que son ami se fait attendre, Julien, intrigué par la jeune femme, plonge dans ses souvenirs…

André Delvaux n’utilise pas la convention de la voix-off. Il s’éloigne du texte de Julien Gracq. Il invente un passé à son héros. Ces scènes de bonheur et de gaieté contrastent fortement avec sa visite dans la maison des ombres. La peinture (Burne-Jones, Goya, les peintres flamands et surréalistes), la musique ( Intermezzi de Johannes Brahms, César Franck, Frédéric Devreese), le cinéma (Le Fantômas de Louis Feuillade et le cinéma muet, les ouvertures à l’iris, les allusions à la Nouvelle Vague) jouent un grand rôle dans ce film. Jeune étudiant au Conservatoire de Bruxelles, André Delvaux accompagnait au piano les classiques du muet à la Cinémathèque Royale de Belgique. On retrouve cette anecdote dans une belle scène du film. La narration balance constamment entre rêve et réalité.

https://www.editionsmontparnasse.fr/video/1KVvV7

Suite de http://www.lesvraisvoyageurs.com/2023/07/31/julien-gracq-francisco-de-goya/

Ramón Lobo

Ramón Lobo (Joan Cortadellas)

Le journaliste et écrivain Ramón Lobo est mort mercredi 2 août à Madrid d’un cancer du poumon. Il était né le 23 janvier 1955 à Lagunillas (Venezuela) d’un père espagnol et d’une mère anglaise (Maud Leyder). Il vivait en Espagne depuis 1960. Licencié en journalisme à l’Université Complutense de Madrid en 1975, il a travaillé pour de nombreux moyens de communication. Pendant deux décennies (1992-2012), il a couvert comme correspondant de guerre pour El País les principaux conflits : Croatie, Serbie Bosnie, Albanie, Tchétchénie, Irak, Afghanistan, Philippines, Liban, Sierra Leone, Zaïre, Rwanda, Ouganda, Nigeria, Guinée équatoriale, Zimbabwe, Namibie, Haïti, Argentine etc.

Oeuvres

El héroe inexistente. Los viajes de un corresponsal de guerra al corazón de las tinieblas del fin de siglo. Aguilar, 1999.
Isla África. Seix Barral, 2001.
Cuadernos de Kabul. Historias de mujeres, hombres y niños atrapados en una guerra. RBA, 2010.
El autoestopista de Grozni y otras historias de fútbol y guerra. KO, 2012.
Todos náufragos. Ediciones B, 2015.
El día que murió Kapuściński. Círculo de Tiza, 2019.
Las ciudades evanescentes. Miedos, soledades y pandemias en un mundo globalizado. Península, 2020.

Isla África a été traduit en français par Claude Bleton. Actes Sud, 2003.

Il a écrit un bel article dans El País après la mort d’Almudena Grandes le 27 novembre 2021. Des centaines de personnes se sont rendues lundi 29 novembre, comme il le proposait, un livre à la main, au cimetière civil de Madrid où la romancière Almudena Grandes a été enterrée.

El País, 29/11/2021

Ahora necesitaré una flor más (Ramón Lobo)

Almudena Grandes, fallecida el sábado a los 61 años de edad, será enterrada el lunes en el cementerio civil de Madrid de acuerdo con sus deseos. Estará en compañía de los seis creadores del Instituto de Libre Enseñanza encabezados por Francisco Giner de los Ríos, enterrados en el mismo lugar. Estará junto a Pío Baroja, que ahí yace gracias a su sobrino Julio Caro, encargado de hacer cumplir su voluntad frente a los intentos de la Falange por apropiarse del cuerpo. Le separará de Benito Pérez Galdós una calle con tráfico, pues el gran novelista del XIX quedó en el otro lado, en el de la Almudena.

La escritora tendrá buena compañía con tres de los cuatro presidentes de la efímera Primera República, Nicolás Salmerón, Francisco Pi y Margall y Estanislao Figueras, autor de una frase vigente en esta España de derechas extremadas y desmemoria histórica: “Señores, voy a serles franco, estoy hasta los cojones de todos nosotros”.

Reposará junto a prohombres y promujeres de la España derrotada, de la que tanto escribió, como el poeta Blas de Otero, la periodista Carmen de Burgos (Colombine), el urbanista Arturo Soria o el historiador Américo Castro.

También están Pablo Iglesias, fundador del PSOE y de la UGT, y los socialistas Francisco Largo Caballero y Julián Besteiro, además de la dirigente comunista Dolores Ibárruri y el fundador de CC OO, Marcelino Camacho.

