Après le succès de Salammbô (1862), Gustave Flaubert écrit un roman d’amour qui a pour cadre la monarchie de Juillet et la IIe République. L’Éducation sentimentale, dont le sous-titre est Histoire d’un jeune homme, est le récit de l’échec d’une génération, celle de l’auteur. «Je veux faire l’histoire morale des hommes de ma génération; sentimentale serait plus vrai. C’est un livre d’amour, de passion; mais de passion telle qu’elle peut exister maintenant, c’est-à-dire inactive.», dit Gustave Flaubert dans une lettre à Mlle Leroyer de Chantepie, le 6 octobre 1864. Il commence le roman en septembre 1864 et l’ achève le 16 mai 1869, après 56 mois de rédaction et 4 000 pages de notes et de brouillons. Le livre est publié le 17 novembre 1869 chez Michel Lévy frères. La critique est négative. Seuls Théodore de Banville, Émile Zola et George Sand le défendent. Ce roman d’apprentissage est le fruit de trois essais de jeunesse de Flaubert: Mémoires d’un fou (1838), Novembre (1842) et la première Éducation sentimentale (1843-45) .
Incipit:
« Le 15 septembre 1840, vers six heures du matin, la Ville-de-Montereau, près de partir, fumait à gros tourbillons devant le quai Saint-Bernard.
Des gens arrivaient hors d’haleine ; des barriques, des câbles, des corbeilles de linge gênaient la circulation; les matelots ne répondaient à personne; on se heurtait; les colis montaient entre les deux tambours, et le tapage s’absorbait dans le bruissement de la vapeur, qui, s’échappant par des plaques de tôle, enveloppait tout d’une nuée blanchâtre, tandis que la cloche, à l’avant, tintait sans discontinuer.
Enfin le navire partit; et les deux berges, peuplées de magasins, de chantiers et d’usines, filèrent comme deux larges rubans que l’on déroule.
Un jeune homme de dix-huit ans, à longs cheveux et qui tenait un album sous son bras, restait auprès du gouvernail, immobile. À travers le brouillard, il contemplait des clochers, des édifices dont il ne savait pas les noms; puis il embrassa, dans un dernier coup d’œil, l’île Saint-Louis, la Cité, Notre-Dame; et bientôt, Paris disparaissant, il poussa un grand soupir.
M. Frédéric Moreau, nouvellement reçu bachelier, s’en retournait à Nogent-sur-Seine, où il devait languir pendant deux mois, avant d’aller faire son droit. Sa mère, avec la somme indispensable, l’avait envoyé au Havre voir un oncle, dont elle espérait, pour lui, l’héritage; il en était revenu la veille seulement; et il se dédommageait de ne pouvoir séjourner dans la capitale, en regagnant sa province par la route la plus longue.»