Un roi sans divertissement. Gallimard. 1948. Incipit.
«Frédéric a la scierie sur la route d’Avers . Il y succède à son père, à son grand-père, à son arrière grand-père, à tous les Frédéric.
C’est juste au virage, dans l’épingle à cheveux , au bord de la route. Il y a là un hêtre ; je suis bien persuadé qu’il n’en existe pas de plus beau : c’est l’Apollon-citharède des hêtres. Il n’est pas possible qu’il y ait, dans un autre hêtre, où qu’il soit, une peau plus lisse, de couleur plus belle, une carrure plus exacte, des proportions plus justes, plus de noblesse, de grâce et d’éternelle jeunesse : Apollon exactement, c’est ce qu’on se dit dès qu’on le voit et c’est ce qu’on se redit inlassablement quand on le regarde. Le plus extraordinaire est qu’il puisse être si beau et rester si simple. Il est hors de doute qu’il se connaît et qu’il se juge. Comment tant de justice pourrait-elle être inconsciente ? Quand il suffit d’un frisson de bise, d’une mauvaise utilisation de la lumière du soir, d’un porte-à-faux dans l’inclinaison des feuilles pour que la beauté, renversée, ne soit plus du tout étonnante.»