Y está Ascensión Mendieta junto a su padre asesinado, al que buscó con ahínco toda la vida, desaparecido en una fosa común de Guadalajara que nadie quería abrir.

Este cementerio destinado a masones, ateos, suicidas y gente de mal vivir se inauguró en 1884, cuando el Gobierno decidió acabar con el monopolio de la Iglesia sobre los cementerios. Pese a que cobraba por muerto, la Iglesia no gastaba en mantener las instalaciones; también prometía tumbas perpetuas que revendía a la primera oportunidad.

En la municipalización de los camposantos hubo bronca. La Iglesia pedía cinco pesetas de entonces por adulto y 2,5 por infante. Como el Gobierno no cedió, el cardenal se negó a bendecir la nueva Almudena, hasta entonces llamada cementerio del Este o de las epidemias. Alfonso XII mandó a parte de su Gobierno a la inauguración de la parte civil tras el suicidio de una joven de 20 años llamada Maravilla Leal. Fue la tumba inaugural. Ante la firmeza del Ejecutivo, el primado cedió, firmó y bendijo (y cobró).

Cada vez que fallece un amigo o un conocido pido permiso a la familia para robar flores de las coronas. No les comunico el fin por si hubiera discrepancia. Deposito las flores sobre las tumbas de los descreídos, rojos y semirrojos. También honro a un facha: Vintila Horia, que cada vez que entraba en clase se dejaba la ideología en la puerta para permitir la presencia de un profesor brillante de Literatura Universal.

Así conocí a Nieves Concostrina tras la muerte de Forges. Es la mujer que más sabe de muertos en una España que recuerda mal. Mucha de la información que acaban de leer se la debo a ella. Ahora necesitaré una flor más, la de Almudena. Ojalá que su despedida sea como la de Saramago: miles de lectores con un libro extendido en la mano como símbolo de agradecimiento.

Cimetière civil de Madrid la Almudena. (Olmo Calvo)

Son ami Gervasio Sánchez lui avait fait ses adieux il y a quelques jours dans le journal de Saragosse Heraldo de Aragón.

https://www.heraldo.es/noticias/opinion/2023/07/29/ramon-lobo-periodista-gervasio-sanchez-1668571.html?utm_source=Twitter&utm_medium=social&utm_campaign=mobile_web

Rafael Alberti

Retrato de Rafael Alberti. (Gregorio Prieto) 1923. Valdepeñas (Ciudad Real) , Museo Gregorio Prieto.

Rafael Alberti est né le 16 décembre 1902 à El Puerto de Santa María (Cadix). Il est mort dans sa ville natale le 28 octobre 1999. Il fait partie de la génération de 1927. En 1917, sa famille s’installe à Madrid où son père est amené à travailler. Il doit s’éloigner avec regret de la baie de Cadix. Il se destine à la peinture, mais, à l’automne 1920, la maladie l’oblige à garder la chambre, puis à faire un séjour dans la Sierra de Guadarrama. Il découvre alors sa vocation poétique.  Il a 23 ans quand son premier recueil de poèmes, Marinero en tierra (Marin à terre), obtient le Prix national de Littérature. Dans le jury, figurent deux poètes : Antonio Machado et José Moreno Villa. Le montant du prix est de cinq mille pesetas. Une vraie fortune. Le recueil est publié à l’automne 1925 par la Biblioteca Nueva de Madrid. Juan Ramón Jiménez lui adresse une lettre enthousiaste le 31 mai 1925. (” Enhorabuena y gracias de su amigo y triple paisano: por tierra, mar y cielo del oeste andaluz, Juan Ramón. “) Il fréquente alors la Residencia de Estudiantes de Madrid et se lie d’amitié avec Federico García Lorca, Luis Buñuel, Pepín Bello et Salvador Dalí. Le premier cycle de sa poésie (Marinero en tierra, La amante, El alba del alhelí) se situe dans la tradition des recueils de chansons, mais sa position comme celle de Federico García Lorca, son ami et rival, est celle d’un poète d’avant-garde.

Sin título (Poniente). (Rafael Alberti). 1920. Madrid, Museo Nacional Centro de Arte Reina Sofía.

1

El mar. La mar.
El mar. ¡Sólo la mar!

¿Por qué me trajiste, padre,
a la ciudad?

¿Por qué me desenterraste
del mar?

En sueños, la marejada
me tira del corazón.
Se lo quisiera llevar.

Padre, ¿por qué me trajiste
acá?

Marinero en tierra, 1924.

1

La mer. La mer.
La mer. Rien que la mer !

Pourquoi m’avoir emmené, père,
à la ville ?

Pourquoi m’avoir arraché, père,
à la mer ?

