Réveil
Je
dors toujours les fenêtres ouvertes
J’ai dormi comme un homme
seul
Les sirènes à vapeur et à air comprimé ne m’ont pas
trop réveillé
Ce matin je me penche par la fenêtre
Je
vois
Le ciel
La mer
La gare maritime par
laquelle j’arrivais de New-York en 1911
La baraque du
pilotage
Et
A gauche
Des fumées des cheminées des
grues des lampes à arc à contre-jour
Le premier tram grelotte
dans l’aube glaciale
Moi j’ai trop chaud
Adieu
Paris
Bonjour
soleil
Feuilles de route, 1924.
Réveil
Je suis nu
J’ai déjà pris mon bain
Je me frictionne à l’eau de Cologne
Un voilier lourdement secoué passe dans mon hublot
Il fait froid ce matin
Il y a de la brume
Je range mes papiers
J’établis un horaire
Mes journées seront bien remplies
Je n’ai pas une minute à perdre
J’écris
Feuilles de route, 1924.
Lettre
Tu m’as dit si tu m’écris
Ne tape pas tout à la machine
Ajoute une ligne de ta main
Un mot un rien oh pas grand chose
Oui oui oui oui oui oui oui oui
Ma Remington est belle pourtant
Je l’aime beaucoup et travaille bien
Mon écriture est nette est claire
On voit très bien que c’est moi qui l’ai tapée
Il y a des blancs que je suis seul à savoir faire
Vois donc l’oeil qu’à ma page
Pourtant, pour te faire plaisir j’ajoute à l’encre
Deux trois mots
Et une grosse tache d’encre
Pour que tu ne puisses pas les lire.
Feuilles de route, 1924.