Le grand poète espagnol Antonio Machado est né le 26 juillet 1875 à Séville. Il quitte l’Andalousie avec ses parents le 8 septembre 1883. Il a été formé à Madrid à partir de 1883 par l’Institution libre d’enseignement (La Institución Libre de Enseñanza), célèbre tentative pédagogique moderne et laïque qui a profondément marqué l’Espagne de la fin du XIX ème siècle et du début du XX ème. En 1907, Antonio Machado obtient une place de professeur de français à Soria. Il y rencontre Leonor Izquierdo Cuevas, avec laquelle il se marie le 30 juillet 1909. Il a 34 ans, Leonor 15 seulement. Elle meurt de tuberculose le 1 août 1912. Très affecté, le poète quitte Soria pour ne jamais y retourner. Il obtient sa mutation à Baeza, dans la province de Jaén (Andalousie), où il reste jusqu’en 1919. Entre 1919 et 1932, il est professeur de français à Ségovie, près de Madrid. En 1931, avec ses amis progressistes il proclame la République dans cette ville de Castille et hisse le drapeau républicain sur l’hôtel de ville au son de La Marseillaise. Á partir de 1932, il réside à Madrid. Lorsqu’éclate la Guerre civile en juillet 1936, Antonio Machado est à Madrid. Il met sa plume au service de la République. Il écrit un poème qui évoque l’exécution de Federico Garcia Lorca (El crimen fue en Granada). En novembre 1936, il est évacué avec sa mère, Ana Ruiz, et deux de ses frères, Joaquin et José, à Valence, puis en 1938 à Barcelone. Le 22 janvier 1939, ils sont contraints de fuir vers la France. Arrivé à Collioure, à quelques kilomètres de la frontière, Antonio Machado meurt épuisé le 22 février 1939, trois jours avant sa mère. Il est enterré à Collioure, tandis que la tombe de Leonor se trouve à Soria (Cementerio del Espino).
Gerardo Diego disait d’Antonio Machado : « Hablaba en verso y vivía en poesía »
CXXVII. Otro viaje
Ya en los campos de Jaén,
amanece. Corre el tren
por sus brillantes rieles,
devorando matorrales,
alcaceles,
terraplenes, pedregales,
olivares, caseríos,
praderas y cardizales,
montes y valles sombríos.
Tras la turbia ventanilla,
pasa la devanadera
del campo de primavera.
La luz en el techo brilla
de mi vagón de tercera.
Entre nubarrones blancos,
oro y grana;
la niebla de la mañana
huyendo por los barrancos.
¡Este insomne sueño mío!
¡Este frío
de un amanecer en vela!…
Resonante,
jadeante,
marcha el tren. El campo vuela.
Enfrente de mí, un señor
sobre su manta dormido;
un fraile y un cazador
—el perro a sus pies tendido—.
Yo contemplo mi equipaje,
mi viejo saco de cuero;
y recuerdo otro viaje
hacia las tierras del Duero.
Otro viaje de ayer
por la tierra castellana
—¡pinos del amanecer
entre Almazán y Quintana!—
¡Y alegría
de un viajar en compañía!
¡Y la unión
que ha roto la muerte un día!
¡Mano fría
que aprietas mi corazón!
Tren, camina, silba, humea,
acarrea
tu ejército de vagones,
ajetrea
maletas y corazones.
Soledad,
sequedad.
Tan pobre me estoy quedando
que ya ni siquiera estoy
conmigo, ni sé si voy
conmigo a solas viajando.
Campos de Castilla, 1912.
CXXVII Autre voyage
Sur les campagnes de Jaén,
voici que le soleil se lève.
Le train sur ses rails
brillants s’élance,
dévorant des buissons,
des champs d’orge,
des terre-pleins, des pierres,
des oliveraies et des fermes,
des prés et des chardons,
des monts et de sombres vallons.
Par-delà la trouble fenêtre
passe l’écheveau
de la campagne du printemps.
La lumière brille au plafond
de mon wagon de troisième.
Entre de gros nuages blancs,
l’or et la pourpre ;
le brouillard du matin
fuyant dans les ravins.
Oh ! sommeil d’insomnie,
oh ! le froid
du matin, dans l’éveil !…
Résonnant,
haletant,
va le train. La campagne vole.
En face de moi, un monsieur
sur sa couverture endormi ;
un moine et un chasseur
– son chien étendu à ses pieds. –
Moi, je contemple mon bagage,
mon vieux sac de cuir ;
et je me souviens d’un autre voyage
vers les terres du Douro.
Un autre voyage d’hier
en terre de Castille
– oh ! Les pins de l’aurore
entre Almazán et Quintana ! –
Et la joie
de voyager en compagnie !
Et l’union
que la mort un jour a brisée !
Oh ! main froide qui serre
mon coeur !
Chemine, train,
siffle, fume,
transporte,
ton armée de wagons,
bourlinguant
valises et coeurs.
Oh ! Solitude,
sécheresse.
Me voici pauvre, si pauvre,
que je ne suis même plus
avec moi, ni ne sais si je suis
avec moi tout seul voyageant.
Champs de Castille précédé de Solitudes, Galeries et autres poèmes et suivi des Poésies de la guerre. 2004. Traduction de Sylvie Léger et Bernard Sesé. NRF Poésie/ Gallimard n°144.