La houle, dans mes songes,
me tire par le coeur
comme pour l’entraîner.

Ô père, pourquoi donc m’avoir
emmené ?

Marin à terre, L’Amante et L’aube de la giroflée. 1985. Poésie Gallimard n°474. 2012. Traduction Claude Couffon.

19

Desde alta mar

No quiero barca, corazón barquero,
quiero ir andando por la mar al puerto.

¡Qué dulce el agua salada
con su salitre hecho cielo!
¡No quiero sandalias, no!
Quiero ir descalzo, barquero

No quiero barca, corazón barquero,
quiero ir andando por la mar al puerto.

Marinero en tierra, 1924.

19

Haute mer

Pas de barque, mon coeur pilote :
je veux aller à pied sur la mer jusqu’au port.

Quelle douceur a l’eau salée
dont le salpêtre s’est fait ciel !
Pas de sandales, non, mon coeur !
Je veux aller pieds nus, pilote.

Pas de barque, mon coeur pilote :
je veux aller à pied sur la mer jusqu’au port.

Marin à terre, L’Amante et L’aube de la giroflée. 1985. Poésie Gallimard n°474. 2012. Traduction Claude Couffon.

21

Siempre que sueño las playas,
las sueño solas, mi vida.
…Acaso algún marinero…
quizás alguna velilla
de algún remoto velero…

Marinero en tierra, 1924.

21

Chaque fois que je rêve aux plages,
je les rêve seules, ma vie.
… Avec peut-être un matelot …
aussi peut-être un petit foc,
lointain, au-dessus d’une coque …

Marin à terre, L’Amante et L’aube de la giroflée. 1985. Poésie Gallimard n°474. 2012. Traduction Claude Couffon.

Sin título (Un sol de agrias notas). (Rafael Alberti). 1920. Madrid, Museo Nacional Centro de Arte Reina Sofía

31

A la sombra de una barca,
fuera de la mar, dormido.

Descalzo y el torso al aire.
Los hombros, contra la arena.

Y contra la arena el sueño,
a la sombra de una barca,
fuera de la mar, sin remos.

Marinero en tierra, 1924.

31

Á l’ombre d’une barque
hors de l’eau, endormi.

Pieds nus. Le torse au vent.
Épaules contre sable.

Contre sable, rêvant,
à l’ombre d’une barque,
hors de l’eau, et sans rames.

Marin à terre, L’Amante et L’aube de la giroflée. 1985. Poésie Gallimard n°474. 2012. Traduction Claude Couffon.

49

Murallas azules, olas,
del África, van y vienen.

Cuando van…
¡Ay, quién con ellas se fuera!

¡Ay, quién con ellas volviera!
Cuando vuelven…

Marinero en tierra, 1924.

49

Murailles bleues, les vagues,
d’Afrique, vont et viennent.

Quand elles vont…
Ah ! Qui ne les suivrait !

Ah ! Qui ne les suivrait !
Quand s’en reviennent…

Marin à terre, L’Amante et L’aube de la giroflée. 1985. Poésie Gallimard n°474. 2012. Traduction Claude Couffon.

60

Si yo nací campesino,
si yo nací marinero,
¿por qué me tenéis aquí,
si este aquí yo no lo quiero?

El mejor día, ciudad
a quien jamás he querido,
el mejor día -¡silencio! –
habré desaparecido.

Marinero en tierra, 1924.

60

Si je suis né homme des terres,
si je suis né homme de mer,
pourquoi me retenir ici,
si je n’aime pas cet ici ?

Mais un beau jour tu apprendras,
ville qui jamais ne m’as plu,
mais un beau jour tu apprendras
– silence ! – que j’ai disparu.

Marin à terre, L’Amante et L’aube de la giroflée. 1985. Poésie Gallimard n°474. 2012. Traduction Claude Couffon.

Julien Gracq – Francisco de Goya

Relecture de Julien Gracq après l’exposition à la BnF : Le Roi Cophetua in La Presqu’île, 1970. J’ai emprunté à la médiathèque le DVD Rendez-vous à Bray d’André Delvaux, film sorti en 1971 que je veux revoir. 90′. Photographie : Ghislain Cloquet. Distribution : Anna Karina, Bulle Ogier, Mathieu Carrière, Roger Van Hool, Martine Sarcey, Pierre Vernier, Bobby Lapointe, Jean Bouise, Nella Bielski…Prix Louis-Delluc 1971.

