Promenade dans Paris samedi. L’Hommage à Saint-John Perse est l’une des rares oeuvres d’art contemporain présente dans le Jardin des Plantes. En 1985, le sculpteur Patrice Alexandre (né en 1951) reçoit la commande du ministère de la Culture pour honorer la mémoire de Saint-John Perse (Alexis Léger 1887-1975), prix Nobel de littérature en 1960. Il imagine trois plaques de bronze patiné, gravées de trois versions différentes du poème Nocturne, un des derniers poèmes de l’auteur (1972): reproduction de l’écriture manuscrite de l’auteur, ratures, annotations, brouillons, tapuscrit sur 2,7 mètres de haut et 1,26 mètres de large. L’oeuvre a été réalisée en 1989. La sculpture se compose de monolithes plantés dans le sol. En faisant plus attention, le motif de la feuille d’arbre se dégage. Au verso, on remarque un réseau de nervures.
Nocturne (Saint-John Perse)
Les voici mûrs, ces fruits d’un ombrageux destin. De notre songe issus, de notre sang nourris, et qui hantaient la pourpre de nos nuits, ils sont les fruits du long souci, ils sont les fruits du long désir, ils furent nos plus secrets complices et, souvent proches de l’aveu, nous tiraient à leurs fins hors de l’abîme de nos nuits … Au feu du jour toute faveur ! les voici mûrs et sous la pourpre, ces fruits d’un impérieux destin. – Nous n’y trouvons point notre gré.
Soleil de l’être, trahison ! Où fut la fraude, où fut l’offense ? où fut la faute et fut la tare, et l’erreur quelle est-elle ? Reprendrons-nous le thème à sa naissance ? Revivrons-nous la fièvre et le tourment ?… Majesté de la rose, nous ne sommes point de tes fervents : à plus amer va notre sang, à plus sévère vont nos soins, nos routes sont peu sûres, et la nuit est profonde où s’arrachent nos dieux. Roses canines et ronces noires peuplent pour nous les rives du naufrage.
Les voici mûrissant, ces fruits d’une autre rive. ” Soleil de l’être, couvre-moi ! ” – parole du transfuge. Et ceux qui l’auront vu passer diront : qui fut cet homme, et quelle, sa demeure ? Allait-il seul au feu du jour montrer la pourpre de ses nuits ?… Soleil de l’être, Prince et Maître ! nos oeuvres sont éparses, nos tâches sans honneur et nos blés sans moisson : la lieuse de gerbes attend au bas du soir. – Les voici teints de notre sang, ces fruits d’un orageux destin.
À son pas de lieuse de gerbes s’en va la vie sans haine ni rançon.
1972.
Première publication dans La Nouvelle Revue Française n°241, janvier 1973.
Chant pour un équinoxe. Gallimard, 1975.