Cette lettre ironique reprend en partie l’argumentation que la philosopĥe avait déjà utilisée, en octobre ou novembre 1940, dans une lettre adressée au ministre de l’Instruction publique, Georges Ripert. Elle l’écrit à la suite de la publication, le 3 octobre 1941, du Statut des Juifs. Toute son ironie porte sur la quasi-impossibilité de définir sans ambiguïté le mot «Juif». Si elle affirme ne pas se considérer comme juive (ce qui ne correspond pas à sa pensée), elle ne se désolidarise pas des autres Juifs. Elle s’est installée avec ses parents à Marseille à la mi-octobre 1940. Elle y fait de la résistance active en distribuant les Cahiers du Témoignage chrétien dès avril-mai 1941 et aide de nombreux Juifs. Elle embarque avec ses parents pour New York le 14 mai 1942, puis quitte les Etats-Unis pour Londres avec Simone Deltz, jeune femme juive convertie au catholicisme qu’elle a rencontrée au consulat français. Elle se met alors au service de la France libre, mais, épuisée et tuberculeuse, elle meurt le 24 août 1943, à 34 ans, d’une défaillance cardiaque au sanatorium d’Ashford (comté de Kent). Elle est enterrée au New Cemetery d’Ashford dans la partie réservée aux catholiques.
Lettre à Xavier Vallat, Commissaire aux questions juives
18 octobre 1941
Monsieur,
Je dois vous considérer, je suppose, comme étant en quelque sorte mon chef; car, bien que je n’aie pas encore bien compris ce qu’on entend aujourd’hui légalement par juif, en voyant que le ministère de l’Instruction publique laissait sans réponse, bien que je sois agrégée de philosophie, une demande de poste déposée par moi en juillet 1940 à l’expiration d’un congé de maladie, j’ai dû supposer, comme cause de ce silence, les présomptions d’origine israélite attachée à mon nom. Il est vrai qu’on s’est abstenu également de me verser l’indemnité prévue en pareil cas par le Statut des juifs; ce qui me procure la vive satisfaction de n’être pour rien dans les difficultés financières du pays. – Quoi qu’il en soit, je crois devoir vous rendre compte de ce que je fais.
Le gouvernement a fait savoir qu’il voulait que les juifs entrent dans la production, et de préférence aillent à la terre. Bien que je ne me considère pas moi-même comme juive, car je ne suis jamais entrée dans une synagogue, j’ai été élevée sans pratique religieuse d’aucune espèce par des parents libres-penseurs, je n’ai aucune attirance vers la religion juive, aucune attache avec la tradition juive, et ne suis nourrie depuis ma première enfance que de la tradition hellénique, chrétienne et française, néanmoins j’ai obéi.
Je suis en ce moment vendangeuse; j’ai coupé les raisins, huit heures par jour, tous les jours, pendant quatre semaines, au service d’un viticulteur du Gard. Mon patron me fait l’honneur de me dire que je tiens ma place. Il m’a même fait le plus grand éloge qu’un agriculteur puisse faire à une jeune fille venue de la ville, en me disant que je pourrais épouser un paysan. Il ignore, il est vrai, que j’ai du seul fait de mon nom une tare originelle qu’il serait inhumain de ma part de transmettre à des enfants.
J’ai encore à faire une semaine de vendange. Ensuite je compte aller travailler comme ouvrière agricole au service d’un maraîcher chez qui des amis m’ont procuré une place. On ne peut pas, je pense, obéir plus complètement.
Je regarde le Statut des juifs comme étant d’une manière générale injuste et absurde; car comment croire qu’un agrégé de mathématiques puisse faire du mal aux enfants qui apprennent la géométrie, du seul fait que trois de ses grands-parents allaient à la synagogue?
Mais, en mon cas particulier, je tiens à vous exprimer la reconnaissance sincère que j’éprouve envers le gouvernement pour m’avoir ôtée de la catégorie sociale des intellectuels et m’avoir donné la terre, et avec elle toute la nature. Car seuls possèdent la nature et la terre ceux à qui elles sont entrées dans le corps par la souffrance quotidienne des membres rompus de fatigue. Les jours, les mois, les saisons, la voûte céleste qui tournent sans cesse autour de nous appartiennent à ceux qui doivent franchir l’espace de temps qui sépare chaque jour le lever et le coucher du soleil en allant péniblement de fatigue en fatigue. Ceux-là accompagnent le firmament dans sa rotation, ils vivent chaque journée, ils ne la rêvent pas.
Le gouvernement, que vous représentez à mon égard, m’a donné tout cela. Vous et les autres dirigeants actuels du pays, vous m’avez donné ce que vous ne possédez pas. Vous m’avez fait aussi le don infiniment précieux de la pauvreté, que vous ne possédez pas non plus.
J’aurais hésité à vous écrire, sachant votre temps pris par d’innombrables soucis, mais vous ne recevez certainement pas beaucoup de lettres de remerciements de ceux qui se trouvent dans ma situation. Cela vaut donc peut-être pour vous les quelques minutes que vous perdrez à me lire.
Veuillez recevoir, Monsieur, l’assurance de ma haute considération.
Simone Weil
Je decouvre lettre que Simone Weil (homonyme de Simone Veil) avait écrite à Xavier Vallat le 18 octobre 1941.Ci-apres la première page manuscrite de la lettre :
https://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/6/60/Lettre_manuscrite_de_S.Weil_oct.1941.png
Simone Weil y pose la question de l’identité juive, de la discrimination envers les juifs dans l’enseignement. Dans la version manuscrite, le mot juif y apparaît plusieurs fois, le J est minuscule puis majuscule .
Le lien suivant évoque la lettre J pendant la Shoah.
https://www.lelivrescolaire.fr/page/31440480
Un film comique sans prétention m’intrigue “la moutarde me monte au nez” 1974 avec Jane Birkin et Pierre Richard . Il me semble beaucoup plus sérieux qu’il n’y paraît.
Des clins d’oeil au judaïsme avec la marque “Juif Delepine” (aujourd’hui Jean-Claude Delpine) créditée au générique. La marque a été créée avant guerre en septembre 1933 et je n’ai pas reussi à savoir comment la société a traversé l’occupation. Le mot juif ne désigne pas forcément le nom d’un des créateurs. Et on peut s’appeler juif sans être juif, cela pose question sur l’identité juive . Dans un cours de maths sur les applications linéaires et les espaces vectoriels, Pierre Durois évoque l’image de f. Écrit im de f sur le tableau de gauche et en bleu sur le tableau de droite . Au dessous Image de f est ecrit Jmf. Le i majuscule en lettre cursive ressemble à un j. https://i.postimg.cc/43GR4fBV/La-moutarde-me-monte-au-nez-jmf-juif.png Ce Jmf me fait penser au mot juif. Un peu comme celui de Simone Weil dans la lettre de 1941 . : https://i.postimg.cc/XJNM4gzb/Detail-lettre-manuscrite-Simone-Veil.jpg