Mala noche (Francisco de Goya) (Caprichos n°36)

« La mala noche… Le mot me traversa l’esprit et y fit tout à coup un sillage éveillé. Dans la pénombre vacillante des bougies, les images y glissaient sans résistance ; brusquement le souvenir de la gravure de Goya se referma sur moi. Sur le fond opaque, couleur de mine de plomb, de la nuit de tempête qui les apporte, on y voit deux femmes : une forme noire, une forme blanche. Que se passe-t-il sur cette lande perdue, au fond de cette nuit sans lune : sabbat – enlèvement – infanticide ? Tout le côté clandestin, litigieux, du rendez-vous de nuit s’embusque dans les lourdes jupes ballonnées de voleuses d’enfants de la silhouette noire, dans son visage ombré, mongol et clos, aux lourdes paupières obliques. Mais la lumière de chaux vive qui découpe sur la nuit la silhouette blanche, le vent fou qui retrousse jusqu’aux reins le jupon clair sur des jambes parfaites, qui fait claquer le voile comme un drapeau et dessine en les encapuchonnant les contours d’une épaule, d’une tête charmante, sont tout entiers ceux du désir. Le visage enfoui, tourné du côté de la nuit, regarde quelque chose qu’on ne voit pas ; la posture est celle indifféremment de l’effroi, de la fascination ou de la stupeur. Il y a l’anonymat sauvage du désir, et il y a quelque tentation pire dans cette silhouette troussée et flagellée, où triomphe on ne sait quelle élégance perdue, dans ce vent brutal qui plaque la voile sur les yeux et la bouche et dénude les cuisses. » (Le Roi Cophetua in La Presqu’île. Julien Gracq, Oeuvres complètes II. Bibliothèque de la Pléiade, NRF, Gallimard. 1995. Pages 504 et 505.)

Notice Wikipédia :

L’eau-forte Mala Noche est une gravure de la série Los Caprichos (1799) de Francisco de Goya. Elle porte le numéro 36 dans la série des 80 gravures.

Interprétations

Il existe divers manuscrits contemporains qui expliquent les planches des Caprichos. Celui qui se trouve au Musée du Prado est considéré comme un autographe de Goya, mais semble plutôt chercher à dissimuler et à trouver un sens moralisateur qui masque le sens plus risqué pour l’auteur. Deux autres, celui qui appartient à Ayala et celui qui se trouve à la Bibliothèque nationale, soulignent la signification plus décapante des planches.

  • Explication de cette gravure dans le manuscrit du Musée du Prado :
    A estos trabajos se exponen las niñas pindongas, que no se quieren estar en casa.
    (A de tels déboires s’exposent les jeunes filles qui traînent dans les rues et qui ne veulent pas rester à la maison.)
  • Manuscrit de Ayala :
    Malo anda el negocio, cuando el viento y no el dinero levanta las sayas a las buenas mozas.
    (Le commerce marche mal quand c’est le vent et non l’argent qui lève les jupes des bonnes jeunes filles).
  • Manuscrit de la Bibliothèque nationale :
    Noche de viento recio, mala para las putas. (Nuit de vent impétueux, mauvais pour les putes).

L’estampe, qui provient de l’Album B, mesure 214 × 152 mm sur une feuille de papier de 306 × 201 mm. Goya a utilisé l’eau-forte et l’aquatinte.

Le second dessin préparatoire (1796-1797) est à la plume et à l’encre de noix de galle. En haut, il porte au crayon l’inscription 22. En bas, on trouve l’inscription : Viento / Si ay culpa en la escena la tiene / el trage (Vent. S’il y a un responsable pour la scène, c’est/le vêtement). À gauche de cette inscription, à la plume : XXXVI. Le second dessin préparatoire mesure 240 × 165 mm.

Mala noche. (Francisco de Goya). Dibujo nº81. Album B preparatorio. Capricho n°36.
Mala noche. (Francsco de Goya). Dibujo preparatorio. Capricho n° 36.

La description que le narrateur dans la nouvelle de Julien Gracq donne de la gravure est fidèle, mais son interprétation des personnages et de leurs attitudes renvoie au coeur du récit et en augmente l’ambiguïté. Jean-Louis Leutrat dans un article du Cahier de L’Herne (La Reine au jardin, L’Herne, 1972 ; réédition Le Livre de poche, page 376) suit la présence de la femme blanche dans l’oeuvre de l’auteur du Rivage des Syrtes. ” La scène de l’attente et de la rencontre d’une femme (vêtue de blanc) gouverne l’imagination de J.Gracq. ” (page 363). Il signale que le blanc est la couleur de la sensualité.

