Louise Glück, poétesse américaine et prix Nobel de littérature en 2020, est morte d’un cancer le 13 octobre 2023 à Cambridge (Massachusetts). Elle avait quatre-vingts ans. Elle était née le 22 avril 1943 à New York, au sein d’une famille d’origine hongroise. Elle a été peu traduite en France avant le prix Nobel. Gallimard a publié en 2021 L’iris sauvage (1992) et Nuit de foi et de vertu (2014), puis en 2022 Meadowlands et Averno. J’ai lu ses poèmes à la fin du confinement.
Son dernier recueil, Recueil collectif de recettes d’hiver, sortira le 9 novembre 2023 dans la collection Du Monde entier (Gallimard) en même temps qu’un volume de la collection Poésie/Gallimard : L’iris sauvage – Meadowlands – Averno, avec une préface inédite de sa traductrice Marie Olivier.
« Et le monde passe,
tous les mondes, chacun plus beau que le précédent. »
Je retranscris deux poèmes de cette écrivaine majeure de la poésie de langue anglaise.
The Wild Iris
At the end of my suffering
there was a door.
Hear me out: that which you call death
I remember.
Overhead, noises, branches of the pine shifting.
Then nothing. The weak sun
flickered over the dry surface.
It is terrible to survive
as consciousness
buried in the dark earth.
Then it was over: that which you fear, being
a soul and unable
to speak, ending abruptly, the stiff earth
bending a little. And what I took to be
birds darting in low shrubs.
You who do not remember
passage from the other world
I tell you I could speak again: whatever
returns from oblivion returns
to find a voice:
from the center of my life came
a great fountain, deep blue
shadows on azure seawater.
The Wild Iris. New York: Ecco Press, 1992.
L’iris sauvage
Au bout de ma douleur
il y avait une porte.
Écoute-moi bien : ce que tu appelles la mort,
je m’en souviens.
En haut, des bruits, le bruissement des branches de pin.
Puis plus rien. Le soleil pâle
vacilla sur la surface sèche.
C’est une chose terrible que de survivre
comme conscience
enterrée dans la terre sombre.
Puis ce fut terminé : ce que tu crains, être
une âme et incapable
de parler prenant brutalement fin, la terre raide
pliant un peu. Et ce que je crus être
des oiseaux sautillant dans les petits arbustes.
Toi qui ne te souviens pas
du passage depuis l’autre monde
je te dis que je pouvais de nouveau parler : tout ce qui
revient de l’oubli revient
pour trouver une voix :
du centre de ma vie surgit
une grande fontaine, ombres
bleu foncé sur eau marine azurée.
L’iris sauvage. Gallimard, 2021. Traduction Marie Olivier. Pages 24-25.
Early Darkness
How can you say
earth should give me joy? Each thing
born is my burden; I cannot succeed
with all of you.
And you would like to dictate to me,
you would like to tell me
who among you is most valuable,
who most resembles me.
And you hold up as an example
the pure life, the detachment
you struggle to acheive–
How can you understand me
when you cannot understand yourselves?
Your memory is not
powerful enough, it will not
reach back far enough–
Never forget you are my children.
You are not suffering because you touched each other
but because you were born,
because you required life
separate from me.
The wild iris. New York: Ecco Press, 1992.
Tombée du jour
Comment peux-tu dire
que la terre devrait me procurer de la joie ? Toute chose
qui naît est mon fardeau ; je ne peux réussir
avec chacun d’entre vous.
Et vous voudriez me tenir tête,
vous voudriez me dire
lequel d’entre vous a le plus de valeur,
lequel me ressemble le plus.
Et vous brandissez comme exemple
la vie elle-même, le détachement
auquel vous vous efforcez de parvenir –
Comment pouvez-vous me comprendre
alors que vous ne vous comprenez pas vous-mêmes ?
Votre mémoire n’est pas
assez puissante,
ne remontera pas assez loin –
N’oubliez jamais que vous êtres mes enfants.
Ce n’est pas parce que vous vous êtes touchés que vous souffrez,
mais parce que vous êtes nés,
parce que vous aviez besoin de vivre
séparés de moi.
L’iris sauvage. Gallimard, 2021. Traduction Marie Olivier. Pages 112-113.