Las cosas ( Jorge Luis Borges )
El bastón, las monedas, el llavero,
la dócil cerradura, las tardías
Notas que no leerán los pocos días
que me quedan, los naipes y el tablero,
un libro y en sus páginas la ajada
violeta, monumento de una tarde
sin duda inolvidable y ya olvidada,
el rojo espejo occidental en que arde
una ilusoria aurora. ¡cuántas cosas,
láminas, umbrales, atlas, copas, clavos,
nos sirven como tácitos esclavos,
ciegas y extrañamente sigilosas!
Durarán más allá de nuestro olvido;
no sabrán nunca que nos hemos ido.
Antología poética 1923-1977, 1981.
Les choses (Traduction Nestor Ibarra)
La canne, le stylo, la rame de papier,
La clef docile, le portefeuille, les vieilles
Notes que ne reliront pas le peu de veilles
Qui me restent, le jeu de cartes, l’échiquier,
Un vieux livre où se fripe au cœur de Millevoye
La violette, monument exténué
D’un soir inoubliable assez vite oublié,
La glace occidentale où rutile et flamboie
Une illusoire aurore… Ô combien, ô combien
De choses, atlas, clous, tasses, limes, lunettes,
Portes, nous servant en esclaves et sans rien
Dire ni voir, toujours étrangement discrètes !
Elles vont persister au-delà des oublis ;
Elles ne sauront pas que nous sommes partis.
Eloge de l’ombre 1967-1969 in L’or des tigres 1976. Poésie Gallimard n°411. 2005. Mis en vers français par Nestor Ibarra.
Cette mise en vers français de Nestor Ibarra me laisse perplexe. L’évocation du poète Charles-Louis Millevoye (1782-1816) me paraît pour le moins curieuse.
Millevoye est né en 1782 à Abbeville, France. Durant son enfance, sa fragilité extrême inquiète ses parents qui l’entourent particulièrement. Si son état de santé n’est pas aussi stable que celui des autres garçons de son âge, il développe très rapidement ses facultés intellectuelles et dépasse ses condisciples. Sous l’influence de son professeur Collenot, il se consacre très tôt à la littérature.
Il tombe amoureux d’une jeune fille dont le père ne veut pas qu’elle l’épouse. Il « aimait mieux voir sa fille morte que femme d’un homme de lettres. » Désespérée, elle tombe malade et meurt peu de temps après. Millevoye ne s’est jamais remis de cette mort qui apparaît dans un certain nombre de ses poèmes regroupés sous le titre d’Élégies.
De son vivant, ses œuvres sont couronnées par plusieurs prix et distinctions dont le Grand Prix des Jeux Floraux décerné par l’Académie de Toulouse pour son poème le plus célèbre, « La chute des feuilles ». En 1807, Napoléon lui commande même un poème sur ses campagnes d’Italie. Il est pensionné impérial.
Il est considéré comme un des précurseurs du romantisme français. Il meurt en 1815 à l’âge de trente-trois ans des suites d’une chute de cheval. La cécité l’avait empêché de retravailler ses Œuvres complètes.