Julio Cortázar – Carlos Fuentes – Gabriel García Márquez – Mario Vargas Llosa – Milan Kundera

Las cartas del Boom (Julio Cortázar, Carlos Fuentes, Gabriel García Márquez Mario Vargas Llosa) 2023. Edición de Carlos Aguirre, Gerald Martin, Javier Munguía y Augusto Wong Campos. Alfaguara, juin 2023. 568 pages.

https://www.youtube.com/watch?v=fsPQ81CmFME

En août 1968, Julio Cortázar, Carlos Fuentes, Gabriel García Márquez y Mario Vargas Llosa et d’autres intellectuels espagnols et latino-américains signent une lettre de protestation contre l’invasion de Tchécoslovaquie par les troupes du Pacte de Varsovie.

Le Monde, 26 août 1968

Une protestation d’intellectuels espagnols et latino-américains de Paris

Des Intellectuels espagnols et latino – américains résidant à Paris ont adressé à l’Union des écrivains de l’U.R.S.S. un message dont nous extrayons le passage suivant :
” Les soussignés, écrivains et intellectuels espagnols et latino-américains, dont la position démocratique et anti – impérialiste est bien connue, condamnent énergiquement l’agression militaire du gouvernement soviétique et ses alliés du pacte de Varsovie contre le peuple et le gouvernement socialistes de Tchécoslovaquie.

” Ils considèrent cette intervention comme contraire aux principes de la morale internationale, au droit d’autodétermination des peuples, dans la mesure où elle renforce la position américaine au Vietnam, éloigne les espoirs d’un socialisme authentiquement démocratique et sème la division dans le camp des forces progressistes. (…) “

Le texte est signé par : Carlos Barrai, José Maria Castellet, Alfonso Carlos Comin, Julio Cortazar, Francisco Fernandez Santos, Carlos Fuentes, Juan Garcia Hortellano, Gabriel Garcia Marquez, Jaime Gil de Biedma, Angel Gonzalez, Juan Goytisolo, Luis Goytisolo, Jesus Lopez Pacheco, Ana Maria Matute, Jorge Semprun, José Angel Valente, Mario Vargas Llosa.

Bonnieux (Vaucluse), 15 août 1970. C’est la seule photo où apparaissent ensemble les 4 principaux écrivains du Boom. (Jordan Schnitzer Museum of Art, Université de l’Orégon.

En décembre 1968, Carlos Fuentes, Julio Cortázar et Gabriel García Márquez voyagent ensemble à Prague à l’invitation de l’Union des écrivains tchécoslovaques. Trois livres de Cortázar (El perseguidor y otros relatos, Rayuela, Historias de cronopios y de famas ) ainsi que deux romans de Fuentes (La región más transparente, La muerte de Artemio Cruz) ont déjà été traduits en tchèque. L’édition de Cien años de soledad de García Márquez est en préparation. La revue Listy, dirigée alors par Antonin Liehm (volume 2, n°6), publie le 13 février 1969 un entretien entre les trois écrivains et Petr Pujman : Literatura en América Latina Julio Cortázar Carlos Fuentes, et Gabriel García Márquez. (pages 479-484)

Carlos Fuentes El otro K. Prólogo de La vida está en otra parte (Barcelona, Seix Barral, 1979) y Vuelta (México, n°28, marzo de 1979)

« En diciembre de 1968, tres latinoamericanos friolentos descendimos de un tren en la terminal de Praga. Entre París y Múnich, Cortázar, García Márquez y yo habíamos hablado mucho de literatura policial y consumido cantidades heroicas de cerveza y salchicha. Al acercarnos a Praga, un silencio espectral nos invitó a compartirlo (…) Kundera nos dio cita en un baño de sauna a orillas del río para contarnos lo que había pasado en Praga. Parece que era uno de los pocos lugares sin orejas en los muros. »

Milan Kundera – Willem Frederik Hermans

Libération, 13 juillket 1923.

Milan Kundera, né le 1er avril 1929 à Brno (Moravie, alors en République tchécoslovaque), est mort à Paris le 11 juillet 2023. Il avait 94 ans. Je lisais régulièrement ses livres.

Il avait écrit dans Le Monde en 2007 une critique louangeuse du roman de Willem Frederik Hermans La chambre noire de Damoclès, publié en 1958 et traduit chez Gallimard en 2006.

J’ai emprunté un peu par hasard à la médiathèque La maison préservée (1952), traduit chez Gallimard en 2023.

