Inspirations méditerranéennes est le titre d’une conférence que fit Paul Valéry à l’Université des Annales le 24 novembre 1933. Elle fut publiée dans Conférencia le 15 février 1934 et reprise dans Variété III en 1936. Jean Grenier reprit le titre, avec son accord, pour un recueil d’essais publié chez Gallimard en 1941. On retrouve les caractéristiques de cet essai chez Jean Grenier et son élève, du Lycée d’Alger, Albert Camus. Voir Noces (1938) et L’Été (1954).
Paul Valéry insiste particulièrement sur la sensualité de la nage.
Paul Valéry. Variété. Essais quasi politiques. Œuvres. Tome I. Bibliothèque de la Pléiade. NRF. p. 1090.
« Je m’accuse devant vous d’avoir connu une véritable folie de lumière, combinée avec la folie de l’eau.
Mon jeu, mon seul jeu, était le jeu le plus pur : la nage. J’en ai fait une manière de poème, un poème que j’appelle involontaire, car il n’a pas été jusqu’à se former et à s’achever en vers. Mon intention quand je l’ai fait, n’était pas chanter l’état de nage, mais de le décrire, – ce qui est fort différent, – et il n’a effleuré la forme poétique que parce que le sujet par lui-même, la nage toute seule, se soutient et se meut en pleine poésie.»
Tel Quel II. Autres Rhumbs. Œuvres. Tome II. Bibliothèque de la Pléiade. p. 667.
NAGE
“Il me semble que je me retrouve et me reconnaisse quand je reviens à cette eau universelle. Je ne connais rien aux moissons, aux vendanges. Rien pour moi dans les Géorgiques.
Mais se jeter dans la masse et le mouvement, agir jusqu’aux extrêmes, et de la nuque aux orteils; se retourner dans cette pure et profonde substance; boire et souffler la divine amertume, c’est pour mon être le jeu comparable à l’amour, l’action où tout mon corps se fait tout signes et tout forces, comme une main qui s’ouvre et se ferme, parle et agit. Ici, tout le corps se donne, se reprend, se conçoit, se dépense et veut épuiser ses possibles. Il la brasse, il la veut saisir, étreindre, il devient fou de vie et de sa libre mobilité il l’aime, il la possède, il engendre avec elle mille étranges idées. Par elle, je suis l’homme que je veux être. Mon corps devient l’instrument direct de l’esprit, et cependant l’auteur de toutes ses idées. Tout s’éclaire pour moi. Je comprends à l’extrême ce que l’amour pourrait être. Excès du réel! Les caresses sont connaissance. Les actes de l’amant seraient les modèles des oeuvres…
Donc, nage! Donne de la tête dans cette onde qui roule vers toi, avec toi, se rompt et te roule!
Pendant quelques instants, j’ai cru que je ne pourrais jamais ressortir de la mer. Elle me rejetait, reprenait dans son repli irrésistible. Le retrait de la vague roulait le sable avec moi. J’avais beau plonger mes bras dans ce sable, il descendait avec tout mon corps. Comme je luttais encore un peu, une vague beaucoup plus forte vint, qui me jeta comme une épave au bord de la région critique.
Je marche enfin sur l’immense plage, frissonnant et buvant le vent. C’est un coup de S.W. qui prend les vagues par le travers, les frise, les froisse, les couvre d’écailles, les charge d’un réseau d’ondes secondaires qu’elles transportent de l’horizon jusqu’à la barre de rupture et d’écume.
Homme heureux aux pieds nus, je marche ivre de marche sur le miroir sans cesse repoli par le flot infiniment mince.»
Jean Grenier, Inspirations méditerranéennes. 1941. Ouvrage republié dans la collection L’imaginaire n°384 en 1998.
«Il existe je ne sais quel composé de ciel, de terre et d’eau, variable avec chacun, qui fait notre climat. En approchant de lui, le pas devient moins lourd, le cœur s’épanouit. Il semble que la Nature silencieuse se mette tout d’un coup à chanter. Nous reconnaissons les choses. On parle du coup de foudre des amants, il est des paysages qui donnent des battements de cœur, des angoisses délicieuses, de longues voluptés. Il est des amitiés avec les pierres des quais, le clapotis de l’eau, la tiédeur des labours, les nuages du couchant.
Pour moi, ces paysages furent ceux de la Méditerranée.»