Nous avons vu en deux temps l’exposition Picasso Dessiner à l’infini (18 octobre 2023 – 15 janvier 2024) au Centre Pompidou. Elle célèbre les cinquante ans de la mort du peintre espagnol et présente près de mille œuvres (carnets, dessins et gravures). On se perd parfois dans le parcours proposé qui est non linéaire et bouscule la chronologie.
Mon attention a été retenue par le thème du cirque dans son œuvre et par son amitié avec les poètes de son temps (Guillaume Apollinaire, Max Jacob, Pierre Reverdy, Paul Éluard)
En 1905, les oeuvres de Picasso se peuplent de saltimbanques. Le cirque Médrano installe alors son chapiteau près de son atelier du Bateau-Lavoir à Montmartre. Le peintre n’insiste pas sur les feux de la rampe, mais sur l’envers du décor : la pauvreté, la marginalité, l’existence errante et solitaire. Les prouesses acrobatiques, les moments de gaieté passés pendant le spectacle l’intéressent peu.
Il suit les poètes : Baudelaire, Verlaine et Apollinaire qu’il rencontre à la fin de 1904 et qui devient un ami essentiel. Le poème Crépuscule est significatif.
Crépuscule (Guillaume Apollinaire)
A Mademoiselle Marie Laurencin
Frôlée par les ombres des morts
Sur l’herbe où le jour s’exténue
L’arlequine s’est mise nue
Et dans l’étang mire son corps
Un charlatan crépusculaire
Vante les tours que l’on va faire
Le ciel sans teinte est constellé
D’astres pâles comme du lait
Sur les tréteaux l’arlequin blême
Salue d’abord les spectateurs
Des sorciers venus de Bohême
Quelques fées et les enchanteurs
Ayant décroché une étoile
Il la manie à bras tendu
Tandis que des pieds un pendu
Sonne en mesure les cymbales
L’aveugle berce un bel enfant
La biche passe avec ses faons
Le nain regarde d’un air triste
Grandir l’arlequin trismégiste
Alcools, 1913.
Le texte évoque une arlequine « frolée par les ombres des morts », un charlatan « crépusculaire », un arlequin « blême » et un aveugle qui « berce un bel enfant ». On est entre deux mondes. Les saltimbanques sont des passeurs vers l’au-delà.
Ce thème du cirque réapparaît dans l’oeuvre du peintre quand il retourne au cirque Médrano avec son fils Paulo (1921-1975) vers 1930. Il est saisi par le spectacle lui-même. Le corps humain devient extravagant. L’acrobate est un homme-caoutchouc. Picasso est fasciné par les équilibristes. Ses tableaux sont le reflet d’une grande émotion personnelle.
Regarder Picasso à l’infini !