Willem Frederik Hermans est né le 1 septembre 1921 à Amsterdam. Il appartient à la génération des « vijtifers » (ceux des années 50), ces jeunes auteurs néerlandais en révolte contre la prose et la poésie trop traditionnelles de écrivains des années 30, identifiés à la revue littéraire Forum. Il était caustique et pessimiste. Il dénonçait dans ses romans l’étroitesse de la vie intellectuelle des Pays-Bas. Titulaire d’un doctorat de géographie physique (1955), il fut professeur à l’université de Groningue. Il se brouilla avec ses collègues en évoquant de manière satirique la vie universitaire dans Onder professoren (1975). En 1973, il quitta les Pays-Bas pour s’installer à Paris. Il déménagea ensuite en Belgique. Il se tenait éloigné de la scène médiatique de son pays et repoussait tous les prix littéraires, sauf en 1977 celui de la littérature néerlandaise. Il critiquait les écrivains anglais, allemands et français qu’il appelait les ” Goliaths ” car ils prêtaient peu d’attention aux littératures des petits pays européens. Il se plaignait aussi des traducteurs. Après la première publication de La Chambre noire de Damoclès (Seuil, 1962), il refusa désormais d’autoriser la traduction en français de ses autres ouvrages. Il fit de même pour les traductions de ses livres en allemand. Il appréciait l’Afrique du Sud et eut des démêlés avec les autorités des Pays-Bas qui lui reprochèrent de passer outre aux consignes de boycottage du régime d’apartheid. Il est mort le 27 avril 1995 à Utrecht.

Traductions en français
La Chambre noire de Damoclès. Paris, Gallimard, collection Du monde entier, 2006, 484 p.
Ne plus jamais dormir, Paris, Gallimard, collection Du monde entier, 2009, 384 p.
La maison préservée, Paris, Gallimard, collection Du monde entier, 2023, 80 p.

Les trois livres ont été traduits par Daniel Cunin.

Willie Frederik Hermans Mention postérieure 1971 à La chambre noire de Damoclès. 1958. Gallimard, 2006.

« Je puis le chercher s’il n’est pas là, mais je ne puis le prendre s’il n’est pas là.
On serait tenté de dire : « Il faut alors qu’il soit aussi présent au moment que je le cherche. » – Il faut alors qu’il soit présent même si je ne le trouve pas, et même s’il n’existe absolument pas. » (Ludwig Wittgenstein)

Willem Frederik Hermans.

Le Monde, 25 janvier 2007

La poésie noire et l’ambiguïté (Milan Kundera)

L’histoire telle qu’elle est gardée dans la mémoire collective ressemble peu à ce que les gens ont vraiment vécu. A leur insu, ils finissent toujours par conformer leur souvenir du passé à ce qu’on en dit dans le présent. Puis, un jour, un romancier (un vrai romancier) redécouvre la vie concrète d’une période historique apparemment connue et tout apparaît différent. Cette divergence a toujours quelque chose de choquant. C’est pourquoi les grands romans situés pendant la dernière guerre d’Europe (et les jours qui l’ont suivie) ont été d’abord plutôt mal vus. Je pense à La Peau de Malaparte. Ou bien au Tworki de Marek Bienczyk sur lequel j’ai écrit ici même (Denoël, 2006). Et aujourd’hui à La Chambre noire de Damoclès, de Willem Frederik Hermans (Gallimard, “Du monde entier”, 484 p., 25 €). Je sais, vous n’en avez jamais entendu parler. Je serais d’ailleurs aussi ignorant que vous, si un ami néerlandais ne m’avait pas parlé de ce grand roman inconnu en me signalant qu’il a été édité chez Gallimard au printemps de 2006. Comment est-il possible que je n’en aie rien su ? La réponse est simple : dans toute la presse française, le livre n’a suscité alors aucun, mais aucun écho ; pas une seule ligne.

Je me plonge dans ce roman, d’abord intimidé par sa longueur, ensuite étonné de l’avoir lu d’un seul trait. Car ce roman est un thriller, un long enchaînement d’actions où le suspens ne fléchit pas. Les événements (qui se passent pendant la guerre et l’année suivante) sont décrits d’une façon exacte et sèche, détaillée mais rapide, ils sont terriblement réels et pourtant à la limite du vraisemblable. Cette esthétique m’a captivé ; un roman épris du réel et en même temps fasciné par l’improbable et l’étrange. Cela résulte-t-il de l’essence de la guerre qui nécessairement est riche en inattendu, en exorbitant, ou est-ce le signe de l’intention esthétique désirant sortir de l’ordinaire et toucher, pour reprendre le mot cher aux surréalistes, le merveilleux (“le réel merveilleux”, comme aurait dit Alejo Carpentier) ?

