Un homme intègre (Mohammad Rasoulof)

Un homme intègre (Mohammad Rasoulof) 2017

Très bon film iranien vu hier soir à La Ferme du Buisson (Noisiel).

Filmographie de Mohammad Rasoulof

2002 The Twilight
2005 La Vie sur l’eau
2008 Baad-e-daboor (documentaire)
2009 The White Meadows
2011  Au revoir
2013 Les manuscrits ne brûlent pas
2017 Un homme intègre (Prix Un certain regard au Festival de Cannes)

En 2010, alors que Mohammad Rasoulof tournait en secret un film avec Jafar Panahi (Ours d’or à la Berlinale en 2015 pour Taxi Téhéran) sur le soulèvement postélectoral de 2009, il a été arrêté comme son partenaire et condamné à six ans d’emprisonnement pour rassemblement et connivence contre la sécurité nationale et pour propagande contre le régime. En appel, la peine a été réduite à un an de prison. Elle n’a jamais été exécutée, mais il doit subir encore des pressions constantes. Il y a quelques semaines, il s’est vu confisquer son passeport lors de son retour en Iran après un voyage aux Etats-Unis où il accompagnait son dernier film.

Résumé du film

Reza, installé à la campagne, dans le nord de l’Iran, avec sa femme, directrice d’école, et son fils, mène une vie retirée. Il se consacre à l’élevage de poissons rouges. Durant les fêtes du Nouvel An, ces poissons symbolisent la vitalité, la chance. Reza est endetté, sa maison hypothéquée.
Une compagnie privée a des visées sur son terrain et est prête à tout pour le contraindre à vendre.
La corruption prospère dans le pays sur la lâcheté, la résignation de tous. Pourra-t-il lutter contre elle et s’en sortir sans se salir les mains?

Très belles scènes: – le personnage principal se réfugie la nuit dans une grotte mystérieuse emplie d’eau chaude. Il y boit le vin de pastèque qu’il fabrique en secret.
– Reza entre dans son étang, hagard au milieu de ses poissons morts, symboles de sa ruine, pendant que planent au-dessus de cette scène de désastre les noirs corbeaux menaçants. Il a de l’eau jusqu’au cou.

Thèmes récurrents: – L’importance de l’école.
– La persécution des Iraniens qui ne sont pas musulmans (par exemple, zoroastrien, juif, sunnite ou membre d’une des nombreuses sectes).
– L’eau omniprésente dans le film.

Le réalisateur s’est engagé devant les autorités à réaliser un film optimiste, mais Reza pleure désespéré à la fin du film dans sa grotte. «Ils ont fini par m’accorder l’autorisation de tourner contre un papier sur lequel je m’engageais à faire un film optimiste, un film qui donne de l’espoir…J’estime que j’ai respecté mon engagement: il y a bien de l’espoir dans ce film.» souligne-t-il dans un interview à la Revue Positif n° 682 (décembre 2017)

Le metteur en scène parle de l’Iran, mais l’histoire qu’il raconte revêt une dimension universelle. On peut faire le rapprochement avec le film Baccalauréat (2016) du roumain Cristian Mungiu.

Il faut enfin souligner la simplicité de la narration et la complexité du tableau que brosse le réalisateur.

http://www.allocine.fr/video/player_gen_cmedia=19574593&cfilm=255513.html

Mouvement de contestation en Iran dans l’actualité

Une vingtaine de personnes sont mortes durant le mouvement de contestation qui a commencé le 28 décembre à Mashhad, deuxième ville du pays , dont 16 manifestants.

Un millier de personnes ont été arrêtées en six jours, selon des chiffres officiels, dont 450 à Téhéran.

Les Gardiens de la révolution ont proclamé la fin du mouvement, mercredi, et le calme est revenu à Téhéran et dans la plupart des villes du pays.

La République islamique d’Iran est un régime très répressif. D’après le rapport 2016-2017 d’Amnesty International, “les autorités ont imposé des restrictions sévères à la liberté d’expression, d’association, de réunion pacifique et de conviction religieuse”. Le pays figure au deuxième rang, après la Chine, du nombre d’exécutions capitales, avec une estimation de 567 condamnés à mort en 2016. Les femmes y sont victimes de discriminations et de violences.

La colère de la population gronde en fait depuis des années, selon Thierry Coville, chercheur à l’IRIS (Institut de relations internationales et stratégiques) et spécialiste de l’Iran. D’après lui, la première cause réside d’abord dans le chômage endémique, qui concerne 11,4% de la population active et jusqu’à 26,4% des 15-24 ans, d’après la Banque mondiale. Des chiffres sans doute sous-estimés, selon le chercheur.

