Hommage au poète et traducteur suisse, décédé le 24 février 2021 à 95 ans.
Il est né le 30 juin 1925 à Moudon, petite ville du canton de Vaud, en Suisse romande. Il vivait à Grignan dans la Drôme depuis 1953 avec sa femme peintre, Anne-Marie Haesler. Il a traduit Goethe, Friedrich Hölderlin (Hypérion), Giacomo Leopardi (Canti), Robert Musil (L’Homme sans qualités) , Rainer Maria Rilke (Elégies de Duino) , Thomas Mann (La Mort à Venise), Ingeborg Bachmann (Malina) Giuseppe Ungaretti (Vie d’un homme, Poésie 1914-1970), Carlo Cassola (La Coupe de bois), Luis de Góngora (Les solitudes), Ossip Mandelstam (Simple promesse) mais aussi l’Odyssée d’Homère en vers de quatorze syllabes. Il a consacré beaucoup de d’énergie à la traduction, cette « transaction secrète ». Il a reçu le Grand Prix national de traduction en 1987.
On peut se reporter à ses Œuvres publiées dans la Pléiade de son vivant en 2014.
L’ignorant apparaît sur ce blog le 12 janvier 2019. Il faut aussi relire Que la fin nous illumine.
L’ignorant
Plus je vieillis et plus je croîs en ignorance,
plus j’ai vécu, moins je possède et moins je règne.
Tout ce que j’ai, c’est un espace tour à tour
enneigé ou brillant, mais jamais habité.
Où est le donateur, le guide, le gardien ?
Je me tiens dans ma chambre et d’abord je me tais
(le silence entre en serviteur mettre un peu d’ordre),
et j’attends qu’un à un les mensonges s’écartent :
que reste-t-il ? que reste-t-il à ce mourant
qui l’empêche si bien de mourir ? Quelle force
le fait encor parler entre ses quatre murs ?
Pourrais-je le savoir, moi l’ignare et l’inquiet ?
Mais je l’entends vraiment qui parle, et sa parole
pénètre avec le jour, encore que bien vague :
«Comme le feu, l’amour n’établit sa clarté
que sur la faute et la beauté des bois en cendres… »
L’ignorant, poèmes 1952-1956. Éditions Gallimard, 1957.
Que la fin nous illumine
Sombre ennemi qui nous combats et nous resserres,
laisse-moi, dans le peu de jours que je détiens,
vouer ma faiblesse et ma force à la lumière :
et que je sois changé en éclair à la fin.
Moins il y a d’avidité et de faconde
en nos propos, mieux on les néglige pour voir
jusque dans leur hésitation briller le monde
entre le matin ivre et la légèreté du soir.
Moins nos larmes apparaîtront brouillant nos yeux
et nos personnes par la crainte garrottées,
plus les regards iront s’éclaircissant et mieux
les égarés verront les portes enterrées.
L’effacement soit ma façon de resplendir,
la pauvreté surcharge de fruits notre table,
la mort, prochaine ou vague selon son désir,
soit l’aliment de la lumière inépuisable.
L’ignorant, poèmes 1952-1956. Éditions Gallimard, 1957.
Philippe Jaccottet : “La certitude est la chose au monde qui m’est la plus étrangère”
On peut réécouter cette émission de France Culture du 21 février 2014.
https://www.franceculture.fr/emissions/du-jour-au-lendemain/philippe-jaccottet
Merci à l’ange du blog qui m’annonce comme il se doit que je viens de perdre cet ignorant, j’aurais choisi le même poème que lui.
Patricia Colomb
Merci Patricia C. pour votre commentaire bienveillant.