Cette unité du réel et du fantastique (où l’improbable n’est jamais impossible, où le réel n’est jamais ordinaire) est fondée sur le personnage principal, Osewoudt, un jeune homme qui fut un “prématuré de deux mois” que “sa mère a lâché dans le pot de chambre en même temps que ses selles”. Imberbe pour toujours, petit, ratant d’un demi-centimètre l’aptitude au service militaire, il fréquente un club de judo et refuse de renoncer à une vie virile. Dans les premiers jours de l’occupation allemande, il rencontre Dorbeck, un autre jeune homme qui a l’air d’être son sosie, sauf qu’il est d’une perfection sans faille (“Tu lui ressembles comme un pudding loupé ressemble à un puding réussi”, dit à Osewoudt sa très laide épouse). Subjugué par son double, Osewoudt se laisse engager par lui dans la Résistance. Fidèlement, il exécutera les ordres qui lui arrivent par téléphone, par la poste, par des envoyés inconnus ou, très rarement, que Dorbeck lui communique lui-même pendant leurs brèves rencontres.

La perspective est ainsi donnée : toute l’action est vue par les yeux d’un homme qui ne peut saisir la logique et les raisons de ce qu’il est obligé de faire, qui entre en contact avec des gens qui lui sont recommandés, mais dont il ne sait rien. Au cours d’infinies réflexions muettes, il s’évertue à comprendre ce qui se passe et à calmer sa peur d’être pris au piège. Car comment distinguer un résistant d’un espion, comment être sûr qu’un ordre est authentique et non pas un faux ? Tout son combat est un voyage dans l’obscurité où le sens des choses s’embrume.

Et où tout est ambigu : les assassinats qu’on lui ordonne de faire sont cruels ; il les commet en tremblant des mains, en claquant des dents, mais sans remords. Car il ne doute pas qu’il est juste de faire ce qu’on lui a ordonné de faire. Sa bonne conscience ne repose pas sur des raisons politiques ou idéologiques mais sur une conviction toute simple : “Je suis contre les Allemands parce que ce sont nos ennemis. Ils nous ont envahis et je me bats pour me défendre.” Mais la belle clarté de cette attitude ne pouvait rien changer à une fatale ambiguïté morale des situations qu’il traverse, des actes qu’il accomplit.

Une poésie noire ne quitte à aucun moment le monde d’Hermans : pour liquider un collabo de la Gestapo dans une villa abandonnée, Osewoudt est obligé de tuer d’abord deux femmes tout innocentes (si le mot “innocent” a sa place dans l’univers d’Hermans), c’est-à-dire son épouse, et une dame qui arrive dans la villa afin d’emmener à Amsterdam un petit garçon, le fils du collabo. Osewoudt a réussi à tenir le petit à l’écart du massacre mais ensuite, pour protéger sa propre sécurité, il doit s’occuper de lui. Il le conduit à la gare, reste avec lui dans le train, puis dans les rues d’Amsterdam ; l’enfant gâté plastronne dans une futile et interminable conversation à laquelle Osewoudt ne peut que participer. Voilà un exemple de cette poésie noire : la rencontre du triple meurtre et du babil d’un enfant exhibitionniste.

L’armée américaine approche et Dorbeck apporte à Osewoudt (qui ne le reverra plus) un uniforme d’infirmière afin d’assurer sa sécurité au cours des derniers jours de la guerre. Dans ce déguisement, il attire l’attention d’un officier allemand qui se met à le draguer. L’Allemand est homosexuel et Osewoudt lui apparaît comme la première femme désirable de sa vie… Mais assez, assez, je ne veux pas vous raconter tout ce roman si riche, si improbablement riche. Je ne dirai plus que l’essentiel : quand la liberté, tant attendue, arrive aux Pays-Bas avec les chars américains, l’atmosphère sombre du roman noircit encore. Osewoudt est arrêté par les libérateurs. Leur police secrète découvre en lui un espion. Il se défend : les longues semaines qu’il a dû endurer dans une prison allemande ne parlent-elles pas pour lui ? Non, au contraire : les Allemands ont voulu ainsi le cacher et le protéger. Il rappelle les assassinats admirablement cruels qu’il a perpétrés. Ne sont-ils pas la meilleure preuve de son innocence ? Non, personne ne croit qu’il les ait commis. Pendant des mois d’infinis interrogatoires, il cherche quelqu’un qui témoignerait en sa faveur. Vainement. Tous les témoins sont morts. Et Dorbeck ? Le seul à pouvoir le sauver. Avec insistance, il se réclame de lui. Mais les enquêteurs ne connaissent même pas ce nom. La défense d’Osewoudt reste sans preuves. Il est vrai que ses accusateurs, eux aussi, manquent de preuves, mais les soupçons des vainqueurs, même sans preuves, se métamorphosent vite en vérités.