Il pointe également la corruption: “Il y a un fort sentiment d’injustice, notamment vis-à-vis des entreprises parapubliques [contrôlées en partie par les Gardiens de la révolution] qui échappent totalement au contrôle du gouvernement en ne payant aucun impôt. De manière générale, la population iranienne considère que le système économique et politique ne sert qu’à privilégier certains groupes et dessert tout le pays”.

 

Albert Camus

Le 4 janvier 1960, mourait Albert Camus avec son ami Michel Gallimard dans un accident de voiture sur la Nationale 6, au lieu-dit Le Petit-Villeblevin, dans l’Yonne.
J’ai relu ces jours-ci La Chute, son roman le plus singulier, qui se passe à Amsterdam.

Aharon Appelfeld

Le romancier israélien Aharon Appelfeld est mort le 4 janvier 2018 à l’âge de 85 ans.

Il était né en 1932 à Jadova, près de Czernowitz en Bucovine (aujourd’hui Tchernivtsi, en Ukraine) dans une famillle aisée. Compatriote du poète Paul Celan (1920-1970) qu’il rencontrera plus tard.

Sa mère fut assassinée en 1940. Il entendait encore, disait-il, la détonation du coup de feu qui la tua.

Il connut le ghetto, puis la séparation d’avec son père (qu’il ne reverra qu’en 1957) et la déportation dans un camp à la frontière ukrainienne, en Transnistrie, en 1941. Il parvint à s’évader à l’automne 1942 et se cacha dans les forêts pendant plusieurs mois. Il trouva refuge pour l’hiver chez des paysans qui lui donnèrent un abri et de la nourriture contre du travail, mais fut obligé de cacher qu’il était juif. Il fut ensuite recueilli par l’Armée rouge. Il traversa l’Europe pendant des mois avec un groupe d’adolescents orphelins, arriva en Italie et, grâce à une association juive, s’embarqua clandestinement pour la Palestine où il arriva en 1946.

Il commença à écrire dans les années 60.

L’écriture me rend à moi-même, et me rend mon père, ma mère, et la première maison où j’ai vu le jour. C’est presque toujours de cette maison que je pars vers mes voyages imaginaires. Franchir le seuil de ce lieu qui n’existe plus me procure la stabilité nécessaire, et l’assurance que mon entreprise sera fructueuse.
J’avoue : l’écriture ne me pousse pas à écrire sur mon quotidien, mes liens sociaux ou politiques. Je pars à la recherche d’une musique qui me conduira vers les visions de mon enfance qui me purifient, et me permettent de prendre conscience d’autres pans de ma vie. La musique est mon guide.” (La musique des mots simples, publié dans Le Monde, 13/03/2018).

Il se définissait comme “un écrivain juif” en Israël.

Il fut l’ami de Philip Roth et apparaît dans le roman de celui-ci: Opération Shylock : Une confession, 1993.
Voir aussi l’entretien de Philip Roth avec Aharon Appelfeld dans Parlons travail, Gallimard, 2006. “Appelfeld est l’écrivain déplacé d’une fiction déplacée qui a fait du déplacement et de la désorientation un sujet qui lui est propre.

Romans à lire absolument (très bien traduits par Valérie Zenatti):
Histoire d’une vie, 1999 (publié aux éditions de l’Olivier en 2004. Prix Médicis étranger)
Les partisans, 2015 (Editions de l’Olivier).

Paris Librairie Les Cahiers de Colette. 23 Rue Rambuteau, 75004 Paris.

Le voyage (Charles Baudelaire)

                           À Maxime Du Camp

I

Pour l’enfant, amoureux de cartes et d’estampes,
L’univers est égal à son vaste appétit.
Ah ! que le monde est grand à la clarté des lampes !
Aux yeux du souvenir que le monde est petit !

Un matin nous partons, le cerveau plein de flamme,
Le coeur gros de rancune et de désirs amers,
Et nous allons, suivant le rythme de la lame,
Berçant notre infini sur le fini des mers :

Les uns, joyeux de fuir une patrie infâme ;
D’autres, l’horreur de leurs berceaux, et quelques-uns,
Astrologues noyés dans les yeux d’une femme,
La Circé tyrannique aux dangereux parfums.

Pour n’être pas changés en bêtes, ils s’enivrent
D’espace et de lumière et de cieux embrasés ;
La glace qui les mord, les soleils qui les cuivrent,
Effacent lentement la marque des baisers.

Mais les vrais voyageurs sont ceux-là seuls qui partent
Pour partir ; coeurs légers, semblables aux ballons,
De leur fatalité jamais ils ne s’écartent,
Et sans savoir pourquoi, disent toujours : Allons !

Ceux-là, dont les désirs ont la forme des nues,
Et qui rêvent, ainsi qu’un conscrit le canon,
De vastes voluptés, changeantes, inconnues,
Et dont l’esprit humain n’a jamais su le nom !