César Vallejo

Rafael Chirbes (1949-2015). Photo: Philippe Marsas.

Je lis le troisième tome du Journal de Rafael Chirbes (Diarios. A ratos perdidos 5 y 6. Anagrama, 2023). Le grand romancier de la crise espagnole est mort le 15 août 2014, à 66 ans, d’un cancer du poumon. Son importance avait été reconnue en Espagne avec la publication de Crematorio (Anagrama, 2007) et de En la orilla (Anagrama, 2007). Ces deux romans ont été publiés en français aux Éditions Rivages (Crémation, 2009 et Sur le rivage, 2015. Traduction de Denise Laroutis).

Il décrit la mort de son jeune chat : “Y aquello de Vallejo, tanto amor y no poder nada contra la muerte, lo que viene a decir ese poema que se dice “Masa”. Pero en el poema, al final, la solidaridad de todos los hombres consigue que el cadáver eche a andar, versión laica del Lázaro de los Evangelios. La gran máquina fraternal del comunismo. Pero eso no es verdad, no hay consuelo.” (pages 73-74)

http://www.lesvraisvoyageurs.com/2022/12/21/rafael-chirbes-1949-2015-pierre-michon/

Je me souviens que ce poème était chanté par Daniel Viglietti (1939-2017) dans son album Canciones para mi América, édité en 1968 par Le Chant du Monde (LDX 7-4362).

https://www.youtube.com/watch?v=WUe_AGKRjeM

Le poème est daté du 10 novembre 1937, mais selon certains critiques il a pu être écrit en 1929 ou 1930. Tous les textes de España, aparta de mí este cáliz ont été réécrits. Le recueil a été publié de manière posthume à la fin de la guerre civile espagnole. Vallejo évoque l’agonie de l’Espagne républicaine, mais aussi celle du poète lui-même. On remarque les nombreuses allusions bibliques et la résurrection de Lazare.

Masa

Al fin de la batalla,
y muerto el combatiente, vino hacia él un hombre
y le dijo: «¡No mueras, te amo tanto!»
Pero el cadáver ¡ay! siguió muriendo.

Se le acercaron dos y repitiéronle:
«¡No nos dejes! ¡Valor! ¡Vuelve a la vida!»
Pero el cadáver ¡ay! siguió muriendo.

Acudieron a él veinte, cien, mil, quinientos mil,
clamando «¡Tanto amor y no poder nada contra la muerte!»
Pero el cadáver ¡ay! siguió muriendo.

Le rodearon millones de individuos,
con un ruego común: «¡Quédate hermano!»
Pero el cadáver ¡ay! siguió muriendo.

Entonces todos los hombres de la tierra
le rodearon; les vio el cadáver triste, emocionado;
incorporóse lentamente,
abrazó al primer hombre; echóse a andar…

(10 noviembre 1937)

España, aparta de mí este cáliz. Montserrat, Ediciones Literarias del Comisariado. Ejército del Este, 1939.

Masse

La bataille finie,
et mort le combattant, est venu vers lui un homme
qui lui a dit : « Ne meurs pas; je t’aime tant ! »
Mais le cadavre, hélas ! persista à mourir.

Deux autres hommes vinrent à lui et lui redirent :
« Ne nous quitte pas ! Courage! Reviens à la vie ! »
Mais le cadavre, hélas ! persista à mourir.

Vingt, cent, mille, cinq cent mille se rendirent près de lui
clamant : « Tant d’amour et ne rien pouvoir contre la mort ! »
Mais le cadavre, hélas ! persista à mourir.

L’entourèrent des millions d’individus,
implorant d’une seule voix : « Reste, frère !
Mais le cadavre, hélas! persista à mourir.

Alors, tous les hommes de la terre
l’entourèrent; les vit le cadavre triste, ému ;
il se releva lentement,
serra dans ses bras le premier homme; se mit à marcher…

Poésie complète 1919-1937. Flammarion, 2009. Traduction : Nicole Réda-Euvremer.

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