Balade de Nostre Dame moult belle
Secourez moy, douce vierge Marie,
Port de salut que l’en doit réclamer!
Je sens ma nef foible, povre et pourrie,
De sept tourments assaillie en la mer
Mon voile est roupt, ancres n’y puet encrer
J’ai grant paour que plunge ou que n’affonde
Se voz pitiez envers moy ne se fonde.
Qui est la nef, fort ceste mortel vie
Qui a paines puet LX ans passer?
Les sept tourments sont Orgueil et Envie
Detraccion, Luxure et Murmurer
Convoitise qui ne laisse durer,
Et leurs consors me tuent en ce monde,
Se voz pitiez envers moy ne se fonde.
Mon voile est roupt, qui vertu signifie,
Et mon encre ne se puet arrester
Pour ce chetif monde qui me detrie,
Qui ne me laisse à mon ame penser.
Or me vueillez mon volie relever,
Vierge, ou je doubt pechiez ne me confunde,
Se voz pitiez envers moy ne se fonde.
Eustache Deschamps en son temps sous la direction de Jean-Patrice Boudet et Hélène Millet. Publications de la Sorbonne 1997.
Merci à J.A.
Ballade n°134. Tome 1. page 258.
“Dans cet appel au secours à Notre-Dame, le poète parle de sa vie et de lui-même comme d’un bateau (Une nef, vers 3 et 8) devant se rendre au port du salut, d’où le vocable donné à la Vierge (vers 2). L’embarcation est en mauvais état (vers 3 et 5) et doit affronter sept tourmens. Ce sont les sept péchés capitaux qui sont ainsi désignés, dont trois sont nommés dans la seconde strophe (Orgueil, Envie et Luxure). Les quatre autres (Colère, Avarice, Paresse et Gourmandise), englobés sous le nom de consors (vers 13) ont été ici remplacés par Detraccion, Murmurer et Convoitise, qui sont plutôt des dérivés d’Envie. Le poète renouvelle sa prière dans la troisième strophe: Marie doit l’aider à relever sa voile (vers 19), c’est à dire à cultiver les vertus. Touchée, la Vierge répond dans la ballade 135 en lui indiquant les vertus qu’il doit pratiquer pour éviter l’Enfer.”