Pablo Neruda est né le 12 juillet 1904 à Parral (province de Linares, région du Maule). Il perd sa mère qui meurt de tuberculose le 14 septembre 1904. Son père, José del Carmen Reyes Morales (1872-1938), employé des chemins de fer chiliens, déménage en 1905 avec son fils à Temuco, petite ville de la province de Cautín, region d’ Araucanie. Il se remarie en 1906 avec Trinidad Candia Marverde, la « mamadre » (1869-1938).
Le premier apprentissage du poète c’est la nature de l’Araucanie. La pluie est omniprésente. Elle peut être dangereuse mais a aussi un grand pouvoir poétique.
«Mi infancia son zapatos mojados, troncos rotos
caídos en la selva, devorados por lianas
y escarabajos, dulces días sobre la avena,
y la barba dorada de mi padre saliendo
hacia la majestad de los ferrocarriles. »
(Canto general, 1950)
«J’eus pour enfance des souliers mouillés, des troncs brisés
tombés dans la forêt, dévorés par les lianes
et les scarabées, j’eus des journées douces sur l’avoine
et la barbe dorée de mon père partant
pour la majesté des chemins de fer. »
(Chant général, 1977. Traduction de Claude Couffon)
Il l’évoque aussi dans ce poème sur l’Île de Pâques.
XIV El gran océano
VII. La lluvia (Rapa Nui)
No, que la reina no reconozca
tu rostro, es más dulce
así, amor mío, lejos de las efigies, el peso
de tu cabellera en mis manos, recuerdas
el árbol de Mangareva cuyas flores caían
sobre tu pelo? Estos dedos no se parecen
a los pétalos blancos: míralos, son como raíces,
son como tallos de piedra sobre los que resbala
el lagarto. No temas, esperemos que caiga la lluvia, desnudos,
la lluvia, la misma que cae sobre Manu Tara.
Pero así como el agua endurece sus rasgos en la piedra,
sobre nosotros cae llevándonos suavemente
hacia la oscuridad, más abajo del agujero
de Ranu Raraku. Por eso
que no te divise el pescador ni el cántaro. Sepulta
tus pechos de quemadura gemela en mi boca,
y que tu cabellera sea una pequeña noche mía,
una oscuridad cuyo perfume mojado me cubre.
De noche sueño que tú y yo somos dos plantas
que se elevaron juntas, con raíces enredadas,
y que tú conoces la tierra y la lluvia como mi boca,
porque de tierra y de lluvia estamos hechos. A veces
pienso que con la muerte dormiremos abajo,
en la profundidad de los pies de la efigie, mirando
el Océano que nos trajo a construir y a amar.
Mis manos no eran férreas cuando te conocieron, las aguas
de otro mar las pasaban como a una red; ahora
agua y piedras sostienen semillas y secretos.
Ámame dormida y desnuda, que en la orilla
eres como la isla: tu amor confuso, tu amor
asombrado, escondido en la cavidad de los sueños,
es como el movimiento del mar que nos rodea.
Y cuando yo también vaya durmiéndome en tu amor, desnudo,
deja mi mano entre tus pechos para que palpite
al mismo tiempo que tus pezones mojados en la lluvia.
Canto general, 1950.
XIV. Le grand océan
VII . La pluie (Rapa Nui)
Non, que la reine n’identifie pas
ton visage il est plus doux
ainsi, mon amour, loin des effigies, le poids
de ta chevelure dans mes mains, te souviens-tu
de l’arbre de Mangareva, avec ses fleurs tombant
sur tes cheveux ? Ces doigts que tu vois ne ressemblent pas
aux blancs pétales : regarde-les ils sont pareils à des racines,
pareils à des tiges de pierre sur lesquelles le lézard glisse.
Ne t’effraie pas, attendons nus que la pluie tombe,
la pluie, la même pluie qui tombe sur Manu Tara.
Mais l’eau, de même qu’elle durcit ses traits sur la pierre,
tombe sur nous et tout doucement nous entraîne
vers la nuit, plus bas que la fosse
de Ranu Raraku : il ne faut pas
que le pêcheur ou que la jarre t’aperçoivent. Enfouis
tes seins de brûlures jumelles dans ma bouche
et que ta chevelure soit pour moi nuit miniature,
obscurité me recouvrant de son parfum mouillé.
La nuit je rêve que nous sommes toi et moi
deux plantes qui, leurs racines mêlées, grandirent ensemble,
et que tu connais la terre et la pluie comme ma bouche,
puisque nous sommes faits de terre et pluie. Il m’arrive
de penser que la mort venue nous dormirons
dans la profondeur des pieds de l’image, regardant
l’Océan qui nous a poussés à construire, à aimer.
Mes mains quand elle te connurent n’étaient pas
de fer. Les eaux
d’une autre mer les traversaient comme un filet ; et maintenant
eau et pierres soutiennent graines et secrets.
Aime-moi nue et endormie, car sur la rive
tu es pareille à l’île : ton amour confus,
surpris, ton amour caché dans le creux des rêves,
ressemble au mouvement marin qui nous entoure.
Et lorsque je m’endormirai, nu, à mon tour,
dans ton amour,
laisse ma main entre tes seins : qu’elle palpite
en même temps que leurs bourgeons mouillés de pluie.
Chant général. Éditions Gallimard, 1977. Traduction : Claude Couffon. NRF Poésie/Gallimard n°182.