La fatale ambiguïté morale a englouti la vie d’Osewoudt. Car c’est ainsi : tant que dure la bataille, cette diabolique ambiguïté est invisible aux gens obnubilés par la passion, mais après, quand vient le temps des verdicts et des châtiments, elle empoisonnera la vie des nations pour de longues années, comme la fumée après l’incendie, une fumée intarissable. Et Osewoudt ? Comment a-t-il fini ? Mal. On l’a fusillé.
Le livre refermé, j’aimerais bien en apprendre plus sur son auteur : quel était son itinéraire d’artiste ? Derrière sa poésie noire, y avait-il un penchant surréaliste ? Son anticonformisme avait-il des raisons politiques ? Et son rapport à sa patrie ? Etc. Je ne peux citer que quelques dates : né en 1921, il publie en 1958 La Chambre noire de Damoclès, quitte les Pays-Bas en 1973, vit vingt ans à Paris, qu’il abandonne pour la Belgique. Depuis sa mort, en 1995, les Néerlandais le célèbrent comme leur plus grand romancier moderne et, aujourd’hui, lentement, l’Europe commence à le connaître.

Je ne sais rien de plus sur lui. D’ailleurs, pour me réjouir de son roman, c’était inutile. Les oeuvres d’art sont talonnées par une meute agitée de commentaires, d’informations dont le tapage rend inaudible la propre voix d’un roman ou d’une poésie. J’ai refermé le livre d’Hermans avec un sentiment de gratitude envers mon ignorance ; elle m’a fait cadeau d’un silence grâce auquel j’ai écouté la voix de ce roman dans toute sa pureté, dans toute la beauté de l’inexpliqué, de l’inconnu.

Elecciones 23 J – Manuel Vicent

Photo : Robert Capa.

Jour d’élections en Espagne. Un bel article de Manuel Vicent dans El País.

Dado al siete (Manuel Vicent)

En las elecciones generales que se celebran hoy, nos jugamos a los dados el pasado o el futuro de España. Si de ellas sale que volvemos a la Edad Media, yo, como la escritora Clarice Lispector, dejo registrado que estaré del lado de las brujas. También seré partidario de los alquimistas, de los quiromantes y saltimbanquis; de los canteros que labraban capiteles románicos con un trenzado de reptiles; de los juglares que recitaban versos provenzales al pie de la almena donde permanecía cautiva una princesa; de los monjes que copiaban la metafísica de Aristóteles en códices de vitela, pero no de los clérigos que azotaban la espalda desnuda de los fieles cantando a coro el dies irae. A estos los dejo para quienes hayan votado a la caverna. Si en estas elecciones la extrema derecha me manda al siglo XVI me gustaría conocer al Lazarillo de Tormes y a la Celestina, pero no a los fanáticos racistas que expulsaron de España a los judíos y a los mahometanos. Si las urnas me obligan a recular hasta el siglo XVII estaré a favor de los herejes y en contra de las hogueras, en el bando de Cervantes y de Góngora y no en el de Quevedo y Lope de Vega.

Si gana el Partido Popular e impone su ley y me manda al siglo XVIII seré un afrancesado, amigo de la ilustración, pero no de la España negra que gritaba ¡vivan las cadenas!, ni de la miseria, el odio y la injusticia que nos llevó a la guerra civil. Por el contrario, si en estas elecciones por un milagro la izquierda vota masivamente y gana el futuro, mi país será siempre ese en el que se premia la inteligencia, la solidaridad, la libertad de expresión y mi bandera la que se iza en el podio de todas las canchas del mundo cuando ganan nuestros deportistas, Nadal, Alcaraz, Jon Rham y gente así y no esa misma enseña que llevan algunos en la pulsera y en correa del perro. Mi apuesta: la séptima cara del dado.

Madrid, Calle del Carmen. Élections du 16 février 1936.

Philippe Jaccottet

Philippe Jaccottet, décembre 1990 (Despatin et Gobeli).

Les larmes quelquefois montent aux yeux
comme d’une source,
elles sont la brume sur les lacs,
un trouble du jour intérieur,
une eau que la peine a salée.

La seule grâce à demander aux dieux lointains,
aux dieux muets, aveugles, détournés,
à ces fuyards,
ne serait-elle pas que toute larme répandue
sur le visage proche
dans l’invisible terre fît germer
un blé inépuisable ?

A la lumière d’hiver, Gallimard, 1977. NRF, Bibliothèque de la Pléiade, 2014. Page 579.

(Poème relu sur Twitter. Henri)

https://www.lesvraisvoyageurs.com/2021/02/25/philippe-jaccottet-2/

Collection Poésie/Gallimard (n° 277), Gallimard, 1994.